I


Adèle et ses amis

— Qui est-ce ?…

— Je ne sais pas ! C’est la première fois qu’il vient, dit Adèle en exhalant la fumée de sa cigarette.

Et elle décroisa paresseusement les jambes, tapota ses cheveux sur les tempes, plongea le regard dans un des miroirs tapissant la salle pour s’assurer que son maquillage n’était pas défait.

Elle était assise sur une banquette de velours grenat, en face d’une table supportant trois verres de porto. Elle avait un jeune homme à sa gauche, un jeune homme à droite.

— Vous permettez, mes petits ?…

Elle leur adressa un sourire gentil, confidentiel, se leva et, balançant les hanches, traversa la salle pour s’approcher de la table du nouvel arrivant.

Les quatre musiciens du jour, sur un signe du patron, ajoutaient leurs voix à celle des instruments. Un seul couple dansait : une femme attachée à la maison et le danseur professionnel.

Et c’était, comme presque tous les soirs, une impression de vide. La salle était trop grande. Les miroirs appliqués sur les murs prolongeaient encore des perspectives que ne coupaient que les banquettes rouges et le marbre blafard des tables.

Les deux jeunes gens, qui n’avaient plus Adèle entre eux, se rapprochèrent.

— Elle est charmante ! soupira Jean Chabot, le plus jeune, qui affectait de regarder vaguement la salle entre ses cils mi-clos.

— Et quel tempérament ! renchérit son ami Delfosse, qui s’appuyait sur un jonc à pomme d’or.

Chabot pouvait avoir seize ans et demi. Delfosse, plus maigre, mal portant, les traits irréguliers, n’en avait pas plus de dix-huit. Mais ils auraient protesté avec indignation si on leur eût dit qu’ils n’étaient pas blasés de toutes les joies de la vie.

— Hé ! Victor !…

Chabot interpellait familièrement le garçon qui passait.

— Tu connais le type qui vient d’arriver ?

— Non ! Mais il a commandé du champagne…

Et Victor, s’accompagnant d’une œillade :

— Adèle s’occupe de lui !

Il s’éloigna avec son plateau. La musique se tut un instant, pour reprendre sur un rythme de boston. Le patron, à la table du client sérieux, débouchait lui-même la bouteille de champagne dont il cravatait le col d’une serviette.

— Tu crois qu’on fermera tard ? questionna Chabot dans un souffle.

— Deux heures… deux heures et demie… comme toujours !…

— On reprend quelque chose ?

Ils étaient nerveux. Le plus jeune surtout, qui regardait chacun tour à tour avec des prunelles trop fixes.

— Combien peut-il avoir ?

Mais Delfosse haussa les épaules, trancha avec impatience :

— Tais-toi donc !

Ils voyaient Adèle, presque en face d’eux, assise à la table du client inconnu qui avait commandé du champagne. C’était un homme d’une quarantaine d’années, aux cheveux noirs, à la peau mate, un Roumain, un Turc ou quelque chose d’approchant. Il portait une chemise de soie rose. Sa cravate était plantée d’un gros brillant.

Il ne s’inquiétait guère de la danseuse qui lui parlait en riant et en se penchant sur son épaule. Quand elle lui demanda une cigarette, il lui tendit un étui en or et continua à regarder devant lui.

Delfosse et Chabot ne parlaient plus. Ils feignaient de considérer l’étranger avec dédain. Et pourtant ils admiraient, intensément ! Ils ne perdaient pas un détail. Ils étudiaient la façon dont la cravate était nouée, la coupe du complet et jusqu’aux gestes du buveur de champagne.

Chabot portait un costume de confection, des chaussures qui avaient été deux fois ressemelées. Les vêtements de son ami, d’un meilleur tissu, n’allaient pas. Il est vrai que Delfosse avait des épaules étroites, une poitrine creuse, une silhouette indécise d’adolescent trop poussé.

— Encore un !

La tenture de velours doublant la porte d’entrée s’était soulevée. Un homme tendait son chapeau melon au chasseur, restait un moment immobile à faire des yeux le tour de la salle. Il était grand, lourd, épais. Son visage était placide et il n’écouta même pas le garçon qui voulait lui conseiller une table. Il s’assit n’importe où.

— De la bière ?

— Nous n’avons que la bière anglaise… Stout, pale-ale, scotch-ale ?…

Et l’autre haussa les épaules pour signifier que cela lui était parfaitement égal.

Il n’y eut pas plus d’animation qu’auparavant, ni que tous les soirs. Un couple sur la piste. Le jazz qu’on finissait par ne plus entendre que comme un bruit de fond. Au bar, un client tiré à quatre épingles qui faisait un poker d’as avec le patron.

Adèle et son compagnon, qui ne s’occupait toujours pas d’elle.

L’atmosphère d’une boîte de nuit de petite ville. À certain moment, trois hommes éméchés soulevèrent la tenture. Le patron se précipita. Les musiciens firent l’impossible. Mais ils partirent et l’on entendit s’éloigner des éclats de rire.

À mesure que le temps passait, Chabot et Delfosse devenaient plus graves. On eût dit que la fatigue burinait leurs traits, donnait à leur peau une vilaine teinte plombée, creusait le cerne de leurs paupières.

— Tu crois, dis ? questionna Chabot, si bas que son compagnon devina plutôt qu’il entendit.

Pas de réponse. Un tambourinement des doigts sur le marbre de la table.

Appuyée à l’épaule de l’étranger, Adèle adressait parfois une œillade à ses deux amis, sans perdre l’air câlin et enjoué qu’elle avait adopté.

— Victor !

— Vous partez déjà !… Un rendez-vous ?…

Comme Adèle se faisait câline, il se faisait mystérieux, excité.

— On réglera demain avec le reste, Victor ! Nous n’avons pas de monnaie…

— Bien, messieurs !… Bonsoir, messieurs !… Vous sortez par-là ?…

Les deux jeunes gens n’étaient pas ivres. Et pourtant ils accomplirent leur sortie comme dans un cauchemar, sans rien voir.

Le Gai-Moulin a deux portes. La principale s’ouvre sur la rue du Pot-d’Or. C’est par là que les clients entrent et sortent. Mais après deux heures du matin, quand, selon les règlements de police, l’établissement devrait être fermé, on entrouvre une petite porte de service sur une ruelle mal éclairée et déserte.

Chabot et Delfosse traversaient la salle, passaient devant la table de l’étranger, répondaient au bonsoir du patron, poussaient la porte des lavabos. Là, ils s’arrêtèrent quelques secondes, sans se regarder.

— J’ai peur… balbutia Chabot.

Il se voyait dans une glace ovale. Le jazz étouffé les poursuivait.

— Vite ! fit Delfosse en ouvrant une porte et en découvrant un escalier noir où régnait une fraîcheur humide.

C’était la cave. Les marches étaient en brique. Il venait d’en bas une écœurante odeur de bière et de vin.

— Si quelqu’un arrivait !

Chabot faillit trébucher parce que la porte se refermait et supprimait du coup toute lumière. Ses mains tâtèrent le mur couvert de salpêtre. Quelqu’un le frôla et il tressaillit, mais ce n’était que son ami.

— Ne bouge plus ! commanda celui-ci.

On n’entendait pas la musique à proprement parler. On la devinait. On percevait surtout la vibration des coups de grosse caisse. C’était un rythme épars dans l’air, qui évoquait la salle aux banquettes grenat, les verres entrechoqués, la femme en rose qui dansait avec son compagnon en smoking.

Il faisait froid. Chabot sentait l’humidité le pénétrer et il dut se retenir d’éternuer. Il se passa la main sur sa nuque glacée. Il entendait la respiration de Delfosse. Chaque souffle lui envoyait des relents de tabac.

Quelqu’un vint au lavabo. Le robinet fonctionna. Une pièce de monnaie tomba dans la soucoupe.

Il y avait encore le tic-tac d’une montre dans la poche de Delfosse.

— Tu crois qu’on pourra ouvrir ?…

L’autre lui pinça le bras, pour le faire taire. Ses doigts étaient tout froids.

Là-haut, le patron devait commencer à interroger l’horloge avec impatience. Quand il y avait du monde et de l’entrain, il ne regardait pas trop à dépasser l’heure et à risquer les foudres de la police. Mais quand la salle était vide, il devenait soudain respectueux des règlements.

— Messieurs, on va fermer !… Il est deux heures !

Les jeunes gens, en bas, n’entendaient pas. Mais ils pouvaient deviner minute par minute tout ce qui se passait. Victor encaissant, venant ensuite au bar faire ses comptes avec le patron, tandis que les musiciens remettaient les instruments dans les gaines et qu’on habillait la grosse caisse d’une lustrine verte.

L’autre garçon, Joseph, entassant les chaises sur les tables et ramassant les cendriers.

— On ferme, messieurs !… Allons, Adèle !… Pressons-nous !…

Le patron était un Italien râblé, qui avait servi dans les bars et les hôtels de Cannes, de Nice, de Biarritz et de Paris.

Des pas, au lavabo. C’est lui qui vient tirer le verrou de la petite porte accédant à la ruelle. Il donne un tour de clé, mais laisse celle-ci dans la serrure.

Ne va-t-il pas, machinalement, fermer la cave, ou bien y jeter un coup d’œil ? Il marque un temps d’arrêt. Il doit être occupé à rectifier devant la glace la raie de ses cheveux. Il tousse. La porte de la salle grince.

Dans cinq minutes, ce sera fini. L’Italien, resté le dernier, aura baissé les volets de la devanture et, de la rue, fermera la dernière issue.

Or, il n’emporte jamais toute la caisse. Il ne glisse dans son portefeuille que les billets de mille francs. Le reste est dans le tiroir du bar, un tiroir dont la serrure est si fragile qu’il suffit d’un bon canif pour la faire sauter.

Toutes les lampes sont éteintes.


— Viens !… murmure la voix de Delfosse.

— Pas encore… Attends…

Ils sont maintenant seuls dans tout le bâtiment et pourtant ils continuent à parler bas. Ils ne se voient pas. Chacun sent qu’il est blême, qu’il a la peau tirée, les lèvres sèches.

— Si quelqu’un était resté ?

— Est-ce que j’ai eu peur quand il s’agissait du coffre de mon père ?

Delfosse est hargneux, quasi menaçant.

— Il n’y a peut-être rien dans le tiroir.

C’est comme un vertige. Chabot se sent plus malade que s’il avait trop bu. Maintenant qu’il a pénétré dans cette cave, il n’a plus le courage d’en sortir. Il serait capable de s’effondrer sur les marches et d’éclater en sanglots.

— Allons-y !…

— Attends ! Il pourrait revenir sur ses pas…

Cinq minutes passent. Puis encore cinq minutes, parce que Chabot essaie par tous les moyens de gagner du temps. Son soulier est délacé. Il le rattache, sans rien voir, parce qu’il a peur de tomber et de déclencher un vacarme.

— Je te croyais moins lâche… Allons ! Passe…

Car Delfosse ne veut pas sortir le premier. Il pousse son compagnon devant lui de ses mains qui tremblent. La porte de la cave est ouverte. Un robinet coule dans le lavabo. Cela sent le savon et le désinfectant.

Chabot sait que l’autre porte, celle qui ouvre sur la salle, va grincer. Il attend ce grincement. Et pourtant il en a le dos glacé.

Dans l’obscurité, c’est vaste comme une cathédrale. On sent un vide immense. Des bouffées de chaleur suintent encore des radiateurs.

— De la lumière !… souffle Chabot.

Delfosse flambe une allumette. Ils s’arrêtent une seconde, pour reprendre haleine, pour mesurer le chemin à parcourir. Et soudain l’allumette tombe, tandis que Delfosse pousse un cri perçant et qu’il s’élance vers la porte des lavabos. Dans le noir, il ne trouve pas. Il revient sur ses pas, heurte Chabot.

— Vite !… Partons !…

Ce sont plutôt des sons rauques.

Chabot, lui aussi, a aperçu quelque chose. Mais il a mal distingué… Comme un corps étendu sur le sol, près du bar… Des cheveux très noirs…

Ils n’osent plus bouger. La boîte d’allumettes est par terre, mais on ne la voit pas.

— Tes allumettes !…

— Je n’en ai plus…

L’un d’eux heurte une chaise. L’autre questionne :

— C’est toi ?…

— Par ici !… Je tiens la porte…

Et le robinet coule toujours. C’est déjà un apaisement. C’est une première étape vers la délivrance.

— Si l’on faisait de la lumière ?

— Tu es fou ?…

Les mains tâtonnent, cherchent le verrou.

— Il est dur…

Des pas, dans la rue. Ils ne bougent plus. Ils attendent. Des bribes de phrase :

— … moi je prétends que si l’Angleterre n’avait pas… Les voix s’éloignent. Ce sont peut-être les agents qui discutent politique.

— Tu ouvres ?

Mais Delfosse n’est plus capable d’un geste. Il s’est adossé à la porte et tient sa poitrine haletante à deux mains.

— … il avait la bouche ouverte… bégaie-t-il.

La clé tourne. De l’air. Des reflets d’un réverbère sur les pavés de la ruelle. Ils ont tous les deux envie de courir. Ils ne pensent même pas à refermer la porte.

Mais là-bas, au tournant, c’est la rue du Pont-d’Avroy, où il passe du monde. Ils ne se regardent pas. Il semble à Chabot que son corps est vide, qu’il esquisse des mouvements mous dans un univers de coton. Les bruits eux-mêmes viennent de très loin.

— Tu crois qu’il est mort ?… C’est le Turc ?

— C’est lui !… Je l’ai reconnu… Sa bouche ouverte… Et un œil…

— Que veux-tu dire ?

— Un œil ouvert, l’autre fermé.

Et, rageur :

— J’ai soif !

Ils sont rue du Pont-d’Avroy. Tous les cafés sont fermés. Il ne reste d’ouvert qu’une friture où l’on sert des bocks, des moules, des harengs au vinaigre et des pommes frites.

— On y va ?

Le cuisinier tout en blanc active ses feux. Une femme qui mange, dans un coin, adresse un sourire engageant aux deux amis.

— De la bière !… Et des frites !… Et des moules !…

Et voilà qu’après cette première portion, ils en recommandent. Ils ont faim. Une faim extraordinaire. Et ils en sont déjà à leur quatrième bock !

Ils ne se regardent toujours pas. Ils mangent farouchement. Dehors, c’est l’obscurité, avec de rares passants qui marchent vite.

— Cela fait combien, garçon ?

Une nouvelle terreur. Auront-ils à eux deux assez d’argent pour payer leur souper ?

— … sept et deux cinquante et trois et soixante et… dix-huit septante-cinq !…

Il reste juste un franc pour le pourboire !

Les rues. Les volets clos des magasins. Les becs de gaz et dans le lointain les pas d’une ronde d’agents. Les deux jeunes gens traversent la Meuse.

Delfosse ne dit rien, regarde fixement devant lui, l’esprit si loin des réalités du moment qu’il ne s’aperçoit pas que son ami lui parle.

Et Chabot, pour ne pas rester seul, pour prolonger le côte à côte rassurant, va jusqu’à la porte d’une maison confortable, dans la plus belle rue du quartier.

— Refais un bout de chemin avec moi… implore-t-il alors.

— Non… Je suis malade…

C’est le mot. Malades, ils le sont tous les deux. Chabot n’a fait qu’apercevoir le corps un instant, mais son imagination travaille.

— C’était bien le Turc ?

Ils l’appellent le Turc faute de savoir. Delfosse ne répond pas. Il a introduit sans bruit sa clé dans la serrure. On aperçoit dans la pénombre un large corridor orné d’un porte-parapluies de cuivre.

— À demain…

— Au Pélican ?…

Mais la porte bouge déjà, va se refermer. C’est maintenant un vertige. Être chez soi, dans son lit ! Est-ce qu’alors ce n’en sera pas fini de cette histoire ?

Et voilà Chabot tout seul dans le quartier désert, à marcher vite, à courir, à hésiter aux angles des rues et à s’élancer comme un fou. Place du Congrès, il fuit les arbres. Il ralentit le pas parce qu’il devine un passant au loin. Mais l’inconnu prend une autre direction.

Rue de la Loi. Des maisons à un étage. Un seuil.

Jean Chabot cherche sa clé, ouvre, tourne le commutateur électrique, marche vers la cuisine à porte vitrée où le feu n’est pas tout à fait éteint.

Il doit retourner sur ses pas parce qu’il a oublié de refermer la porte d’entrée. Il fait chaud. Il y a un papier sur la toile cirée blanche de la table et quelques mots au crayon :


Tu trouveras une côtelette dans le buffet et un morceau de tarte dans l’armoire. Bonne nuit.

Père.


Jean regarde tout ça avec abrutissement, ouvre l’armoire, aperçoit la côtelette, dont la seule vue lui soulève le cœur. Sur le meuble, un petit pot avec une plante verte qui ressemble à du mouron.

C’est que la tante Maria est venue ! Quand elle vient, elle apporte toujours une plante quelconque. Sa maison du quai Saint-Léonard en est pleine. Et elle donne, par surcroît, de minutieux conseils sur la façon de les soigner.

Jean a éteint. Il monte l’escalier, après avoir retiré ses chaussures. Il passe, au premier, devant les chambres des locataires.

Au second, ce sont des pièces mansardées. De la fraîcheur filtre du toit.

Au moment où il atteint le palier, un sommier grince. Quelqu’un est éveillé, son père ou sa mère. Il ouvre la porte.

Mais une voix vient de loin, étouffée :

— C’est toi, Jean ?…

Allons ! Il faut qu’il aille dire bonsoir à ses parents. Il entre chez eux. L’atmosphère est moite. Il y a déjà des heures qu’ils dorment.

— Il est tard, non ?…

— Pas trop…

— Tu devrais…

Non ! Son père n’a pas le courage de le gronder. Ou bien il devine que cela ne servirait de rien.

— Bonsoir, fils…

Jean se penche, embrasse un front humide.

— Tu es glacé… Tu…

— Il fait frais dehors…

— As-tu trouvé la côtelette ?… C’est tante Maria qui a apporté la tarte…

— J’avais mangé avec mes amis…

Sa mère se retourne, dans son sommeil, et son chignon croule sur l’oreiller.

— Bonne nuit…

Il n’en peut plus. Dans sa chambre, il ne fait même pas de lumière. Il jette son veston au hasard et il s’étend sur son lit, enfonce la tête dans l’oreiller.

Il ne pleure pas. Il ne pourrait pas. Il cherche son souffle. Et tous ses membres tremblent, tout son corps est agité de grands frissons comme s’il couvait une grave maladie.

Il voudrait seulement ne pas faire grincer le sommier.

Il voudrait éviter le hoquet qu’il sent monter dans sa gorge, parce qu’il devine son père, qui ne dort presque pas, couché dans la chambre voisine, l’oreille tendue.

Une image grandit dans sa tête, un mot résonne, se gonfle, prend des proportions monstrueuses au point que tout cela va l’écraser : le Turc !…

Et cela grouille, cela pèse, cela l’étouffe, le serre de partout jusqu’à ce que la fenêtre à tabatière déverse du soleil tandis que le père de Jean, debout au pied du lit, murmure avec la crainte d’être trop sévère :

— Tu ne devrais pas faire ça, fils !… Car tu as encore bu, n’est-ce pas ?… Tu ne t’es même pas déshabillé !…

Et l’odeur du café, des œufs au lard monte du rez-de-chaussée. Des camions passent dans la rue. Des portes claquent. Un coq chante.


Загрузка...