ÉPILOGUE

Ainsi, le premier navire spatial à se poser sur la planète avait été Téthys. L’Orana lui avait succédé et, quelques siècles plus tard, le Ludred.

Puis, jusqu’à l’apparition du Wapiti, la planète avait été oubliée.

C’était le hasard qui avait provoqué la disparition d’une fiche et l’oubli par le monde civilisé d’une planète inhabitée. Ce fut aussi le hasard qui, au bout de quelques milliers d’années, remit la planète sur les cartes.

Un des savants attachés au Service de Prospection biologique avait noté le soleil qui éclairait la planète oubliée comme étant de ceux dont les satellites sont habitables par l’homme. Il avait consulté les fichiers et n’avait pas trouvé de documentation se rapportant à ce système solaire. Par sa situation, une planète surtout lui paraissait intéressante. Il avait fait alors une proposition aux propriétaires du navire spatial Wapiti. Ceux-ci partaient pour une série de grands safaris. Un crochet dans l’espace pouvait leur permettre d’inspecter la planète inconnue sans pour cela se détourner de leur route. Consentaient-ils à le faire ?

Les chasseurs acceptèrent avec enthousiasme.

Se poser sur une planète inconnue leur avait paru une aventure intéressante. Y découvrir des êtres humains était une expérience passionnante. Cependant, lorsque, sortis de leur vaisseau spatial, les passagers du Wapiti se trouvèrent face à face avec Saya et Burl, ils se demandèrent comment ils allaient entrer en contact avec le jeune couple. Ils étaient déroutés par ces costumes barbares et ces armes primitives. Ils essayèrent d’entamer la conversation. Mais en quarante siècles le langage des gens civilisés avait évolué tandis que le vocabulaire des hommes oubliés sur la planète s’était réduit à une sorte de patois archaïque.

Heureusement, les voyageurs de l’espace avaient emporté avec eux une merveille électronique baptisée « Éducateur ». C’était une espèce de cerveau. On l’employait dans toute la Galaxie pour l’éducation des très jeunes enfants. Grâce à l’Éducateur, ces derniers assimilaient sans effort les premières notions scolaires. La machine leur apprenait à lire, à écrire, à compter. Elle leur inculquait des bases d’hygiène, de géographie, d’astronomie et de mathématiques.

Il était rare que l’on ait à employer un Éducateur pour instruire un adulte.

Ce fut pourtant ce qui arriva à Burl et à Saya.

Burl fut courtoisement invité par les passagers du Wapiti à mettre à ses oreilles les écouteurs de la machine.

L’expérience fut extrêmement satisfaisante. Le jeune homme assimila avec une rapidité prodigieuse le langage de ses visiteurs puis une quantité de connaissances nouvelles. L’enseignement dispensé par la machine était admirablement condensé. Il fallait des générations pour compiler une archive-mère d’Éducateur. D’ailleurs, l’instrument l’expliqua à Burl. Il prévint aussi le jeune homme qu’en sa qualité d’adulte, il allait payer son usage de l’appareil par des maux de tête prolongés. Burl ne mit pas longtemps à constater que c’était tristement exact.

Malgré ses migraines, le jeune homme insista pour que Saya, à son tour, bénéficie de la machine.

Les deux jeunes gens purent bientôt discuter librement avec les nouveaux venus et leur expliquer quel était l’état des choses sur la planète oubliée.

Le premier désir exprimé par les sportifs du Wapiti fut naturellement de prendre part à une de ces extraordinaires chasses aux insectes géants. Avec l’assistance des chiens, bien entendu. Et en étant armés de lances. Burl fut naturellement d’accord. Les autres membres de la tribu montrèrent moins d’enthousiasme. Alors Burl les obligea à passer à leur tour par l’épreuve de l’Éducateur.

Les chasses furent un grand succès. Les passagers du Wapiti décidèrent de s’installer pour un long séjour sur la planète oubliée.

Grâce à la machine, Burl devenait peu à peu un homme civilisé. Certes, il lui manquait la culture spécialisée de ses hôtes. Mais cette ignorance était compensée par la connaissance unique qu’il possédait de sa planète et des insectes qui y pullulaient. D’ailleurs, lorsque, plus tard, des savants voulurent enregistrer les précieux renseignements contenus dans le cerveau de Burl, ce fut pour eux un travail énorme. Et les Éducateurs ne purent posséder cette science sous forme condensée qu’un siècle plus tard, tant elle se montra difficile à résumer.

Les allusions que Burl faisait sans cesse aux basses terres finirent par intéresser ses nouveaux amis. Ils décidèrent de tenter une expédition sous les nuages. Pour explorer ce terrain dangereux, il ne s’agissait plus de se servir de lances ou d’emmener des chiens. Trois hommes montèrent à bord d’un petit avion, tiré tout exprès des vastes cales du yacht spatial. Et ils emportaient des armes modernes pour affronter les monstres.

Les explorateurs firent une chasse magnifique. Et, ce qui les intéressa encore davantage, ils découvrirent au cours de leur expédition un autre groupe d’humains qui vivaient comme des animaux traqués dans la forêt de champignons. Tandis que deux chasseurs restaient en bas, un troisième fit la navette avec l’avion pour remonter toute la tribu primitive sur le plateau.

Finalement, le séjour du Wapiti sur la planète oubliée dura deux mois entiers. Quand les chasseurs repartirent, ils laissèrent à Burl et à ses compagnons des armes et des outils, des petits avions et, naturellement, le précieux Éducateur.

De leur séjour sur la planète, ils emportaient, avec un sentiment de chaude affection pour le jeune chef, le souvenir des safaris les plus excitants auxquels ils aient jamais pris part.

Les premiers visiteurs de la planète oubliée racontèrent partout leurs aventures. Ils exposèrent leurs trophées qui firent l’envie de tous les chasseurs de la galaxie. Aussi, peu de temps après, un deuxième vaisseau chargé de chasseurs se posa sur le plateau. Les nouveaux arrivants se trouvèrent en présence d’une véritable petite ville qui contenait plus de trois cents habitants. Grâce à l’Éducateur, les sauvages d’autrefois possédaient maintenant une organisation culturelle bien adaptée à leur milieu naturel. Ils pratiquaient l’hygiène. Ils avaient construit des logements parfaitement bien conçus.

Le vaisseau leur apportait des avions et des armes, ainsi que des nouvelles de leurs précédents visiteurs. Ces derniers signalaient à Burl que, de tous côtés, on demandait des fourrures de phalène. Ces peaux somptueuses étaient introuvables partout ailleurs que sur la planète oubliée. Ce pouvait être une source d’échanges et de profits pour le peuple de Burl.

D’autres chasseurs abordèrent sur la planète. Mais le quatrième vaisseau spatial qui se présenta avait été frété par des commerçants. Ils venaient pour acheter à n’importe quel prix les fourrures de phalène et le tissu d’aile de papillon. Ils réclamaient également des fragments de carapace d’insectes, ces grands panneaux de chitine irisée que l’on utilisait maintenant dans la décoration.

Un millier d’hommes vivaient alors sur le plateau. Leur nombre s’accrut. Leur bien-être aussi. Chasseurs et commerçants se succédaient. Les uns et les autres payaient largement.

Il était normal que le peuple de Burl garde le monopole des chasses. Non seulement parce qu’il était l’occupant des lieux, mais surtout parce que seuls des êtres humains nés et ayant vécu sur les basses terres pouvaient avoir une connaissance détaillée et pratique des mœurs des insectes.

Il arriva en effet que des chasseurs imprudents s’embarquent sans guide pour passer sous les nuages. Ils ne revinrent pas de leur expédition.

Finalement, Burl fut obligé de promulguer une loi planétaire qui interdisait aux étrangers de descendre sans guide sous la couche des nuages.

En effet, Burl promulguait maintenant des lois. Il avait bien fallu créer un gouvernement pour le peuple du plateau. Mais l’exercice de la politique ne passionnait personne. Les habitants de la planète avaient d’autres joies.

Aussitôt qu’un être humain, ignorant et tremblant, était arraché aux forêts de champignons, qu’il avait été instruit et formé sur le plateau, il n’avait plus qu’une idée fixe : revenir à son milieu natal, descendre vers les basses terres. Car son plus grand désir était de tuer les monstres qui l’avaient terrorisé si longtemps. Et aussi d’arracher à l’horreur d’autres humains semblables à lui.

Qui, de nos jours, croirait que la planète a pu être oubliée pendant tant d’années ? Maintenant, toute la galaxie la connaît. Aussi est-il inutile de dire son nom. Pour le public, elle représente le plus excitant de tous les mondes possibles. Pour ses habitants, qui ne sont pas encore très nombreux, elle est un endroit où il fait bon vivre.

Sur le plateau, tous les humains sont devenus de parfaits civilisés. S’ils insistent pour s’habiller de fourrure de phalène et de tissu de papillon, comme le faisait Burl avant de devenir un grand homme, c’est quand ils descendent vers les basses terres. Il ne faut pas effrayer les pauvres diables qui errent encore dans la jungle des champignons.

Chaque jour, décollent des avions qui plongent sous les nuages. Chaque jour, on ramène encore des humains arrachés à l’horreur. Personne ne s’étonne plus qu’un primitif à peine arrivé sur le plateau, n’ayant passé que huit jours en compagnie de l’Éducateur, prenne un avion à son tour et reparte pour sauver ses frères.

De toute façon, ces expéditions sont profitables. Les ailes des papillons Morpho blancs atteignent des prix exorbitants. Mais toutes les fourrures de papillon ont une grande valeur. Même les peaux de chenille sont chargées dans les cales des cargos spatiaux avec le soin apporté ailleurs au platine et aux diamants.

Les basses terres sont restées le paradis des chasseurs. Les amateurs de safaris viennent nombreux sur la planète dont Burl est maintenant le président. Parfois, ils en repartent, non pas déçus… mais un peu effrayés. Traquer et vaincre un grand hanneton, c’est un sport magnifique. Mais tout le monde ne tient pas à combattre les araignées à la lance comme les guides insistent pour le faire.

Il y a quelque temps, Burl reçut la visite d’un président de planète. Le président de Sumor XI. Burl l’avait invité à chasser.

Sumor XI est une planète extrêmement civilisée sur laquelle la vie est facile, peut-être même trop facile.

Le président, grand chasseur devant l’Éternel, avait beaucoup d’affection pour Burl. Il admirait cet homme toujours jeune d’aspect malgré ses cheveux gris. Il appréciait l’hospitalité de sa maison, une maison devenue bien spacieuse depuis que les enfants avaient grandi. Il était même charmé par le manque de protocole. Il n’avait jamais vu demeure présidentielle où les chiens circulent librement et dorment sur des fourrures de phalène empereur qui valaient des fortunes partout ailleurs dans la galaxie.

Il n’empêche que, tout sportif et chasseur entraîné qu’il était, le président passa un très mauvais moment pendant la chasse.

En effet, Burl tint à sortir de l’avion et à combattre seul à la lance une gigantesque tarentule.

Burl tua sa tarentule. Mais son visiteur, pour grand chasseur qu’il fût, ne put s’empêcher de penser que Burl, en tant que président de planète, n’aurait pas dû risquer sa vie dans de telles conditions.

Saya, elle, trouva cet exploit tout naturel.


FIN
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