DEUXIÈME COUPLET PERSISTANCE DE LA MAGIE

UN

Il se trouva qu’ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter de savoir si les Manni allaient se montrer ou non. Aussi austère qu’à l’accoutumée, Henchick se présenta sur la Pelouse de La Calla, qu’ils avaient arrêtée comme point de rendez-vous, en compagnie de quarante hommes. Il assura à Roland que cela serait suffisant pour ouvrir la Porte Dérobée, si tant est qu’elle pût encore être ouverte, à présent qu’avait disparu ce qu’il nommait « le cristal noir ». Le vieil homme ne fit pas mine de s’excuser d’avoir réuni moins d’hommes que prévu, cependant il ne cessait de tirer sur sa barbe. Parfois même des deux mains.

— Pourquoi fait-il ça, Père, vous le savez ? demanda Jake à Callahan.

Les troupes d’Henchick se dirigeaient vers l’est, à bord d’une douzaine de chariots buckas. Derrière, tirée par une paire d’ânes albinos dotés d’oreilles effroyablement longues et d’yeux roses flamboyants, venait une carriole à deux roues, entièrement bâchée de coutil blanc. Jake trouvait que le véhicule ressemblait à un gros conteneur sur roues. Henchick menait seul ce machin bizarre, tirant régulièrement d’un coup sec sur les mèches de sa barbe.

— Pour moi, ça signifie qu’il est embarrassé, répondit Callahan.

— Je ne vois pas pourquoi. Je suis surpris qu’il en soit venu autant, après le tremblement de Rayon, et tout le reste.

— Ce qu’il a appris en sentant la terre trembler, c’est que certains de ces hommes avaient plus peur de ça que de lui. En ce qui le concerne, ça revient à une promesse rompue. Et pas n’importe quelle promesse, mais la parole donnée à votre dinh. Il a perdu la face.

Et, sans aucune variation dans le ton de sa voix, poussant ainsi le garçon à un aveu qu’il n’aurait jamais fait autrement, Callahan poursuivit :

— Alors, elle est toujours vivante, votre comparse ?

— Oui, mais elle est terr… commença Jake, avant de se plaquer une main sur la bouche.

Il lança à Callahan un regard accusateur. Devant eux, sur le siège de la carriole à deux roues, Henchick balayait les alentours des yeux, alarmé, comme s’ils avaient élevé la voix. Callahan se demanda si dans cette foutue histoire, tout le monde n’avait pas le shining sauf lui.

Ce n’est pas une histoire. Ce n’est pas une histoire, c’est ma vie !

Mais c’était difficile à croire, n’est-ce pas, quand on s’était vu décrit noir sur blanc comme personnage principal d’un livre portant la mention FICTION sur la page de garde. Doubleday et Compagnie, 1975. Un livre avec des vampires, dont tout le monde savait qu’ils n’avaient jamais existé. Sauf que si. Et, du moins dans certains des mondes adjacents à celui-ci, ils existaient toujours.

— Ne me traitez pas de cette manière, dit Jake. Ne me piégez pas comme ça. Pas si nous sommes tous du même côté, Père. D’accord ?

— Je suis désolé, fit Callahan — avant d’ajouter : J’implore ton pardon.

Jake esquissa un faible sourire et caressa Ote, qui voyageait dans la poche avant de son poncho.

— Est-ce qu’elle est…

Le garçon secoua la tête.

— Je ne veux pas parler d’elle pour l’instant, Père. Il vaut mieux que nous évitions même de penser à elle. J’ai le sentiment — je ne sais pas si c’est vrai ou pas, mais en tout cas c’est fort — que quelque chose la cherche. Et si c’est le cas, il vaut mieux que cette chose ne nous entende pas. Or elle le pourrait.

— Quelque chose… ?

Jake tendit le bras pour toucher la lenge que Callahan portait autour du cou, à la cow-boy. Elle était rouge. Puis il porta furtivement la main au-dessus de son œil gauche. L’espace d’une seconde, Callahan ne comprit pas, puis son regard s’éclaira. L’œil rouge. L’Œil du Roi.

Il se cala dans le siège de son chariot et n’ouvrit plus la bouche. Derrière eux, en silence, Roland et Eddie chevauchaient côte à côte. Ils portaient tous deux leur gunna comme leur arme, et Jake avait mis les siens à l’arrière du chariot. S’ils devaient revenir à La Calla un jour, ce ne serait pas pour bien longtemps.

Terrifiée était le mot qu’avait commencé à prononcer Jake, mais c’était encore pire que ça. Terriblement lointains, terriblement étouffés, mais pourtant clairs, le garçon entendait les hurlements de Susannah. Il espérait seulement qu’Eddie ne les entendait pas, lui.

DEUX

Ainsi quittèrent-ils une ville encore harassée de fatigue et d’émotions, malgré la secousse qui l’avait frappée. L’air était assez frais ; aussi, lorsqu’ils se mirent en route, ils remarquèrent les petits nuages de vapeur que dessinait leur souffle, et la fine croûte de givre qui recouvrait les tiges de maïs. Un ruban de brume planait au-dessus de la Devar-Tete Whye, comme l’haleine même du fleuve. Roland se dit : Nous voici au bord de l’hiver.

Au bout d’une heure à cheval, ils atteignirent le pays des arroyos. On n’entendait d’autres sons que le cliquetis des harnais, le gémissement des roues, le choc mat des sabots et, de temps à autre, le braiment sardonique poussé par un des ânes albinos qui tiraient la carriole. Au loin, les cris des rouilleaux en vol. En route vers le sud, sans doute, s’ils pouvaient encore le trouver.

Dix à quinze minutes après que la terre se fut mise à monter sur leur droite, dans une enfilade de promontoires, de falaises et de mesas, ils se retrouvèrent à l’endroit même où, vingt-quatre heures plus tôt, ils avaient amené les enfants de La Calla, et livré leur bataille. Là, un chemin se séparait de la Route de l’Est, pour serpenter vaguement vers le nord-ouest. Dans le fossé, de l’autre côté de la route, on apercevait une tranchée de terre à vif. C’était la cachette dans laquelle Roland, son ka-tet et les dames lanceuses de plat avaient attendu les Loups.

Et, à propos de Loups, où étaient-ils donc ? Lorsqu’ils avaient quitté les lieux de l’embuscade, le sol était jonché de cadavres. Plus d’une soixantaine, en tout, de formes humaines venues de l’ouest sur leurs montures, des formes vêtues de pantalons gris, de capes vertes et de masques de loups aux babines retroussées.

Roland mit pied à terre et rejoignit Henchick, qui descendait de la carriole avec la maladresse et la raideur que lui imposait son âge. Roland ne fit pas l’effort de l’aider. Henchick n’en attendait pas tant de lui, et s’en serait peut-être même offensé.

Le Pistolero le laissa secouer sa lourde cape sombre pour la remettre en place, ouvrit la bouche pour poser sa question, puis se rendit compte que ce n’était pas la peine. À trente ou quarante mètres de là, sur le côté droit de la route, se dressait une vaste colline de plants de maïs déracinés, là où hier encore il n’y avait rien. Roland constata qu’il s’agissait d’une sorte de monument funéraire, mais bâti sans aucun souci de respect. Il n’avait pris ni le temps ni la peine de se demander à quoi les folken avaient occupé leur après-midi de la veille — avant d’entamer les réjouissances qu’ils étaient en train de cuver présentement dans le sommeil — mais à présent il avait leur ouvrage sous les yeux. Avaient-ils craint de voir les Loups revenir à la vie ? Tout en se posant la question, il comprit que c’était exactement ce qu’ils avaient redouté. C’est pourquoi ils avaient traîné les lourds corps inertes (les chevaux gris aussi bien que les Loups vêtus de gris) jusque dans le champ, qu’ils les avaient entassés là bon gré mal gré, avant de les recouvrir de pieds de maïs arrachés. Et aujourd’hui, ils avaient transformé la bière en bûcher. Et si les seminons se levaient ? Roland pensa qu’ils y mettraient le feu quoi qu’il arrive, quitte à prendre le risque d’embraser la terre fertile s’étendant entre la route et le fleuve. Pourquoi pas ? La saison des cultures était passée, et comme engrais, rien ne valait le feu, comme disaient les vieux ; en outre, les folken ne seraient pas tranquilles tant que cette colline n’aurait pas brûlé. Et même alors, ils ne seraient pas nombreux à s’aventurer dans les parages.

— Roland, regarde, fit Eddie d’une voix tremblante, entre rage et chagrin. Ah, bon Dieu, regarde ça.

Vers l’extrémité du sentier, là où Jake, Benny et les jumeaux Tavery avaient attendu jusqu’à leur sprint final pour se mettre à l’abri, on apercevait un fauteuil roulant éraflé et cabossé, dont les chromes scintillaient dans les rayons du soleil, et dont l’assise était maculée de boue et de sang. La roue gauche était sérieusement voilée.

— Pourquoi parles-tu avec tant de rage ? demanda Henchick.

Il avait été rejoint par Cantab et une demi-douzaine d’anciens, membres de ce qu’Eddie appelait parfois intérieurement le Peuple de la Cape. Deux de ces anciens avaient l’air beaucoup plus vieux qu’Henchick lui-même, et Roland repensa à ce que Rosalita lui avait dit, la nuit précédente : Bon nombre d’entre eux presque aussi âgés qu’Henchick, essayant de gravir ce sentier en pleine nuit. Bon, il ne faisait pas noir, mais il n’était pas sûr que certains d’entre eux parviendraient à dépasser les premiers obstacles du chemin de la Grotte de la Porte, sans parler d’aller jusqu’au bout.

— Ils ont rapporté le siège roulant de ta femme jusqu’ici pour lui rendre hommage. À elle, et à toi. Alors pourquoi parles-tu avec tant de rage ?

— Parce qu’il n’est pas censé être tout cabossé, et qu’elle est censée se trouver dedans, répondit le jeune homme au vieillard. Vous intuitez ça, Henchick ?

— De toutes les émotions, la colère est la plus inutile, psalmodia Henchick. Elle est destructrice pour l’esprit et douloureuse pour le cœur.

Les lèvres d’Eddie s’étirèrent jusqu’à ne plus dessiner qu’une fine cicatrice blanche en dessous de son nez, mais il réussit à retenir sa réplique. Il avança jusqu’au fauteuil balafré de Susannah — il avait beau avoir roulé sur des centaines de kilomètres depuis qu’ils l’avaient déniché à Topeka, c’en était fini de ses jours de splendeur — et le contempla d’un air sombre. Lorsque Callahan s’approcha, Eddie fit signe au Père de rester à l’écart.

Jake fixait le point de la route où Benny avait été frappé et où il était mort. Le corps du garçon avait disparu, bien sûr, et on avait pris soin de recouvrir les traces de sang d’une couche fraîche d’oggan, mais Jake s’aperçut qu’il pouvait toujours distinguer les éclaboussures sombres, malgré tout. Et le bras tranché de Benny, paume tournée vers le ciel. Jake revit le Pa de son ami, surgissant du champ de maïs, remontant vers eux en titubant, apercevant le cadavre de son fils qui gisait là. Pendant les cinq secondes qui avaient suivi, il s’était trouvé incapable d’émettre le moindre son, le temps qu’il aurait fallu à quelqu’un pour annoncer à sai Slightman que c’était une issue inespérée, que les pertes étaient dérisoires : rien que deux morts, un garçon et la femme d’un rancher, et un gamin avec la cheville cassée. Du gâteau, vraiment. Mais personne ne l’avait fait, et c’est alors que Slightman l’Aîné s’était mis à hurler. Jake se disait que jamais il n’oublierait ce hurlement, tout comme jamais il n’oublierait la vision de Benny couché là, dans la poussière noire de sang, avec son bras arraché.

À côté de l’endroit où Benny était tombé, on avait camouflé autre chose sous une couche d’oggan. Jake ne distinguait plus qu’un petit éclat métallique. Il posa un genou au sol et déterra l’une des boules de mort des Loups, ces choses qu’on appelait vifs d’argent. Le modèle Harry Potter, si l’on en croyait l’inscription sur le côté de l’engin. La veille, il en avait tenu une paire entre ses mains, et les avait sentis vibrer. Il avait entendu leur bourdonnement assourdi et maléfique. Celui-ci était raide mort. Jake se releva et le lança en direction du tas de maïs qui recouvrait les cadavres des Loups. Il le lança avec une telle force que son bras lui fit mal. Il aurait sans doute des courbatures le lendemain, mais il s’en fichait. Il se fichait pas mal de ce qu’Henchick pensait de la colère, aussi. Eddie voulait retrouver sa femme ; Jake voulait retrouver son ami. Et si Eddie avait peut-être une chance d’obtenir ce qu’il voulait, un jour ou l’autre, Jake Chambers ne le pourrait jamais. Parce que la mort était un cadeau chaque jour renouvelé. La mort, comme les diamants, était éternelle.

Il voulait poursuivre son chemin, laisser derrière lui cette portion de la Route de l’Est. Il voulait ne plus avoir à regarder le fauteuil roulant vide et cabossé de Susannah. Mais les Manni avaient formé une ronde autour du champ de bataille, et Henchick priait d’une voix aiguë et saccadée qui fit mal aux oreilles de Jake : on aurait vraiment dit les hurlements d’un cochon affolé. Il s’adressait à un certain En-Delà, demandant un passage sûr jusqu’à cette grotte là-bas, et le succès de leur entreprise, sans mort ni folie (Jake trouva particulièrement dérangeante cette partie de la prière, car il n’avait jamais considéré comme nécessaire de prier pour sa santé mentale). Le chef demanda aussi à l’En-Delà de donner vie à leurs aimants et à leurs pendules. Pour finir, il pria pour le kaven, la persistance de la magie, expression qui semblait posséder un pouvoir particulier, pour ces gens. Quand il eut terminé, ils dirent tous en chœur « En-Delà-sam, En-Delà-kra, En-Delà-cantah », et se lâchèrent les mains. Quelques-uns d’entre eux se mirent à genoux et tinrent encore un peu palabre avec le vrai patron.

Pendant ce temps, Cantab escorta quatre ou cinq des jeunes à la carriole. Ils en replièrent la bâche immaculée, révélant en dessous une série de grands coffres en bois. Des pendules de plomb et des aimants, pensa Jake, et beaucoup plus gros que ceux qu’ils portaient autour du cou. Ils avaient rameuté l’artillerie lourde, pour cette petite aventure. Les coffres étaient recouverts de motifs — des étoiles, des lunes, et des formes géométriques étranges — qui paraissaient plus cabalistiques que chrétiens. Mais Jake se rendit compte qu’il n’avait aucune raison objective de croire les Manni chrétiens. Ils avaient l’air de Quakers ou d’Amish, avec leurs capes, leurs barbes et leurs chapeaux noirs à bord rond, il leur arrivait de lâcher un tu ou un point dans la conversation, mais pour ce qu’en savait Jake, ni les Quakers ni les Amish n’avaient pour passe-temps le voyage entre les mondes.

D’un autre chariot, on extirpa de longues baguettes de bois poli. Elles se trouvaient enchâssées dans des fourreaux métalliques, sous les coffres gravés. On appelait ces coffres des cercs, apprit Jake. Les Manni les transportaient comme s’il s’agissait de reliques traversant une ville du Moyen Âge.

Ils se mirent à gravir le sentier, encore jonché de rubans, de lambeaux de tissu et de petits jouets. Des appâts pour les Loups, et ils avaient sauté dessus.

Lorsqu’ils atteignirent l’endroit où Frank Tavery s’était coincé la cheville, Jake entendit résonner en pensée la voix de la ravissante sœur de cette espèce de demeuré : Aidez-le… s’il vous plaît, sai, je vous en prie… C’est ce qu’il avait fait, Dieu lui en était témoin. Et Benny en était mort.

Jake détourna le regard en grimaçant, puis se raisonna : Tu es un pistolero, à présent, tu dois pouvoir faire mieux que ça. Il se força à regarder de nouveau.

La main du Père Callahan se posa sur son épaule.

— Fiston, tu vas bien ? Tu es affreusement pâle.

— Ça va, répondit Jake.

Il sentait une boule dans sa gorge, plutôt grosse, mais il se força à l’avaler, et à répéter ce qu’il venait de dire, ressassant ce mensonge pour lui-même plus que pour le Père Callahan.

— Ouais, ça va.

Callahan hocha la tête et fit passer son gunna de l’épaule gauche à la droite (son gunna, le pauvre balluchon d’un homme de la ville peu convaincu lui-même qu’il va réellement quelque part).

— Et que se passera-t-il quand nous arriverons à la grotte ? Si nous arrivons à la grotte ? Jake secoua la tête. Il n’en savait rien.

TROIS

Le sentier était en bon état. Une grosse quantité de cailloux s’était effondrée avec la secousse, et la progression fut difficile pour les hommes portant les cercs, mais en un sens, la voie était plus praticable qu’auparavant. Le tremblement de terre avait délogé le rocher géant qui obstruait le passage, non loin du sommet. Eddie se pencha pour jeter un œil et l’aperçut au loin, en contrebas, brisé en deux. Le centre en était constitué de matière plus légère et scintillante, qui donnait au rocher l’air du plus gros œuf dur du monde.

La grotte était toujours là, même si un gros tas d’astragale en bloquait l’accès. Eddie se joignit aux quelques jeunes Manni qui dégageaient la voie, faisant voler par-dessus bord des éclats de schiste argileux (dans lesquels miroitaient çà et là des rubis, comme des gouttes de sang). En apercevant enfin l’entrée de la grotte, Eddie sentit se desserrer un peu le poing refermé sur son cœur, mais le silence qui régnait à l’intérieur ne lui inspira rien de bon, alors que tout ce bavardage infernal l’avait presque rendu fou, au cours de sa dernière visite. Depuis les profondeurs du gouffre montait la plainte stridente d’un courant d’air, rien de plus. Où était son frère, Henry ? Normalement, Henry aurait dû être en train de répéter pour la énième fois que les « messieurs » de Balazar l’avaient tué, et que tout ça, c’était la faute d’Eddie. Et où était sa Ma, donnant raison à Henry (d’une voix tout aussi geignarde) ? Où était Margaret Eisenhart, se plaignant auprès d’Henchick, son grand-père, d’avoir été marquée du fer rouge des « oublieux », puis abandonnée par les siens ? Bien avant de devenir la Grotte de la Porte, cet endroit avait été la Grotte des Voix, pourtant les voix s’étaient tues. Quant à la porte, elle avait l’air… stupide fut le premier mot qui vint à l’esprit d’Eddie. Le second fut dérisoire. Il fut un temps où tout dans cette grotte provenait des voix d’en dessous ; et ce qui l’avait rendue si effroyable et si mystérieuse, c’était cette boule de cristal — la Treizième Noire — qui était arrivée à La Calla par cette porte.

Mais à présent qu’elle est repartie par cette même voie, ce n’est plus qu’une vieille porte qui ne…

Eddie essaya de museler cette pensée, mais n’y parvint pas.

— … qui ne mène plus nulle part.

Dégoûté par ce flot soudain de larmes qui lui montaient aux yeux, mais incapable de le refouler, il se retourna vers Henchick.

— Il ne reste aucune magie, ici, dit-il, d’une voix harassée de désespoir. Il n’y a plus rien derrière cette putain de porte, rien d’autre que l’air rance et les pierres effondrées. Vous êtes un idiot, et j’en suis un autre.

On entendit des exclamations de stupéfaction, pourtant Henchick posa sur Eddie un regard qui pétillait presque.

— Lewis, Thonnie ! lança-t-il sur un ton presque jovial. Apportez-moi le cerc de Branni.

Deux jeunes gaillards portant le bouc et des cheveux longs tirés en arrière s’avancèrent, portant un coffre de bois de fer d’environ un mètre cinquante de long, et très lourd, vu la façon dont ils tenaient les montants en bois. Ils le posèrent aux pieds d’Henchick.

— Ouvrez-le, Eddie de New York.

Thonnie et Lewis le dévisagèrent, l’air interrogateur et un peu effrayé. Eddie constata que les Manni plus âgés le considéraient avec une sorte d’avidité. Il devait falloir quelques années, pour se retrouver pleinement investi de cette somptueuse étrangeté si propre aux Manni : avec le temps, Lewis et Thonnie en seraient finalement dotés, mais pour l’instant ils n’en étaient encore qu’au stade du bizarre.

Henchick hocha la tête avec un soupçon d’impatience. Eddie se baissa pour ouvrir le coffre. Ce qui ne fut pas difficile. Il n’était pas verrouillé. À l’intérieur se trouvait un morceau de soie. Henchick l’ôta d’un geste emphatique de magicien, révélant un pendule de plomb au bout d’une chaîne. L’objet rappela à Eddie une toupie ancienne pour bébé et il était loin d’être aussi gros qu’il l’avait pensé. Il devait mesurer à peine quarante centimètres, depuis la pointe jusqu’à la partie ventrue, taillé dans un bois jaunâtre à l’air graisseux. Il pendait au bout d’une chaîne en argent enroulée autour d’une cheville en cristal, vissée dans le couvercle du cerc.

— Sortez-le, suggéra Henchick.

Et lorsque Eddie adressa un regard à Roland, la moustache blanche du vieil homme s’écarta et dévoila une série de dents étincelantes parfaitement alignées en un sourire d’un cynisme stupéfiant.

— Pourquoi regardes-tu ton dinh, jeune pleurnichard ? La magie a disparu de cet endroit, tu l’as dit toi-même ! Et tu dois bien le savoir, n’est-il pas ?… tu dois bien avoir dans les… disons… vingt-cinq ans ?

Il y eut de petits gloussements en provenance des Manni assez proches pour avoir entendu cette pique… et dont plusieurs n’avaient pas vingt-cinq ans eux-mêmes.

Fou de rage contre ce vieux salaud — et contre lui-même, aussi —, Eddie tendit la main vers le coffre. Henchick la lui attrapa.

— Ne touche pas le pendule lui-même. Pas si tu veux garder tes couilles d’un côté et ta merde de l’autre. Par la chaîne, tu intuites ?

Eddie faillit bien s’emparer quand même du pendule — il s’était déjà ridiculisé aux yeux de ces gens, il ne voyait vraiment aucune raison de ne pas finir le boulot — mais en croisant le regard gris et profond de Jake, il changea d’avis. Le vent soufflait fort autour d’eux, glaçant la sueur qui formait un voile sur sa peau, le faisant frissonner. Eddie se pencha de nouveau vers le coffre, saisit la chaîne et la déroula avec précaution.

— Sortez-le, fit Henchick.

— Qu’est-ce qui va se passer ?

Henchick hocha la tête, comme si Eddie se décidait enfin à dire des choses sensées.

— C’est ce qu’on va voir. Soulevez-le.

Eddie s’exécuta. Vu l’effort que les deux jeunes gaillards avaient dû produire pour porter le coffre, il fut stupéfait de trouver le pendule si léger. Il eut l’impression de soulever une plume qu’on aurait attachée au bout d’une fine chaîne d’un mètre cinquante de long. Il enroula la chaîne autour de ses doigts et leva la main à hauteur de ses yeux. Il avait un peu l’air d’un marionnettiste sur le point de commencer son spectacle.

Eddie était à deux doigts de demander encore une fois à Henchick ce qu’il était censé se passer, quand le pendule se mit à osciller lentement d’avant en arrière, décrivant de petits arcs de cercle.

— Ce n’est pas moi qui fais ça, dit le jeune homme. Du moins, je ne crois pas. Ce doit être le vent.

— Je ne vois pas comment, intervint Callahan. Aucune chance que…

— Chut ! lança Cantab en lançant un regard tellement sévère que Callahan se tut effectivement.

Eddie se tenait debout devant l’entrée de la grotte, avec à ses pieds tout le pays des arroyos et la plus grande partie de Calla Bryn Sturgis. Au loin, nimbée de bleu-gris et plongée dans ses songes, s’étendait la forêt qu’ils avaient traversée pour arriver jusqu’ici — dernier vestige de l’Entre-Deux-Mondes, où ils ne retourneraient jamais. Le vent soufflait en rafales, lui soulevant les cheveux du front et les plaquant en arrière, et soudain il entendit comme un bourdonnement.

Sauf que non. Le bourdonnement venait du creux de sa main, celle levée devant ses yeux, avec la chaîne enroulée autour de ses doigts tendus. Il venait de son bras. Et surtout, il venait de sa tête.

À l’extrémité de la chaîne, approximativement à la hauteur du genou droit d’Eddie, le balancement du pendule se fit plus prononcé, un large arc de cercle. Eddie se rendit compte d’une chose étrange : chaque fois que le pendule arrivait en bout de course d’un côté, il se faisait plus lourd. C’était comme porter un objet attiré par une force centrifuge extraordinaire.

L’arc se fit de plus en plus long, le pendule de plus en plus rapide, la tension en fin de course de plus en plus forte. Puis soudain…

— Eddie ! cria Jake, pris entre l’inquiétude et le ravissement. Tu as vu ça ?

Évidemment qu’il avait vu. À la fin de chaque arc, le pendule devenait dim. Le poids tirant le bras du jeune homme vers le bas — le poids du pendule — se fit de plus en plus important. Il lui fallut soutenir son avant-bras droit à l’aide de sa main gauche pour maintenir son emprise, et à présent il accompagnait des hanches le mouvement de balancier. Eddie se rappela tout à coup où il se trouvait — grosso modo, à deux cents mètres au-dessus du sol. Ce bébé-là allait bientôt l’embarquer par-dessus bord, si on ne l’arrêtait pas. Et s’il n’arrivait pas à dérouler la chaîne de sa main ?

Le pendule de plomb se déporta vers la droite, dessinant dans l’air les contours d’un sourire invisible, gagnant en pesanteur à mesure qu’il remontait vers la pointe. Tout à coup, le morceau de bois chétif qu’il avait extrait de son coffre avec tant d’aisance semblait peser ses trente, quarante, cinquante kilos. Et lorsqu’il s’immobilisa au bout de son arc, en équilibre pour une seconde entre mouvement et gravité, Eddie se rendit compte qu’il voyait la Route de l’Est à travers, non seulement clairement, mais grossie. Puis le pendule de Branni amorça sa redescente, piquant vers le bas, de moins en moins lourd. Et lorsqu’il redémarra, cette fois vers la gauche…

— Ça va, j’ai compris le principe ! cria Eddie. Retirez-moi ça, Henchick. Ou au moins arrêtez-le !

Henchick ne prononça qu’un mot, tellement guttural qu’on aurait dit qu’on extirpait violemment quelque chose de la vase. Au lieu de ralentir en une série d’arcs plus courts, le pendule s’immobilisa instantanément, au niveau du genou d’Eddie, pointant vers son pied. L’espace d’une seconde, le bourdonnement dans son bras et dans sa tête subsista. Puis il se tut lui aussi. Et à la même seconde, Eddie sentit s’envoler ce poids dérangeant au bout de sa main. Ce foutu truc ne pesait à nouveau pas plus lourd qu’une plume.

— As-tu quelque chose à me dire, Eddie de New York ? demanda Henchick.

— Ouais, j’implore votre pardon.

On aperçut de nouveau brièvement les dents d’Henchick, éclat furtif au milieu de la forêt vierge de sa barbe, aussitôt disparu.

— Tu n’as pas l’esprit si lent que cela, n’est-ce pas ?

— J’espère que non, répondit le jeune homme, et il ne put s’empêcher de pousser un petit soupir de soulagement lorsque Henchick des Manni lui prit la fine chaîne des mains.

QUATRE

Henchick insista pour qu’ils se livrent à une répétition. Eddie en comprenait les raisons, mais il détestait toutes ces sonneries de préliminaires. À présent, il ressentait presque physiquement le temps passer, comme un morceau de chiffon grossier filant sous la paume de sa main. Néanmoins, il ne dit mot. Il avait déjà mis Henchick en rogne une fois, et ça lui paraissait suffisant.

Le vieil homme ramena six de ses amigos (dont cinq plus vieux que Mathusalem, constata Eddie) dans la grotte, il fit passer un pendule à trois d’entre eux, et des aimants en forme de coquillages aux trois autres. Le pendule de Branni, sans doute le plus puissant que possédait la tribu, il le garda pour lui.

Tous les sept, ils formèrent une ronde à l’entrée de la grotte.

— Pas autour de la porte ? demanda Roland.

— Pas tant qu’on peut l’éviter, répondit Henchick.

Les anciens joignirent les mains, laissant pendre un pendule ou un aimant à chaque intersection. Dès que le cercle fut clos, Eddie entendit de nouveau le bourdonnement, aussi fort que dans un haut-parleur poussé à fond. Il vit Jake porter les mains à ses oreilles, et les traits de Roland se tordre en une brève grimace.

Eddie jeta un œil en direction de la porte et se rendit compte qu’elle avait perdu cet air poussiéreux et dérisoire. Les hiéroglyphes ressortaient de nouveau très nettement, épelant quelque vieux terme oublié qui signifiait DÉROBÉE. Le bouton de cristal étincelait, ourlant de lumière blanche les contours de la rose gravée en son centre.

Pourrais-je l’ouvrir maintenant ? se demanda Eddie. L’ouvrir et entrer ? Il se dit que non. Pas encore, du moins. Mais il se sentait nettement plus optimiste sur ce plan-là qu’il ne l’avait été cinq minutes auparavant.

Soudain, les voix souterraines revinrent à la vie, mais en une cacophonie assourdissante. Eddie distingua celle de Benny Slightman le Jeune, hurlant le mot Dogan, il entendit sa propre mère lui crier que maintenant, pour couronner son long entraînement de perdant, il avait même fini par perdre jusqu’à sa femme, il y eut aussi cet homme (sans doute Elmer Chambers) disant à Jake qu’il avait perdu la tête, qu’il était devenu fou, qu’il faisait son Monsieur Lunatique[1]. D’autres voix se joignirent à celles-là, puis d’autres, et d’autres encore.

Henchick adressa un signe de tête brusque à ses compères. Ils se lâchèrent les mains. Au même moment, les voix venues d’en dessous s’interrompirent au beau milieu de leur babillage. Et Eddie ne fut pas surpris de constater que la porte recouvrait instantanément son air anonyme et anodin — comme n’importe quelle porte devant laquelle on passe dans la rue, sans même y prêter attention.

— Mais qu’est-ce que c’était que ça, au nom du ciel ? demanda Callahan en désignant les ténèbres d’un mouvement de la tête. Ce n’était pas comme ça, avant.

— D’après moi, la grotte est devenue folle, à cause de la secousse, ou bien de la disparition de la magie du cristal, répondit Henchick avec le plus grand calme. Ça n’a rien à voir avec notre affaire, de toute façon. Notre affaire, c’est cette porte.

Il jeta un œil en direction du sac de Callahan.

— Vous avez voyagé, autrefois.

— En effet, oui.

Les dents d’Henchick firent de nouveau une brève apparition. Eddie en conclut que, d’une certaine manière, ce vieux salaud aimait ça.

— Si on en juge par votre gunna, sai Callahan, vous n’avez plus le coup de main.

— Je dois avoir du mal à croire qu’on va réellement quelque part, répondit Callahan avec un sourire qui, comparé à celui d’Henchick, était bien pâle. Et j’ai pris de l’âge.

Ce à quoi Henchick répondit par un bruit grossier — fah !, ou quelque chose du genre.

— Henchick, intervint Roland, est-ce que vous savez ce qui a provoqué la secousse de ce matin ?

Le vieil homme tourna vers lui ses yeux d’un bleu passé mais toujours vif. Il hocha la tête. À l’entrée de la grotte, à l’extérieur, alignés le long du sentier en pente, environ trois douzaines de Manni attendaient patiemment.

— Un Rayon qui a lâché, c’est ce que nous pensons.

— C’est aussi mon avis, confirma Roland. Notre tâche devient de plus en plus désespérée. J’aimerais qu’on arrête les politesses, s’il vous sied. Palabrons comme il le faut, et collons-nous au travail.

Henchick lança à Roland un regard aussi froid qu’à Eddie, mais Roland ne cilla pas. Henchick fronça les sourcils, puis se détendit.

— Si fait, acquiesça-t-il. Comme tu voudras, Roland. Tu nous as rendu un fier service, à tous, Manni aussi bien qu’oublieux, et nous souhaitons à présent te rendre la pareille de notre mieux. La magie est toujours là, et bien là. Il suffira d’une étincelle. Cette étincelle, nous pouvons la produire, si fait, c’est simple comme commala. Ce que tu veux, tu l’obtiendras peut-être. D’un autre côté, il se peut aussi que nous nous retrouvions tous dans la clairière au bout du sentier. Ou bien dans les ténèbres. Comprends-tu ?

Roland acquiesça.

— Et veux-tu aller de l’avant ?

Pendant un instant, Roland se tint là, tête baissée, la main posée sur la crosse de son pistolet. Lorsqu’il releva les yeux, il souriait de son véritable sourire. Un beau sourire, fatigué, désespéré et dangereux. Et de la main gauche il décrivit ce double moulinet qui voulait dire : Allons-y.

CINQ

On posa les cercs à terre — avec précaution, car le sentier qui menait à ce que les Manni appelaient le Kra Kammen était étroit — pour en sortir le contenu. Des doigts aux ongles longs (les Manni n’étaient autorisés à se couper les ongles qu’une fois par an) se mirent à tapoter les aimants, produisant un bourdonnement strident qui donna à Jake l’impression qu’on lui débitait le cerveau au couteau. Cela lui rappela le carillon du vaadasch, et il se dit qu’il n’y avait là rien de surprenant, car ce carillon était le kammen.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Kra Kammen ? demanda-t-il à Cantab. La Maison des Cloches ?

— La Maison des Fantômes, répondit ce dernier sans lever les yeux de la chaîne qu’il déroulait. Laisse-moi tranquille, Jake. C’est délicat, ce que j’ai à faire.

Jake ne voyait pas en quoi, mais il s’exécuta. Roland, Eddie et Callahan se tenaient juste à l’entrée de la grotte. Jake les y rejoignit. Pendant ce temps, Henchick avait placé les autres membres du groupe en demi-cercle à l’arrière de la porte. L’avant, avec ses hiéroglyphes gravés et son bouton en cristal, demeurait sans surveillance, du moins pour l’instant.

Le vieil homme se rendit à l’entrée de la grotte, échangea brièvement quelques mots avec Cantab, puis fit signe à la chaîne de Manni qui attendaient sur le chemin de remonter. Lorsque l’homme de tête atteignit l’entrée de la grotte, Henchick lui dit de s’arrêter et rejoignit Roland. Il s’agenouilla et, d’un geste, invita le Pistolero à faire de même.

Le sol de la grotte était tapissé de poussière. Elle provenait en partie des rochers, mais il s’agissait surtout de poudre d’os, issue de squelettes de petits animaux assez inconscients pour s’être aventurés ici. À l’aide de son ongle, Henchick dessina sur le sol un rectangle, ouvert au fond, puis un demi-cercle qui l’entourait.

— La porte, commenta-t-il. Et les hommes de mon kra. Tu intuites ?

Roland fit oui de la tête.

— Vous et vos amis, vous fermerez le cercle, dit-il en achevant le dessin.

— Le garçon est fort, avec le shining, ajouta Henchick en jetant un regard si soudain en direction de Jake que ce dernier sursauta.

— Oui.

— Alors nous le positionnerons directement en face de la porte, mais assez loin pour que, si jamais elle s’ouvre violemment — ce qui est probable —, elle ne le décapite pas au passage. Pourras-tu tenir, mon garçon ?

— Oui, à moins que Roland et vous ne pensiez autrement, répondit Jake.

— Tu ressentiras quelque chose, à l’intérieur de ta tête — comme si on t’aspirait la cervelle. Ce ne sera pas agréable — il marqua un temps d’arrêt — vous voulez ouvrir la porte deux fois ?

— Oui, répondit Roland. Duox.

Eddie savait que la seconde fois, ce serait pour Calvin Tower, et il avait perdu tout intérêt pour le propriétaire de la librairie. L’homme avait du courage, c’est vrai. Eddie était prêt à le croire, mais il savait qu’il était aussi intéressé, borné et uniquement préoccupé de ses propres affaires : le parfait New-Yorkais du XXe siècle, pour résumer. Mais la dernière personne à avoir passé cette porte était Suze et à la seconde où elle s’ouvrirait, il avait bien l’intention de se précipiter. Si elle se rouvrait ensuite sur la petite ville du Maine où Calvin Tower et son ami, Aaron Deepneau, étaient allés se terrer, splendide ! S’ils devaient tous atterrir là-bas, à essayer de protéger Tower et d’acquérir certain terrain vague et certaine rose sauvage, magnifique ! La priorité d’Eddie, c’était Susannah. Tout le reste était secondaire.

Même cette tour.

SIX

— Qui veux-tu envoyer en premier, quand la porte s’ouvrira ? demanda Henchick.

Roland étudia la question, caressant distraitement de la main la bibliothèque que Calvin Tower avait insisté pour faire passer de leur côté. Le coffre contenant ce livre qui avait tellement bouleversé le Père. Il n’avait pas très envie d’envoyer Eddie — déjà assez impulsif au naturel, mais à présent totalement aveuglé par l’amour et l’inquiétude — aux trousses de sa femme. Mais Eddie lui obéirait-il, si Roland l’envoyait vers Tower et Deepneau ? Roland pensait que non. Ce qui voulait dire que…

— Pistolero ? intervint Henchick.

— À la première ouverture de la porte, on se précipitera, Eddie et moi. La porte se refermera d’elle-même ?

— Aucun doute là-dessus, répondit Henchick. Il va falloir faire aussi vite que la langue fourchue du diable, ou vous pourriez bien vous faire couper en deux, une moitié ici, sur le sol de cette grotte, et le reste là où se trouve la femme à peau brune, où que ce soit.

— Nous ferons le plus vite possible, croyez-moi, confirma Roland.

— Si fait, ça vaudrait mieux, fit Henchick, découvrant une fois de plus ses dents.

C’était là un sourire

(Qu’est-ce qu’il ne dit pas ? Quelque chose qu’il sait, ou qu’il croit seulement savoir ?)

auquel Roland aurait l’occasion de repenser, d’ici peu de temps.

— Je laisserais les armes ici, à votre place, suggéra Henchick. Vous pourriez les perdre, en essayant de les faire passer.

— Je vais essayer de garder la mienne, fit Jake. Elle vient de l’autre côté, alors ça devrait aller. Et sinon, je m’en trouverai une. D’une manière ou d’une autre.

— Je pense que la mienne passera aussi, renchérit Roland.

Il y avait longuement réfléchi, et il avait décidé de garder ses gros revolvers. Henchick haussa les épaules, l’air de dire : Comme vous voudrez.

— Et pour Ote, Jake ? demanda Eddie.

Jake écarquilla les yeux et sa mâchoire s’affaissa. Roland comprit que Jake n’avait pas songé à son ami le bafouilleux. Le Pistolero fut surpris de constater (et ce n’était pas la première fois) avec quelle facilité on oubliait cette vérité incontournable, concernant John « Jake » Chambers : ce n’était qu’un gosse.

— Quand on est allé vaadasch, Ote — commença Jake.

— C’est pas pareil, trésor, répliqua Eddie, et en entendant l’expression tendre de Susannah dans sa propre bouche, il eut un pincement au cœur.

Pour la première fois, il dut bien s’avouer qu’il ne la reverrait peut-être jamais, tout comme Jake ne reverrait peut-être jamais Ote, une fois qu’ils auraient quitté cette grotte puante.

— Mais… objecta Jake, et Ote lança un petit aboiement de reproche, car le garçon le serrait trop fort.

— Nous allons te le garder, Jake, dit Cantab d’une voix douce. Nous allons bien le garder, je dis vrai. Il y aura du monde pour monter la garde ici, jusqu’à ce que tu reviennes chercher ton ami et le reste de tes affaires.

Si tu reviens un jour était le sous-entendu, qu’il fut trop gentil pour préciser. Roland put néanmoins le lire dans ses yeux.

— Roland, tu es sûr que je ne peux pas… qu’il ne peut pas… non. Je vois. Pas de vaadasch cette fois-ci. OK. Non.

Jake plongea la main dans la poche avant de son poncho et en extirpa Ote, puis le déposa sur le sol poussiéreux de la grotte. Il se baissa et appuya les mains juste au-dessus de ses genoux. Ote leva les yeux vers lui, étirant le cou de sorte que leurs têtes se touchaient presque. Et c’est alors que Roland fut témoin de quelque chose d’extraordinaire : non pas des larmes dans les yeux de Jake, mais de celles qui remplissaient doucement ceux d’Ote. Un bafou-bafouilleux qui pleurait. C’était le genre d’histoire qu’on aurait pu entendre dans un saloon, quand la nuit était bien avancée et bien arrosée — le bafouilleux fidèle qui pleure le départ de son maître. On ne les croyait jamais, ces histoires-là, mais ça ne se disait pas, si on voulait éviter la bagarre (voire parfois la fusillade). Et pourtant c’était là, sous ses yeux, et Roland sentit les larmes monter, lui aussi. Est-ce que ce n’était encore là que du mimétisme de bafouilleux, ou bien Ote comprenait-il vraiment ce qui se passait ? Roland espéra qu’il s’agissait du premier cas, de tout son cœur.

— Ote, il va falloir que tu restes un moment avec Cantab. Tout ira bien. C’est un copain.

— Tab ! répéta le bafouilleux.

Des larmes dévalèrent son museau et vinrent assombrir la poussière devant ses pattes, en taches grosses comme des pièces de monnaie. Roland trouva les larmes de la créature horribles, pires même que des larmes d’enfant.

— Ake ! Ake !

— Non, je suis obligé de te laisser, dit Jake en s’essuyant les joues avec l’intérieur du poignet. Il se dessina des traînées terreuses jusqu’aux tempes.

— Non ! Ake !

— Il le faut. Tu restes avec Cantab. Je reviendrai te chercher, Ote — sauf si je suis mort, je reviendrai te chercher.

Il serra Ote dans ses bras, et se releva.

— Va voir Cantab. C’est lui, dit Jake en le désignant du doigt. Vas-y, maintenant, tu m’ennuies.

— Ake ! Tab !

Impossible de ne pas entendre la tristesse dans sa voix. Pendant quelques secondes, Ote ne bougea pas. Puis, toujours en larmes — ou imitant les larmes de Jake, ce que Roland espérait toujours —, le bafouilleux se retourna, rejoignit Cantab en trottinant et s’assit entre les bottillonnes poussiéreuses du jeune homme.

Eddie entreprit de passer le bras autour des épaules de Jake. Mais ce dernier se dégagea vivement et s’éloigna de lui. Eddie eut l’air déconcerté. Roland garda son expression de Surveille-Moi, mais intérieurement il était animé d’une joie intense et farouche. Pas encore treize ans, pour sûr, mais déjà tout ce qu’il fallait de tripes.

Il était temps de partir.

— Henchick ?

— Si fait. Veux-tu dire quelques paroles de prière, auparavant, Roland ? Au Dieu auquel tu rends grâce, quel qu’il soit ?

— Je ne rends grâce à aucun dieu, répondit Roland. Je sers la Tour, et je ne veux pas prier pour ça.

Plusieurs des amigos d’Henchick prirent un air choqué, mais le vieil homme lui-même se contenta de hocher la tête, comme s’il n’en attendait pas plus. Il jeta un regard en direction de Callahan.

— Père ?

— Dieu, Ta main, Ta volonté, fit Callahan en dessinant une croix dans l’air, puis, adressant un signe de tête à Henchick : Si on doit y aller, allons-y.

Henchick s’avança d’un pas, toucha le bouton de cristal de la Porte Dérobée, puis regarda Roland. Ses yeux scintillaient.

— Pour la dernière fois, entends-moi, Roland de Gilead.

— Je vous entends fort bien.

— Je suis Henchick, du Kra Manni du Sentier Rouge-a-Sturgis. Nous sommes des porte-vues et des voyageurs lointains. Nous naviguons sur le vent du ka. Veux-tu toi aussi naviguer sur ce vent ? Toi et les tiens ?

— Si fait, où qu’il nous porte.

Henchick fit glisser la chaîne du pendule de Branni sur le dos de sa main et Roland sentit immédiatement un souffle d’énergie envahir la grotte. Pas très fort encore, mais gagnant en puissance. S’épanouissant, comme une rose.

— Combien d’appels voulez-vous faire ?

— Deux, répondit Roland. Duox, comme on dit dans la Voie d’Eld.

— Deux ou duox, cela revient au même, fit Henchick. Commala-un-deux (il éleva la voix). Venez, Manni ! Comme à commala, joignez votre force à ma force ! Venez et tenez votre promesse ! Venez honorer votre dette à ces pistoleros ! Aidez-moi à les remettre sur leur chemin ! Maintenant !

SEPT

Avant même que l’un d’eux ait eu le temps de se dire que le ka venait de modifier leurs plans, le ka avait fait agir sa volonté sur eux. Mais il leur apparut tout d’abord qu’il ne s’était rien passé.

Les Manni qu’Henchick avait choisis comme émissaires — six anciens, plus Cantab — formaient le demi-cercle passant derrière la porte et sur les côtés. Eddie prit la main de Cantab et entrelaça ses doigts dans ceux du Manni. L’un des aimants en forme de coquillage venait s’intercaler entre leurs paumes. Eddie le sentait vibrer, comme s’il était vivant. Il devait l’être, d’ailleurs. Callahan lui agrippa l’autre main et la serra fermement.

De l’autre côté de la porte, Roland prit la main d’Henchick, glissant la chaîne du pendule de Branni entre ses doigts. À présent, le cercle était complet, hormis juste devant la porte, où il restait un vide. Jake inspira profondément, balaya la grotte du regard, vit qu’Ote s’était assis contre le mur à trois mètres environ derrière Cantab, et il hocha la tête.

Ote, reste là, je reviendrai, envoya-t-il en pensée, avant de prendre sa place dans le cercle. Il saisit la main droite de Callahan, hésita, puis prit la main gauche de Roland.

Le bourdonnement réapparut instantanément. Le pendule de Branni se mit en mouvement, décrivant cette fois non pas des arcs, mais de petits cercles resserrés. La porte s’illumina et parut plus — Jake le constata de ses propres yeux. Les lignes et les cercles des hiéroglyphes dessinant le mot DÉROBÉE se firent plus lumineux. La rose gravée dans le bouton se mit à rougeoyer.

Cependant, la porte resta close.

(Concentre-toi, mon garçon !)

C’était la voix d’Henchick, résonnant dans sa tête avec une telle puissance qu’elle semblait presque tambouriner sur son cerveau à coups de poing. Il baissa la tête et fixa le bouton de la porte. Il vit la rose. Il la vit très clairement. Il l’imagina en train de pivoter, en même temps que le bouton tournait. Il n’y a pas si longtemps, il était obsédé par les portes et par l’autre monde

(l’Entre-Deux-Mondes)

qu’il savait devoir trouver derrière l’une d’entre elles. Il avait le sentiment de revenir en arrière. Il se représenta toutes les portes qu’il avait connues dans sa vie — portes de chambre de salle de bain de cuisine de toilettes trappes de bowling portes de vestiaire de cinéma de théâtre de restaurant portes avec panneaux INTERDICTION D’ENTRER portes RÉSERVÉ AU PERSONNEL portes de frigo, oui, même celles-là — et alors il les vit toutes s’ouvrir en même temps.

Ouvre-toi ! pensa-t-il très fort, en dirigeant cette pensée vers la porte, se sentant bêtement comme le prince arabe dans un vieux conte. Sésame, ouvre-toi ! Ouvre-toi, te dis-je !

Sous terre, dans les entrailles de la grotte, les voix se remirent une fois de plus à babiller. Puis, dans une montée de cris et un souffle gigantesque, comme un bruit de chute. Le sol de la grotte se mit à trembler, comme dans un nouveau tremblement de Rayon. Jake n’y prêta pas attention. L’énergie de vie emplissant la grotte était à présent d’une puissance considérable — il la sentait qui lui picotait la peau, qui faisait vibrer ses orbites et sa cloison nasale, qui lui dressait les cheveux sur la tête — mais la porte demeura close. Il pesa plus fermement sur la main de Roland et du Père, se concentrant sur les portes de pompiers, les portes de commissariat, la porte du Bureau du Proviseur à Piper, et même sur ce livre de science-fiction qu’il avait lu autrefois, et qui s’intitulait Une Porte sur l’été. L’odeur de la grotte — la moisissure, les ossements, des courants d’air fugitifs — lui parut soudain très prégnante. Il ressentit une violente montée d’assurance, une sensation éclatante — Maintenant, ça va se passer maintenant, je le sais —, pourtant la porte demeura close. Et à présent, il sentait autre chose. Non plus l’odeur de la grotte, mais l’arôme légèrement métallique de sa propre sueur, lui dégoulinant sur le visage.

— Henchick, ça ne marche pas, je crois que je ne…

— Nenni, pas encore — et ne crois surtout pas que ça ne doive venir que de toi, mon jeune goujat. Cherche à ressentir quelque chose, entre toi et la porte… comme un hameçon… ou un crochet…

Tout en parlant, Henchick fit signe de la tête au premier Manni de la ligne de renforts.

— Hedron, approche. Thonnie, prends Hedron par les épaules. Lewis, fais de même avec Thonnie. Et ainsi de suite ! Allez !

La file remonta vers la grotte. Ote eut un aboiement dubitatif.

— Sens, mon garçon ! Va chercher ce hameçon ! C’est entre toi et cette porte ! Sens-le !

Jake tendit tout son esprit en avant, et son imagination bondit tout à coup avec une vivacité et une puissance terrifiantes, au-delà des rêves même les plus réalistes. Il vit la 5e Avenue, entre la 48e et la 6e (« le périmètre dans lequel ma prime de Noël disparaît tous les ans en janvier », comme aimait à grommeler son père). Il vit toutes les portes, des deux côtés de la rue, s’ouvrir simultanément à la volée : Fendi ! Tiffany ! Bergdof Goodman ! Cartier ! Les Éditions Doubleday et Compagnie ! Le Sherry Netherland Hôtel ! Il vit un couloir interminable, avec du lino marron au sol, et il sut qu’il s’agissait du Pentagone. Il vit des portes, au moins un millier de portes, s’ouvrant toutes en même temps, créant un courant d’air extraordinaire, un véritable ouragan.

Cependant, cette porte en face de lui, la seule porte qui comptait, demeura close.

Ouais, mais…

Elle tremblait dans son cadre. Il l’entendait parfaitement.

— Vas-y, petit ! lança Eddie, les dents serrées. Si tu n’arrives pas à l’ouvrir, fous-moi cette connasse par terre !

— Aidez-moi ! hurla Jake. Aidez-moi, bon Dieu ! Vous tous !

Dans la grotte, l’énergie sembla soudain multipliée par deux.

Il sembla à Jake que le bourdonnement se mettait à vibrer jusque dans sa boîte crânienne. Il sentait ses dents claquer. De la sueur lui coula dans les yeux, lui brouillant la vue. Il vit deux Henchick adresser un signe de tête à quelqu’un derrière lui : Hedron. Et derrière Hedron, Thonnie. Et derrière Thonnie, tout le reste, toute la file serpentant jusque sur le sentier, sur plusieurs mètres.

— Tiens-toi prêt, mon goujat, fit Henchick.

Jake sentit la main d’Hedron se glisser derrière sa chemise et lui attraper la ceinture. Il eut l’impression qu’on le poussait, plutôt qu’on ne le tirait vers l’arrière. Dans sa tête, quelque chose bondit, et l’espace d’une seconde, il vit toutes les portes de milliers et de milliers de mondes s’ouvrir en même temps en coup de vent, dans un souffle si puissant qu’il aurait pu éteindre le soleil.

Et soudain il se sentit entravé. Il y avait quelque chose… quelque chose juste devant la porte…

L’hameçon ! C’est l’hameçon !

Il se glissa en avant, comme si son esprit et sa force de vie étaient une sorte de lasso. Dans le même temps, il sentit Hedron et les autres le tirer en arrière. La douleur fut instantanée, énorme, comme si on le pourfendait en deux. Puis vint la sensation d’être aspiré. Une sensation ignoble, comme si quelqu’un lui arrachait lentement les intestins, en les déroulant avec soin. Avec toujours, comme fond sonore dans ses oreilles et au cœur de son cerveau, ce bourdonnement infernal.

Il essaya de crier — Non, arrêtez, lâchez-moi, c’est trop ! — et n’y parvint pas. Il essaya de hurler et il entendit son hurlement, mais uniquement à l’intérieur de son crâne. Mon Dieu, il était piégé. Pris par l’hameçon, en train de se faire déchirer en deux.

Pourtant, une créature entendit bel et bien son hurlement. Ote. Qui, aboyant comme un fou furieux, se précipita telle une flèche. Et au même instant, la Porte Dérobée s’ouvrit violemment, décrivant un arc de cercle en grinçant, juste sous le nez de Jake.

— Regardez ! hurla Henchick d’une voix à la fois terrible et exaltée. Regardez, la porte s’ouvre ! En-Delà-sam kammen ! Can-tah, can-kavar kammen ! Au-Delà-can-tah !

Les autres réagirent, mais alors Jake Chambers avait déjà été arraché à la main de Roland. Il volait, mais pas seul.

Le Père Callahan volait avec lui.

HUIT

Eddie eut juste le temps d’entendre New York, de sentir New York et de comprendre ce qui se passait. En un sens, c’est ce qui rendit les choses tellement horribles — il fut capable d’enregistrer que tout allait à l’encontre de ce qu’il souhaitait, avec une précision diabolique, mais il fut incapable de changer quoi que ce soit.

Il vit Jake se faire arracher au cercle et sentit la main de Callahan glisser dans la sienne ; il les vit voler jusqu’à la porte, faire un véritable looping en tandem, comme un couple de foutus acrobates. Un truc poilu hurlant comme un taré fila telle une flèche à côté de sa tête. Ote, qui fonçait, les oreilles aplaties et les yeux terrifiés semblant lui sortir de la tête.

Et ce n’était pas tout. Eddie se vit lâcher la main de Cantab et se précipiter vers la porte — vers sa porte, sa ville, et, quelque part au milieu de tout ça, sa femme, perdue et enceinte. Il prit conscience (avec une réelle volupté) de la main invisible qui le repoussait en arrière, et de cette voix qui lui parlait, mais sans former de mots. Ce qu’Eddie entendait était bien plus terrible que n’importe quels mots. Que des mots auxquels on pouvait répondre. Il s’agissait seulement d’une négation indistincte, et pour ce qu’Eddie en savait, elle venait de la Tour Sombre elle-même.

Jake et Callahan furent projetés comme des balles d’un revolver : propulsés dans les ténèbres remplies des sonorités exotiques des klaxons et des moteurs. Au loin, mais aussi distincte que les voix qu’on entend en rêve, Eddie perçut une voix haletante, précipitée, en pleine extase, répandant son message à la cantonade : « Dis Diiieu, mon frère, c’est cool, dis Diiieu sur la 2e Avenue, dis Diiieu sur l’Avenue B, dis Diiieu dans le Bronx, je dis Diiieu, je dis la bombe de Diiieu, je dis Diiieu ! » C’était la voix d’un authentique barjot new-yorkais comme Eddie en avait connus un certain nombre, et il sentit son cœur s’ouvrir. Il vit Ote s’engouffrer dans la porte comme un journal aspiré derrière une voiture filant à toute vitesse, puis la porte claqua, si fort et si rapidement qu’il dut plisser les yeux à cause du courant d’air, chargé du sable et de la poussière d’os qui tapissaient le sol de cette grotte pourrie.

Avant qu’il ait pu hurler sa colère, la porte s’ouvrit de nouveau. Cette fois-ci, Eddie se retrouva aveuglé par la lumière voilée du soleil, résonnant du chant des oiseaux. Il sentit l’odeur des pins, et perçut les ratés lointains d’un moteur de camion, semblait-il. Puis il fut aspiré par cet éclat vif, dans l’incapacité de crier que ça avait foiré, que c’était un vrai bord…

Quelque chose entra en collision avec sa tempe. L’espace d’un instant, il eut une conscience aiguë de son passage d’un monde à l’autre. Puis les coups de feu. Puis la fusillade.


SOLISTE :

Commala-ça-alors

Le vent t’enverra dans le décor.

Il faudra aller là où le vent t’enverra

Rien d’autre à faire que ça.

CHŒUR :

Commala-un-deux !

Rien d’autre, mon vieux !

Faudra aller là où t’enverra le vent du ka

Rien d’autre à faire que ça.

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