17

Blottie sous les couvertures, Valentina regardait les flocons de neige voleter derrière la fenêtre. Les traces de givre dessinaient des toiles d’araignées aussi indésirables que les pensées qui peuplaient son esprit.

Combien de semaines s’étaient écoulées ? Deux ? Trois ? Davantage ? La maladie lui avait fait perdre toute notion du temps. La fièvre trempait ses draps de sueur sous son corps meurtri. Dans ses moments de lucidité, elle savait qu’elle souffrait d’une infection respiratoire due aux égouts, mais dans ses moments de délire, elle y voyait un châtiment divin. Mme Davidova s’était noyée, le corps projeté contre une grille, alors que Valentina avait survécu parce qu’elle avait gravi l’échelle avant elle.

Parfois, la jeune fille voyait son doux visage en rêve. Parfois encore, surtout la nuit, Mme Davidova apparaissait telle une ennemie surgie de l’enfer, le regard méchant, et lui crachait des obscénités. Valentina se mettait à hurler. Pleine de sollicitude, l’infirmière Sonia la rassurait :

— Chut… malichka, du calme.

Elle sentait alors un contact frais sur son front, un liquide entre ses lèvres, le goût amer du laudanum.

La porte s’ouvrit doucement et un fauteuil roula sur le tapis.

— Tu es réveillée ?

— Oui. Bonjour Katia. Tu as l’air en forme.

C’était la vérité. Katia avait bonne mine, les cheveux soyeux et elle se tenait bien droite.

— Regarde, je t’ai apporté de l’ananas.

Sur la table de chevet de Valentina, elle posa une assiette contenant deux tranches jaune vif dont le parfum exotique envahit la chambre.

— Comment te sens-tu ? s’enquit Katia.

— Mieux.

— À la bonne heure ! Tu descends, aujourd’hui ?

Valentina ferma les yeux.

— Non. J’ai mal à la tête.

— Sonia te donnera un remède. Tu pourrais te lever et…

— Non. Pas aujourd’hui, Katia.

Un long silence s’installa. Le vent fit trembler les vitres. Valentina sentit que sa sœur lui prenait la main.

— Tu ne peux pas continuer ainsi, reprit Katia.

Encore un silence, plus lourd encore.

— Sonia m’a dit que ta fièvre était tombée.

— Je me sens faible, répondit son aînée, les yeux fermés.

— Trop faible pour descendre ?

Valentina hocha la tête.

Katia caressa ses doigts délicats.

— Je t’entends, tu sais. Je t’entends chaque nuit.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Bien sûr que si ! Tu passes devant ma porte à pas de loup, quand tu crois que la maison est endormie. Tu descends jouer du piano, parfois pendant des heures.

— Non.

— Si ! Tu remontes juste avant que les domestiques ne commencent leur travail. Admets-le.

Katia serra sa main plus fort, l’incitant à rouvrir les yeux.

— Maintenant, tu vas me regarder.

Valentina obéit. Ce n’était pas sa Katia, c’était quelqu’un d’autre qui s’était glissé dans sa peau. Ses yeux bleus étaient froids et pâles. Cette personne se faisait passer pour sa cadette sans y parvenir.

— Valentina, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui te paralyse de la sorte ? Tu n’es pas blessée, ni malade. Tu n’as même pas voulu fêter ton anniversaire et tu restes terrée dans cette chambre. Où est passée ma sœur si pleine de vie ?

— Elle a été emportée dans les égouts.

— Tu es en vie. Tu n’as pas été écrasée, tu ne t’es pas noyée, tu n’as pas été amputée comme le géomètre.

— Il a perdu sa jambe ?

— En dessous du genou. Il marchera avec des béquilles.

— Mme Davidova ne marchera plus, elle…

— C’est vrai.

— Je l’ai vue mourir, Katia. J’ai vu cette femme si gentille se noyer !

Katia relâcha sa main et lui parla avec plus de douceur.

— Tu as le droit de la pleurer, mais ne cesse pas de vivre à cause d’elle.

Valentina s’écroula sur ses oreillers.

— C’est moi qui aurais dû mourir, persista-t-elle. C’est elle qui aurait dû se trouver sur l’échelle, pas moi.

— Eh bien, elle n’y était pas ! Elle est morte, pas toi. Tu dois continuer à vivre.

— Jens m’a hissée sur l’échelle.

— Qu’il en soit remercié ! En revanche, il n’aurait pas dû t’inviter dans les égouts.

— Arrête, Katia ! Il n’y est pour rien si ces maudits révolutionnaires ont fait exploser une bombe.

— Ah ! s’écria Katia, enfin une étincelle ! C’est à Jens que tu dois ton retour à la vie.

Valentina se cacha sous ses couvertures.

— Va-t’en !

Katia rabattit vivement les couvertures.

— Regarde-toi !

Valentina observa sa chemise de nuit défraîchie, ses cheveux emmêlés et ternes. Quand elle voulut fermer les yeux, elle reçut une gifle.

— Debout ! s’écria Katia. Sors de ce lit !

— Arrête !

— Tu comptes rester ici, à te décomposer ?

— Oui. Laisse-moi tranquille !

— Regarde-toi. Tu as tout pour être heureuse. Tout ! Tu n’as aucune raison de détester le monde entier.

Valentina se tut de peur d’en dire trop.

— La pauvre Mme Davidova paierait certainement très cher pour être à ta place, dit Katia en s’adossant dans son fauteuil. Et moi aussi, Valentina, ajouta-t-elle dans un murmure, je paierais cher pour être à ta place.

Elle quitta la chambre. Valentina émit une longue plainte et se tourna vers le mur.

Elle perçut un mouvement dans sa tête, quelque chose qui s’insinuait tel un serpent dans ses pensées pour les étouffer avec l’efficacité d’une corde autour du cou d’un condamné.

La culpabilité l’oppressait, la paralysait complètement. Katia, sa mère, son père, Mme Davidova. La jambe amputée du géomètre et même Dacha, son superbe cheval, qu’elle n’avait pas monté depuis l’explosion.

Une voix à peine perceptible ne cessait de murmurer à son oreille que, sans elle, Jens n’aurait pas organisé cette visite des égouts. S’il n’avait pas cherché à l’éloigner du capitaine Tchernov, ces victimes seraient peut-être encore en vie. Ce drame était-il de sa faute à elle ?

Fixant le mur, sa vue se brouilla peu à peu. Elle éprouvait les pires difficultés à se ressaisir.

Ce fut l’ananas qui l’incita à quitter son lit. Elle huma son parfum acidulé. Le souvenir de Jens s’insinua jusque dans ses poumons, dans ses veines. Lui seul aurait songé à lui apporter de l’ananas. Il était venu ! Elle repoussa son édredon et posa les pieds à terre. Elle ôta vivement sa chemise de nuit, puis elle porta un morceau de fruit à ses lèvres. Ce fut une explosion de soleil dans sa bouche. Elle se dirigea vers son secrétaire, ouvrit le tiroir et sortit sa liste. Puis elle écrivit :

11. Trouver un arrangement avec Papa.

*

Un vent marin violent balayait la route en terre battue, chassant les flocons de neige grisâtres qui tourbillonnaient. Jens arpentait le terrain, l’esprit en ébullition, notant ses calculs, si concentré qu’il ne vit pas la silhouette voûtée, drapée dans un manteau qui semblait appartenir à un homme plus corpulent. Jens rangea son calepin et son crayon dans sa poche, puis il tapa du pied pour ôter la glace de ses bottes en laine.

— Bonjour, monsieur le ministre.

Davidov ne feignit même pas d’avoir l’air content de voir Jens. Désormais veuf, il n’avait plus le goût à rien et ne se supportait plus lui-même.

— Nous progressons, annonça Jens.

— La vente du terrain est effective ?

— Les documents sont prêts à signer. Vous avez organisé les formalités bancaires ?

Da.

Satisfait, Jens opina du chef. C’était ce qu’il voulait entendre. Cette parcelle de terrain vague et les huttes misérables qui le jouxtaient auraient bientôt changé de propriétaire et les travaux pourraient commencer. Il observa les cabanes à peine plus grandes que des niches pour chien.

— Quand tout sera signé, dit Jens, j’annoncerai l’extension des égouts vers ce quartier au printemps prochain.

Davidov glissa les mains dans ses poches et renifla. Que s’attendait-il à sentir ? Le parfum de l’argent ? Un paquet de roubles tapissant le sol ? Une femme portant un foulard et des chaussures en corde émergea d’une bicoque, avec à la main un seau de déchets qu’elle versa sur la route. Jens détourna la tête. Le quartier empestait l’urine. Les épaules voûtées, la femme les observa un instant.

— Alors ? demanda Davidov.

— Alors vous aurez convaincu le comité de voter, d’ici là, précisa l’ingénieur en s’avançant pour le dominer de sa hauteur.

Davidov grommela quelques mots que le vent emporta.

— Il y a un problème ? s’enquit Jens.

— J’en ai assez des égouts. Je ne veux plus avoir affaire aux égouts, ni au comité, après…

— Monsieur le ministre, nous étions d’accord. Il est de votre devoir de lever tout malentendu avec le comité.

Il sortit de sa poche un étui à cigarettes, cadeau de la comtesse Serova, un superbe objet en argent de Fabergé. Il offrit une cigarette à Davidov, en prit une pour lui et alluma les deux à l’aide de son briquet, créant une forme d’intimité.

— Monsieur le ministre, ce n’est pas le moment de flancher. C’est vous qui décidez pour le comité. Nous le savons pertinemment.

Davidov se rengorgea légèrement, comme si ce compliment l’étoffait un peu.

— L’idée du comité est de…

— Je n’ai rien à faire des idées du comité, coupa Jens.

Il se retourna et jeta son étui à cigarettes qui tomba aux pieds de la femme aux chaussures de corde. Elle sursauta, lâcha son seau vide et ramassa le coûteux étui. Puis elle regagna sa cabane tel un chien avec un os.

— Nous avons conclu un accord, poursuivit Jens. Quand le terrain sera à votre nom, vous ordonnerez un financement gouvernemental pour le prolongement des égouts, l’an prochain.

Davidov tira sur sa cigarette et contempla le terrain jonché de ferraille et de vieux sommiers.

— Ce n’est plus pareil, sans elle, soupira-t-il d’une voix lasse.

— J’ai appris… que ce n’était plus pareil, répondit Jens. Pour vous, je veux dire.

Le ton de sa voix alerta Davidov.

— Quoi ? fit-il. Qu’avez-vous appris ?

— Que le frère de votre femme avait d’énormes dettes de jeu et qu’elle lui avait légué par testament de quoi les rembourser. Que vous, monsieur le ministre, avez besoin d’investir pour compenser une telle perte. Quel choc vous avez dû ressentir…

Il faisait allusion à l’argent et non à la mort de sa femme. Il était incapable d’évoquer ce décès, qui le meurtrissait aussi violemment qu’un poignard en plein cœur.

Davidov cracha un nuage de fumée qui tournoya autour des flocons de neige.

— Vous êtes remarquablement bien renseigné, admit-il, un peu tendu.

— Monsieur le ministre, respectez notre accord. Vous pouvez imposer votre volonté au comité. Vous êtes habile.

Tout était dit. Jens se remit à arpenter le terrain en notant des chiffres de ses doigts engourdis par le froid.

*

— Va-t-elle mieux, aujourd’hui ? s’enquit Jens, en visite chez les Ivanov.

— Venez avec moi.

Katia fit pivoter son fauteuil avec adresse et longea à vive allure un couloir orné de tapisseries anciennes en soie. Les roues laissaient de fines traces sur le tapis vert et or. Katia ne pouvait se déplacer sans que quelqu’un ne repère ces empreintes ou n’entende les roues de son fauteuil. Toute discrétion, toute intimité lui étaient interdites.

— Katia, vous êtes rapide comme un chien de traîneau ! Vous devez avoir les poignets puissants. Je vais vous embaucher pour souder mes solives.

Elle se mit à rire et accéléra, de sorte qu’il dut presque courir pour rester à sa hauteur. En entendant la musique, il s’arrêta net. Les notes s’élevaient derrière la porte, une chanson russe traditionnelle rythmée, pleine d’énergie. Katia regarda par-dessus son épaule et lui sourit.

— Venez ! Elle ne mord pas.

— Je ne veux pas la déranger.

— Ce ne sera pas le cas, assura-t-elle en ouvrant la porte.

Aussitôt, Valentina se leva de son tabouret. Amaigrie, elle portait une robe d’un gris pâle presque argenté devenue trop grande pour elle. Elle lui tendit la main. Ses doigts dans les siens étaient légers comme des plumes. La gorge nouée par l’émotion, il ne dit rien, mais ne lâcha pas sa main.

— Jens, souffla-t-elle avec un sourire.

Ses yeux bruns semblaient immenses au-dessus de ses joues creuses et ses veines étaient visibles sous sa peau diaphane. En revanche, ses cheveux cascadaient en boucles soyeuses qu’il eut toutes les peines du monde à ne pas toucher.

— Bonjour, Valentina. Je me réjouis que vous ayez surmonté votre indisposition.

— Mon indisposition ? répéta-t-elle, surprise. Voilà donc de quoi il s’agissait. Je me posais la question !

Lorsqu’il lui sourit, elle le dévisagea longuement. S’il la prenait dans ses bras et posait sa tête fragile sur son torse, le giflerait-elle ? Vous êtes bien présomptueux, monsieur le constructeur de canalisations danois, le noyeur d’épouses, l’admirateur d’étoiles. Bas les pattes !

Était-ce ce qu’elle lui dirait ?

Et que dirait-elle s’il la soulevait de terre et l’emportait loin de cette maison, tel un voleur ? Lèverait-elle les yeux au ciel en riant ?

— Valentina, jouez-moi un morceau, voulez-vous ?

— J’ai besoin de ma main, pour cela.

Il posa les yeux sur leurs mains jointes, lui fit un baisemain du bout des lèvres et la relâcha.

— Que souhaitez-vous entendre ?

— À vous de choisir.

— Joue du Chopin, suggéra Katia.

— Je crois que ceci pourrait vous convenir, répondit son aînée.

Il prit une chaise et la plaça de façon à voir Valentina de profil. Katia se posta près de la fenêtre et contempla les arbres nus. La pièce était spacieuse et sobrement décorée, ce qui lui conférait une atmosphère intimiste, dominée par le piano à queue. Valentina demeura un instant immobile, comme si le silence faisait partie intégrante du morceau.

L’œuvre mélancolique et complexe était difficile à interpréter. Il ne l’avait jamais entendue. Les doigts de la jeune fille dansaient avec une assurance défiant l’entendement. Mille émotions se bousculèrent dans son esprit. Elle avait raison. Ce morceau reflétait son humeur sombre et grave, ces canalisations qui avaient failli enterrer Valentina vivante.

Que percevait-elle en lui ?

Soudain, elle s’interrompit. Au-dessus des touches, ses mains brûlaient de poursuivre.

— Vous lui avez dit ? s’enquit-elle.

Jens n’eut pas à lui demander à qui elle faisait allusion.

— Oui, j’ai parlé à la comtesse Serova.

— C’est donc réglé ?

— Oui.

— Tant mieux.

Elle le toisa longuement, comme si elle voyait tout à coup quelque chose de différent en lui, puis elle se remit au piano.

« Vous lui avez dit ?

— Oui, j’ai parlé à la comtesse Serova. »

Il avait parlé à la comtesse, dans son jardin, par une matinée froide et lumineuse. Tous deux marchaient dans l’allée, Natalia lui tenait le bras. Elle parlait trop. Elle semblait redouter le moindre silence. Depuis l’attentat, elle était tendue en sa présence. Jens avait les yeux rivés sur Alexeï qui foulait la neige en compagnie de son chiot. Leur bruit comblait les silences, ses rires chaleureux faisaient sourire Jens. Ces derniers temps, il ne trouvait guère de raisons de sourire. Les révolutionnaires y avaient veillé.

— C’est bon de voir Alexeï heureux, déclara-t-il.

— Tu avais raison, je le concède. Ce chiot est déjà son meilleur ami. Jens, quoi que tu sois venu me dire, parle ! Je n’en peux plus d’attendre.

Elle resserra son manteau de fourrure sur elle comme pour s’en servir de bouclier.

— Natalia, je suis désolé.

Il se montra d’une franchise presque brutale. C’était la seule solution avec une femme telle que la comtesse, habituée à décider de tout.

— Nous ne nous verrons plus.

Elle garda la main sur son bras, mais pendant une fraction de seconde, elle fut sidérée. Il entendit une plainte, puis elle se ressaisit et le foudroya du regard.

— Je vois, dit-elle. Ton attitude est si médiocre ! Qui est cette femme ?

— Comment cela ?

— Ne joue pas à ce petit jeu, Jens.

— Elle s’appelle Valentina.

— Ah, la petite maigrichonne de pianiste. Celle qui était avec toi dans les égouts. Cette Valentina-là ?

Il acquiesça sans piper mot. Il n’avait pas l’intention de parler d’elle. Doucement, il décrocha le bras de Natalia du sien et interpella Alexeï. Il lança des boules de neige au chien pour qu’il aille les chercher, et d’autres sur l’enfant, qui cria de joie. Il accorda à Natalia le temps de remettre son masque de comtesse. Lorsqu’ils atteignirent le perron de la maison, il s’arrêta.

— Tu n’entres pas prendre un grog ?

— Je ne crois pas.

— Très bien, répliqua-t-elle, impassible.

— Mais je reviendrai, si tu le permets.

— Pour l’enfant. Tu es plus attaché à lui qu’à moi, énonça-t-elle avec un soupçon d’hostilité. Certains affirment que tu es son père, à cause des yeux verts.

— Nous savons tous les deux qu’ils se trompent.

— Dans ce cas, pourquoi te soucies-tu de lui ?

Il la dévisagea franchement, s’attardant sur sa moue arrogante, son regard bleu si intelligent et la colère qu’il exprimait.

— Parce que personne d’autre ne le fera.

Emporté par la musique, Jens perdit la notion du temps. Quand elle se tut enfin, il respira profondément, comme s’il venait de chevaucher dans la forêt, exalté, vivant.

— C’était merveilleux, Valentina. Merci.

Immobile sur son tabouret, la jeune fille avait le souffle court.

— Comment va le géomètre ? lui demanda-t-elle sans le regarder.

— Il se remet doucement. Je l’emploie encore. Il peut tout à fait continuer à travailler derrière un bureau.

Enfin, Valentina se tourna vers lui. Qu’avait-elle perçu derrière ses paroles prudentes ? Impulsive, elle pivota vers le clavier et se lança dans un air russe très entraînant.

— Regardez ! s’exclama Katia en pointant un doigt vers l’extérieur.

— Bon sang, souffla Jens.

Dans la neige, un jeune Cosaque imposant se livrait à la danse traditionnelle. Accroupi, il tendait les jambes tour à tour, puis bondissait, cabriolait.

— C’est Liev Popkov ! expliqua Valentina en riant.

Au terme de sa démonstration, le Cosaque salua poliment l’assistance et se retira sous les rires et les applaudissements, laissant des traces de pas dans la neige.

Jamais le monde n’avait paru aussi lointain à Jens. Les joues roses, Valentina était radieuse. Soudain, la porte s’ouvrit avec fracas et Elizaveta Ivanova surgit dans la pièce.

— Ah, lâcha-t-elle d’un air guindé en posant les yeux sur l’ingénieur. J’ignorais votre présence.

— Bonjour, madame.

Il se leva et s’inclina poliment.

— Jens est venu prendre des nouvelles de la santé de Valentina, intervint Katia.

— Je me réjouis de son rétablissement, déclara-t-il. Elle est bien soignée.

Les joues rosies de sa fille aînée n’échappèrent pas à Elizaveta Ivanova.

— Tu as de la visite, annonça-t-elle.

— Veuillez informer cette personne que je suis occupée, Maman.

— Je n’en ferai rien. Il s’agit du capitaine Tchernov. Il t’attend au salon.

Valentina se crispa.

L’espace d’un instant, Jens crut qu’elle allait refuser car elle lui avait promis de n’avoir aucune relation avec Tchernov. Puis il décela dans ses yeux bruns qu’elle avait décidé de rompre sa promesse.

— Quelle bonne surprise, railla-t-elle.

Sur ces mots, elle quitta la pièce.

— Au fait, merci de m’avoir apporté de l’ananas ! lança-t-elle en sortant.

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