SANSA

« Il a refusé d’envoyer ser Loras », confia-t-elle sous la lampe à Jeyne, venue ce soir-là partager avec elle une assiette froide. Pour mieux reposer sa jambe, Père avait dîné dans sa chambre en compagnie d’Alyn, de Harwin et de Vayon Poole. Vannée par leur interminable station dans les tribunes, septa Mordane s’était excusée sur l’enflure de ses pieds. Quant à Arya, sa leçon de danse s’éternisait, naturellement…

« A cause de sa jambe, je crois, soupira-t-elle.

— De sa jambe ? s’ébahit Jeyne, mignonne comme un cœur sous ses cheveux sombres. Ser Loras s’est blessé la jambe ?

— Pasla sienne, bécasse, dit Sansa, tout en grignotant d’une dent distinguée son pilon de poulet. La jambe de Père. Elle s’entête à le tourmenter si fort ! Ça le rend irascible. Il aurait envoyé ser Loras, j’en suis convaincue, sinon. »

Elle demeurait sidérée de ce refus. Dès les premiers mots de son cher chevalier des Fleurs, elle s’était persuadée qu’elle allait assister pour de vrai à l’un des contes de Vieille Nan, voir la féerie se réaliser, sous ses yeux. Ser Gregor y jouait le monstre qu’en vrai héros ser Loras ne manquerait pas de tuer. Il n’était jusqu’à son aspect qui n’avérât ser Loras tel. Il était si beau, si mince, les roses d’or soulignaient si galamment la finesse de sa taille, son opulente chevelure brune lui retombait avec tant de grâce dans les yeux… Et, là-dessus, ? Père le refusait ! Elle en avait été bouleversée au-delà de toute expression. Tellement bouleversée qu’elle n’avait cessé d’exprimer son désarroi, dans les escaliers des tribunes, à septa Mordane, et pour s’entendre riposter quoi, je vous prie ? Simplement qu’une demoiselle digne de ce nom ne discutait pas les arrêts du seigneur son père.

C’est là qu’était intervenu lord Baelish. « Je serais moins affirmatif que vous, septa. Certains arrêts du seigneur son père mériteraientun brin de discussion. La sagesse de la demoiselle n’a d’égale que ses appas. » Et il balaya le sol d’une révérence d’une telle solennité qu’encore à présent Sansa doutait si c’était hommage ou dérision.

Toujours est-il que septa Mordane s’était montrée très très choquée que lord Baelish eût surpris leur conversation. « La petite ne faisait que jaser, messire. A l’étourdie, sans male intention. Des propos en l’air… »

Il tripota sa barbichette. « En l’air? voire… Dis-moi, mignonne, pourquoi tu aurais envoyé ser Loras, toi ? »

Prise au dépourvu, Sansa ne put esquiver de justifier son choix par héros et monstres interposés. Le conseiller du roi sourit. « Je n’aurais certes pas invoqué ces motifs, mais… » Du pouce, il lui flatta légèrement la joue, suivant la courbe de la pommette. « La vie n’est pas une chanson, ma douce. Tu risques de l’apprendre un jour à tes cruels dépens. »

Tous ces détails-là, Sansa répugnait à les livrer à sa confidente. Rien que d’y penser la chavirait trop.

« Lord Eddard ne pouvait envoyer ser Loras, déclara sentencieusement Jeyne. Mais il aurait dû envoyer ser Ilyn. »

A ce seul nom, Sansa frissonna. La vue de ser Ilyn Payne la faisait invariablement grelotter. Elle avait l’impression que sur sa peau nue traînassait une limace morte. « Il a tout d’un second monstre. Je me félicite que Père ne l’ait pas choisi.

— Comme héros, toujours, lord Béric vaut bien ser Loras. Il est aussi brave que chevaleresque.

— Je présume », dit Sansa, sceptique. Sans être précisément mal de sa personne, non, Béric Dondarrion était abominablement vieux – près de vingt-deux ans ! Tout sauf un rival pour l’incomparable chevalier des Fleurs. Il est sûr que son coup de foudre pour lord Béric aveuglait cette pauvre idiote. Elle perdait la tête, aussi ! Oubliait-elle ce qu’était son père, un simple intendant ? Elle pouvait soupirer tout son soûl, la petite Poole… N’eût-il pas déjà le double de son âge, jamais lord Béric ne jetterait les yeux si bas !

Comme il eût été discourtois, néanmoins, de la désabuser, Sansa sirota trois gouttes de lait et changea de sujet. « J’ai rêvé que l’honneur de prendre le cerf blanc revenait à Joffrey », dit-elle. Il s’agissait plus exactement d’un vœu, mais « rêve » sonnait mieux, nul n’ignorant que les rêves sont prophétiques et que l’extrême rareté des cerfs blancs les fait réputer magiciens. Le cœur de Sansa, d’ailleurs, l’éclairait outre mesure quant à l’écrasante supériorité de son galant prince sur son royal ivrogne de père.

« Rêvé ? vraiment ? Et alors ? Est-ce que le prince Joffrey n’avait qu’à l’aborder, le toucher à main nue, sans lui faire le moindre mal ?

— Non, décida Sansa. Il l’abattait d’une flèche d’or et le rapportait à mon intention. » Dans les chansons, les chevaliers ne tuaient jamais les animaux magiques, ils se contentaient de les aborder, de les toucher à main nue, sans leur faire le moindre mal, mais elle connaissait la passion du prince pour la chasse, pour la mise à mort, notamment. Uniquement celle des bêtes, il allait de soi. Car elle était convaincue que son prince était innocent du meurtre de Jory et de ses pauvres compagnons. Le coupable, c’était son oncle, le diabolique Régicide. Quelque vive que demeurât la rancœur de Père, il n’était pas juste de blâmer Joffrey. Aussi peu juste que de la blâmer, elle, pour une faute qu’aurait par exemple commise Arya.

« J’ai vu ta sœur, cet après-midi, lâcha brusquement Jeyne, comme s elle avait lu dans ses pensées. Dans les écuries. Elle marchait sur les mains. Pourquoi fait-elle des trucs pareils ?

— S’il est une chose dont je suis sûre, c’est de ne jamais savoir les raisons d’aucun de ses agissements. » Son aversion décidée pour les écuries, cloaques puants de mouches et de fumier, l’empêchait d’y pénétrer lors même qu’elle devait monter. Aussi attendait-elle de préférence au-dehors qu’on selle son cheval et le lui amène. « Ça te fait plaisir, que je te parle de l’audience du Trône, ou non ?

— Au contraire…

— Un frère noir s’y est présenté, qui réclamait des hommes pour le Mur, seulement il était du genre vieux, puis il empestait. » Elle n’avait pas aimé ça du tout, mais du tout. Elle se figurait jusque-là les gens de la Garde de Nuit sous les espèces d’Oncle Benjen et parés du beau titre de « ténébreux chevaliers du Mur » que leur décernaient les chansons. Or tout suggérait que ce Yoren, non content d’être hideux, bossu, nourrissait des poux. Si la Garde de Nuit ressemblait véritablement à ça, pauvre Jon ! « Père a demandé s’il se trouvait dans la salle des chevaliers soucieux d’honorer leur maison en prenant le noir, mais il n’y eut pas de volontaires, alors Père lui attribua la fine fleur des prisons du roi puis le congédia. Et après, il est venu ces deux francs-coureurs des marches de Dorne, deux frères, pour vouer leurs épées au service du roi, et Père a reçu leurs serments… »

Dans un bâillement, Jeyne demanda : « Il n’y a pas de gâteaux au citron ? »

Sansa n’appréciait guère qu’on l’interrompît, mais force lui fut d’admettre que « gâteaux au citron » rendait un son plus affriolant que la plupart des événements survenus durant la séance. « Allons voir », dit-elle.

La cuisine ne recélait pas l’ombre de gâteaux au citron, mais elle finit par trahir une moitié de tarte aux fraises, et c’était en somme presque aussi bon. Elles la dégustèrent à même l’escalier, caquetant, pouffant, s’entre-chuchotant de si grands secrets qu’en se fourrant au lit Sansa se sentait presque aussi friponne qu’Arya.

Elle se réveilla dès avant le point du jour et, en somnambule, gagna sa croisée pour regarder lord Béric agencer sa troupe. L’aurore blanchissait à peine les toits quand derrière les étendards s’ébranlèrent les cavaliers, et c’était merveilleux, cette venue au monde d’une chanson… ! Le cerf couronné du roi flottait haut sur sa longue hampe, le loup-garou Stark et l’éclair fourchu Dondarrion sur des hampes de moindre taille, les épées cliquetaient, les torches vacillaient, les bannières claquaient au vent, les coursiers piaffaient, hennissants, les rayons d’or d’un soleil tout neuf filtraient au travers de la noire herse qui se relevait en grinçant, dans leur grand manteau gris et leur maille d’argent se distinguaient pour la superbe les Winterfell.

Sansa ne se tint plus d’orgueil lorsqu’elle vit Alyn, portant l’enseigne de leur maison, se porter à la hauteur de lord Béric pour quelques mots d’échange et, d’enthousiasme, elle le décréta plus beau que n’avait jamais été Jory. Il serait chevalier, tôt ou tard…

La tour de la Main lui parut si vide après qu’ils se furent évanouis que la réjouit même la venue de sa sœur pour le déjeuner. « Où sont les autres ? s’enquit Arya, tout en épluchant une orange sanguine. Père les a-t-il expédiés aux trousses du Régicide ? »

Sansa exhala un galant soupir. « Lord Béric les a emmenés trancher le chef de Gregor Clegane. » Puis, se tournant vers septa Mordane qui, armée d’une cuiller de bois, se gavait de bouillie d’avoine : « D’après vous, septa, que va faire lord Béric ? empaler la tête de ser Gregor au-dessus de sa propre porte ou la rapporter ici pour le roi ? » Elle et Jeyne s’en étaient longuement disputées la veille.

La nonne manqua s’étrangler. « Sansa ! une dame ne mêle pas semblables horreurs à sa bouillie d’avoine ! Où sont vos manières, Sansa ? Ma parole ! depuis quelque temps, vous deviendriez presque aussi grossière que votre sœur…

— Qu’a donc fait Gregor ? demanda Arya.

— Incendié une forteresse et assassiné des tas de gens, même des femmes et des enfants. »

Arya se tordit le museau en une grimace écœurée. « Jaime Lannister a assassiné et Jory, et Heward, et Wyl, et le Limier assassiné Mycah. C’est ces deux-là qu’on aurait dû décapiter.

— Ce n’est pas pareil, dit Sansa. Le Limier est le bouclier lige de Joffrey. Puis ton boucher d’ami s’en était pris au prince.

— Menteuse ! riposta Arya, le poing si violemment crispé sur son orange que le jus rouge lui giclait entre les doigts.

— Va, va…, décocha Sansa d’un air désinvolte, donne-moi tous les noms que tu veux, tu n’oseras plus quand je serai l’épouse de Joffrey. Il te faudra me faire la révérence et me dire “Votre Grâce”. » Un cri pointu lui échappa quand l’orange, traversant la table, vint avec un floc visqueux la frapper en plein front puis s’effondra dans son giron.

« Votre Grâce a du jus sur son auguste face », avertit Arya.

D’une serviette exaspérée, sa sœur épongea la pulpe qui lui piquait les yeux, lui dégoulinait le long du nez, mais les dégâts causés à sa celle robe de soie ivoire lui arrachèrent un nouveau cri d’indignation. « Tu es horrible ! piailla-t-elle. Ce n’est pas Lady, c’est toi qu’il fallait abattre ! »

Le scandale propulsa debout la septa. « Son Excellence en sera avisée. Dans vos chambres, ouste. Ouste !

— Même moi ? » Les yeux de Sansa se mouillèrent. « Ce n’est pas juste…

— J’en suis seul juge. Allez ! »

Sansa se retira la tête haute. Le sort l’appelait à régner, et une reine ne pleure pas. Du moins en présence de témoins. Une fois rentrée dans ses appartements, elle s’y verrouilla, se dévêtit. La sanguine avait maculé de rouge tout le devant. « Je la hais ! » glapit-elle puis, mettant la robe en boule, elle la jeta sur les cendres refroidies de l’âtre. Mais quand elle s’aperçut que l’orange avait également souillé sa chemise, elle ne parvint plus à réprimer ses sanglots, se dénuda avec fureur et, se ruant dans son lit, le baigna de larmes si voluptueuses qu’elle finit par se rendormir.

Il était midi quand septa Mordane heurta à la porte. « Sansa ! Votre seigneur père vous attend. »

Elle se dressa sur son séant. « Lady », murmura-t-elle. Une seconde, elle eut l’illusion que la louve se trouvait là, dans la chambre, et, d’un air triste et sagace, la dévisageait de ses prunelles d’or. Un rêve, hélas, elle avait seulement rêvé. Elles étaient en train de gambader, toutes deux, et…, et… rien. Malgré tous ses efforts pour s’en souvenir, la suite se dérobait comme entre les doigts se dérobent les gouttes de pluie. Le rêve s’estompant, la mort recouvra Lady.

« Sansa ! » Les heurts reprirent, sèchement. « M’entendez-vous ?

— Oui, septa ! cria-t-elle. Auriez-vous l’obligeance de m’accorder un instant ? Je m’habille… » Les larmes avaient rougi ses yeux, mais elle se fit belle de son mieux.

Lorsque septa Mordane l’introduisit, parée d’une délicieuse douillette vert pâle et d’un air contrit, dans la loggia, Sansa trouva lord Eddard abîmé dans l’examen d’un immense volume relié de cuir. « Approche », dit-il, d’un ton moins sévère que redouté, dès que la nonne fut ressortie. Sa jambe plâtrée reposait, raide, sous la table. « Assieds-toi, là, près de moi. » Il referma le livre.

Déjà, Mordane reparaissait, traînant Arya qui, vêtue comme au déjeuner de sa bure et de ses cuirs miteux, se tortillait comme un chat sauvage pour se libérer. « Et voici la seconde, annonça la nonne.

— Je vous remercie, dit-il. Maintenant, j’aimerais parler seul à seul à mes filles, si vous permettez. »

Elle s’inclina et s’en fut.

« C’est Arya qui a commencé, jeta vivement Sansa, soucieuse d’avoir le premier mot. Elle m’a traitée de menteuse et lancé une orange et gâté ma robe, celle en soie, l’ivoire que m’avait donnée la reine Cersei pour mes fiançailles avec le prince Joffrey. Ça l’étouffe que j’épouse le prince. Elle ne pense qu’à tout salir, Père, elle déteste tout ce qui est beau, joli, magnifique.

— Suffit, Sansa ! » s’impatienta-t-il d’un ton qui ne souffrait pas de réplique.

Arya releva le nez. « Je suis désolée, Père. J’ai eu tort, et je prie ma sœur de bien vouloir me pardonner. »

De stupeur, Sansa demeura un instant sans voix. Mais elle ne tarda pas à se reprendre. « Et ma robe ?

— On…, je pourrais la laver, non ? suggéra la petite, sans trop de conviction.

— La laver ne servirait à rien, trancha Sansa. Dusses-tu frotter nuit et jour, la soie est ruinée.

— Eh bien, je… t’en ferai une neuve.

— Toi ? » Son menton pointa, dédaigneux. « Tu ne serais même pas capable de coudre une serpillière à cochons ! »

Père soupira. « Ce n’est pas pour parler chiffons que je vous ai fait venir. Je vous renvoie à Winterfell. »

Pour la seconde fois, Sansa demeura stupide. Il lui sembla que sa vue se brouillait à nouveau.

« Vous ne pouvez faire cela, dit Arya.

— S’il vous plaît…, Père, parvint enfin à bredouiller Sansa, s’il vous plaît, non. »

Il les gratifia toutes deux d’un sourire las. « Vous voici tout de même un terrain d’entente…

— Je n’ai rien fait de mal, moi, plaida Sansa. Je ne veux pas repartir. » Elle adorait Port-Réal, la pompe de la Cour, le velours, la soie, les joyaux de ses dames et de ses seigneurs, les rues si populeuses de la grand ville. Si les joutes avaient marqué l’apogée magique de son existence, il lui restait encore tant de choses à voir ! Les fêtes de la moisson, les bals masqués, les spectacles de pantomime… L’idée de perdre tout cela lui était intolérable. « Renvoyez Arya, c’est elle qui a commencé, Père, je le jure ! Moi, je serai douce et docile, vous verrez, laissez-moi seulement rester, je vous promets d’être aussi noble, aussi affable et distinguée que la reine… »

Une moue bizarre tordit la bouche de Père. « Ecoute un peu, Sansa. Si je vous renvoie, ce n’est pas pour vous être crêpé le chignon, bien que vos querelles incessantes m’assomment, les dieux le savent ! mais uniquement pour assurer votre sécurité. Alors qu’on m’a tué comme des chiens trois de mes hommes à deux pas d’ici, comment Robert réagit-il, je vous prie ? en partant chasser ! »

Selon sa manie répugnante, Arya se mâchouillait la lèvre. « Pourrons-nous emmener Syrio ?

— Si on s’en fiche, de ton absurde maître à danser ! explosa Sansa puis, comme illuminée : Mais, Père, à présent que j’y songe…, je ne saurais m’en aller, puisque je dois épouser le prince Joffrey ! » Tant bien que mal, elle se façonna un sourire héroïque. «Je l’aime, Père, vraiment, je l’aime, oh, je l’aime autant que la reine Naerys aimait le prince Aemon Chevalier-Dragon, autant que Jonquil aimait ser Florian…, je veux devenir sa reine et puis lui faire ses bébés !

— Ecoute un instant, ma douce, dit-il gentiment. Quand tu seras grande, nous te fiancerons à un grand seigneur digne en tous points de toi – fort, brave, magnanime et tout et tout. Jamais je n’aurais dû te promettre à Joffrey. Il n’a rien, crois-moi, de ton prince Aemon.

— Si,tout ! insista-t-elle, et c’est lui que je veux, pas quelqu’un de brave et de magnanime. Ensemble, nous serons tellement heureux, toujours, vous verrez, heureux comme dans les chansons… Et je lui donnerai un fils aux cheveux d’or et qui sera roi, un jour, de tout le royaume, le plus grand roi qui fut jamais, vaillant comme le loup-garou et fier comme le lion ! »

Arya grimaça. « Avec Joffrey pour père, sûrement pas ! c’est un menteur et un couard… Puis c’est un cerf, pas un lion. »

Les yeux de Sansa s’emplirent à nouveau de larmes. « Faux ! s’insurgea-t-elle et, emportée par son chagrin : Il n’a rien, tu m’entends ? rien de ce vieil ivrogne de roi !

— Bons dieux ! grommela Père, l’air comme abasourdi,… de la bouche des bambins… » Là-dessus, il héla Mordane puis dit à ses filles : « Une galère marchande vous ramènera chez nous. C’est le moyen le plus rapide, et, de nos jours, la grand-route est moins sûre que la mer. Le temps que je trouve le bon bâtiment, et vous embarquez, avec septa Mordane et des gardes comme auxiliaires…, ah, oui, ainsi que Syrio Forel, s’il y consent, naturellement. Mais ne soufflez mot de cela. Mieux vaut que personne n’ait vent de nos plans. Nous en reparlerons demain. »

Tout en redescendant sous la houlette de septa Mordane, Sansa pleurait à chaudes larmes la fin de son conte de fées. Fini les tournois, fini la Cour, fini son prince et tous les rêves, on allait tout lui retirer, tout, tout, on allait la renfermer dans ce lugubre Winterfell grisâtre et l’y emmurer pour jamais. Son existence s’achevait dès avant d’avoir débuté.

« Arrêtez donc de pleurnicher ! intima la nonne d’un ton sévère. Votre seigneur père sait pertinemment situer votre intérêt le mieux compris.

— Ce n’est pas si grave, Sansa, voulut la consoler sa sœur. Nous allons prendre une galère… – toute une aventure ! et puis nous retrouverons Bran et Robb, et Vieille Nan, et Hodor, et les autres… » Elle lui prit doucement le bras.

« Hodor! ricana Sansa, Hodor… – tu devrais l’épouser, tiens! Hirsute et bête et laide comme je te vois, vous serez parfaitement assortis ! » Se dégageant brutalement, sur ces entrefaites, elle se précipita dans sa chambre et s’y barricada.

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