Les bois foisonnaient de murmures.
Au creux de la vallée, la lune éclaboussait d’œillades les flots bondissants du torrent sur son lit rocheux. Les destriers, sous le couvert, renâclaient sourdement en frappant du sabot l’humus spongieux tapissé de feuilles, les hommes trompaient fébrilement leur impatience en blaguant tout bas. Et en permanence tintaient des piques, cliquetait la maille, mais sans produire elles-mêmes guère plus qu’un froufrou feutré.
« Cela ne devrait plus tarder, madame », chuchota Hallis Mollen. Il avait revendiqué l’honneur de la protéger, durant la bataille prochaine, et cet honneur lui revenant de droit en tant que capitaine des gardes de Winterfell, Robb avait consenti. Elle avait autour d’elle trente hommes chargés de veiller à sa sécurité et, au cas où les choses tourneraient mal, de la ramener saine et sauve à Winterfell. Son fils aurait souhaité en détacher cinquante, elle s’y était opposée, dix suffiraient, n’avait-il pas besoin de toutes ses épées ? Leur paix s’était faite à trente, mais de mauvais gré mutuel.
« Cela viendra à son heure », souffla-t-elle. Et, cela venu, la mort serait au rendez-vous. Celle de Hal, peut-être… ou sa propre mort, ou celle de Robb. Nul n’était à l’abri, nul assuré de vivre. Elle se contentait d’attendre, de tendre l’oreille aux murmures des bois par-dessus la rengaine étouffée du torrent, de laisser se jouer la brise tiède dans ses cheveux.
Attendre ? son lot de toujours, après tout. Elle avait passé sa vie à attendre ses hommes. « Guette mon retour, chaton », le refrain de Père à chacun de ses départs pour la Cour, la foire ou la guerre. Et elle guettait déjà, patiemment, là-haut, sur les remparts de Vivesaigues au bas desquels coulaient, coulaient, coulaient les flots mêlés de la Ruffurque et de la Culbute. Et il ne revenait pas toujours au jour dit, et les jours passaient, passaient bien souvent sans qu’elle cessât de monter sa veille aux créneaux, d’épier par les meurtrières jusqu’à la seconde où lui apparaissait, trottant là-bas le long des rives, lord Hoster sur son vieux hongre brun. « M’as-tu guetté ? demandait-il en se penchant pour l’étreindre, bien guetté, chaton ? »
Brandon Stark l’avait à son tour priée de l’attendre. « Je ne serai pas long, ma dame, avait-il promis. Et l’on nous mariera dès mon retour. » Et, finalement, le jour venu, c’est son frère, Eddard, qui se tenait près d’elle dans le septuaire…
Ned. Qui, au bout d’une petite quinzaine, l’avait lui aussi quittée, les lèvres fleuries de serments, pour aller guerroyer. La laissant néanmoins mieux que sur des paroles, la laissant attendre leur fils. Neuf lunes avaient crû, décru, et Robb était né, à Vivesaigues, alors que son père ferraillait encore dans le sud. Incertaine si Ned le verrait jamais, elle l’avait enfanté dans la douleur et le sang. Son fils, son fils a elle. Un si petit être, à l’époque…
Et voilà qu’elle l’attendait à nouveau, Robb…, qu’elle l’attendait à son tour, lui, lui et Jaime Lannister, le chevalier doré dont chacun s’accordait à dire qu’il n’avait jamais su s’imposer d’attendre, fût-ce un seul instant. Ser Brynden lui-même ayant décrit le Régicide comme « un fébrile, un irascible tout feu tout flammes », Robb s’était résolu à miser leurs vies et leur meilleur espoir de victoire sur la véracité de cette assertion.
Avait-il peur ? elle n’en décelait rien. Il circulait parmi les hommes, frappant l’épaule de celui-ci, plaisantant avec celui-là, aidant un troisième à calmer sa monture nerveuse. A chacun de ses mouvements tintait doucement son armure. Seule sa tête était nue. En épiant folâtrer la brise dans les mèches auburn si semblables aux siennes, sa mère s’étonnait de le retrouver soudain si grandi. Quinze ans, et déjà presque de sa taille à elle…
Faites qu’il grandisse encore davantage, implora-t-elle les dieux. Faites qu’il célèbre ses seize ans, ses vingt ans, ses cinquante. Faites qu’il devienne aussi grand que son père, faites qu’il serre un jour son propre fils dans ses propres bras. Je vous en prie, je vous en supplie, je vous en conjure. Et plus elle regardait ce grand jeune homme tout barbu de neuf que talonnait un loup-garou, plus elle s’abîmait à le contempler, moins elle pouvait s’empêcher de le revoir tel qu’il était à Vivesaigues, tant d’années plus tôt, minuscule et blotti contre sa poitrine.
A la seule pensée de Vivesaigues, elle frissonna, malgré la tiédeur de la nuit.Où sont-ils ? s’alarma-t-elle. Se pouvait-il qu’Oncle Brynden se fut abusé ? Tant de choses dépendaient de la pertinence de ses avis… ! Parti en éclaireur avec trois cents piques, il était revenu convaincu que Jaime ne se doutait de rien. « Ma tête à couper, là-dessus. Aucun oiseau ne lui est parvenu, mes archers s’y sont employés. Nous avons aperçu quelques-uns de ses patrouilleurs, mais ceux qui nous ont vus n’iront plus le lui rapporter. Il aurait dû se montrer moins ladre. Il n’est manifestement pas au courant.
— L’importance de son armée ? s’enquit Robb.
— Douze mille fantassins, mais éparpillés en trois camps autour du château, chacun coupé des autres par les rivières, répondit le Silure, avec le sourire en creux des vertes années. Le siège en règle de Vivesaigues exige ce dispositif, mais il va les perdre, soyez tranquilles. Deux ou trois mille cavaliers.
— Ce qui fait encore trois contre un…, observa Galbart Glover.
— Exact, mais ser Jaime a une lacune.
— A savoir ? demanda Robb.
— La patience. »
Leurs propres troupes s’étaient renforcées depuis le départ des Jumeaux. Lord Jason Mallister était venu de Salvemer les grossir des siennes à la hauteur des sources de la Bleufurque, et la chevauchée forcenée vers le sud avait tout du long rameuté de nouvelles recrues, chevaliers obscurs, hobereaux, soudards sans maître relancés naguère vers le nord par la cinglante débâcle d’Edmure sous les remparts de Vivesaigues. Et l’on avait brûlé les étapes, sans autre souci que de ne pas crever les chevaux, sans autre espoir que d’atteindre la place à l’insu de Jaime Lannister, de l’atteindre avant qu’il ne fût averti. Sous peu, maintenant, sonnerait l’heure décisive.
Sous l’œil de Catelyn, Robb se mit en selle. De deux ans plus âgé que lui, de dix plus jeune et plus anxieux, le fils de lord Frey, Olyvar, lui tenait la bride et, après avoir dûment arrimé le bouclier, lui tendit son heaume. Une fois celui-ci abaissé sur les traits bien-aimés, un grand chevalier campé sur un étalon gris supplanta l’enfant de sa chair. Il faisait sombre, sous les arbres, le clair de lune ne perçait guère les frondaisons. Aussi ne discerna-t-elle sous la visière, lorsque Robb se tourna de son côté, que du noir. « Il me faut parcourir les lignes, Mère. Père dit que l’on doit se montrer à ses hommes, avant la bataille.
— Alors, va, dit-elle. Qu’ils te voient.
— Pour leur donner du cœur au ventre », précisa-t-il.
Et qui me donnera du cœur au ventre, à moi ? se demanda-t-elle mais, sans mot dire, elle s’arracha un sourire pour lui. Le grand étalon gris pivota et, au pas, peu à peu, se détacha d’elle, Vent Gris dans son ombre, et, derrière, la garde rapprochée s’ébranla, se referma. En finissant par accepter les trente protecteurs qu’il lui imposait, elle avait insisté pour qu’il se fît protéger de même et obtenu l’approbation des bannerets. Sur ce, nombre de leurs fils réclamèrent l’honneur d’escorter celui qu’ils s’étaient pris à nommer le Jeune Loup. Des trente compagnons faisaient partie Torrhen Karstark et son frère, Eddard, Patrek Mallister et P’tit-Jon Omble, Daryn Corbois, Theon Greyjoy et rien moins que cinq des innombrables descendants de lord Walder Frey, ainsi que des hommes plus mûrs, tels Robin Flint et ser Wendel Manderly, et même une femme, Dacey Mormont, fille aînée de lady Maege et future dame de l’Ile-aux-Ours, grand échalas de six bons pieds qui s’était, à l’âge où la plupart des filles se voient offrir des poupées, vu affubler d’une masse d’armes. Le choix de tel ou tel de préférence à eux-mêmes ou aux leurs ne manqua pas d’aigrir certains seigneurs, mais Catelyn avait balayé leurs doléances. « L’enjeu est non pas le mérite de vos maisons respectives mais la vie et l’intégrité de mon fils. »
Non sans se redire a parte jusqu’à l’obsession : Et si l’on en vient là, trente y suffiront-ils ? Six mille y suffiront-ils ?
Un oiseau, quelque part, au loin, lança l’appel timide mais aigu d’un trille si vibrant qu’elle le sentit courir comme une main gelée le long de son échine. Un autre y répondit, puis un troisième, un quatrième, et cet appel, toutes ses années de Winterfell le lui avaient bien assez rendu familier… Grièches des neiges. Au plus fort de l’hiver, parfois, vous les aperceviez, quand sur le bois sacré s’appesantissaient blancheur et silence. Des oiseaux septentrionaux.
Ils viennent, songea-t-elle.
« Ils viennent, madame », chuchota Hal Mollen. Sa spécialité, vous assener les évidences. « Les dieux soient avec nous. »
Elle acquiesça d’un signe. Autour d’eux se reformait la poignante paix des bois. Elle entendait, dans le mutisme universel, avancer pas à pas, là-bas mais de plus en plus proche, l’inexorable, sous les espèces d’un piétinement nombreux de chevaux, d’un cliquetis d’armures, d’épées, de piques, d’une rumeur de voix humaines d’où fusait tantôt un rire, tantôt une imprécation.
Des éternités s’écoulèrent, sombrèrent successivement. Les bruits se faisaient plus distincts. Elle perçut davantage d’esclaffements, un rugissement impérieux, les gerbes d’éclaboussures du torrent que l’on traversait puis retraversait. Un cheval s’ébroua. Un homme jura. Et puis elle le vit enfin, lui…, ne fît que l’entrevoir, une infime fraction de seconde, à travers les branches, en bas, dans la vallée, mais elle sut que c’était lui. Impossible, même à distance, de confondre avec quiconque ser Jaime Lannister, bien que le clair de lune argentât les dorures de son armure et l’or de sa chevelure tout en noircissant l’écarlate de son manteau. Il ne portait pas de heaume.
Le temps de paraître, et il avait, tel un mirage éclatant, disparu, éteint, ravalé par l’ombre des arbres. D’autres le suivaient, de longues colonnes de chevaliers, de lames liges, de francs-coureurs. Quelque trois quarts de sa cavalerie.
« Il n’est pas homme à camper sous sa tente en attendant que ses charpentiers bâtissent des tours de siège, avait affirmé ser Brynden, Il a déjà conduit trois excursions de chevaliers pour détruire un fortin rétif et traquer les bandes qui l’asticotent. »
Avec un geste d’assentiment, Robb s’était penché sur les carres dressées par Oncle à son intention. Ned lui avait appris à les étudier, « Alors, vous allez me l’asticoterlà, dit-il, l’index planté sur l’une d’elles. Quelques centaines d’hommes, pas davantage. Bannières Tully. Quand il se sera jeté à vos trousses, nous, nous l’attendrons – son doigt se déplaça d’un pouce vers la gauche – ici. »
Ici. Un nid de silence bien feutré de feuilles et juché dans la nuit, le clair de lune et l’ombre en haut de versants bien touffus, bien drus qui, tout en s’éclaircissant peu à peu, dévalaient mollement jusqu’au bord des berges.
Ici, d’où son fils, bien en selle sur l’étalon gris, se retournait vers elle une dernière fois et, en guise de salut, levait son épée.
Ici, où, de l’amont, à l’est, leur parvenait à présent, roulant le long de la vallée, la longue sonnerie grave de cor par laquelle Maege Mormont leur signalait le referment de la trappe sur les derniers cavaliers de Jaime Lannister.
Et Vent Gris, la tête rejetée en arrière, se mit à hurler.
D’un hurlement qui frappa si violemment Catelyn Stark qu’elle se prit à grelotter. D’un hurlement d’autant plus terrible et terrifiant qu’il recélait une authentique musicalité. Un instant, elle éprouva quelque chose comme un semblant de compassion pour les Lannister, en bas. Ainsi donc, voilà comment cela sonne, la mort, se dit-elle.
HAArooooooooooooooooooooooooooooooo, répondit, depuis la colline opposée, le cor de Lard-Jon. A l’est et l’ouest, les trompes Mallister et Frey claironnèrent à leur tour vengeance. Du côté du nord, à l’endroit où, se resserrant, la vallée formait un coude presque à angle droit, celles de lord Karstark joignirent leurs voix graves et lugubres à ce sombre concert, tandis que du torrent montaient des ruades et des vociférations.
Or les bois murmurants parurent exhaler tout leur souffle d’une seule haleine lorsque les archers cachés par Robb sous les frondaisons décochèrent leurs flèches et que des ténèbres jaillit une éruption de cris d’hommes et de chevaux. Autour de Catelyn, les lances se levèrent et, la terre et les feuilles cessant d’en camoufler les cruelles pointes, l’acier se mit à miroiter crûment. Sur un nouveau soupir des flèches, elle entendit Robb clamer : « Winterfell ! » et, à la tête de ses hommes, s’élancer dans la pente, au trot, loin d’elle.
Alors, immobile en selle au cœur de sa garde et Hal Mollen à ses côtés, Catelyn attendit, attendit comme elle avait toujours attendu, attendu Père, attendu Brandon, attendu Ned. De son poste, presque en haut de la crête, elle ne pouvait, à cause des arbres, quasiment rien voir de ce qui se passait en contrebas. Le temps d’un, deux, quatre battements de cœur, et les bois semblèrent ne plus renfermer qu’elle-même et ses protecteurs. La verdure avait absorbé tous leurs compagnons.
En regardant toutefois juste en face, elle aperçut les cavaliers de Lard-Jon émerger du ténébreux couvert. Ils formaient une longue ligne, une ligne sans fin, mais réduite, et durant quoi ? moins d’une seconde, au flamboiement furtif des lances dans le clair de lune, un peu comme si des myriades de brins de saule panachés d’argent s’étaient échappés de la lisière vers le cours d’eau.
Elle cligna des paupières et, non, c’étaient là seulement des hommes se précipitant tuer, tuer ou mourir.
Après quoi, la bataille proprement dite, elle n’y assista point, n’en eut, répercuté par la vallée, que le spectre sonore. Le crac ! d’une lance brisée, le fracas des épées, les clameurs « Lannister ! », « Winterfell ! », « Tully ! », « Vivesaigues et Tully ! ». Aussi préféra-t-elle, après s’être vainement écarquillée, clore les paupières afin d’écouter mieux, et les combats se firent, dès lors, aussi vivants que s’ils se fussent déroulés à l’entour immédiat. Les sabots labouraient le sol juste à ses côtés, juste à ses côtés rejaillissait l’eau des gués sous les bottes de fer, elle percevait avec une effroyable netteté le vacarme ligneux des lames heurtant les boucliers, le crissement de l’acier sur l’acier, le sifflement des flèches, le grondement des tambours, la terreur panique de mille chevaux. C’est à ses pieds mêmes que des hommes vociféraient, sacraient, imploraient merci et l’obtenaient – ou pas –, vivaient – ou mouraient. Les crêtes environnantes semblaient se complaire en combinaisons bizarres de bruits et d’échos fallacieux. Une fois, elle entendit, aussi distinctement que s’il s’était trouvé à deux pas d’elle, la voix de Robb appelant : « A moi ! A moi ! » Et elle entendit Vent Gris grogner, gronder, elle entendit ses longs crocs happer une chair et la déchirer, tandis qu’une bête et son cavalier mêlaient leurs cris de douleur et d’horreur. N’y avait-il qu’un seul loup ? difficile de l’affirmer…
Peu à peu cependant s’amenuisait le vacarme et, lorsqu’il s’éteignit enfin, le loup semblait seul maître du terrain, qui se reprit à hurler comme l’aurore empourprait peu à peu l’orient.
Quand reparut Robb, il montait non plus son étalon gris mais un hongre pie. Sur son bouclier, l’effigie du loup se révélait passablement déchiquetée. Mais si de profondes entailles avaient mis à nu le cœur du chêne, Robb lui-même paraissait intact. De plus près, toutefois, Catelyn repéra le sang noir qui maculait son gantelet de mailles et lu manche de son surcot. « Tu es blessé… »
Il leva la main, ouvrit, reploya les doigts. « Non, dit-il. C’est… le sang de Torrhen, peut-être, ou… » Il secoua la tête. « J’ignore au juste. »
Derrière lui remontaient, crasseux, cabossés, contents, des tas et des tas d’hommes. A leur tête cheminaient Theon et le Lard-Jon, traînant entre eux ser Jaime Lannister qu’ils jetèrent aux pieds du cheval de Catelyn Stark. « Le Régicide », crut devoir spécifier Hal.
Lannister releva la tête. « Lady Stark », dit-il à deux genoux. D’une balafre en travers du crâne dégoulinait le sang sur l’une de ses joues, mais les premières lueurs de l’aube suffisaient à redorer l’or de sa chevelure. « Je vous offrirais volontiers mon épée, mais je l’ai, semble-t-il, égarée.
— Ce n’est pas votre épée que je veux, ser. Donnez-moi mon frère. Donnez-moi mes filles. Donnez-moi mon seigneur et maître.
— Je crains de les avoir également égarés.
— Dommage, répliqua-t-elle froidement.
— Tue-le, Robb, intervint Greyjoy d’un ton pressant. Fais sauter sa tête.
— Non, trancha celui-ci tout en retirant son gant ensanglanté. Il nous est plus utile vivant que mort. Et le seigneur mon père a toujours réprouvé le meurtre des captifs après la bataille.
— Ce qui est d’un sage, approuva ser Jaime, et d’un homme d’honneur.
— Emmenez-le et mettez-le aux fers, proféra Catelyn.
— Faites comme le dit dame ma mère, ordonna Robb, et assurez-vous qu’il soit fortement gardé. Lord Karstark va souhaiter voir sa tète sur une pique.
— Et comment ! tonitrua le Lard-Jon en gesticulant, pendant que l’on emmenait panser puis enchaîner Lannister.
— Et pourquoi lord Karstark voudrait-il sa mort ? » s’informa Catelyn.
Le regard de Robb se perdit du côté des bois. Un regard sombre et méditatif qu’il tenait de Ned. « Il… il les a tués de sa main…
— Les fils de lord Karstark, expliqua Galbart Glover.
— Les deux, reprit Robb. Eddard et Torrhen. Ainsi que Daryn Corbois.
— Nul ne saurait contester sa bravoure ou la lui reprocher, déclara Glover. Quand il s’est vu perdu, il a rallié ses gens pour remonter coûte que coûte vers le nord et, si possible, atteindre lord Robb et le jeter bas. Il a bien failli, d’ailleurs…
— Son épée, il l’a égarée dans la nuque d’Eddard Karstark, après avoir tranché la main de Torrhen et fendu le crâne à Daryn Corbois, dit Robb. Et il ne cessait, entre-temps, de hurler mon nom. Si tous trois n’avaient tenté de l’arrêter…
— …c’est moi qui pleurerais, et non lord Karstark, acheva sa mère. Tes hommes ont tenu leur serment, Robb. Ils sont morts en protégeant leur suzerain. Porte leur deuil. Rends hommage à leur valeur. Mais pas maintenant. Le loisir te manque pour t’affliger. Tu as eu beau trancher la tête du serpent, les trois quarts de son corps persistent à étrangler le château de mon père. Nous avons gagné une bataille, pas la guerre.
— Maisquelle bataille, madame ! s’embrasa Theon Greyjoy. Le royaume n’a pas vu de victoire comparable depuis celle du Champ de Feu. Parole ! Les Lannister ont perdu dix fois plus d’hommes que nous, ce matin. Nous avons fait prisonniers près d’une centaine de chevaliers et dix ou douze bannerets, dont lord Westerling, lord Banefort, ser Garth Verchamps, lord Estren, Mallor le Dornien, ser Tytos Brax… et, madame, et ! en plus de Jaime, trois Lannister, les propres neveux de lord Tywin, deux des fils de sa sœur et un de l’un de ses défunts frères, n’est-ce…
— Et lord Tywin ? coupa Catelyn, auriez-vous d’aventure pris lord Tywin, Theon ?
— Non, confessa-t-il, pris de court.
— Alors, la guerre est loin d’être terminée. »
Robb releva la tête, repoussa les mèches qui lui tombaient sur les yeux. « Ma mère a raison. Vivesaigues nous attend toujours. »