Notes

1

L’Église n’a jamais imposé de législation fixe ou uniforme au rituel du mariage et s’est plutôt contentée d’entériner des usages particuliers.

La diversité des rites et la tolérance de l’Église à leur égard reposent sur le fait que le mariage est par essence un contrat entre individus et un sacrement dont les contractants sont l’un envers l’autre mutuellement les ministres. La présence du prêtre, et même de tout témoin, n’était nullement requise dans les églises chrétiennes primitives. La bénédiction n’est devenue obligatoire qu’à partir d’un décret de Charlemagne. Jusqu’à la réforme du Concile de Trente au XVIème siècle, les fiançailles, par leur caractère d’engagement, avaient presque autant d’importance que le mariage lui-même.

Chaque région avait ses usages particuliers qui pouvaient varier d’un diocèse à un autre. Ainsi le rite de Hereford était différent du rite d’York. Mais de façon générale l’échange de vœux constituant le sacrement proprement dit avait lieu en public à l’extérieur de l’église. Le roi Édouard Ier épousa de la sorte Marguerite de France, en septembre 1299, à la porte de la cathédrale de Canterbury. L’obligation faite de nos jours de tenir ouvertes les portes de l’église pendant la cérémonie du mariage, et dont la non-observance peut constituer un cas d’annulation, est une précise survivance de cette tradition.

Le rite nuptial de l’archidiocèse d’York présentait certaines analogies avec celui de Reims, en particulier en ce qui concernait l’application successive de l’anneau aux quatre doigts, mais à Reims le geste était accompagné de la formule suivante:

Par cet anel l’Église enjoint:

Que nos deux cœurs en ung soient joints

Par vray amour, loyale foy;

Pour tant je te mets en ce doy.

2

Après l’annulation de son mariage avec Blanche de Bourgogne (voir notre précédent volume: La Louve de France), Charles IV avait épousé successivement Marie de Luxembourg, morte en couches, puis Jeanne d’Évreux. Celle-ci, nièce de Philippe le Bel par son père Louis de France comte d’Évreux, était également nièce de Robert d’Artois par sa mère Marguerite d’Artois, sœur de Robert.

3

Par un traité conclu à la fin de 1327, Charles IV avait échangé le comté de la Marche, constituant précédemment son fief d’apanage, contre le comté de Clermont en Beauvaisis que Louis de Bourbon avait hérité de son père, Robert de Clermont. C’est à cette occasion que la seigneurie de Bourbon avait été élevée en duché.

4

Cette année 1328 fut pour Mahaut d’Artois une année de maladie. Les comptes de sa maison nous apprennent qu’elle dut se faire saigner le surlendemain de ce conseil, 6 février 1328, et encore les 9 mai, 18 septembre et 19 octobre.

5

Un chapeau d’or: terme employé au Moyen Âge concurremment à celui de couronne. Également en orfèvrerie, doigt signifiait: bague.

6

Pierre Roger, précédemment abbé de Fécamp, avait fait partie de la mission chargée des négociations entre la cour de Paris et la cour de Londres, avant l’hommage d’Amiens. Il fut nommé au diocèse d’Arras le 3 décembre 1328 en remplacement de Thierry d’Hirson; puis il fut successivement archevêque de Sens, archevêque de Rouen; et, enfin, élu pape en 1342 à la mort de Benoît XII, il régna sous le nom de Clément VI.

7

Jusqu’au XVIème siècle, les grands miroirs, pour s’y voir en buste ou en pied, n’existaient pas; on ne disposait que de miroirs de petites dimensions destinés à être pendus ou posés sur les meubles, ou encore de miroirs de poche. Ils étaient soit de métal poli, comme ceux de l’Antiquité, soit, et seulement depuis le XIIIème siècle, constitués par une plaque de verre derrière laquelle une feuille d’étain était appliquée à la colle transparente. L’étamage des glaces avec un amalgame de mercure et d’étain ne fut inventé qu’au XVIème siècle.

8

Cet hôtel de la Malmaison, de dimensions palatiales, devait devenir par la suite l’Hôtel de ville d’Amiens.

9

On nomme hortillonnages des cultures maraîchères qui se pratiquaient, et se pratiquent toujours, dans la large vallée marécageuse de la Somme, aménagée, selon un procédé et un aspect très particuliers, pour le maraîchage.

Ces jardins, artificiellement créés en surélevant le sol à l’aide du limon dragué dans le fond de la vallée, sont sillonnés de canaux qui drainent l’eau du sous-sol, et sur lesquels les maraîchers, ou hortillons, se déplacent dans de longues barques noires et plates, poussées à la perche, et qui les amènent jusqu’au Marché d’Eau dans Amiens.

Les hortillonnages couvrent un territoire de près de trois cents hectares. L’origine latine du nom (hortus: jardin) permet de supposer que ces cultures datent de la colonisation romaine.

10

On appelait princes à fleur de lis tous les membres de la famille royale capétienne, parce que leurs armes étaient constituées d’un semé de France (d’azur semé de fleurs de lis d’or) avec une bordure variant selon leurs apanages ou fiefs.

11

Guillaume de la Planche, bailli de Béthune, puis de Calais, se trouvait en prison pour l’exécution hâtive d’un certain Tassard le Chien, qu’il avait, de sa propre autorité, condamné à être traîné et pendu.

La Divion était venu le voir en sa prison et elle lui avait promis que, s’il témoignait dans le sens qu’elle lui indiquait, le comte d’Artois le tirerait d’affaire en faisant intervenir Miles de Noyers. Guillaume de la Planche, lors de la contre-enquête, se rétracta et déclara qu’il n’avait déposé que «par peur des menaces et par doute de demeurer très longtemps et de mourir en prison, s’il refusait d’obéir à Monseigneur Robert qui était si grand, si puissant et si avant environ le roi».

12

Mesquine ou meschine (du wallon eskène, ou méquène en Hainaut, ou encore, en provençal, mesquin) signifiant: faible, pauvre, chétif, ou misérable, était le qualitatif généralement appliqué aux servantes.

13

En juin 1320, Mahaut avait fait marché avec Pierre de Bruxelles, peintre demeurant à Paris, pour la décoration à fresques de la grande galerie de son château de Conflans, situé au confluent de la Marne et de la Seine. L’accord indiquait très précisément les sujets de ces fresques — portraits du comte Robert II et de ses chevaliers en batailles de terre et de mer — les vêtements que devaient porter les personnages, les couleurs, et la qualité des matériaux utilisés.

Les peintures furent achevées le 26 juillet 1320.

14

Ces recettes de sorcellerie, dont l’origine remonte au plus haut Moyen Âge, étaient encore utilisées du temps de Charles IX et même sous Louis XIV; certains assurèrent que la Montespan se prêta à la préparation de telles pâtes conjuratoires. Les recettes de la composition des philtres d’amour, qu’on lira plus loin, sont extraites des recueils du Petit ou du Grand Albert.

15

Nous rappelons qu’après un emprisonnement de onze ans à Château-Gaillard, Blanche de Bourgogne fut transférée au château de Gournay, près Coutances, pour prendre enfin le voile à l’abbaye de Maubuisson où elle mourut en 1326. Mahaut, sa mère, devait être elle-même inhumée à Maubuisson; ses restes ne furent transférés que plus tard à Saint-Denis où se trouve toujours son gisant, le seul, à notre connaissance, qui soit fait de marbre noir.

16

De la Chandeleur de 1329 jusqu’au 23 octobre, Mahaut semble avoir été en excellente santé et n’avoir eu à faire que très peu appel à ses médecins ordinaires. Du 23 octobre, date de son entrevue avec Philippe VI à Maubuisson, jusqu’au 26 novembre, veille de sa mort, on peut suivre presque jour par jour l’évolution de sa maladie, grâce aux paiements faits par son trésorier aux mires, physiciens, barbiers, herbière, apothicaires et espiciers, pour leurs soins ou leurs fournitures.

17

Le premier des douze enfants d’Édouard III et de Philippa de Hainaut, Édouard de Woodstock, prince de Galles, qu’on appela le Prince Noir, à cause de la couleur de son armure.

C’est lui qui devait remporter la victoire de Poitiers sur le fils de Philippe VI de Valois, Jean II, et faire ce dernier prisonnier.

Au cours d’une existence de grand chef de guerre, il vécut surtout sur le Continent, fut l’un des personnages dominants des débuts de la guerre de Cent Ans, et mourut un an avant son père, en 1376.

18

Le texte original du jugement de Roger Mortimer fut rédigé en français.

19

Les Common Gallows de Londres (le Montfaucon des Anglais), où étaient exécutés la plupart des condamnés de droit commun, étaient situés en bordure des bois de Hyde Park, au lieu appelé Tyburn, et qu’occupe actuellement Marble Arch. Pour y parvenir, depuis la Tour, il fallait donc traverser tout Londres, et sortir de la ville. Ce gibet fut utilisé jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. Une plaque discrète en signale l’emplacement.

20

La reine Jeanne la Boiteuse était coutumière de pareils méfaits et lorsqu’elle avait pris en détestation l’un des amis, conseillers ou serviteurs de son époux, usait des pires moyens pour assouvir sa haine.

Ainsi, voulant se débarrasser du maréchal Robert Bertrand, dit le Chevalier au Vert Lion, elle adressa au prévôt de Paris une lettre «de par le roi» lui ordonnant d’arrêter le maréchal pour trahison, et de l’envoyer pendre sur-le-champ au gibet de Montfaucon. Le prévôt était l’intime ami du maréchal; cet ordre soudain que n’avait précédé aucune action de justice le stupéfia; au lieu de conduire Robert Bertrand à Montfaucon, il l’emmena d’urgence trouver le roi, lequel leur fit le meilleur accueil, embrassa le maréchal et ne comprit rien à l’émoi de ses visiteurs. Quand ils lui montrèrent l’ordre d’arrestation, il reconnut aussitôt que l’ordre venait de sa femme et il enferma celle-ci, dit le chroniqueur, dans une chambre où il la battit à coups de bâton et tellement «qu’il s’en fallut de peu qu’il la tuât».

L’évêque Jean de Marigny faillit lui aussi être victime des criminelles manœuvres de la Boiteuse. Il lui avait déplu et ne le savait pas. Il revenait d’une mission en Guyenne; la reine feint de l’accueillir avec de grandes effusions d’amitié et pour le défatiguer lui fait préparer un bain au Palais. L’évêque d’abord refuse, n’en voyant pas l’urgente nécessité; mais la reine insiste, lui disant que son fils Jean, le duc de Normandie (le futur Jean II), va se baigner également. Et elle l’accompagne aux étuves. Les deux bains sont prêts; le duc de Normandie, par mégarde ou indifférence, se dirige vers le bain destiné à l’évêque et s’apprête à y entrer, quand sa mère, brusquement, l’en empêche, donnant des signes d’affolement. On s’étonne. Jean de Normandie, qui était fort ami de Marigny, flaire un piège, prend un chien qui rôdait là et le jette dans la cuve; le chien meurt aussitôt. Le roi Philippe VI, quand l’incident lui fut raconté, à nouveau enferma sa femme et la roua «à coup de torches».

Quant à l’hôtel de Nesle, il lui avait été donné par son mari en 1332, c’est-à-dire deux ans après que celui-ci eut acheté l’hôtel aux exécuteurs testamentaires de la fille de Mahaut, Jeanne de Bourgogne la Veuve, qui le tenait elle-même de son époux Philippe V.

En exécution d’une clause du testament de Jeanne la Veuve, le produit de la vente, mille livres en espèces plus un revenu de deux cents livres, servit à la fondation et à l’entretien d’une maison d’écoliers installée dans une dépendance de l’hôtel. C’est là l’origine du célèbre Collège de Bourgogne; c’est également la cause de la confusion qui s’est établie, dans la mémoire populaire, entre les deux belles-sœurs, Marguerite et Jeanne de Bourgogne.

Les débauches d’écoliers qu’on attribua à Marguerite, et qui n’existèrent jamais que dans la légende, trouvent là leur explication.

21

Fautre, ou faucre: crochet fixé au plastron de l’armure et destiné à y appuyer le bois de la lance et à en arrêter le recul au moment du choc. Le fautre était fixe jusqu’à la fin du XIVème siècle; on le fit ensuite à charnière ou à ressort pour remédier à la gêne que causait cette saillie dans les combats à l’épée.

22

Ce séjour secret d’Édouard III en France dura quatre jours, du 12 au 16 avril 1331, à Saint-Christophe-en-Halatte.

23

Le roi d’armes, personnage qui avait des fonctions d’ordonnateur, présidait à toutes les formalités du tournoi.

24

La compagnie des Tolomei, comme nous l’avons dit précédemment, était la plus importante des compagnies siennoises, après celle des Buonsignori. Sa fondation remontait à Tolomeo Tolomei, ami ou tout au moins familier d’Alexandre III, pape de 1159 à 1181, lui-même siennois, et qui fut l’adversaire de Frédéric Barberousse. Le palais Tolomei à Sienne fut édifié en 1205. Les Tolomei furent souvent les banquiers du Saint-Siège; ils établirent leurs filiales en France vers le milieu du XIIIème siècle, d’abord autour des foires de Champagne, puis en créant de nombreux comptoirs, dont celui de Neauphle, avec une maison principale à Paris.

Au moment des ordonnances de Philippe VI, et quand de nombreux négociants italiens furent emprisonnés pendant trois semaines pour ne recouvrer leur liberté qu’au prix de versements considérables, les Tolomei partirent subrepticement, emportant toutes les sommes déposées chez eux soit par d’autres compagnies italiennes, soit par leurs clients français, ce qui créa d’assez sérieuses difficultés au Trésor.

25

Ces «remontrances» avaient été poussées fort loin puisque Jean de Luxembourg, pour complaire à Philippe VI, avait monté une coalition et menacé le duc de Brabant d’envahir ses terres. Le duc de Brabant préféra expulser Robert d’Artois, mais non sans avoir, à cette occasion, négocié une opération fructueuse: le mariage de son fils aîné avec la fille du roi de France. Jean de Bohême, de son côté, fut remercié de son intervention par la conclusion du mariage de sa fille Bonne de Luxembourg avec l’héritier de France, Jean de Normandie.

26

Le 2 octobre 1332. Le serment demandé par Philippe VI à ses barons était un serment de fidélité au duc de Normandie «qui droit hoir et droit sire doit être du royaume de France». N’étant pas héritier direct de la couronne et n’ayant reçu celle-ci que par choix des pairs, Philippe VI revenait aux coutumes de la monarchie élective, celle des premiers Capétiens.

27

Jean Buridan, né vers 1295 à Béthune en Artois, était disciple d’Occam. Son enseignement philosophique et théologique lui valut une immense réputation; il devint à trente ou trente-deux ans recteur de l’Université de Paris. Sa controverse avec le vieux pape Jean XXII, et le schisme qu’elle faillit entraîner, accrurent encore sa célébrité. Il devait, dans la seconde partie de sa vie, se retirer en Allemagne où il enseigna principalement à Vienne. Il mourut en 1360.

Le rôle que l’imagination populaire lui prêta dans l’affaire de la tour de Nesle est de pure fantaisie et n’apparaît d’ailleurs que dans des récits de deux siècles postérieurs.

28

On relève, dans les comptes du trésorier de l’Échiquier, pour les seuls premiers mois de 1337: en mars, un ordre de payer deux cents livres à Robert d’Artois comme don du roi; en avril, un don de trois cent quatre-vingt-trois livres, un autre de cinquante-quatre livres, et l’octroi des châteaux de Guilford, Wallingford et Somerton; en mai, l’attribution d’une pension annuelle de douze cents marcs esterlins; en juin, le remboursement de quinze livres dues par Robert à la Compagnie des Bardi, etc.

29

L’imagination du romancier hésiterait devant pareille coïncidence, qui semble vraiment trop grossière et volontaire, si la vérité des faits ne l’y obligeait. D’avoir été le lieu où fut présenté le défi d’Édouard III, acte qui ouvrit juridiquement la guerre de Cent Ans, ne termine pas d’ailleurs l’étrange destin de l’hôtel de Nesle.

Le connétable Raoul de Brienne, comte d’Eu, habitait l’hôtel de Nesle lorsqu’il fut arrêté en 1350 par ordre de Jean le Bon pour être condamné à mort et décapité.

L’hôtel fut encore le séjour de Charles le Mauvais, roi de Navarre (le petit-fils de Marguerite de Bourgogne), qui prit les armes contre la maison de France.

Plus tard, Charles VI le Fou devait le donner à sa femme, Isabeau de Bavière, qui livra par traité la France aux Anglais en dénonçant son propre fils, le dauphin, comme adultérin.

À peine l’hôtel fut-il donné à Charles le Téméraire par Charles VII que ce dernier mourut, et que le Téméraire entra en conflit avec le nouveau roi Louis XI.

François Ier céda une partie des bâtiments à Benvenuto Cellini; puis Henri II y fit installer un atelier pour la fabrication des pièces de monnaie, et la Monnaie de Paris est toujours à cet emplacement. On voit par là l’ampleur qu’avait l’ensemble du terrain et des édifices.

Charles IX, pour pouvoir payer ses gardes suisses, fit mettre en vente l’hôtel et la Tour qui furent acquis par le duc de Nevers, Louis de Gonzague; celui-ci les fit raser pour édifier à la place l’hôtel de Nevers.

Enfin Mazarin se rendit acquéreur de l’hôtel de Nevers pour le démolir et le remplacer par le Collège des Quatre Nations, qui subsiste toujours: c’est le siège aujourd’hui de l’Institut de France.

30

La reine Isabelle devait vivre encore vingt ans, mais sans reprendre jamais aucune participation aux affaires de son siècle. La fille de Philippe le Bel mourut le 23 août 1358, au château de Hertford, et son corps fut inhumé en l’église des franciscains de Newgate à Londres.

31

En dépit des luttes politiques, émeutes, rivalités entre les classes sociales ou avec les cités voisines qui sont le lot commun des républiques italiennes à cette époque, Sienne connut au XIVème siècle sa grande période de prospérité et de gloire, autant pour ses arts que pour son commerce. Entre l’occupation de la ville par Charles de Valois en 1301 et sa conquête en 1399 par Jean Galeazzo Visconti, duc de Milan, le seul malheur véritable qui s’abattit sur Sienne fut l’épidémie de peste de 1347–1348.

32

Tout le temps qu’il passa en Avignon, Pétrarque ne cessa d’exhaler, avec un rare talent de pamphlétaire, sa haine contre cette ville. Ses lettres, où il faut faire la part de l’exagération poétique, nous ont laissé une saisissante peinture d’Avignon au temps des papes.

«… J’habite maintenant, en France, la Babylone de l’Occident, tout ce que le soleil voit de plus hideux, sur les bords du Rhône indompté qui ressemble au Cocyte ou à l’Achéron du Tartare, où règnent les successeurs, jadis pauvres, du pêcheur, qui ont oublié leur origine. On est confondu de voir, au lieu d’une sainte solitude, une affluence criminelle et des bandes d’infâmes satellites répandus partout; au lieu de jeûnes austères, des festins pleins de sensualité; au lieu de pieuses pérégrinations, une oisiveté cruelle et impudique; au lieu des pieds nus des apôtres, les coursiers rapides des voleurs, blancs comme la neige, couverts d’or, logés dans l’or, rongeant de l’or, et bientôt chaussés d’or. Bref, on dirait les rois des Perses ou des Parthes, qu’il faut adorer et qu’il n’est pas permis de visiter sans leur offrir des présents…»

(Lettre V)


«… Aujourd’hui Avignon n’est plus une ville, c’est la patrie des larves et des lémures; et pour le dire en un mot, c’est la sentine de tous les crimes, et de toutes les infamies; c’est cet enfer des vivants signalé par la bouche de David…»

(Lettre VIII)


«… Je sais par expérience qu’il n’y a là aucune pitié, aucune charité, aucune foi, aucun respect, aucune crainte de Dieu, rien de saint, rien de juste, rien d’équitable, rien de sacré, enfin rien d’humain… Des mains douces, des actes cruels; des voix d’anges, des actes de démons; des chants harmonieux, des cœurs de fer…»

(Lettre XV)


«… C’est le seul endroit de la terre où la raison n’a aucune place, où tout se meurt sans réflexion et au hasard, et parmi toutes les misères de cet endroit, dont le nombre est infini, le comble de la déception c’est que tout y est plein de glu, de grappins, en sorte que, quand on croit s’échapper on se trouve enlacé et enchaîné plus étroitement. En outre il n’y a là ni lumière ni guide… Et, pour employer le mot de Lucain, «une nuit noire de crimes» Vous ne diriez pas un peuple, mais une poussière que le vent fait tournoyer…»

(Lettre XVI)


«… Satan regarde en riant ce spectacle et prend plaisir à cette danse inégale, assis comme arbitre entre ces décrépits et ces jeunes filles… Il y avait dans le nombre (des cardinaux) un petit vieillard capable de féconder tous les animaux; il avait la lascivité d’un bouc ou s’il y a quelque chose de plus puant qu’un bouc. Soit qu’il eût peur des rats ou des revenants, il n’osait pas dormir seul. Il trouvait qu’il n’y a rien de plus triste et de plus malheureux que le célibat. Il célébrait tous les jours un nouvel hymen. Il avait depuis longtemps dépassé la soixante-dixième année et il lui restait tout au plus sept dents…»

(Lettre XVIII)

(Pétrarque, Lettres sans titre, à Cola de Rienzi, tribun de Rome, et à d’autres.)

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