12.

Elena fit lentement tournoyer sa robe devant le grand miroir de sa tante. Margaret, assise par terre contre le grand lit, regardait sa sœur, les yeux écarquillés d’admiration.

— Moi aussi je veux une robe comme toi quand je dirai « La bourse ou la vie ».

— Tu es bien plus mignonne avec ton costume de petit chat blanc… , affirma Elena en l’embrassant entre ses deux oreilles de velours.

Elle se tourna vers tante Judith, qui tenait une aiguille et un fil.

— Elle est parfaite, dit celle-ci. Il n’y a rien à retoucher.

Sa robe était une réplique exacte de celle trouvée dans son livre. Elena avait les épaules dénudées et la taille enserrée dans un corset qui en soulignait la finesse ; ses manches de sa robe étaient fendues de façon à laisser deviner la soie crème de la chemise en dessous, et la longue jupe bouffante balayait le sol dans un bruissement d’étoffe.

La pendule indiquait 18 h 55.

— Stefan ne devrait pas tarder à arriver, dit Elena.

Judith jeta un coup d’œil par la fenêtre.

— D’ailleurs, je crois bien que c’est sa voiture, en bas. Je descends lui ouvrir.

— Non, laisse, j’y vais. Allez, bonne soirée ! Amuse-toi bien, Margaret !

Elle se précipita dans l’escalier dans un grand état de stress. Elle avait l’impression de revivre l’instant où elle avait parlé à Stefan pour la première fois. Elle espérait que ça se passerait mieux, cette fois. Pourtant, un doute faisait faiblir les espoirs qu’elle avait mis dans cette soirée.

Si l’osmose ne revenait pas entre eux ce soir-là, tout serait fini…

Elle lui ouvrit la porte sans oser le regarder tout de suite. Mais, comme il ne disait rien, elle finit par lever les yeux, et sentit son cœur défaillir. Il était stupéfait, certes, mais ce n’était pas d’émerveillement. Il était sous le choc.

— Tu n’aimes pas ma robe… , murmura-t-elle.

Elle avait les larmes aux yeux.

Il se reprit aussitôt, comme toujours, en secouant la tête.

— Non, elle te va très bien… pourtant, il restait planté là comme s’il venait de voir un fantôme, Elena espérait qu’il allait enfin la prendre dans ses bras et l’embrasser. En vain.

— Toi, tu es très beau, chuchota-t-elle. En effet, son costume et sa cape, qu’il portait avec aisance, étaient très élégants. À la surprise d’Elena, il avait accepté de se déguiser ; l’idée avait même semblé l’amuser.

— On y va ? demanda-t-il ?

Elena le suivit jusqu’à sa voiture, complètement refroidie : elle avait abandonné l’idée de le reconquérir un jour, lundis qu’ils roulaient vers le lycée, le tonnerre se mit à fonder, accompagné d’éclairs zébrant le ciel. L’air était surchargé d’électricité, et les nuages noirs et bas prêts à éclater. Ce temps sinistre, un peu surnaturel, était idéal pour la soirée d’Halloween, mais il ne faisait qu’accentuer le pressentiment désagréable d’Elena. Le dîner muet chez Bonnie lui avait fait perdre toute envie d’être de nouveau confrontée à une situation anormale.

Cela lui fit songer qu’elle n’avait toujours pas retrouvé son journal intime, malgré les recherches entreprises avec Bonnie et Meredith. L’idée qu’un inconnu lise ses pensées les plus intimes la révulsait. Car il était bien évident que son journal avait été volé, ce qui n’était pas étonnant étant donné les nombreuses allées et venues ce soir-là. N’importe qui avait pu s’introduire dans la maison. … Elena avait des idées de meurtre à rencontre du voleur. D’ailleurs, elle ne pouvait s’empêcher de penser à cet inconnu à qui elle avait failli céder une nouvelle fois .C’était sûrement lui.

En descendant de la voiture, elle tenta de chasser ses préoccupations. À l’intérieur du gymnase, tous s’affairaient à régler les derniers détails avant l’arrivée des visiteurs. Dès qu’Elena entra, un petit groupe vint à sa rencontre : elle réalisa avec un léger frisson qu’elle ne reconnaissait pas la moitié d’entre eux. Il y avait là plusieurs zombies dont la chair à vif laissait voir les mâchoires grimaçantes ; un bossu horriblement déformé avait rampé dans sa direction, accompagné d’un cadavre ambulant, d’un loup-garou au museau ensanglanté et d’une sorcière à l’allure sinistre. Tous venaient lui rapporter les problèmes qui avaient surgi depuis le début des préparatifs. Elena se tourna d’abord vers la sorcière, dont le dos de la robe moulante disparaissait sous une masse de cheveux noirs.

— Qu’est-ce qu’il y a, Meredith ?

— Lyman est malade : quelqu’un s’est arrangé pour le faire remplacer par Tanner…

— Quoi ? ? s’écria Elena, scandalisée.

— Oui, et il a déjà fait des histoires. Bonnie est en train de péter les plombs… Tu ferais mieux de venir voir.

Elena la suivit dans le dédale des pièces de la Maison Hantée. Elles traversèrent la Salle de Torture, lugubre à souhait, puis la Salle du Tueur Fou, qui, d’après elle, était bien trop réussie : même en pleine lumière, elle lui donnait des sueurs froides. Elles parvinrent enfin à la Salle de la Druidesse, à l’extrémité du gymnase. Les monolithes en carton qui la décoraient étaient d’un bel effet, mais la jolie prêtresse en aube blanche, une couronne de laurier sur la tête, semblait au bord de la crise de nerfs.

— Il n’y a pas à discuter, vous devez avoir du sang partout… Ça fait partie de la scène.

— Je veux bien encore porter cette espèce de chemise de nuit, toute ridicule qu’elle est, mais m’asperger de sauce tomate, ah, ça, non !

— Mais c’est juste sur le vêtement qu’il faut en mettre, pas sur vous ! C’est parce que je vous sacrifie, ajouta-t-elle dans l’espoir de le convaincre.

— De toute façon, j’ai quelques doutes sur la véracité de telles pratiques. Contrairement à ce que tout le monde dit, les druides ne sont pas contemporains des monolithes. Le site de Stonehenge, que vous essayez pitoyablement de recréer ici, remonte aux peuples de l’âge du bronze, qui…

— Monsieur Tanner, interrompit Elena. Ce n’est pas la question.

— Pour vous, non, bien sûr. C’est d’ailleurs pour cette raison que vous et votre camarade névrosée êtes si peu douées pour l’histoire.

— Ce commentaire est totalement déplacé, objecta une voix.

— Monsieur Salvatore, soupira M. Tanner à l’intention de Stefan, apparu derrière Elena. Avez-vous d’autres remarques du même genre ou préférez-vous tout de suite me coller un œil au beurre noir ?

Il toisa le jeune homme, calme et immobile dans son beau costume. En les voyant tous les deux face à face Elena réalisa pour la première fois que M. Tanner n’était pas beaucoup plus vieux qu’eux. Il faisait plus âgé, à cause de sa calvitie précoce, mais sans doute n’avait-il que vingt-cinq ou vingt-six ans. Elle se souvint alors du costume mal coupé qu’il portait lors de la soirée de la rentrée : il n’avait peut-être pas eu les moyens, à leur âge, d’aller aux soirées d’Halloween.

Elle éprouva soudain de la sympathie pour lui.

D’ailleurs, Stefan avait peut-être eu la même pensée, car, bien que nez à nez avec le petit homme, il répondit calmement :

— Pas du tout. Je pense juste que cette histoire prend des proportions exagérées… Pourquoi ne pas…

Le reste de ses paroles se perdirent dans un murmure inaudible, mais Stefan semblait s’exprimer posément, et Tanner l’écoutait attentivement. Elena s’adressa aux fantômes, au loup-garou, au gorille et au bossu regroupés autour d’eux.

— C’est bon, tout va bien ! Il n’y a plus rien à voir !

Ils se dispersèrent, et Elena tourna de nouveau les yeux vers la nuque de Stefan. Il semblait maîtriser la situation.

Ce spectacle lui rappela la scène où, le jour de la rentrée, elle avait vu le jeune homme s’expliquer avec Mme Clarke. La secrétaire avait eu une étrange expression. Elle constata justement que M. Tanner prenait un air hébété.

— Allez, viens, dit-elle à Bonnie.

Elles passèrent par la Salle des Aliens, puis par celle Morts Vivants en se faufilant entre les cloisons, et arrivèrent dans la première pièce, où les visiteurs avaient être accueillis par un loup-garou. Celui-ci avait sa tête et discutait avec deux momies et une princesse égyptienne.

Elena fut forcée d’admettre que Caroline incarnait parfaitement Cléopâtre dans son fourreau de lin. Matt, le loup-garou, avait d’ailleurs du mal à détacher son regard des courbes de son corps bronzé.

— Alors, tout va bien, ici ? demanda Elena avec un enthousiasme un peu forcé.

Matt sursauta. Elena l’avait à peine revu depuis la fameuse soirée, et elle avait remarqué qu’il ne parlait quasiment plus à Stefan.

— Oui, ça va, répondit-il, mal à l’aise.

Quand Stefan en aura fini avec Tanner, je peux vous l’envoyer ici ? Il vous aidera à faire entrer les gens.

Malgré le haussement d’épaules traduisant son indifférence, Matt ne cacha pas sa surprise :

— Comment ça, quand il en aura fini avec Tanner ?

Elle le regarda, interloquée : elle aurait juré que c’était lui le loup-garou qu’elle avait vu, tout à l’heure, dans la Salle de la Druidesse. Néanmoins, elle lui expliqua ce qui s’était passé.

Dehors, un coup de tonnerre éclata.

— J’espère qu’il ne va pas pleuvoir, dit Bonnie.

— Moi aussi, dit Caroline. Ce serait trooop dommage que personne ne vienne… Vous auriez fait tout ça pour rien…

Elena surprit une lueur de haine dans ses yeux de chat.

— Écoute, Caroline. Tu crois pas qu’on devrait arrêter cette stupide guerre et oublier toute cette histoire ?

Sous le cobra de son diadème, le regard de Caroline lança des éclairs.

— Je n’oublierai jamais, susurra-t-elle avant de tourner les talons.

Le froid qu’elle jeta plongea Bonnie et Matt dans la contemplation du sol. Elena se dirigea vers la porte d’entrée pour respirer un peu d’air frais. Dehors, le grincement sinistre des branches, dans les arbres, raviva son pressentiment. « S’il doit se passer quelque chose, c’est ce soir ou jamais », pensa-t-elle. Pourtant, elle n’avait aucune idée de la tournure que pourraient prendre les événements. Une voix s’éleva dans le gymnase :

— Bon, on va pouvoir y aller, je crois. Éteins la lumière, Ed !

La Maison Hantée fut aussitôt plongée dans la pénombre. Un murmure de grognements et de rires nerveux s’ensuivit, et Elena se résigna à rentrer.

— Il faut rejoindre ton poste, dit-elle à Bonnie, qui acquiesça en disparaissant dans le noir.

Matt réglait la sono, couvrant le brouhaha d’une musique un peu psychédélique.

Elena eut peine distinguer Stefan devant elle, tant sa tenue sombre se fondait dans l’obscurité.

— Tanner s’est calmé, maintenant. Je peux t’aider à quelque chose ? Demanda-t-il.

— Ben, tu n’as qu’à rester ici, avec Matt, pour faire entrer les gens…

Elena s’arrêta net devant l’expression glaciale de Stefan, et constata que Matt n’avait même pas levé la tête.

— … Ou alors, tu peux aller t’occuper de la machine à café, dans les vestiaires…

— D’accord pour les vestiaires.

Comme il faisait demi-tour, elle le vit vaciller légèrement.

— Stefan ? Ça va ?

— Oui, dit-il en retrouvant son équilibre. Je suis juste un peu fatigué.

Elle le regarda partir avec tristesse, puis se tourna vers Matt. À ce moment, les premiers visiteurs apparurent.

— C’est parti ! murmura-t-il en s’accroupissant dans le noir.

Elena passa de salle en salle vérifier le bon déroulement des opérations. Les années précédentes, c’était la partie qu’elle avait préférée : voir les visiteurs pris d’une délicieuse terreur. Ce soir-là, pourtant, une vive appréhension avait pris le dessus sur son enthousiasme habituel.

Une silhouette encapuchonnée de noir, qu’elle prit pour une Faucheuse, la frôla. Elle ne se souvenait pas en avoir vu aux autres fêtes d’Halloween : elle était d’autant plus intriguée que sa démarche lui semblait vaguement familière.

Arrivée dans la Salle de la Druidesse, Bonnie échangea un sourire fatigué avec Meredith, qui accueillait les visiteurs juste à côté, dans la Salle aux Araignées. Cette dernière poussait les gamins du collège vers son amie énervée de les voir essayer, à peine entrés, d’attraper les insectes.

Dans la pièce où se trouvait Bonnie, l’éclairage augmentait l’aspect saisissant du spectacle : la vue de M. Tanner allongé sur l’autel, les bras écartés, les yeux fixant le plafond et baignant dans la sauce tomate, redonna le moral à Bonnie.

— Trop cool ! s’écria un des garçons en courant vers l’autel.

Bonnie resta en retrait, un petit sourire au coin des lèvres à l’idée que le professeur se redresserait bientôt pour lui flanquer la trouille de sa vie.

Mais M. Tanner ne bougeait toujours pas, même lorsqu’un des gamins plongea sa main dans la flaque de sang, près de sa tête. « C’est bizarre », se dit Bonnie tout en s’élançant vers un autre qui s’emparait du couteau du sacrifice.

— Lâche ça ! lança-t-elle d’un air si furieux que le gamin s’exécuta, le bras en l’air.

Quand elle vit sa main sanguinolente, elle fut prise de panique. Elle essayait de se persuader que M. Tanner attendait qu’elle se penche sur lui pour se redresser et elle sauterait en l’air. Pourtant, il était toujours immobile.

— Monsieur Tanner ? Ça va ? Monsieur Tanner ?

Pas un seul mouvement. Une petite voix lui intimait de ne pas le toucher. Mais ce fut plus fort qu’elle. Elle avança sa main lentement, la posa sur l’épaule et le secoua. La tête du professeur roula sur le côté. Ses yeux étaient grands ouverts, et sa gorge exposée à la lumière. Bonnie se mit à hurler.

Les cris perçants qu’Elena entendit détonnaient parmi ¡es autres. Ceux-ci exprimaient tout sauf une peur feinte, Il n’y avait aucun doute là-dessus. Quand elle se précipita en direction de la Salle de la Druidesse, d’où venaient les hurlements, elle n’imaginait pas qu’elle se retrouverait en plein cauchemar.

Elle trouva Bonnie, hystérique, que Meredith essayait de calmer. Trois garçons tentaient désespérément de sortir, mais le passage était bloqué par deux portiers qui cherchaient à entrer. M. Tanner gisait sur l’autel, les bras en croix. Son visage baignait dans une flaque de sang.

— Il est mort, hoqueta Bonnie. Le… le sang… c’est du vrai… Il est mort. Je l’ai touché, Elena… il est vraiment mort.

Quelqu’un d’autre se mit à crier et, aussitôt, la panique se répandit ; les gens se mirent à courir en tous sens en traversant les cloisons de carton.

— Rallumez la lumière ! hurla Elena. Meredith, vite, il faut appeler une ambulance et la police. La lumière !

Quand enfin on put y voir quelque chose, Elena fut désemparée de l’absence d’un quelconque adulte qui aurait pu prendre les choses en main. Il fallait garder assez de sang-froid pour réfléchir à la situation, et, en même temps, combattre la terreur qui la clouait sur place. La situation était rendue encore plus difficile par le qu’elle n’avait jamais porté Tanner dans son cœur.

— Faites sortir tous les visiteurs ! Seuls les gens de la Maison Hantée doivent rester.

— Non ! Fermez les portes. Ne laissez sortir personne avant l’arrivée de la police ! cria un loup-garou à côté d’elle.

Ne reconnaissant pas la voix de Matt, Elena se retourna, perplexe. L’individu ôta la tête de son déguisement, et elle reconnut Tyler Smallwood.

Il avait réintégré le lycée au début de la semaine, le visage encore tuméfié par les coups de Stefan. Le ton employé ne semblait tolérer aucune contestation, si bien que les deux portes du gymnase se refermèrent aussitôt avec un claquement sourd. Une dizaine de personnes se trouvait dans la Salle de la Druidesse. L’une d’entre elles, un garçon déguisé en pirate, s’adressa à Tyler :

— Il veut dire que… celui qui a fait ça est toujours ici ?

— Oui, c’est évident, répondit Tyler. Au ton enjoué de sa voix, on devinait qu’il tirait plaisir des événements.

— Regardez, le sang n’a pas eu le temps de sécher, ajouta-t-il en désignant la flaque. Ça s’est donc passé. Il n’y a pas longtemps. Et vous voyez comment la gorge tranchée ? Le tueur a dû se servir du couteau.

— Alors, il doit être encore parmi nous,… , chuchota une fille en kimono.

— Oui, et j’ai déjà une petite idée de celui qui a fait le coup. C’est pas difficile : qui se disputait constamment avec Tanner, et pas plus tard que ce soir ?…

« C’était donc lui le loup-garou tout à l’heure », pensa Elena. Mais pourquoi se trouvait-il là ? Il ne fait pas partie de l’organisation de la soirée… » quelqu’un connu pour être violent, continuait Tyler avec un demi-sourire. Tellement violent, en fait, qu’il est sans doute venu à Fell’s Church dans le seul but de tuer…

Ce dernier commentaire tira Elena de sa torpeur.

— Tyler, qu’est-ce que tu racontes ? T’es complètement dingue ! s’écria-t-elle, furieuse.

— Voyons ça, sa petite amie essaie de le défendre, répliqua-t-il sans même la regarder. Mais sans doute n’est-elle pas tout à fait objective…

— Parce que toi tu l’es, peut-être ? demanda une voix.

Elena vit un second loup-garou s’approcher. C’était Matt.

— Tiens, tiens, et voilà un autre défenseur… Dans ce cas, tu sauras répondre aux questions que tout le monde se pose sur Salvatore. D’où est-ce qu’il vient ? Est-ce qu’il aune famille ? D’où vient tout son fric ? (Tyler se tourna vers le reste du groupe.) Quelqu’un a-t-il seulement une seule info concrète sur ce type ?

Tous répondirent par la négative. En scrutant les visages les uns après les autres, Elena ne vit que de la méfiance. Stefan était différent, en particulier parce qu’il venait d’un autre pays. L’inconnu n’inspire jamais confiance. Ils avaient besoin d’un coupable, et il était tout trouvé.

— J’ai entendu dire… , commença la fille en kimono rouge.

— Exactement ! l’interrompit Tyler. Tu as entendu dire. Des rumeurs, voilà tout ce qu’on a. Personne ne sait rien de lui. Sauf que les agressions de Fell’s Church ont commencé la semaine de la rentrée des classes. C’est-à-dire lorsque Stefan Salvatore est arrivé ici !

Un murmure se répandit dans toute l’assemblée. Elena elle-même était sous le choc. Évidemment, c’était ridicule ; une coïncidence, tout au plus. Mais elle était forcée d’admettre l’exactitude de cette remarque : les agressions avaient commencé le jour de la venue de Stefan.

— Et je sais autre chose, cria Tyler en gesticulant pour obtenir le silence. Taisez-vous. J’ai autre chose à vous dire.

Il attendit que tout le monde se soit tu.

— Il était dans le cimetière le soir où Vickie Bennett s’est fait attaquer.

— Bien sûr qu’il y était, intervint Matt, puisqu’il te refaisait le portrait !

Mais le ton employé manquait de conviction. Tyler en profita pour rebondir :

— Oui, et il a failli me tuer. Et ce soir, Tanner a été assassiné. Moi, je suis sûr que c’est Salvatore l’assassin !

— Où est-il ? demanda quelqu’un.

— Il est forcément dans les parages. Trouvons-le ! Répondit le harangueur.

— Stefan n’a rien fait ! s’écria Elena, mais le brouhaha avait couvert sa voix, chacun scandant les paroles de Tyler :

— Trouvons-le… Trouvons-le… Trouvons-le…

La colère et la soif de vengeance avaient succédé à la méfiance ; la foule ne tarderait pas à être incontrôlable.

— Elena, dis-nous où il est, ordonna Tyler.

L’étincelle de la victoire luisait dans ses yeux et une joie perçait dans sa voix. Elena aurait voulu le frapper.

— Je n’en sais rien ! répondit-elle sur le ton du défi.

— Il est forcément ici… Il faut le trouver ! hurla quelqu’un.

Le groupe se mit en mouvement dans le désordre le plus complet, et les cloisons achevèrent d’être jetées à terre et piétinées. Elena assistait impuissante à ce déchaînement. La pensée de ce qui pourrait arriver à Stefan assailli par cette horde l’horrifiait. Elle aurait désiré le prévenir, mais Tyler pourrait avoir l’idée de la suivre : elle le mènerait malgré elle jusqu’à lui. Elle jeta un coup d’œil à la ronde, espérant trouver de l’aide. Bonnie fixait toujours, sous le choc, le visage sans vie de M. Tanner. Elle ne lui serait d’aucun secours.

Restait Matt. Il semblait en colère, et un peu décontenancé. Elle le supplia du regard. Elle espérait de tout ce qu’il fût toujours de son côté. Mais il était visiblement indécis. Elle mit toutes ses facultés de persuasion dans ses yeux, en essayant de lui faire comprendre que lui seul pouvait l’aider, et qu’il devait faire confiance à Stefan malgré tout. Il finit par céder, hochant la tête d’un signe affirmatif, avant de disparaître dans la foule.

Matt atteignit l’autre extrémité du gymnase sans trop de difficultés. Des élèves de première se tenaient près de la porte menant aux vestiaires. D’un ton sans appel, il leur ordonna d’aller relever les cloisons tombées à terre, ce qu’ils firent sans protester. Il en profita pour se glisser dans la pièce.

Il scruta les alentours, sans oser appeler Stefan, de peur que sa voix porte de l’autre côté. De toute façon, son camarade avait dû entendre les clameurs qui provenaient du gymnase, et il était probablement déjà parti. Son regard s’arrêta sur une silhouette noire allongée sur le carrelage blanc.

— Stefan ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

L’espace d’un instant, Matt crut qu’il était mort. Mais, en s’agenouillant près de lui, il le vit remuer faiblement.

— Ça va ? Tiens, appuie-toi sur moi.

— Oui, ça va…

L’affirmation de Stefan était démentie par son teint livide, ses pupilles dilatées à l’extrême, et son air désemparé.

— Merci, Il faut que tu partes d’ici tout de suite. Tu ne les entends pas ? Ils te cherchent !

— Qui ça ? Qui me cherche ?

— Tout le monde… J’ai pas le temps de t’expliquer. Tu dois t’enfuir. Comme Stefan restait sans réaction, il ajouta :

— M. Tanner a été attaqué, et… il est mort. Tout le monde pense que c’est toi qui l’as tué.

Enfin, Stefan parut comprendre. Il eut l’air tout à coup horrifié, mais, curieusement, un peu résigné aussi. Matt le saisit fermement par les épaules.

— Je sais très bien que tu n’as rien fait, Stefan. Et les autres finiront bien par s’en rendre compte aussi. Mais, en attendant, il vaut mieux t’en aller.

— M’en aller… oui, dit Stefan d’un ton de regret. Je vais… y aller.

Stefan fixait Matt d’un regard si brûlant que celui-ci ne parvenait pas à s’en libérer.

— Promets-moi de prendre soin d’Elena…

— Mais, Stefan, qu’est-ce que tu racontes ? Tu es innocent, tout va bien se passer.

— Promets-moi, c’est tout…

— Je veillerai sur elle, dit-il doucement. Alors, Stefan quitta la pièce.

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