Elena avait hâte d’arriver au lycée. La soirée précédente avait été si mouvementée que la fête d’halloween semblait très lointaine. La jeune fille s’était pourtant préparée aux répercussions immédiates que les terribles événements ne manqueraient pas d’avoir.
Déjà, elle avait dû répondre aux questions angoissées de Judith. Celle-ci avait été bouleversée par la nouvelle du meurtre ; lorsqu’elle s’était rendu compte que personne ne savait où se trouvait Elena, elle était devenue folle d’inquiétude, jusqu’à ce que la jeune fille réapparaisse, vers deux heures du matin.
Les explications d’Elena étaient restées vagues. Elle avait simplement dit à sa tante qu’elle venait de voir Stefan et qu’elle le savait innocent du meurtre dont on l’accusait.
Elle avait passé tout le reste sous silence, craignant ça tante ne comprenne pas, en supposant d’abord qu’elle la croit.
Ce matin-là, Elena, qui n’avait pas entendu son réveil et était en retard. Les rues étaient désertes, balayées par la brise, et le ciel était gris. Sa nuit avait été hantée par l’image de Stefan ; elle mourait d’envie de le voir.
Pourtant, le rêve qui l’avait le plus marqué était cauchemardesque. Stefan blanc de colère, lui montrait un livre en s’exclamant : « Comment as-tu pu faire une chose pareille, Elena ? » Puis il s’en allait après lui avoir jeté l’objet aux pieds. Elle avait beau le supplier de ne pas la quitter, il s’évanouissait dans la nuit Et quand elle regardait le livre, elle constatait qu’il était recouvert de velours bleu. C’était son journal intime.
Elena était profondément agacée par la façon dont celui-ci avait disparu.
Que signifiait ce rêve qui semblait si réel ? Qu’est-ce qui pouvait faire réagir ainsi Stefan ? Tout en se posant ces questions, Elena ressentait le pressant besoin d’entendre sa voix et de sentir ses bras autour d’elle. Il était devenu la moitié d’elle-même, désormais.
Elle gravit les escaliers en courant, puis parcourut les couloirs vides en direction des salles de langues étrangères : elle se souvenait que Stefan avait cours de latin, à cette heure-ci. Elle voulait juste le voir un instant.
À travers le carreau de la porte, elle vit sa place vide. L’expression inquiète de Matt, assis à côté, n’avait rien pour la rassurer. Elle se détourna à contrecœur de la pour se diriger machinalement vers la salle de cour.
Lorsqu’elle entra, tous les visages se tournèrent dans sa direction. Elle se glissa vite derrière la table libre, à côté de Meredith. Toute la classe la regardait, y compris Mme Halpem, qui s’était tue. Puis celle-ci reprit son cour. Elena se tourna vers Meredith, qui lui prit la main dans un geste de réconfort.
— Ça va ?
— J’en sais rien, dit-elle d’un air sonné.
En réalité, elle était terriblement oppressée, au point de manquer d’air.
— Meredith, est-ce que tu sais où est Stefan ?
— Meredith écarquilla les yeux.
— Tu veux dire que toi non plus, tu n’en sais rien ?
La réplique de son amie lui fit l’effet d’un coup dans l’estomac : elle eut l’impression qu’elle ne parviendrait jamais à reprendre son souffle.
— Ils ne l’ont pas… arrêté ?
— Elena, c’est pire que ça. Il a disparu. Les policiers sont allés à la pension tôt ce matin, mais il n’y était pas. Ils sont venus au lycée aussi : personne ne l’a vu. Sa voiture a été retrouvée pas loin d’ici, vide, à ce qu’il paraît. En fait, tout le monde pense que sa fuite prouve sa culpabilité.
— C’est faux, dit Elena entre ses dents. Il est innocent.
Elle sentait les regards que lui lançaient les autres élèves. Mais elle s’en moquait.
— Alors, pourquoi s’est-il enfui ?
— Il n’a tué personne. Et il n’est pas parti. Il ne serait jamais parti de son plein gré.
Toute son angoisse s’était évanouie. Une colère sourde l’avait remplacée.
— Tu veux dire que quelqu’un l’aurait obligé à s’enfuir ? Mais qui ? Tyler n’aurait jamais…
— À fuir, ou pire.
La classe entière s’était tournée vers elle si bien que Mme Halpern s’apprêtait à intervenir. Elena se leva tout à coup, les fixant sans les voir.
— Ça lui coûtera cher, s’il a fait du mal à Stefan ! Très cher !
Elle se dirigea vers la porte.
— Elena ! Reviens !
Mais elle était déjà dans le couloir, marchant droit devant elle avec une seule idée en tête. Ils devaient penser qu’elle allait demander des comptes à Tyler Smallwood. Tant mieux ! Elle serait tranquille !
Elle quitta le lycée, prit la direction d’Old Creek Road, et de là, bifurqua vers le pont Wickery.
Un vent glacial lui balaya le visage, mais la rage folle qui bouillait en elle la rendait insensible au froid. Lorsqu’elle parvint au centre du vieux cimetière, elle s’arrêta, scrutant les alentours. Les nuages défilaient à grande allure, et autour d’elle, les branches des arbres s’entremêlaient violemment.
Une bourrasque lui souffla des feuilles mortes en plein visage. C’était comme si le cimetière lui-même tentait de la dissuader de rester, en lui montrant l’étendue de sa puissance : il semblait vouloir mi faire comprendre quelle terrible épreuve l’attendait.
Elena ignora l’avertissement. Elle fit volte-face plusieurs fois, à la recherche du moindre mouvement, entre ¡es tombes, qui aurait pu trahir une présence. Puis, elle se dressa face au vent en hurlant de toutes ses forces un seul mot, qui le ferait venir à coup sûr : Damooon !
— Damooon !