— Quoi?
— Chut! Je te dis qu'il y a un voleur. - François se dressa sur un coude.
— Tu es sûr?
— J'ai entendu du bruit dans le bureau. Je ne pouvais pas dormir.
— C'est ton père.
— Non, justement. Viens voir… N'allume pas, surtout.
Bob traversa la chambre à tâtons et ouvrit avec précaution les volets. François le rejoignit sur la pointe des pieds. La nuit était noire et mouillée. Il se pencha sur l'appui de la fenêtre et vit aussitôt une lueur qui provenait du bureau de l'ingénieur. C'était un reflet intermittent, furtif, qui ne laissait aucun doute. Quelqu'un fouillait et s'éclairait avec une lampe de poche.
— Si c'était mon père, souffla Bob, tu penses bien qu'il allumerait l'électricité.
— Il est quelle heure? demanda François.
— Neuf heures et demie.
Que faire? Le téléphone se trouvait dans le bureau, donc hors d'atteinte. Si l'homme était armé, il était dangereux de le démasquer.
— J'y vais, dit Bob.
— Reste tranquille!
— Je ne laisserai pas dépouiller mon père. On veut lui voler son invention.
— Et moi, je ne veux pas qu'on te fasse du mal.
Evidemment, c'étaient les marionnettes qui étaient visées. Cela, François l'avait tout de suite compris. Mais raison de plus pour ne pas agir à la légère. Bob s'éloigna brusquement de la fenêtre. François n'eut que le temps de le ceinturer.
— Bouge pas, idiot.
— Lâche-moi. Papa a le droit de compter sur moi!
Bob se dégagea et sortit dans le corridor. François courut derrière lui. La vieille Mrs. Humphrey apparut au même instant; elle achevait de passer une robe de chambre et semblait affolée.
— Il y a quelqu'un dans le bureau, chuchota-t-elle.
— On le sait, jeta Bob.
— Arrête! cria François. Arrête!
C'était la seule solution: faire du bruit, le plus de bruit possible, pour alerter le cambrioleur et le mettre en fuite. Il descendit l'escalier derrière Bob, en heurtant chaque marche de tout son poids. Bob arrivait déjà au rez-de-chaussée. Au lieu d'ouvrir la porte du bureau, il poussa celle du salon et alluma le lustre. Il s'empara des pistolets de duel, en tendit un à François. Au même instant, ils entendirent courir dans le bureau. Une fenêtre fut ouverte violemment.
— Vite, dit Bob. Il est dans le jardin. Allume le vestibule.
François tâtonna, tourna le bouton. La porte d'entrée était grande ouverte. La lumière dessina, sur l'allée, un long rectangle jaune.
— Là-bas! cria Bob.
François aperçut une ombre, qui se confondit avec celle de la grille. Bob leva son bras armé. La détonation fut si violente qu'il recula de deux pas.
— A toi! hurla-t-il. Tire… Tire… François, visant au hasard, appuya sur la détente. Il ne se produisit qu'un claquement sec. Le second pistolet n'était pas chargé. Un moteur se mit à ronfler, dans la rue.
— C'est raté, dit Bob. Il file.
Les deux garçons galopèrent jusqu'à la grille entrouverte. La voiture était hors de vue quand ils débouchèrent sur le trottoir.
— Je crois qu'il vaut mieux que tu l'aies manqué, dit François. Tu vois les complications!
— Je ne sais pas ce qui m'a pris, avoua Bob. Je n'ai pas réfléchi.
Ils remontèrent l'allée, après avoir refermé la grille. Mrs. Humphrey les attendait sur le perron.
— Rentrez vite. Vous allez attraper froid.
Vous êtes verts. Mon Dieu! Un cambriolage!
Ce n'est pas possible… Bob l'écarta et entra dans le bureau.
— Viens voir!
L'armoire était ouverte. A la serrure, pendait le trousseau de clefs de M. Skinner. Le classeur rouge avait disparu.
— Il a emporté le dossier, murmura Bob. C'est sûrement le type qui est venu après déjeuner.
Accablé, il déposa son pistolet sur la table et s'assit. Pour lui, il n'y avait plus rien à faire. Pour François, au contraire, l'enquête commençait, car un détail bizarre retenait toute son attention: le trousseau de clefs. Comment ce trousseau, grâce auquel le voleur avait successivement ouvert la grille, la porte d'entrée et l'armoire, se trouvait-il en sa possession. Il avait bien fallu qu'il le dérobe; mais quand et comment? Le plus simple était d'avertir M. Skinner; donc, de téléphoner chez M. Merrill.
— Bob… Tu dois tout de suite mettre ton père au courant. Il est certainement encore chez M. Merrill.
— Ah! C'est vrai, dit Bob. Ça va lui faire un drôle de choc.
Il forma le numéro d'une main tremblante.
— Je crois que j'ai un peu de fièvre… Allô. Du menton, il fit signe à François de prendre l'écouteur.
— Allô?… Monsieur Merrill?… Bonsoir, monsieur. Ici, Bob Skinner… Est-ce que je pourrais parler à mon père?
— Votre père?… Mais il n'est pas ici!
— Comment?… Vous l'avez appelé pour lui demander de…
— Moi?… Pas du tout.
— Voyons! Il n'a pas pu nous accompagner au concert justement à cause de ce nouveau rendez-vous.
— Je ne comprends pas. M. Skinner est resté avec moi une partie de l'après-midi. Je n'allais pas le rappeler une heure après.
— Alors, où est-il?
— Je ne sais pas. Mais il ne va sans doute pas tarder à rentrer.
— C'est que…
Bob plaqua l'appareil contre sa poitrine et s'adressa à François:
«Je n'ose pas lui parler du classeur. Il pourrait croire que mon père a été négligent.»
Revenant à son interlocuteur, il dit:
«Oui. Vous avez raison. Je m'excuse de vous avoir dérangé. Bonsoir, monsieur Merrill.»
Lentement, il raccrocha, et, prenant à témoins François et Mrs. Humphrey, il demanda, d'une voix épuisée:
— Qu'est-ce qu'on peut faire?
— Ce qu'on peut faire? s'écria impétueusement François. Mais il faut prévenir la police.
— Et si papa n'est pas d'accord, quand il reviendra…
— Mais il ne reviendra pas.
François regretta aussitôt sa répartie, car il vit se décomposer le visage de Bob.
— Soyons bien calmes, reprit-il. Et récapitulons. Cet après-midi, en l'absence de ton père, un homme se présente, qui vient certainement pour repérer les lieux… Bon. Plus tard, quelqu'un téléphone… Rappelle-toi… La communication était mauvaise… «Parlez plus fort, disait ton père. Je ne reconnais pas votre voix»… Ça signifie quoi? Que l'individu qui appelait se faisait passer pour M. Merrill. Et pourquoi?… Pour attirer ton père dans un piège et lui voler ses clefs. Il n'y a pas d'autre explication.
— Tu veux dire?
— Dame! Réfléchis! L'occasion était magnifique. Le type en question savait, je ne sais pas comment, que nous étions au concert. Ton père étant retenu quelque part, peut-être par des complices, il n'y avait plus à la maison que Mrs. Humphrey. Grâce aux clefs volées, il devenait facile de se servir… Ce qui n'était pas prévu, c'est que nous reviendrions si tôt.
Les faits s'ordonnaient logiquement et dictaient la conduite à suivre. Bob reprit le téléphone et forma le numéro de la police, qui était marqué au centre du disque, sur une pastille blanche: Emergency 9.9.9.
— Allô? C'est au sujet de… Ah bon! Monsieur Skinner, à Hastlecombe. Oui, c'est au sujet d'un cambriolage… Des papiers très importants ont été volés… Non, je suis son fils… Mon père a disparu… Pardon?… Pas du tout. S'il n'est pas rentré, c'est probablement qu'il a été attaqué… Je vous en prie… Oui, j'ai compris… l'inspecteur Morrisson… Merci.
Il reposa le combiné sur sa fourche et, se tournant vers Mrs. Humphrey:
— La police va arriver, Mrs. Humphrey. Il faut aller vous reposer.
— Vraiment? Vous n'avez besoin de rien? Une tisane? Un grog?… Je ne peux pas vous laisser dans l'état où vous êtes.
— Mais si. Ça ira, je vous assure.
— J'espère qu'ils comprendront qu'un cambriolage, ici, ce n'est pas très convenable.
Elle sortit dignement.
— Elle est dévouée, murmura Bob, mais elle est d'un autre âge… Je pense à mon père. Qu'est-ce que tu crois, au juste?… On lui a sauté dessus? On l'a frappé?
François avait si bien pris la situation en main que Bob était prêt à accepter les yeux fermés toutes les hypothèses qu'il pourrait désormais proposer. François s'efforça de le rassurer.
— Il a suffi, à mon avis, de le menacer. On l'a forcé à vider ses poches.
— Mais après… Il aurait eu le temps de donner signe de vie.
— Tu penses bien qu'on l'en a empêché… On l'a peut-être enfermé quelque part… Ce que je m'explique mal, c'est comment on a pu l'obliger à sortir de sa voiture.
– Ça, c'est facile, au contraire, dit Bob. La rue où habite M. Merrill est barrée, pour le moment. Il y a une énorme tranchée où l'on place des tuyaux, des câbles. Il faut donc garer sa voiture assez loin et faire le reste du trajet à pied. De plus, les réverbères de la rue sont éteints pendant la durée des travaux.
— Eh bien, voilà l'explication. C'est là qu'on a guetté ton père. Et je ne serais pas surpris si on le retrouvait, au fond de la tranchée, bien ficelé…
L'image fit rire Bob, qui n'était pas un garçon capable de se complaire dans l'angoisse.
— Je vais avaler un cachet, dit-il. J'ai un sacré mal au crâne. Tu pourrais te débarrasser de ton pistolet. Tu as tout du justicier!
François s'aperçut alors qu'il avait gardé l'arme à la main, et il la posa sur le bureau.
— Celui qui a monté le coup, observa-t-il, était bien renseigné. Il faut que ce soit un familier. Autrement, comment aurait-il su que nous devions aller au concert? Et il n'ignorait non seulement rien de l'invention, mais des rapports existant entre M. Merrill et ton père… Tu es sûr que tu n'as jamais vu le type qui est venu ici?
— Absolument sûr. Mais c'est à la police de chercher. Inutile de nous casser la tête.
Bob disparut dans la cuisine. François regarda pensivement la fenêtre que le voleur, surpris, avait ouverte pour fuir, puis il examina l'armoire, la vitrine. Le cambrioleur aurait pu, s'il l'avait voulu, emporter un ou deux automates. Pourquoi s'était-il contenté du classeur? L'affaire était décidément des plus mystérieuses. Il y eut un bruit de freins, dans la rue, puis un claquement de portière et, presque aussitôt, la sonnette retentit.
— Laisse! cria Bob. Je vais ouvrir.
Il ne tarda pas à introduire dans le bureau un homme jeune, plutôt petit, aux yeux sombres, sans cesse en mouvement.
— Inspecteur Morrisson.
Il ne regardait pas François, mais le bureau et les deux pistolets.
— Qu'est-ce que c'est que ça?
— Des pistolets de duel, expliqua Bob. Nous étions couchés. Nous avons entendu du bruit dans cette pièce. Nous sommes descendus et, pour effrayer le voleur, nous avons pris des armes dans le salon, au passage.
L'inspecteur les souleva, tour à tour, les sentit.
— Celui-là a servi, remarqua-t-il.
— Oui, j'ai tiré au jugé en direction de la grille.
— Vous êtes un peu grand pour jouer aux Indiens. Alors, vous vous imaginiez, sérieusement, qu'en pleine nuit, sur une cible invisible, vous alliez faire mouche?
— Je ne sais pas, dit piteusement Bob. Je n'ai pas réfléchi.
— Et vous? demanda l'inspecteur à François. Qui êtes-vous?
— François expliqua les raisons de sa présence chez M. Skinner, tandis que Morrisson prenait des notes.
— Tout cela sera vérifié, conclut ce dernier, en fermant son carnet.
— Mais c'est la vérité.
— Je n'en doute pas.
Il n'était pas très sympathique, cet inspecteur, avec ses manières froides et vaguement ironiques, cette façon de hausser un sourcil, comme si les déclarations qu'il enregistrait n'étaient que bavardages puérils.
— Et qu'est-ce qui vous autorise à croire que M. Skinner a disparu?
Il s'adressait aux deux garçons à la fois. Ce fut François qui répondit:
– Ça!
Il montrait le trousseau de clefs, et il recommença pour l'inspecteur le raisonnement qu'il avait déjà exposé à Bob. Morrisson se pinçait machinalement une oreille, tout en laissant ses yeux fureter.
— Je vois, dit-il. Mais je me méfie des suppositions. Il nous faut des faits.
Il traversa la pièce et, devant la fenêtre ouverte, il appela d'une voix forte:
— John!.. John!..
Une silhouette apparut dans le jardin. C'était un policeman au casque si caractéristique.
— John… Allez tout de suite jusqu'au domicile d'un certain M. Merrill… Attendez, voici l'adresse… Bob récita:
— M. Merrill, The Snuggery, Pump Lane.
— M. Merrill, The Snuggery, Pump Lane, répéta le policeman. Compris!
— Vous longerez lentement la rue. Il y a une tranchée. Ces jeunes gens prétendent que M. Skinner a pu être assailli par là. Vous tâcherez aussi de retrouver sa voiture, une Morris… Quel numéro?… JWT 986 J. Inutile de déranger M. Merrill, puisqu'il n'a pas revu M. Skinner. Je l'interrogerai demain. Revenez aussitôt me rendre compte.
Puis, s'adressant aux deux garçons d'un ton sévère: «
— Vous n'avez touché à rien?
— Non.
Il tendit le doigt vers les automates.
— Qui s'amuse avec ça, ici?
Bob se rebiffa.
— Ce ne sont pas des jouets. Ce sont des poupées électroniques. D'ailleurs, vous allez voir.
Il prit M. Tom, le posa sur le bureau, et dit, en s'appliquant:
— Monsieur Tom? Avez-vous passé une bonne nuit?… Vous sentez-vous capable de travailler avec moi?
Et M. Tom, portant ses lunettes à ses yeux, répondit:
— Très volontiers.
Malgré son air un peu dégoûté, l'inspecteur ne put cacher sa surprise. Il était trop intelligent pour ne pas comprendre, d'emblée, la valeur de l'invention. Il murmura:
— Espionnage industriel. Mais pourquoi le voleur n'a-t-il pas emporté cet automate?
— Il a pris le dossier, dit Bob. Un gros classeur à couverture rouge… Des années de recherches…
— Et M. Skinner n'en possède pas le double?
— Si, bien sûr. Dans un coffre, à l'usine.
— Quelle usine?
— Mais celle de M. Merrill. La fabrication des marionnettes devait commencer le mois prochain. Mais l'invention était tenue secrète.
Se pinçant l'autre oreille, Morrisson revint au milieu du bureau, et soudain aperçut, sous le fauteuil, une sorte de tube de métal. Aussitôt, comme un chasseur qui s'apprête à capturer, par surprise, une proie étourdie, il se mit à genoux, tira son mouchoir et saisit délicatement l'objet.
— Une lampe électrique, dit-il. Je crains qu'elle ne nous apprenne pas grand-chose. Ces boîtiers guillochés ne retiennent pas les empreintes. Je l'enverrai quand même au laboratoire… Décrivez-moi l'homme qui s'est présenté ici, après le déjeuner.
Mais Bob n'était pas très fort pour les descriptions.
— Blond, tirant sur le roux, résuma Morrisson, barbe, moustache, les yeux clairs, des taches de rousseur… En somme, le signalement de quelques centaines de milliers d'individus. Bon. Autre chose: votre cambrioleur est-il resté longtemps dans cette pièce?
— Non, dit Bob. Je ne dormais pas. Mrs. Humphrey non plus. C'est la gouvernante; elle couche juste au-dessus du bureau. Nous avons entendu du bruit et nous sommes aussitôt sortis dans le couloir.
Le téléphone sonna. Ils sursautèrent tous les trois et, d'un même mouvement, entourèrent l'appareil. L'inspecteur décrocha. Il écouta longtemps, hochant la tête à petits coups, comme un professeur qui encourage un élève timide. Des éclats de voix sortaient de l'écouteur, mais il était impossible de saisir une parole.
— C'est bien, dit enfin Morrisson. Revenez me chercher. Merci.
— Alors? interrogea Bob, impatiemment. Le policier parut prendre la mesure du garçon, puis il lui mit une main sur l'épaule.
— Il est blessé, dit-il. Vous aviez raison. Il a été attaqué là-bas… Mais rassurez-vous. Une ambulance est déjà sur place. Nous faisons le nécessaire.
— C'est grave?
— Pour le moment, on n'en sait rien. Ce qui est établi, c'est qu'on l'a abattu, dévalisé et poussé dans la tranchée… Nous avons affaire à des gens résolus et qui paraissent diablement dangereux.
Bob était au bord des larmes, mais il luttait vaillamment.
— Je pourrai le voir? murmura-t-il d'une voix enrouée.
— Bien sûr. Mais pas avant demain. Il doit être maintenant en route pour l'hôpital. Croyez-moi, tout le possible sera fait. On le tirera de là, n'ayez pas peur. Cette invention…, je suppose qu'elle vaut beaucoup d'argent?… Je ne me rends pas bien compte.
— Beaucoup, dit Bob. M. Merrill vous renseignera mieux que moi.
— Demain, passez à Scotland Yard en début d'après-midi. Je vous montrerai des photographies d'individus ayant plus ou moins trempé dans des affaires d'espionnage industriel et dont le signalement correspond à celui de votre visiteur. Vous essaierez de le reconnaître… Ça ne donnera sans doute rien, mais on ne doit rien négliger. Les indices sont tellement minces! Une voiture stoppa devant la grille.
— Je vous laisse, dit Morrisson. Un conseil: prenez un somnifère, tous les deux, et tâchez de dormir.
— Je pourrais peut-être téléphoner à l'hôpital? suggéra Bob.
— Il est trop tôt, et, de toute façon, vous n'aurez aucune réponse précise. Mon garçon, la vie vous apprendra que savoir attendre est une des formes du courage… Bonsoir… Ah! La lampe électrique que j'oubliais.
Il traversa le vestibule, se retourna:
— L'équipe du laboratoire viendra de bonne heure… Laissez. Je connais le chemin.
Bob referma la porte.
— Je savais bien que cette maudite invention nous empoisonnerait l'existence!
François faisait le bilan, pesait le pour et le contre. Impossible de repartir en laissant seul son camarade. Mais bien délicat de rester et d'être vite, par la force des choses, un gêneur. Bob devina les scrupules de François.
— Je t'en prie, dit-il, j'ai besoin de toi. D'ailleurs, la police nous tient, tous les deux, et elle ne va pas nous lâcher tant que durera l'enquête.
— Mais… Miss Margrave devrait peut-être venir? Est-ce que sa place n'est pas ici, maintenant?
Bob se frappa le front.
— Ah! Je l'avais complètement oubliée. Heureusement que tu es là. Viens! Je la préviens tout de suite.
— Il est près de minuit.
— Et alors? Est-ce que nous dormons, nous? Il forma un numéro et, après une assez longue attente, obtint la communication. François, allongé dans le fauteuil, essayait de récupérer. Il était à bout et, comme il arrive dans les cas de grande fatigue, sa pensée courait, courait, formait les hypothèses les plus folles. Il ne parvenait pas à la maîtriser, à fixer le point le plus délicat de l'affaire. «On» connaissait manifestement tout de la vie et des travaux de M. Skinner. «On» savait que, ce soir, l'inoffensive Mrs. Humphrey serait seule à la maison. Et pourtant, «on» avait envoyé l'homme à la barbe en éclaireur, ce qui semblait prouver qu'on ignorait la disposition des lieux. Fallait-il admettre que cet adversaire si parfaitement renseigné n'avait encore jamais franchi le seuil de la villa?… Et si l'homme à la barbe n'avait été envoyé que pour donner le change? Et si c'était M. Merrill le coupable? S'il avait voulu se débarrasser de l'ingénieur et garder pour lui tous les profits?… Mais, dans ce cas… Non, ça ne tenait pas debout… Est-ce que Bob allait téléphoner toute la nuit?… Est-ce que… Bob le secoua par l'épaule.
— Eh bien? Tu dors?… Ça y est. Elle arrive demain. Elle voulait partir tout de suite. Elle est chic; ça, je dois le reconnaître. Beaucoup de sang-froid. Elle est comme moi: elle envoie M. Tom au diable!
Les mains dans les poches, baissant la tête, il réfléchissait. Enfin il se décida:
— Montons, dit-il. Je crois que l'inspecteur a raison; l'hôpital ne répondrait pas.
Il prit les pistolets.
— Autant les remettre à leur place… Pas la peine qu'on se moque encore de moi.
Mrs. Humphrey n'était pas encore couchée. La porte de sa chambre était entrebâillée et elle avança la tête, quand elle entendit, dans l'escalier, le pas des garçons.
— M. Skinner n'est pas avec vous?
— Non, dit Bob. Papa a eu un accident.
— Mon Dieu!
Dans son désarroi, elle laissa la porte s'ouvrir davantage et François eut envie de rire en apercevant la chemise de nuit à dentelles de la vieille dame.
— Il est à l'hôpital, continua Bob. On ne sait rien de plus. Je viens de téléphoner à Miss Mary. Elle sera là demain matin. Il faudra lui préparer la chambre d'ami.
Mrs. Humphrey pinça ses lèvres minces et referma sa porte. Bob entra chez François.
— Tu n'as besoin de rien? Tu seras assez couvert?… C'est un phénomène, cette brave Mrs. Humphrey. Tu as vu?… Elle n'aime pas beaucoup la pauvre Mary. Tu comprends, elle règne sur cette maison depuis je ne sais combien d'années. Alors, une nouvelle Mrs. Skinner, ça ne l'emballe pas. Il y aura sûrement des accrochages… Je te dis cela parce que je suis désolé de te recevoir dans des conditions pareilles… Tu ne nous en voudras pas?
— Bob! Tu penses!
— Je suis tellement heureux que tu sois prés de moi… Bonne nuit.