Le bras de Clotaire

Clotaire, chez lui, a marché sur son petit camion rouge, il est tombé et il s’est cassé le bras. Nous, ça nous a fait beaucoup de peine parce que Clotaire c’est un copain et aussi parce que le petit camion rouge, je le connaissais : il était chouette, avec des phares qui s’allumaient, et je crois qu’après que Clotaire lui a marché dessus, on ne pourra plus l’arranger.

On a voulu aller le visiter chez lui, Clotaire, mais sa maman n’a pas voulu nous laisser entrer. On lui a dit qu’on était des copains et qu’on connaissait bien Clotaire, mais la maman nous a dit que Clotaire avait besoin de repos et qu’elle nous connaissait bien, elle aussi.

C’est pour ça qu’on a été drôlement contents quand on a vu arriver Clotaire en classe, aujourd’hui. Il avait le bras retenu par une sorte de serviette qui lui passait autour du cou, comme dans les films quand le jeune homme est blessé, parce que dans les films, le jeune homme est toujours blessé au bras ou à l’épaule et les comiques qui jouent le jeune homme dans les films devraient déjà le savoir et se méfier. Comme la classe était commencée depuis une demi-heure, Clotaire est allé s’excuser devant la maîtresse, mais au lieu de le gronder la maîtresse a dit : « Je suis très contente de te revoir, Clotaire. Tu as beaucoup de courage de venir en classe avec un bras dans le plâtre. J’espère que tu ne souffres plus. » Clotaire a ouvert des yeux tout grands : comme il est le dernier de la classe, il n’est pas habitué à ce que la maîtresse lui parle comme ça, surtout quand il arrive en retard. Clotaire est resté là, la bouche ouverte, et la maîtresse lui a dit :

« Va t’asseoir à ta place, mon petit. »

Quand Clotaire s’est assis, on a commencé à lui poser des tas de questions : on lui a demandé si ça lui faisait mal, et qu’est-ce que c’était que ce truc dur qu’il avait autour du bras et on lui a dit qu’on était drôlement contents de le revoir ; mais la maîtresse s’est mise à crier que nous devions laisser notre camarade tranquille et qu’elle ne voulait pas que nous prenions ce prétexte pour nous dissiper. « Ben quoi, a dit Geoffroy, si on ne peut plus parler aux copains, maintenant...» et la maîtresse l’a mis au piquet et Clotaire s’est mis à rigoler.

« Nous allons faire une dictée », a dit la maîtresse. Nous avons pris nos cahiers et Clotaire a essayé de sortir le sien de son cartable avec une seule main. « Je vais t’aider », a dit Joachim, qui était assis à côté de lui. « On ne t’a pas sonné », a répondu Clotaire. La maîtresse a regardé du côté de Clotaire et elle lui a dit : « Non, mon petit, pas toi, bien sûr ; repose-toi. » Clotaire s’est arrêté de chercher dans son cartable et il a fait une tête triste, comme si ça lui faisait de la peine de ne pas faire de dictée. La dictée était terrible, avec des tas de mots comme « chrysanthème », où on a tous fait des fautes, et « dicotylédone » et le seul qui l’a bien écrit c’est Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse. Chaque fois qu’il y avait un mot difficile, moi je regardais Clotaire et il rigolait.

Et puis, la cloche de la récré a sonné. Le premier qui s’est levé, ça a été Clotaire. « Il vaudrait peut-être mieux, a dit la maîtresse, que tu ne descendes pas dans la cour avec ton bras. » Clotaire a fait la même tête que pour la dictée, mais en plus embêté. « Le docteur a dit qu’il me fallait prendre de l’air, a dit Clotaire, sinon, ça pourrait être drôlement grave. » La maîtresse a dit que bon, mais qu’il fallait faire attention. Et elle a fait sortir Clotaire le premier, pour que nous ne puissions pas le bousculer dans l’escalier. Avant de nous laisser descendre dans la cour, la maîtresse nous a fait des tas de recommandations : elle nous a dit que nous devions être prudents et ne pas jouer à des jeux brutaux et aussi que nous devions protéger Clotaire pour qu’il ne se fasse pas mal. On a perdu des tas de minutes de la récré, comme ça. Quand on est enfin descendus dans la cour, nous avons cherché Clotaire : il était en train de jouer à saute-mouton avec les élèves d’une autre classe, qui sont tous très bêtes et que nous n’aimons pas.

On s’est tous mis autour de Clotaire et on lui a posé des tas de questions. Il avait l’air tout fier, Clotaire, qu’on soit si intéressés. On lui a demandé si son petit camion rouge était cassé. Il nous a dit que oui, mais qu’on lui avait donné des tas de cadeaux pour le consoler pendant qu’il était malade : il avait eu un voilier, un jeu de dames, deux autos, un train et des tas de livres qu’il échangerait contre d’autres jouets. Et puis il nous a dit que tout le monde avait été drôlement gentil avec lui : le docteur lui apportait chaque fois des bonbons, son papa et sa maman avaient mis la télé dans sa chambre et on lui donnait des tas de bonnes choses à manger. Quand on parle de manger, ça donne faim à Alceste, qui est un copain qui mange tout le temps. Il a sorti de sa poche un gros morceau de chocolat et il a commencé à mordre dedans. « Tu m’en donnes un bout ? » a demandé Clotaire. « Non », a répondu Alceste. « Mais mon bras ?...», a demandé Clotaire. « Mon œil », a répondu Alceste. Ça, ça ne lui a pas plu à Clotaire, qui s’est mis à crier qu’on profitait de lui parce qu’il avait un bras cassé et qu’on le traiterait pas comme ça s’il pouvait donner des coups de poing, comme tout le monde. Il criait tellement, Clotaire, que le surveillant est venu en courant. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » il a demandé, le surveillant. « Il profite parce que j’ai le bras cassé », a dit Clotaire en montrant Alceste du doigt. Alceste était rudement pas content ; il a essayé de le dire, mais avec la bouche pleine, il a envoyé du chocolat partout et on n’a rien compris à ce qu’il a dit. « Vous n’avez pas honte ? a dit le surveillant à Alceste, profiter d’un camarade physiquement diminué ? Au piquet !

— C’est ça ! a dit Clotaire.

— Alors, a dit Alceste, qui a fini par avaler son chocolat, s’il se casse un bras en faisant le guignol, il faut que je lui donne à manger ?

— C’est vrai, a dit Geoffroy, chaque fois qu’on lui parle, on va au piquet ; il nous embête, à la fin, avec son bras ! »

Le surveillant nous a regardés avec des yeux très tristes et puis il nous a parlé avec une voix douce, douce, comme quand Papa explique à Maman qu’il doit aller à la réunion des anciens de son régiment. « Vous n’avez pas de cœur, il nous a dit, le surveillant. Je sais que vous êtes encore bien jeunes, mais votre attitude me fait beaucoup de peine. » Il s’est arrêté, le surveillant et puis il a crié : « Au piquet ! Tous ! »

On a dû tous aller au piquet, même Agnan ; c’est la première fois qu’il y va et il ne savait pas comment faire et on lui a montré. On était tous au piquet, sauf Clotaire, bien sûr. Le surveillant lui a caressé la tête, il lui a demandé si son bras lui faisait mal ; Clotaire a dit que oui, assez, et puis le surveillant est allé s’occuper d’un grand qui frappait un autre grand avec un petit. Clotaire nous a regardés un moment en rigolant et puis il est allé continuer sa partie de saute-mouton.

Je n’étais pas content, quand je suis arrivé à la maison. Papa, qui était là, m’a demandé ce que j’avais. Alors, j’ai crié : « C’est pas juste ! Pourquoi je ne peux jamais me casser le bras, moi ? »

Papa m’a regardé avec des yeux tout ronds et moi je suis monté dans ma chambre pour bouder.

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