À la récré, on se bat

— T’es un menteur, j’ai dit à Geoffroy.

— Répète un peu, m’a répondu Geoffroy.

— T’es un menteur, je lui ai répété.

— Ah ! oui ? il m’a demandé.

— Oui, je lui ai répondu, et la cloche a sonné la fin de la récré.

— Bon, a dit Geoffroy pendant que nous nous mettions en rang, à la prochaine récré, on se bat.

— D’accord, je lui ai dit ; parce que moi, ce genre de choses, il faut pas me les dire deux fois, c’est vrai quoi, à la fin.

— Silence dans les rangs ! a crié le Bouillon, qui est notre surveillant ; et avec lui il ne faut pas rigoler.

En classe, c’était géographie. Alceste, qui est assis à côté de moi, m’a dit qu’il me tiendrait la veste à la récré, quand je me battrai avec Geoffroy, et il m’a dit de taper au menton, comme font les boxeurs à la télé.

— Non, a dit Eudes, qui est assis derrière nous. C’est au nez qu’il faut taper ; tu cognes dessus, bing, et tu as gagné.

— Tu racontes n’importe quoi, a dit Rufus, qui est assis à côté de Eudes ; avec Geoffroy, ce qui marche, c’est les claques.

— T’as vu souvent des boxeurs qui se donnent des claques, imbécile ? a demandé Maixent, qui est assis pas loin et qui a envoyé un papier à Joachim qui voulait savoir de quoi il s’agissait, mais qui, d’où il est, ne pouvait pas entendre.

Ce qui est embêtant, c’est que le papier, c’est Agnan qui l’a reçu, et Agnan c’est le chouchou de la maîtresse et il a levé le doigt et il a dit : « Mademoiselle, j’ai reçu un papier ! »

La maîtresse, elle a fait de gros yeux et elle a demandé à Agnan de lui apporter le papier, et Agnan y est allé, drôlement fier. La maîtresse a lu le papier et elle a dit :

— Je lis ici que deux d’entre vous vont se battre pendant la récréation. Je ne sais pas de qui il s’agit, et je ne veux pas le savoir. Mais je vous préviens, je questionnerai M. Dubon, votre surveillant, après la récréation, et les coupables seront sévèrement punis. Alceste, au tableau.

Alceste est allé se faire interroger sur les fleuves et ça n’a pas marché très bien, parce que les seuls qu’il connaissait, c’était la Seine, qui fait des tas de méandres, et la Nive, où il est allé passer ses vacances l’été dernier. Tous les copains avaient l’air drôlement impatients que la récré arrive et ils discutaient entre eux. La maîtresse a même été obligée de taper avec sa règle sur la table et Clotaire, qui dormait, a cru que c’était pour lui et il est allé au piquet. Moi, j’étais embêté, parce que si la maîtresse me met en retenue, à la maison ça va faire des tas d’histoires et pour la crème au chocolat, ce soir, c’est fichu. Et puis, qui sait ? Peut-être que la maîtresse va me faire renvoyer et ça, ce serait terrible ; Maman aurait beaucoup de peine, Papa me dirait que lui, quand il avait mon âge, il était un exemple pour ses petits camarades, que ça valait bien la peine de se saigner aux quatre veines pour me donner une éducation soignée, que je finirai mal, et que je ne retournerai pas de si tôt au cinéma. J’avais une grosse boule dans la gorge et la cloche de la récré a sonné et moi j’ai regardé Geoffroy et j’ai vu qu’il n’avait pas l’air tellement pressé de descendre dans la cour, lui non plus.

En bas, tous les copains nous attendaient et Maixent a dit : « Allons au fond de la cour, là on sera tranquilles. »

Geoffroy et moi on a suivi les autres, et puis Clotaire a dit à Agnan :

— Ah ! non, pas toi ! Tu as cafardé !

— Moi, je veux voir ! a dit Agnan, et puis il a dit que s’il ne pouvait pas voir, il irait prévenir le Bouillon tout de suite et personne ne pourrait se battre et ce serait bien fait pour nous.

— Bah ! laissons-le voir, a dit Rufus ; après tout, Geoffroy et Nicolas seront punis de toute façon ; alors, qu’Agnan ait prévenu la maîtresse avant ou après, ça n’a aucune importance.

— Punis, punis, a dit Geoffroy, on sera punis si on se bat. Pour la dernière fois, Nicolas, tu retires ce que tu as dit ?

— Il ne retire rien du tout, sans blague ! a crié Alceste.

— Ouais ! a dit Maixent.

— Bon, allons-y, a dit Eudes, moi je serai l’arbitre.

— L’arbitre ? a dit Rufus, tu me fais bien rigoler. Pourquoi ce serait toi l’arbitre et pas un autre ?

— Dépêchons-nous, a dit Joachim, on va pas se bagarrer pour ça, et la récré va bientôt se terminer.

— Pardon, a dit Geoffroy, l’arbitre, c’est drôlement important ; moi, je ne me bats pas si je n’ai pas un bon arbitre.

— Parfaitement, j’ai dit, Geoffroy a raison.

— D’accord, d’accord, a dit Rufus, l’arbitre ce sera moi.

Ça, ça ne lui a pas plu, à Eudes, qui a dit que Rufus ne connaissait rien à la boxe, et qu’il croyait que les boxeurs se donnaient des claques.

— Mes claques valent bien tes coups de poing sur le nez, a dit Rufus, et paf, il a donné une claque sur la figure d’Eudes. Il s’est fâché tout plein, Eudes, je ne l’ai jamais vu comme ça, et il a commencé à se battre avec Rufus et il voulait lui taper sur le nez, mais Rufus ne restait pas tranquille, et ça, ça mettait Eudes encore plus en colère et il criait que Rufus n’était pas un bon copain.

— Arrêtez ! Arrêtez ! criait Alceste, la récré va bientôt se terminer.

— Toi, le gros, on t’a assez entendu ! a dit Maixent.

Alors, Alceste m’a demandé de tenir son croissant, et il a commencé à se battre avec Maixent. Et ça, ça m’a étonné, parce qu’Alceste, d’habitude, il n’aime pas se battre, surtout quand il est en train de manger un croissant. Ce qu’il y a, c’est que sa maman lui fait prendre un médicament pour maigrir et, depuis, Alceste n’aime pas qu’on l’appelle « le gros ». Comme j’étais occupé à regarder Alceste et Maixent, je ne sais pas pourquoi Joachim a donné un coup de pied à Clotaire, mais je crois que c’est parce que Clotaire a gagné des tas de billes à Joachim, hier.

En tout cas, les copains se battaient drôlement et c’était chouette. J’ai commencé à manger le croissant d’Alceste et j’en ai donné un bout à Geoffroy.

Et puis, le Bouillon est arrivé en courant, il a séparé tout le monde en disant que c’était une honte et qu’on allait voir ce qu’on allait voir, et il est allé sonner la cloche.

— Et voilà, a dit Alceste, qu’est-ce que je disais ? A force de faire les guignols, Geoffroy et Nicolas n’ont pas eu le temps de se battre.

Quand le Bouillon lui a raconté ce qui s’était passé, la maîtresse s’est fâchée et elle a mis toute la classe en retenue, sauf Agnan, Geoffroy et moi, et elle a dit que nous étions des exemples pour les autres qui étaient des petits sauvages.

— T’as de la veine que la cloche ait sonné, m’a dit Geoffroy, parce que j’avais bien envie de me battre avec toi.

— Ne me fais pas rigoler, espèce de menteur, je lui ai dit.

— Répète un peu ! il m’a dit.

— Espèce de menteur ! je lui ai répété.

— Bon, m’a dit Geoffroy, à la prochaine récré, on se bat.

— D’accord, je lui ai répondu.

Parce que vous savez, ce genre de choses, moi, il ne faut pas me les dire deux fois. C’est vrai, quoi, à la fin !

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