5) Avant 1940, pendant la « drôle de guerre », les Français attachaient si peu d'importance à cette guerre qu'ils n'avaient même pas songé à fabriquer un sobriquet populaire méprisant pour l'ennemi, ainsi qu'il est d'usage en de telles circonstances. Ceux qui avaient connu 14-18 se contentaient de dire « Les Boches » par habitude, mais la jeunesse disait « les Allemands ». Rien de spontané ne s'était créé. Après juin 40, le fait allemand étant devenu réalité quotidienne, et même plutôt obsédante, les sobriquets surgirent à foison. On dit d'abord « les Fritz ». Mais la brièveté du mot ainsi que le choc barbare des deux consonnes terminales répugnaient à l'appareil vocal français aussi bien qu'à la tendance de l'argot parisien à prolonger les mots par des queues de cerf-volant. On eut donc bientôt « les Frisés », puis « les Frisous », puis « les Fridolins », ce dernier terme devant très vite connaître un succès général. Il y en eut d'autres, plus « intellectuels », par exemples « les Doryphores » (parce qu'ils dévoraient nos patates). Tout cela n'était pas bien méchant, n'avait pas ce contenu haineux qui jaillit de la consonance même du mot « Boche ». Le plus inattendu de tous, et qui fut adopté d'enthousiasme par les jeunes, est assurément « les Chleuhs ». Les Chleuhs sont, en fait, une population noire nomade des confins du Sahara. Comment cela en vint-il à désigner l'occupant blond? Peut-être justement parce qu'il se voulait blond? Peut-être, plus vraisemblablement, parce que c'était incongru, cocasse, et que ça sonnait bien? « Chleuh », ça se crache comme un glaviot... En tout cas, les mômes et les adolescents ne parlèrent plus que des « Chleuhs ». (Note de l'auteur)

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