DEUXIÈME PARTIE LE CHANT DU DÉPART

ARGUMENTS DE CHOC

Le plus duraille ç’a été de convaincre Berthe. Elle a opposé un non aussi catégorique qu’un niet à ma demande, pourtant plaisamment présentée.

— Antoine, vous vous foutez-t-il de ma gueule ? Moi, au cap Nord ! Sujette comme je suis aux engelures ! Moi qu’aime que la chaleur dont au point qu’ je me fais rôtir nue au soleil ! N’autre part, Alfred m’invite à une croisière en Méditerranée ; il a déjà retenu les billets, vous voiliez bien que c’est impossible qu’ j’vous accompagnasse. Mais qu’est-ce c’est, cette lubie, Antoine ? Un caprice ?

Alors là, j’ai déjà pigé qu’il va me falloir sortir le grand jeu, abattre des cartes maîtresses, foisonner de l’atout.

Baissant la voix pour en forcer la nostalgie, je susurre :

— Pas exactement un caprice, Berthe, disons un rêve.

J’ai dû doser impec la trémolance car elle reste figée, la bouche ouverte sur une langue mousseuse, des molaires mal plombées et un bridge en acier véritable qui voudrait passer pour de l’or blanc. Son regard gros comme des boules de pétanque ruisselle d’incertitude et d’une curiosité salingue.

— Qu’entendez-vous-t-il par là, Antoine ? Et ma pomme, pas rechigneur de l’argument choc, de m’entendre dire :

— Partir avec vous, c’est un rêve fou…

Je m’aperçois à temps que je lui récite une chanson du grand Trenet et je corrige la trajectoire :

— Ah ! rouler, rouler en votre compagnie jusqu’au bout de la Terre (et le cap Nord est un des bouts de la Terre). Vivre une vie de nomades de luxe en vous écoutant chanter. Si, si, si, ne vous récriez pas, Berthe, vous possédez une voix magnifique qui s’accommode de toutes les tessitures. Je me rappelle vous avoir entendue chanter La Peau de Couille, au baptême d’Apollon-Jules, j’étais sous le charme…

— Vous lisez ça pour d’vrai, Antoine ?

— Ma voix a des accents qui garantissent la sincérité des mots qu’elle profère ! Vous n’êtes pas sans avoir remarqué le trouble que je ressens en votre présence, mon bel ange !

— J’doive dire…

— Merci ! Merci de l’avoir compris. Ainsi est né ce rêve insensé, Berthy jolie.

— C’est émotionnant, fait-elle ; vous allez m’faire chialer des yeux, Antoine. Mais si vous voudriez qu’on partasse, pourquoi insister pour que nous emmenassions Alexandre-Benoît et le moutard qui n’feront qu’nous faire chier, alors qu’on serait si tellement bien à deux pour viv’ notre passion ?

J’ai saisi sa dextre large et dure comme un tourteau.

— Je suis un homme compliqué, Berthe. J’ai besoin de vous avoir dans votre élément quotidien ; il accroîtra mon désir en le compliquant.

— Vous êtes perversiteux, a roucoulé la grosse vachasse ; c’ qu’est point fait pour m’déplaire, voiliez-vous. L’enculage à sec, ça a son charme, mais la vaseline aussi. Si j’ai un faible pour Alfred, c’est qu’il balise bien avant d’vous attaquer au sabre. Comme disait son père : « Une barbe bien savonnée est plus qu’à moitié faite. » En amour, c’est pareil : « Une chatte bien agacée, c’est l’panard assuré. »

Elle m’a contemplé de ses boules de pétanque inexpressives. Sa monstrueuse langue humectait ses monstrueuses lèvres. Par la pensée, elle se goinfrait de moi à l’avance. Je lui ai coulé une œillade assassine, histoire de forcer son adhésion.

— Et on voiliagerait comment t’est-ce, Antoine ? J’ai pas très bien comprise.

— Dans une caravane au confort prodigieux. Deux chambres, un living, une kitchenette, une salle d’eau. Une télé-vidéo qui nous permettrait de projeter des films, les soirs de solitude dans la Laponie inhabitée. Ah ! Berthe ! Berthe, mon cher cœur ! Je vous imagine sur les rives des lacs couleur d’aigues-marines et bordés de sombres forêts ; vous imagine, préparant sur un feu de bois le poisson que nous aurons pêché. Je confectionnerai des cerfs-volants à l’adorable Apollon-Jules, des petits bateaux à aubes animés par un gros élastique, des huttes de branchages dans lesquelles nous nous retrouverons la nuit venue, pendant que le Gros ronflera dans la caravane. Berthe ! L’heure de l’extase au soleil de minuit ! J’imagine vos superbes seins dans ce demi-jour propice aux étreintes ! Votre moulasse foisonnante dans ce faux crépuscule. Vos cuisses de déesse grecque. Rien que d’y penser, j’ai envie de crier, Berthe ! O mon aimée, ne refusez pas une telle occasion, elle risque de ne jamais plus se représenter ! Vivons, si m’en croyez. N’attendons pas demain, cueillons dès aujourd’hui les roses de mon vit.

Alors elle clôt ses paupières taillées dans un vieux portefeuille usagé Hermès, en croco véritable, et déclame :

— J’sus t’à toi, voyou ! J’sus toute z’à toi.

Je sens que mes lendemains seront difficiles.


Nous partîmes dix jours plus tard.

LE STOPPEUR

Les « Services » avaient magnifiquement fait les choses et le mobile home qu’ils mirent à notre disposition en jetait pis que la roulotte d’Achille Zavatta. A dire vrai, il ne s’agissait pas d’une caravane attelée, mais d’un véhicule compact, comportant un « poste de pilotage » à trois places séparé des « appartements » par une cloison de verre dépoli. Au-dessus de la cabine du chauffeur se trouvait un compartiment pourvu d’un lit qui tenait de la niche du chien et du rayon du haut d’un immense bahut bourguignon. Fallait pas craindre de se cigogner le plaftard pour roupiller dans ce volume de quatre-vingts centimètres de hauteur.

Mes tendances à la claustrophobie me faisaient regimber à l’utiliser, mais n’étais-je pas le célibataire du voyage ? Il me revenait de dormir en ce casier funèbre, comme en un cercueil. Il me faudrait prendre de fortes doses de somnifère au début. Je comptais sur l’implacable force de l’habitude pour m’accoutumer à cette couche, en comparaison de laquelle les fameux « compartiments » de l’institut médico-légal ressemblaient à une chambre du Plaza Athénée.

Au bas de ladite se trouvait la chambrette d’amour destinée aux Bérurier. Coquette, drapée de tissu, elle comportait un lit sous lequel étaient aménagés des coffres de rangement, un placard, une banquette rabattable et un chromo montrant la Promenade des Anglais à l’époque de la reine Victoria. Entre la chambre en question et le « living », la salle de bains réduite à sa plus simple expression : cuvette de gogues, lavabo, minuscule douche, trop exiguë pour pouvoir héberger Béru ou sa Baleine. Le living se composait de trois banquettes en « U », au centre duquel une table télescopique pouvait tour à tour être utilisée pour les repas ou pour le drink de l’apéro.

Ce qui intéressa fortement Sa Majesté, c’est que sous la banquette la plus longue l’on avait logé un réfrigérateur abondamment garni de bouteilles variées : whisky, vin (blanc, rouge et rosé), Cointreau, pastis. Des larmes de bonheur perlèrent aux cils emboulés du Gravos.

Je passai dix heures dans ce véhicule en compagnie de Mathias, afin de « l’équiper » sérieusement. C’était un homme de bon conseil et de grand savoir, dont l’ingéniosité confinait au génie. Après notre étude, il s’activa la nuit entière avec ses bougres pour loger dans la caravane les choses de première (et aussi dernière) nécessité. Nous disposions alors d’un engin ultra-performant, capable de nous sortir de situations fâcheuses. Astucieux, le général Durdelat l’avait fait immatriculer dans le département du Doubs, endroit paisible de la belle France, peu propice aux magouilles de Services plus ou moins occultes. Des plaques parisiennes eussent éventuellement attiré l’attention.

Pour la première fois de ma vie, je m’étais laissé pousser la barbe. En dix jours, elle était loin de ressembler à celle du cher Alain Bombard, mais elle commençait pourtant à me donner l’air de quelque artiste sans renom qui compte plus sur son propre système pileux que sur celui de son pinceau pour conquérir la gloire.

Je portais un jean usagé, des baskets, un tee-shirt blanc où il y avait écrit « I love your cat » et un blouson de cuir défraîchi. J’étais muni d’un attirail de peinture dont je comptais me servir à l’occasion, ayant toujours montré des dispositions pour cet art sans parvenir à les concrétiser.

Nous quittâmes la capitale par l’autoroute du Nord. Je conduisais. Berthe avait exigé d’occuper la cabine de pilotage avec son fils, lequel me faisait chier dès les périphériques parce qu’il voulait tenir le volant. Bérurier avait admis de voyager dans la partie salon à cause des flacons mentionnés plus haut.

Il portait une chemise kaki à épaulettes, un short de coutil beige, des chaussettes montantes et des souliers de ville à lacets. Quant à Berthe, elle m’impressionnait avec son training rouge sur le devant duquel s’inscrivait, dans un carré blanc, la fameuse feuille d’érable emblème du Canada.

Elle s’est fait teindre en roux ardent (attention les yeux !) et, en l’apercevant, ton premier réflexe est de sauter sur un extincteur. Impressionnée probablement par le look de Mme Yvette Horner, elle arbore un maquillage blanc Pierrot, au centre de quoi des lèvres orangées, larges et copieusement laquées, ont l’air d’un énorme coquelicot. Ses paupières vertes ajoutent à la grâce du portrait, de même que ses boucles d’oreilles exquises représentant un petit ramoneur (savoyard, probablement) en train d’escalader une échelle longue de vingt-cinq centimètres. Quand on les examine d’un peu près, on constate que cet enfant de la suie a sorti son sexe de son bénouze maculé, probablement pour prouver qu’il appartient bien à la race blanche. Sa mignonne queue rose est hardiment dressée, ce qui ne doit pas faciliter son ascension à l’intérieur des cheminées.

Sur les flancs de notre bus-caravane, nous avons écrit, à l’aide d’une bombe à graffitis, dont les vendeurs sont en rupture de stock, tant il y a de par nos villes des hommes jeunes désireux de s’exprimer ; nous avons écrit, reprends-je : « Pontarlier-Cap Nord ». De nos jours, les touristes éprouvent le besoin de magnifier leurs exploits et, sitôt qu’ils franchissent les frontières de l’Hexagone, se considèrent comme des aventuriers téméraires, prêts à ridiculiser Magellan ou Vasco de Gama.

Il y a, dans l’affirmation déclarée de notre itinéraire, un courage sous-jacent qui tient à défier les peigne-culs sédentaires. Les deux mots « Cap Nord » sont de ceux qui stimulent toujours l’imagination. En les lisant, on oublie que des routes admirablement goudronnées et stabilisées, régentées par des panneaux tout comme celles qui relient Paris à Montargis, y conduisent sans coup férir. Mais non : se rendre au cap Nord implique dans l’esprit connard du con moyen une hardiesse qui le fait frissonner. C’est en vertu de cette naïve soif de conquête que tant d’enculés de frais équipent leur Range Rover de grilles pare-buffle, de roues de secours extérieures, de pelles et de pioches rangées contre la carrosserie comme des fourchettes à gâteau dans leur écrin. L’homme n’a pas encore compris que la véritable aventure, ce sont ses gosses et son boulot, et qu’elle peut être très belle.

Apollon-Jules devient si tartant, au fil des hectomètres, que je songe à stopper pour le confier à son paternoche.

— Veux conduiter la tauto ! pleurniche-t-il en essayant d’agripper mon volant.

Une idée à moi, cette expédition en compagnie du pittoresque ménage Bérurier. Qui donc, quels espions attentifs iraient suspecter un tel équipage ? Le général Durdelat a trouvé mon idée géniale. Jusqu’à l’itinéraire qui a eu sa pleine approbation. Foncer directo sur les lieux où est placardé le minerai pouvait sembler suspect. Mais ce bus béruréen, avec ce couple infâme et ce moutard de cinq ans est bien trop tapageur pour attirer l’attention, si j’ose dire. Le détour par le cap Nord qui va nous permettre de consteller notre carrosserie et nos vitres de vignettes, d’écussons et de trophées de bazar, justifie la halte que nous ferons en Finlande. Nous établirons un bivouac de quelques jours dans la région « X » et nous procéderons aux recherches sans nous cacher, en gueulant, riant, picolant. Surtout rien de furtif dans notre campement : le bordel français dans tout son déferlage ! You see, baby ?

— Je pense, fais-je à Berthe, qu’il conviendrait de mettre Apollon-Jules à l’intérieur de la caravane, sinon il va finir par provoquer un accident en se suspendant au volant.

— Moui, moui, moui ! renchérit la Baleine, je vais dire au Gros qu’y s’en occupe.

Justement, un parking est annoncé pour bientôt. Je ralentis. La Vachasse roucoule :

— Et puis comme ça, on sera seuls, Antoine ; je pourrerai vous caresser à votre guise !

Salope ! Je n’ai pas de guise ! J’essaie de penser au duc de Guise, justement, pour me faire diversion, pas sombrer dans les mélancolies dès la sortie de Pantruche.

Mais qu’ont-elles donc toutes à me traquer la bite ? Franchement, je suis si sexy que ça ?

Je fredonne : « Sisexyqu’ça, sisexyqu’ça »…

— Vous semblez heureux, Antoine ! jubile l’Ogresse.

— Y a de quoi, non ?

— Tais-toi, darlinge : je mouille depuis le départ !

Sa main gauche, massive, passe par-dessus les jambes du marmot pour venir établir une tête de pont dans ma braguette.

— Pas devant le petit, Berthe ! offusqué-je.

Elle glousse :

— Faut bien qu’il va apprendre les choses de la vie, Antoine. D’ailleurs, il a des disposances. Si je vous dirais que l’aut’ jour, chez notre primeur, il trifouillait dans la culotte d’une petite fille d’au moins huit-dix ans pendant qu’je causais av’c sa mère. Et la gamine ne bronchait pas !

J’emprunte la rampe du parking.

— Profitez-en pour lui faire faire pipi, conseillé-je.

L’Eléphante décambute avec son lardon.

— Ouf !

A peine ai-je abaissé les vitres pour chasser l’odeur consternante de son parfum qu’une sorte de vieux scout à short trop long, chapeau trop grand et sac tyrolien trop lourd, se pointe au niveau de ma vitre. Il porte des lunettes de vue munies de verres noirs en additif.

— Pardonnez mon outrecuidance, cher monsieur, attaque-t-il. Je me rends à Bruxelles et si vous consentiez à m’avancer quelque peu dans la direction de la capitale belge, je vous en saurais mille grâces.

Il cesse un court instant de parler, puis s’exclame :

— Seigneur ! Mais c’est San-Antonio !

Le vétuste a la bonne idée de retirer ses besicles, ainsi que son Bada à larges bords, et qui reconnais-je ? Je ne te le donne pas en mille : je t’en fais cadeau. C’est compris dans le prix du book : M. Félix !

Lui, plus cagneux, osseux, veineux, creusé que jamais. Lui, avec son long nez plongeant, son menton galochard, ses étiquettes décollées, son regard de nihiliste étincelant d’intelligence désabusée. Félix, le philosophe ! Le prof sans feu sacré ! Félix qui trimbale dans son slip la queue du siècle, au point de faire la pige à Béru !

Cet homme m’impressionne par son érudition, son anticonformisme absolu, sa misanthropie naturelle. Il traverse la vie en crachant et pissant dessus, côtoie les hommes sans les voir, ne s’intéressant un instant qu’à quelques marginaux dont je crois faire partie.

— Cher Félix ! dis-je, ému. Quelle joie de vous trouver sur ce parking anonyme !

— J’avais été pris en stop par quelque notable du Nord, explique-t-il. Mercedes et cigare, vous voyez le genre ? Il voyageait avec sa rombière goitreuse et sa grande fille pucelle. Je me suis assis à l’arrière, près de la jeune donzelle. Pour meubler le temps, j’ai commencé à lui parler de ses études. Sujet fâcheux : malgré ses dix-neuf ans, la gourde était toujours en troisième. Le père est intervenu : « Elle est allergique aux études ; que pouvons-nous espérer pour elle, vous qui êtes professeur ? » « Qu’elle se fasse pute ou religieuse », ai-je répondu. Il n’a rien dit mais, en arrivant sur ce parking, m’a prié de descendre. Le cher homme ! Ça me permet de vous rencontrer ! Vous vous rendez vraiment au cap Nord, comme le prétend cette sotte inscription ?

Je lui apporte confirmation et précise que je voyage avec les Bérurier.

Il exulte :

— Quelle joie de revoir ces braves cons !

Je descends pour aller rejoindre Béru en compagnie de Félix. Le Gros a déjà réglé son compte à une bouteille d’Hermitage blanc et aborde une somnolence que nous faisons voler en éclats par notre venue.

Liesse ! Cris ! Accolades ! Retour de Berthe qui peste contre ses godasses pleines de merde, biscotte ces chiottes innommables ! Elle rengracie pour bisouiller la décharnance de Félix. On casse une boutanche de Dom Pérignon. Le cap Nord ne nous attend pas, hein ? A quoi bon se « bouliguer » ?

A vrai dire, je n’avais pas prévu de passer par Bruxelles, mais après tout, on s’en torchonne de prendre le chemin des écoliers. On peut rendre ce service à Félix. Il nous raconte qu’il va en Belgique pour, éventuellement, contracter mariage. Une éminente sociologue belge, Mme Irma Ladousse, docteur honoris causa de la faculté de Boston, dont les ouvrages font autorité, presque autant que ceux de mon cher professeur Alfred Sauvy, est venue prononcer un discours dans l’établissement où se prodigue Félix. Ils ont sympathisé. Félix a fait connaître à l’érudite d’humbles bistrots où il a son rond de serviette. Puis il l’a invitée à venir chez lui, boire du vin d’orange de sa fabrication[4]. Instant de qualité.

Une chose en amenant une autre, ils ont parlé de la sexualité qui n’est plus ce qu’elle était. Dans le feu de la discutance, il a révélé à l’éminente qu’il possédait un paf sur-surdimensionné. Bien entendu, elle l’a prié de le lui montrer. En découvrant la bête, Irma Ladousse a failli s’évanouir. J’ai remarqué, ayant pas mal fréquenté ce phénomène, que l’exhibition de son membre devant une femme provoquait souvent un tel phénomène de défaillance. Je crois Félix quand il prétend qu’un jour lointain, l’épouse d’un avocat en renom est décédée d’un collapsus à la vue de son chibre. Peur ? Excès de joie ? Désespoir à la pensée de ne pouvoir l’utiliser ? Peut-être le tout à la fois. Rares sont les donzelles capables d’héberger un pareil membre. Il est arrivé fréquemment à notre ami prof d’être brancardé sous une couverture jusqu’à l’hôpital, soudé à une dame qu’il avait pu pénétrer mais qu’il lui était impossible de quitter. Fâcheuse situation, douloureuse et ridicule.

Donc, la sociologue de renommée internationale, effarée par le braque de son confrère, lui a demandé courageusement d’en user avec elle. C’était une gageure. Elle avoua n’être pas portée sur le sexe, mais vouloir tenter d’engouffrer ce mandrin à titre expérimental. Bonne âme, Félix vaselina dûment la savante, oignit le corps de son délit à lui et, fort de cette double et copieuse lubrification, entreprit de combler à la fois les vœux et les miches de la dame. Il y parvint. Le professeur Irma Ladousse prit, pour, prétendit-elle, la première fois de sa vie, un pied géant.

Les deux jours qui suivirent, ils ne purent réitérer, la malheureuse ayant le siège déchiqueté. Elle devait s’asseoir sur des coussins de plumes et marchait comme un vieux colonel de cavalerie ; mais, en prenant congé de Félix, elle lui fit promettre de la rejoindre avenue Louise sitôt qu’elle aurait guéri ses blessures.

— Le moment est arrivé, conclut notre ami. Irma, non seulement est complètement cicatrisée, mais elle s’entraîne à élargir ses voies navigables par l’introduction d’objets pouvant concurrencer mon pénis, tels que : magnum de Perrier, batte de base-ball, pendule neuchâteloise, bouteille de plongée sous-marine. Elle me jure que nos étreintes seront, dorénavant, aisées et sans fâcheuses séquelles. Dans sa dernière lettre, elle propose de m’épouser. J’hésite.

« Certes, je suis un célibataire endurci, mais l’âge vient, avec son cortège de funestes perspectives. Irma est encore jeune : la cinquantaine. Agréable et riche. Elle possède une grande maison au bois de Lacambe et un mas en Provence. L’existence qu’elle me fait miroiter est sécurisante. Je prendrais ma retraite et me consacrerais à la rédaction de plusieurs ouvrages qui me tiennent à cœur, dont l’un sur l’éveil de la connerie chez l’enfant intra-muros.

« Je voudrais prouver que, dans le sein même de sa mère, le bébé subit l’agression de la bêtise. Tout ce qu’il perçoit comme sensations commence à le conditionner pour devenir con. Si bien qu’au bout de la gestation maternelle, c’est un petit connard qui jaillit en gueulant comme un con de l’utérus. Et les rares êtres humains intelligents le deviennent par une sorte de vocation intuitive ; pour cela, il leur faut se débarrasser de cet acquis connesque qui leur a été infligé au cours de la grossesse maternelle. C’est un travail de récupération, en somme, si difficile à mener à bien, que peu d’individus parviennent à l’intelligence réelle. »

Bérurier rote un grand coup.

— On a z’eu d’la chance, si j’en croive c’ qu’ tu nous bonnis, Félisque. Moi, j’imagine pas qu’j’eusse eu pu êt’ con. Y m’semb’ que même quand est-ce je folâtrais dans l’ vent’ à ma motheur, j’étais déjà équipé d’la gamberge. C’est comme la bite, comprends-tu-t-il ? Ell’ s’dév’loppe tout’ seule, sans qu’tu le veules. L’intelligence marche de paire. Et de paire de couilles, Félisque, si tu voudras m’permett’ c’bon mot ! Maint’nant, écluse-moi ce roteux et pense plus à tout ça. J’ai r’marqué qu’ dans l’éguesistence, plus tu réfléchis, moins t’avances.

Ils boivent. Ensuite nous reprenons la route. Félix et Berthe sont à mes côtés dans la cabine et Apollon-Jules tient compagnie à son papa, lequel le forme à l’alcoolisme en lui faisant absorber un bol de vin rouge sucré. Le Mammouth prétend que c’est ainsi qu’il a été élevé et que là réside le secret qui permet de forger les vrais hommes de demain.

La survenance de M. Félix dans notre équipée est une aubaine pour moi, ainsi sa présence me soustrait-elle, provisoirement, à la voracité de Berthaga.

L’Ogresse, émoustillée par le récit concernant la conférencière au frifri en lambeaux, déclare :

— Un phénomène comm’ vous, Félix, c’est phénoménal, moi je dis. Montrez-moi un peu votre paf ! J’ l’ai perdu de vue d’puis le temps qu’on s’est perdus de vue. Oh ! la vache ! V’s’avez remarqué qu’y dépasse de votre short, Félix ? Ah ! la la ! Cette tête de nœud ! On dirait une grosse tomate ! Il conjectionne d’être coincé par votre short. Faut lu redonner un peu d’aisance.

« Vous permettez-t-il que je vous débraguette ? Saloperie de fermeture ! Elle est coincée, nom de Dieu ! Vous seriez pris d’un besoin urgent, comment t’est-ce feriez-vous-t-il ? Attendez, faut pas s’affoler. Ma maman disait toujours : “Patience et longueur de dent, font mieux que force et qu’orage.” Oh ! la vacca, le bestiau qu’est assoupi là-dedans ! Mon pauv’ Félix, c’est pas demain que vous emplâtrerez une rosière !

« Dites, quand vous licebroquez, vous d’vez vous tiendre à un mètre du mur, non ? Putain de tirette ! Vous avez-t-il un couteau, Antoine, que j’en vinsse tabou ? Dans la boîte à gants ? J’vous remercille. Ah ! oui, l’ v’là. Mais dites donc, c’t’un coutelas de louchébem. Bon, on va faire avec ! T’nez-vous tranquille, Félix, je ne voudrais pas vous larder le chibrac. »

La Baleine s’active en geignant de concentration.

— Houiouiouillllle ! sirène soudain le philosophe, vous m’avez coupé, grosse vache !

— En tout cas j’ai eu la fermeture ! triomphe ladite.

Elle le prouve en écossant le short récalcitrant.

Peu après, le marteau-pilon de Félix surgit dans la grise lumière de la cabine. Il n’est pas dans toute sa gloire, d’autant qu’il vient de subir une agression dont il reste à mesurer les conséquences, mais il continue d’impressionner, comme impressionnent un échafaud démonté, une star non maquillée ou encore le Saint-Laurent en pleine débâcle des glaces. C’est quelque chose d’important, presque quelqu’un ! Un monstre assoupi ayant reçu en son flanc un coup de rapière qui le fait saigner.

Le prof éructe :

— Vous me préparez de belle façon à l’hymen qui m’attend, donzelle infâme ! M’aurait-elle tranché la veine, cette délirante femelle ? Antoine, vous qui possédez de bons yeux, de grâce rangez-vous un instant sur le bas-côté et examinez ma sotte blessure.

J’obtempère.

Il m’est inconfortable d’étudier une bite de soixante centimètres de long sur environ dix de diamètre qui, de surcroît, pue le renfermé et le bouc malade. Je dois puiser dans l’amitié que je porte au charmant misogyne. Je constate que la lardoire de Berthe a entaillé le bas morceau de Félix sur son flanc droit, c’est-à-dire dans une région intermédiaire que n’irrigue pas la grosse veine bleue. Cela dit, l’entame est sérieuse et il est certain que le cher étalon sera inapte à l’amour pendant un bon moment. Je vais quérir la trousse de secours. Béru et son hoir, ivres morts, dorment à point nommé. Je reviens accorder à notre stoppeur des soins que je n’avais encore jamais prodigués à personne. Alcool à 90°, application de poudre Cicatrex Puder, pansement adhésif.

Le prof continue d’invectiver la Grosse :

— Vous rendez-vous compte, pétasse obscène, qu’une femme m’attend, le sexe en délire, se masturbant quinze fois par jour pour soutenir sa fièvre érotique et que je vais devoir lui présenter un pénis agressé, lardé, ensanglanté, pansé ! Comprenez-vous, truie lubrique, la faillite amère que vous m’infligez ?

La Gravosse confusionne. Elle explique comme quoi la lame du coutelas a ripé sur l’acier de la fermeture Eclair et s’est malencontreusement fourvoyée dans la chair palpitante du phénomène.

— Taisez-vous, louche émanation du trottoir ! Gueuse sans morale ! Tas résiduel ! Equeuteuse abjecte ! Tombereau d’imondices ! Flatulences solifiées ! Ramassis d’entrailles corrompues ! Négation de l’espèce ! Assemblage de purulences ! Barrique emplie de sanie ! Réservoir à menstrues ! Fosse d’aisance ! Déversoir à sperme. Pompeuse de clochards ! Vide-ordures ! Mégère ! Gorgone ! Masque de carnaval allemand ! Ignominieuse ! Monticule de pourriture ! Vêleuse !

Il se tait, à court d’oxygène, très près de la syncope, gorgé d’adrénaline.

Un ultime râle :

— Laissez-moi descendre, Antoine, je chercherai un véhicule qui ne soit pas une citerne à merde, pour finir ma route.

Je ralentis, mais, avant l’arrêt complet des réacteurs, trouve un moyen terme. Il consiste à envoyer la grosse rejoindre les chers siens à l’intérieur du camping-car en attendant que s’apaise le courroux du philosophe touché dans ses œuvres vives. La Bérurière rechigne un peu, mais, consciente des graves dégâts qu’elle a infligés à Félix, finit par se ranger à mon conseil.


Nous parvînmes à Bruxelles dans l’après-midi.

AU BON ACCUEIL

Le professeur Ladousse est une femme délicieuse. Des heures de vol, certes, mais un charme qui n’appartient qu’à celles qui ne sauront jamais qu’elles en possèdent. Un côté un tantisoit passé : flacon de parfum éventé pour vitrine qu’on n’ouvre plus. Intelligence, cordialité, simplicité, plus une beauté qu’aucun miroir, jamais, ne lui a révélée. Elle est « d’ailleurs » ; comme moi, en somme.

Parfois, j’arrive dans une contrée que je trouve engageante, belle à vivre. Je me dis que « et si je m’y fixais ? » Mais, aussitôt, quelque chose bat en retraite en moi, regimbe. Non, non, ce ne sera pas pour ici ! Mais pour où, alors ? Le phénomène de rejet s’opère même quand je regagne notre pavillon de Saint-Cloud. Bien sûr, je suis heureux de retrouver ma Félicie et quelques objets auxquels je crois tenir ; pourtant je m’y sens confusément étranger. Etranger dans ma maison ! Une sensation de précarité, d’insatisfaction. A la longue, j’ai fini par piger qu’il n’existe pas de lieu sur la Terre où je pourrais m’ancrer pour de bon. Peut-être se trouve-t-il sur une autre planète ? Faudrait y aller voir…

Mais je sais bien que je serais marron. La vérité c’est que l’homme est trop « de passage » pour pouvoir « s’installer vraiment ». Quand tu l’as compris, que c’est sans solution réelle de continuité, qu’il est seulement question de « moment », qu’as-tu à branler d’une « Villa Sam’ Suffit » ? D’un lopin de terre ? D’une maison « les pieds dans l’eau » ? Les pieds dans le cul, oui ! Lorsque t’es parfaitement conscient de cette réalité, t’acceptes de passer, de passer simplement, en rasant les murs. Trimardeur de la vie ! Bonjour, m’sieurs-dames, bonsoir, m’sieurs-dames ! A bientôt ! A jamais !

Ma seule maison résidentielle, c’est maman. Mes résidences secondaires, c’est les culs de gonzesses qui me font l’honneur de m’héberger. J’habite la tendresse et la fornication. C’est un peu précaire, mais je m’en accommode. Je repose mon cœur, je tire ma crampe ! Et puis je marche ; la Terre étant ronde, je reviens à mon point de départ, fatal. En chemin, je trouve du vin, des fleurs, des oiseaux ; faut pas se plaindre. Et puis se plaindre à qui ?

Ben tu vois, Irma Ladousse, docteur honoris caudal de la faculté de Boston, elle a dans le regard cette même résignation désenchantée que tu devrais apercevoir dans le mien, si t’es pas trop miraud.

Ça lui donne un air gentiment surpris. On a envie de tout lui apprendre, à cette érudite. Je comprends que le père Félix soit prêt à lui accorder sa bite, sa main, son reste de vie. Voilà une bonne compagne de route. Tu peux cheminer à son côté, l’âme sereine.

Félix nous a présentés et elle nous a accueillis chaleureusement dans sa grande demeure en briques roses posée sur une pelouse vert pomme. Elle nous propose de rester dîner. Accepté à l’unanimité ! Et même, nous pouvons dormir ici, la demeure comportant moult chambres. D’accord, d’accord ! Irma est servie par un couple chenu qui déjà travaillait pour ses parents. Son père a été ministre, jadis. Il y a des portraits de lui impressionnants dans la crèche. Un mec pas rigolard le moindre, trogne rougeaude et glaciale malgré tout ; calvitie cabossée, regard teigneux et pâle, lèvres minces comme des escalopes italiennes, oreilles pointues de goret.

La savante nous fait servir du vin du Rhin très frappé : ça ressemble à de l’Alsace, ça a le goût de l’Alsace, mais c’est pas du Canada Dry.

— Tendre ami, je vous trouve plus que songeur : maussade ! dit la professeuse au professeur.

— J’ai des raisons d’être plus que maussade, avoue M. Félix. Si vous pouviez m’accorder un bref tête-à-tête, je vous mettrais au courant d’une fâcheuse mésaventure qui vient de m’arriver alors que je manipulais un couteau de camping.

La bonne hôtesse examine son futur époux et, ne lui trouvant aucune plaie apparente, se met à supposer hors de la vérité.

— Auriez-vous blessé quelqu’un ?

— Quelqu’un de bien ! ricane Félix.

Ils sortent. Je gage qu’il entraîne sa consœur dans une chambre pour lui exhiber la nature du désastre. Quand ils reviennent, un quart d’heure après, la dame paraît soucieuse. Elle nous annonce qu’elle vient de mander le docteur Van Démiaire afin qu’il donne son avis sur la singulière blessure.

Il arrive en voisin puisqu’il a son cabinet dans la maison d’à côté. C’est un grand type aux cheveux gris-blonds avec un fort strabisme convergent, mal corrigé par des hublots de bathyscaphe. Il aboie avec l’accent belge au lieu de parler ; mais la caravane passe.

Examen dans la pièce contiguë.

Un grand cri à modulation de fréquence :

— Ayouyou allez !

La stupeur du praticien qui se trouve nez à nœud avec la plus grosse biroute de sa carrière. Commentaire !

— Mais je n’ai jamais vu un pénis d’une telle ampleur ! Je croyais que, seuls, quelques nègres en étaient dotés ! C’est tout à fait inouï ! Mon cher ami, il faut absolument léguer votre sexe à la science.

— Je n’envisage pas la survie de ma queue dans une solution aqueuse d’aldéhyde formique, docteur, proteste Félix. J’ai vécu avec ce membre surdimensionné, je me ferai incinérer avec lui. Laisser un tel tronçon de ma personne derrière moi me semblerait ignominieux.

— Mais c’est votre devoir, mon ami ! Je suis convaincu que Pascal aurait été d’accord pour qu’on prélève son cerveau qui était double, m’a-t-on dit !

Ça lui bassine les couilles, Félix, ces considérations. Il grommelle :

— Ecoutez, docteur. On vous a demandé de venir pour le soigner, non pour en faire l’ablation !

L’homme de l’art remise sa convoitise scientifique dans sa trousse et entreprend d’étudier la blessure.

— Mais c’est une très mauvaise coupure, savez-vous ! A trois millimètres près, vous aviez la veine sectionnée ! Il faut que je vous fasse des points de suture !

— Dans combien de temps estimez-vous que mon sexe redeviendra opérationnel ?

— Eh là ! Il faudra bien compter une dizaine de jours. Peut-être davantage si vous cicatrisez mal !

— Le sort vient de me jouer un mauvais tour, soupire le pauvre phénomène.

— Venez jusqu’à mon cabinet, car cela va être une véritable petite intervention chirurgicale. Dites-moi, mon cher, me permettriez-vous de la photographier ? C’est pour montrer à mes confrères…

— Si cela peut vous faire plaisir, consent Félix.

Faut dire qu’il a l’habitude de se laisser flasher, le chéri ! Tous les privilégiés qui ont l’occasion de rencontrer son super-paf veulent conserver une preuve du phénomène.

Les deux hommes partent. Irma Ladousse nous propose de nous guider jusqu’à nos chambres pour des ablutions d’avant dîner. Les Bérurier acceptent sans joie, mais leur chieur réclame popot, ce petit bandit. Béru murmure que s’il pouvait avoir sur sa table de chevet une bouteille de ce vin exquis, ça faciliterait la prise de certains médicaments qu’il a à absorber. Menteur !

Je suis le dernier à être conduit dans ma piaule de célibataire, une exquise chambrette qui ressemble à celle que j’occupe à Saint-Cloud : papier et rideaux cretonne, lit et meubles de famille, donc louis-philippards.

Elle va ouvrir les volets. Moi je trouve sa croupe drôlement excitante. Pourtant j’aime point trop tirer les intellos. Trop bêcheuses. Elles se regardent baiser et te parlent de Kant au moment où tu vas floconner du lance-flammes. Mais moi, une femme dont le ventre est comprimé par un appui de fenêtre et qui, donc, a le joufflu dans une posture optimale (au petit mâle), ça m’électrise tout l’hémisphère sud. Me voilà en état second, pour ainsi dire. D’autant qu’elle n’arrive pas à débloquer la butée du volet.

— Ne vous penchez pas tant, coassé-je (j’ai plus la force de croasser), vous allez vous défenestrer.

Ce disant je saisis sa taille à deux mains, le plus bas possible.

Est-ce une illuse ? Il me semble la sentir frémir sous mes doigts. Le butoir continue de résister. Moi d’accentuer ma pression. Je me plaque contre elle. V’là ma tête chercheuse qui dévergonde aussi sec. Je me sens venir un panais du diable. J’oublie les convenances, les lois de l’hospitalité, celles de l’amitié. Flottt ! Mes deux paluches glissent au bas de sa jupe. Flopppp ! Elles la retroussent. Et la savante qui ne bronche pas ! Elle a même cessé de s’attaquer au volet récalcitrant. Son fignedé, par contre, ne l’est pas du tout (récalcitrant). Ma jubilation physique se teinte d’un étonnement sans limites. Elle a si peu l’air de « ça », cette respectable personne ! C’est si peu son genre !

Je fais dégouliner sa culotte d’honnête femme le long de ses jambes. Un petit gligli mutin dans la moniche pour repérer le territoire. Ça s’annonce bien, la carburation est parfaite. Nous sommes attendus, que dis-je : espérés, mon camarade Popol et moi. Je le circonvolutionne tout autour de l’objectif. La rosée du soir tombe sur la savane. Et, mollo, j’engage les pourparlers. A toi, à moi la paille de fer ! Frotti et frotta sont sur un bateau. Une gondole ! Envoyez les mandolines !

Oh ! ce que ça lui plaît, ma barcarolle. Tout en demi-teinte. Je la lonche zéphyr. Je pourrais lui bricoler la laitance ou ponctuer avec deux doigts sur le clito, mais c’est pas la peine : on se contente de ça. On va l’amble. Pas du tout la course de chars façon Ben Hur. Quo Vadis, ce sera pour une autre fois. Là, t’assistes à de l’emplâtrage délicat, nonchalant. Le coït du gentleman qui n’a pas le temps de se dessaper. Un accouplement sans meurtrissure et qui ne froisse pas.

Faut dire que Miss Irma, après s’être respiré la balise à Félix, elle peut voir venir n’importe qui désormais. C’est pas mon braque de seigneur qui va lui craquer les jointures ! Je l’arpente du nœud comme je visiterais le musée de l’Ermitage. J’aime sa passivité, sa gaucherie de damoiselle. Je ne sais plus chez qui il y a un tableautin représentant une jeune fille vue de dos, accoudée à une fenêtre. Chaque fois que j’y porte les yeux, j’ai envie de goder. Faut dire qu’un rien me surexcite. Moi, même quand je croise un enterrement, je pense à la baise.

Alors, Irma, je l’accomplis silencieusement, sans me départir du rythme velouté. Ça dure au moins vingt minutes, et elles sont ineffables, comme disait Florian[5]. Je risque pas la surchauffe ! Une pétée souveraine, je te dis. Du La Varende ! Le duc de Morny limant sa gouvernante !

Et puis, bon, tout a une fin. Elle jouit sobre, plaçant sa main devant sa bouche pour étouffer la plainte orgasmique. J’opère le pas en arrière réglementaire. Elle se défenestre, mais du bon côté.

De conserve, nous gagnons simultanément la salle de bains pour réparer du gland l’irréparable outrage. C’est rare que je gagne cet endroit en même temps que ma partenaire. Y a que les époux qui se le permettent, ou les amants de vieille liaison, lorsque l’habitude a tué la gêne.

Elle opte pour une place assise, je surplombe le lavabo.

Tandis que chantent les robinets, Irma Ladousse prend la parole :

— Naturellement, vous me prenez pour une catin, ou du moins pour une hystérique ?

— Absolument pas ! réponds-je sans grande conviction, en pleine savonneuse.

Mlle Ladousse se décamote le berlingue avec clapotis agrestes.

— Ce que je vis présentement, voyez-vous, monsieur, est proprement stupéfiant. Il y a quelques mois à peine j’étais totalement éloignée des choses du sexe. Une expérience, une seule, avec un camarade de faculté, avait banni l’amour de mon existence. C’était aussi simple et formel que de renoncer au parachutisme lorsqu’on a raté son premier saut. J’ai vécu sans sexualité, compensant les appels de la chair par le travail et me félicitant d’avoir opté pour cette philosophie.

« Et puis, récemment, il y a eu cette conférence que je suis allée faire à Paris. J’ai connu ce pittoresque bonhomme de Félix, être merveilleux, brûlant d’intelligence et pétri de renoncement. Nous avons sympathisé. Il m’a parlé de son sexe, moi de ma frigidité. Nous avons eu l’audace de les mettre en présence. Les dimensions inimaginables de son pénis ont bouleversé toutes les données sur lesquelles je vivais.

« Il m’est soudain apparu que je devais subir ce membre terrifiant, que lui seul pouvait remplacer ma vie sexuelle perdue, compenser ces années au cours desquelles j’ai connu ce que le philosophe André Sarda, de la faculté de Toulouse, appelle : « la paix lamentable des sens ». A force de ténacité et d’excipients, nous sommes parvenus à l’inconcevable, cher monsieur : il m’a pénétrée ! Entièrement ! Moi ! Si réduite ! Si étroite ! Les jours qui ont suivi ont été terriblement douloureux pour mon siège. Je vous passe mon calvaire. Mais ma volonté fut la plus forte et je suis devenue performante, vous l’avez vu. »

Je proteste :

— Madame, mon pénis est sans commune mesure avec celui de votre fiancé ; ne tenez pas pour une victoire ce qui n’est qu’une modeste introduction.

— Taratata, mon ami, ne vous diminuez pas. Vous êtes de belle venue, votre membre se classe non pas dans la catégorie des phénomènes, mais au tout premier rang des sexes performants. Je vous parais bien renseignée, malgré l’aveu de ma chasteté prolongée, c’est que, depuis mon retour à Bruxelles, je visionne un nombre incroyable de films « X » sur vidéo, ce qui me permet d’apprécier la normalité d’un pénis. Mes sens sont en folie. La solitude et l’imagination les exaltent. Je ne rêve que de réitérer mes exploits avec Félix. Si je viens de vous céder avec une facilité de courtisane, c’est parce que la déception qu’il m’a infligée en me montrant sa pauvre queue poignardée est si intense que je me serais laissé prendre par un âne ou un bouvier des Flandres.

Puis, se rendant compte à quel point cet aveu est désobligeant pour moi, elle ajoute, en se séchant le frifri :

— J’ai commencé notre étreinte par nécessité, mais je l’ai achevée dans l’extase. Vous êtes un superbe amant, aux manières délicieuses. Vous me prîtes avec grâce et détermination. Mon plaisir fut total, mon tendre ami. Je vous en remercie du fond du cœur.

Elle s’avance vers moi, les lèvres offertes. Nous échangeons un baiser de cinéma d’avant-guerre. Puis elle dit cette phrase qui va avoir de grosses conséquences pour la suite de ce roman majeur dans l’œuvre san-antoniaise[6] :

— Puisque, à cause de cet accident, nous allons être condamnés à l’inaction sexuelle, Félix et moi, cela vous ennuierait si nous allions au cap Nord avec vous ?

PLUS ON EST DE FOUS…

A vrai dire, une pareille propose ne cadre pas avec mon programme. Notre camping-car va tourner roulotte de romanos. Nous restera plus qu’à tresser des paniers et à voler des poules le long du chemin.

— Ce serait un grand bonheur pour moi, mens-je, seulement notre véhicule n’a pas une capacité suffisante pour permettre qu’on y vive à six. De plus, je doute que la promiscuité avec nos amis Bérurier vous soit très agréable.

Elle sourit :

— Je ne pensais pas cohabiter, mais vous suivre. J’ai dans mon garage une Jeep Cherokee dont le kilométrage avoisine zéro car je ne m’en sers jamais ; ce serait une bonne occasion de la roder enfin !

Je gamberge à la vitesse de la lumière. Jusqu’au « cap Nord », il ne se passera rien de particulier puisque nous allons faire du tourisme ; c’est au cours de la redescente à travers la Finlande que la tonalité de l’aventure changera. On peut envisager de les quitter à ce moment-là.

— En ce cas, cher professeur et néanmoins amante, je suis ravi par votre idée.

Elle ressemble de plus en plus à une petite fille. Sa joie l’illumine de l’intérieur, ses yeux pétillent et, dans un élan juvénile, elle me palpe la queue à travers le bénoche.

— C’était tout à fait captivant, tout à l’heure, me dit-elle ; vous devez être un amant unique.

— Il est certain, madame, que le furtif accouplement auquel nous venons de nous abandonner, ne peut être considéré comme une prouesse amoureuse. J’espère avoir l’occasion de vous prodiguer un bonheur circonstancié au cours des jours à venir ; à condition, naturellement, que le cher Félix n’en prenne pas ombrage. D’après ce que vous m’avez appris, vos rapports avec l’amour, si je puis dire, se limitent à l’acte-clé et ignorent encore ces prémices folles qui donnent à celui-ci sa totale intensité. Douce amie, la prochaine fois je vous ferai minette et vous m’en direz des nouvelles ! Aucun ténor en renom n’a la langue aussi agile et propre au vibrato que moi. Je suis prêt à lancer un défi à l’immense Pavarotti lui-même, malgré le handicap que constitue pour moi sa barbe profuse, source de sensations accompagnatrices.

— Vous me troublez déjà, dit-elle.

— Que sera-ce quand nous nous trouverons au cœur de l’action, Irma, ma douce !

Et puis, bon, Félix revient, la démarche un peu lourde. Il marche comme s’il portait un pantalon trop grand de cinq tailles. Nous le trouvons pâle et le prions de s’étendre. Il a droit à un verre de vulnéraire. Son ressentiment à l’endroit de Berthe est toujours aussi vif. Lorsque Irma sort de la pièce, il l’invective par à-coups, comme gicle le sang d’une artère sectionnée :

— Carabosse ! Morue ! Maquerelle ! Pute rance ! Scatophage ! Harpie ! Gargouille !

La Berthe rougit.

— Ecoutez, Félix, je sais que c’est vot’ manière de flirter, mais vous pourreriez choisir d’autres mots ! Devant mon mari et mon fils, je trouve ça gênant.

— Ta gueule, pestilence ! Quand tu ouvres la bouche, des miasmes s’en échappent !

— Allons, allons ! sermonne le Gravos, tu vas pas nous péter une pendule, Félisque, pour une écorchure à la bite ! D’autant que c’était pour te rendre service qu’elle te l’a fait. Insulter une jolie jeune femme pour une pauv’ maladresse, c’est pas digne d’un gentelman.

— Ecoutez le gros porcin qui s’en mêle ! soupire notre prof tant aimé. Je viens ici pour me marier. Au moment où je parle, je devrais être en train de placer au moins vingt-cinq centimètres de pénis dans le divin réceptacle de ma bien-aimée, pour la débarrasser définitivement des éventuels reliquats d’hymen qui auraient pu s’attarder. Et au lieu d’accéder à ce bonheur des sens vers lequel j’ai cheminé comme un pèlerin se rend à Lourdes ou à La Mecque, je gis sur un canapé, avec un sexe recousu qui ressemble à un sac de sport pourvu d’une fermeture Eclair ! Et il faudrait que je remercie l’énorme connasse, fille, épouse et mère de cons, de m’avoir réduit à l’état de mutilé du paf ! Mais d’autres, plus chicaniers que moi porteraient plainte, la traîneraient en justice. Réclameraient et obtiendraient d’énormes dommages et intérêts. Je devrais les mettre sur la paille, ces insalubres Bérurier, si la vue du petit mongolien qu’ils ont engendré ne m’incitait à la pitié !

Le Mastard bondit :

— Félisque, fait-il en se dressant, je respèque trop ta savanterie pour t’ mett’ un taquet dans les naseaux, mais j’croive qu’ la colère t’Edgar. J’ai le regret d’te préviendre que si tu retires pas tout de suite le terme dont tu viens d’appeler mon enfant, moi et les miens, on rent’ à Paname par l’premier train !

Félix le darde un grand coup, puis sourit.

— Je retire mongolien, déclare-t-il, et je remplace ce qualificatif par hydrocéphale.

Béru plisse du frontal. Puis, soudain détendu :

— Comme ça, ça va, Félisque. Serre-m’en cinq !

Et il tend sa large main au blessé.


Berthe se fit baiser à deux reprises dans le courant de la nuit, et très bruyamment ; la seconde fois, surtout.

Relaxe et gaillardière, elle hurlait tout ce qui lui passait par la tête et par la chatte. Vocabulaire de routine dont n’aurait pas voulu le plus médiocre réalisateur de films pornos. Mais c’était sa façon de stimuler le mâle et de lancer son credo à la face du monde.

Notre hôtesse finit par être alarmée et vint toquer à ma porte pour s’informer. En habitué des rodéos béruréens, je la rassurai, mieux : l’entraînai jusqu’à la chambre des époux bruyants afin de lui découvrir un spectacle susceptible d’enrichir ses connaissances. Terrassé par les calmants, Félix dormait au bout du couloir.

Lorsque j’ouvris la porte des Béru, monsieur et madame s’offraient une séance à la duc d’Aumale. Le Mammouth se tenait allongé sur la moquette, un oreiller sous la tête, car il aimait son confort, tandis que madame, tous bourrelets dehors, le chevauchait de première en lui tournant le dos, pratique dont raffolait l’ancien chef de la Ligue qui défendit Paris assiégé par le bon Henri IV[7].

La Berthe au grand pied obéissait au mouvement de ces ravissants chevaux de bois de manège, embrochés par une barre de cuivre sur laquelle ils s’élevaient et descendaient avec grâce. C’est dans la période descendante que la Bérurière hurlait ces mots simples, ces mots rudes, ces mots vivifiants qui ont tant aidé la France à devenir un pays de bientôt soixante millions d’habitants.

La Baleine nous aperçut et nous sourit à travers ses beuglements, allant même jusqu’à nous adresser un petit geste cordial de la main ; la bougresse savait garder son self-control jusqu’aux rives de l’orgasme.

Au bout d’un instant, son manège ne s’enrichissant d’aucune variante, nous la laissâmes à ses tribulations charnelles, ce qui parut la désobliger quelque peu car c’était une femme qui aimait la société de ses contemporains en toutes circonstances.

Une fois dans le couloir, Irma me dit :

— Mon Dieu ! La fornication est ambiante et je l’ignorais ! Tout le monde copule dans l’enthousiasme et je me desséchais misérablement ! Je voudrais avoir la foi pour remercier le Seigneur de m’avoir enfin placée sur le droit chemin du sexe.

— Venez, décidé-je en la poussant dans ma chambre, je vous ai fait naguère des promesses dont je vais raccourcir l’échéance.

Et bientôt, elle s’entraîna à crier, elle aussi, ces mots de virago servant aux vocalises de Berthe ! Elle les avait admirablement mémorisés. Proférés par elle, ses « fourre-moi toute ! », ses « je la prends dans les miches, ta grosse bite ! » et autres insanités, se drapaient de poésie, avaient des sonorités de basson et aussi de harpe, parfois.

Le lendemain, excepté Apollon-Jules, tout le monde était exténué et nous ne quittâmes Bruxelles que tard dans l’après-midi.

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