Trois

Trois croiseurs légers syndics furent encore déchiquetés puis les principaux éléments de la flotte de l’Alliance convergèrent sur la Flottille sacrifiée. Un nouvel essaim de modules de survie signala que de nombreux rescapés de vaisseaux syndics endommagés inaptes au combat les abandonnaient. Dans la mesure où cette flottille ennemie s’éloignait des assaillants de l’Alliance, la vitesse d’engagement culminait à 0,1 c, soit à un trente mille kilomètres par seconde relativement lent. Les combats spatiaux impliquaient souvent des flottes se croisant à une vitesse combinée proche de 0,2 c, limite au-delà de laquelle les systèmes de visée ne pouvaient plus compenser efficacement les distorsions relativistes qui gauchissent la vue de l’univers extérieur.

Dans ces conditions, et même à 0,1 c, une passe de tir se réduit à la fraction de seconde où les cibles sont à portée des armes et où les systèmes automatiques visent et tirent, puisque les sens des humains sont incapables de réagir assez vite.

Les première et septième divisions de croiseurs de combat, fortes chacune de trois vaisseaux, arrivèrent les premières à portée de tir. Tous les vaisseaux de l’Alliance approchaient par-derrière et légèrement au-dessus de la grosse sphère aplatie de la formation syndic. La sphère est certes une médiocre formation de combat, mais on l’avait sans doute adoptée parce qu’elle facilitait les travaux de réparation. Les vaisseaux rescapés de la Flottille sacrifiée n’étant pas en état de combattre, ceux de l’Alliance pouvaient couper sans risque au travers pour attaquer n’importe quel bâtiment. Le Courageux du capitaine Duellos mena le Formidable et l’Aventureux dans une passe rapprochée sur le seul cuirassé ennemi qui avait pu recharger quelques-unes de ses armes. Normalement, un cuirassé aurait pu échanger des salves avec trois croiseurs de combat pendant un bon moment, mais, en l’occurrence, celui-là était endommagé et nombre de ses systèmes n’étaient qu’à moitié rétablis. Ses boucliers étaient vérolés, son blindage criblé de brèches pas encore colmatées et la plupart de ses armes réduites au silence. Les croiseurs de combat de l’Alliance déchaînèrent un tir de barrage dévastateur en le frôlant, leurs lances de l’enfer braquées sur tout ce qui fonctionnait encore sur ce bâtiment, afin de le mettre définitivement hors d’état de nuire.

Alors même que les croiseurs de combat de Duellos s’en éloignaient, l’Opportun, l’Éclatant et l’Inspiré ciblaient un de leurs homologues ennemis, ainsi qu’un croiseur lourd tout proche qui avait réussi à rendre opérationnelles quelques-unes de ses armes. Un déluge de frappes ne tarda pas à laisser ces deux bâtiments totalement désemparés, tandis que la septième division de croiseurs de combat poursuivait son chemin, sur les brisées des vaisseaux de Duellos, vers le croiseur de combat blessé. Celui-ci s’était détaché un peu plus tôt de la Flottille sacrifiée et tentait à présent d’opérer la jonction avec les deux cuirassés filant en direction des bâtiments endommagés pour s’efforcer futilement de les protéger.

Quelques minutes plus tard, le Léviathan de Tulev menait ses croiseurs de combat à l’assaut de deux autres croiseurs lourds, qu’ils réduisaient à leur tour au silence avant d’achever les dernières armes encore intactes du cuirassé.

Desjani était passée en mode « acquisition de cibles », les yeux rivés sur son hologramme, tandis que l’Indomptable, le Risque-tout et le Victorieux gagnaient du terrain sur le seul croiseur de combat de la Flottille sacrifiée dont les armes fonctionnaient encore. « Indomptable et Risque-tout, visez les armes. Victorieux, visez les autres systèmes opérationnels. »

La grosse formation syndic passa trop vite pour que les sens de Geary eussent le temps d’enregistrer quelque chose, mais son écran afficha rapidement une réactualisation de la situation, à mesure que les senseurs de la flotte évaluaient les conséquences de la passe d’armes. Un marqueur « HS » signalait que tous les systèmes du croiseur de combat syndic étaient morts, et les vigies de l’Indomptable énuméraient déjà à haute voix les avaries causées par la piètre défense ennemie : « Une lance de l’enfer a frappé un bouclier de proue. Aucun dommage. Le Risque-tout rend compte de deux frappes. Aucun dommage. Idem pour le Victorieux.

— C’est trop facile, grommela Desjani.

— Vous aurez droit à un combat plus égal avec ces deux cuirassés, lui affirma Geary.

— C’est vrai. » Le visage de Desjani s’éclaira et elle se concentra sur les deux prochaines cibles de son vaisseau.

Quelque cinq minutes plus tard, la sixième division de croiseurs de combat fondait sur la Flottille sacrifiée. Il ne restait plus au capitaine Badaya que l’Illustre et l’Incroyable, mais ils suffirent amplement à balayer les deux croiseurs lourds ennemis blessés, seuls vaisseaux de guerre de la Flottille sacrifiée dont les armes étaient encore opérationnelles. Alors que les deux croiseurs de combat de l’Alliance faisaient voler ces deux bâtiments en éclats, les vaisseaux ennemis vomirent un ultime essaim de capsules de survie, indiquant que leurs derniers spatiaux les abandonnaient maintenant que tout espoir de résister était perdu.

« Ils ne font pas non plus exploser leurs réacteurs, fit remarquer Rione.

— Non, convint Geary. Même logique que pour leurs bâtiments de radoub. Les Syndics occupent ce système et savent qu’il nous faudra le quitter, si bien qu’ils espèrent récupérer ces vaisseaux après notre départ si nous n’avons pas eu l’occasion de les détruire. Nous allons devoir veiller à le leur interdire. »

Les croiseurs de combat de Duellos venaient d’abattre un autre croiseur lourd qui tentait de rejoindre le seul croiseur de combat syndic rescapé, en le lacérant d’un tir de barrage de leurs lances de l’enfer qui le coupa en deux. Un peu plus loin, le croiseur de combat blessé rampait frénétiquement vers les deux cuirassés syndics, à l’approche mais encore très éloignés. Ceux de la septième division arrivaient juste derrière les vaisseaux de Duellos ; en le doublant, ils arrosèrent les débris du croiseur lourd de leurs lances de l’enfer.

Le croiseur de combat syndic était en très mauvaise posture, mais, alors que Duellos arrivait sur lui avec le Courageux, le Formidable et le Risque-tout pour porter l’estocade, il pivota au bon moment et accéléra en piquant vers le bas et sur bâbord. Les croiseurs de combat de Duellos fondaient sur lui à une vitesse tellement supérieure à la sienne qu’ils ne purent que le cribler de quelques rafales de leurs lances de l’enfer à grande portée.

Mais le Brillant, l’Inspiré et l’Opportun arrivaient assez loin derrière pour réagir à cette manœuvre évasive, et, en même temps, se trouvaient assez près du Syndic pour lui interdire de la répéter avant qu’ils n’arrivent à sa portée.

Geary tenta de se représenter mentalement les commandants de ces croiseurs de combat et se rendit compte que, bizarrement, il n’y parvenait pas. Pourquoi diable ces commandants ne lui avaient-ils laissé aucune impression ? Cette soudaine révélation le turlupinait et il s’efforça d’inscrire un pense-bête dans sa mémoire : dès qu’il en aurait le loisir, il lui faudrait consulter les états de service de ces trois officiers.

Le croiseur de combat syndic tangua et roula légèrement sous la poussée de ses propulseurs de manœuvre. Son changement de position lui permettait de braquer ses lances de l’enfer survivantes, et des faisceaux de particules en jaillirent, visant le Brillant au moment où ce dernier, l’Opportun et l’Inspiré altéraient légèrement leur trajectoire pour le survoler par tribord. Les boucliers du Brillant flamboyèrent quand quelques frappes les touchèrent, mais les salves de ses lances de l’enfer et de celles de l’Inspiré pilonnaient déjà ceux, bien affaiblis, du vaisseau ennemi. Ils s’effondrèrent sous ce feu nourri, puis les armes de l’Alliance déchirèrent le bâtiment syndic, réduisant en lambeaux coque, cloisons, équipement et spatiaux assez malchanceux pour se trouver sur leur chemin.

Le temps que Léviathan, Dragon, Inébranlable et Vaillant l’atteignent, le croiseur de combat syndic fut incapable de manœuvrer et ne parvint à riposter que d’une seule de ses lances de l’enfer. Les bâtiments de Tulev le martelèrent puis, laissant sa carcasse dans leur sillage, poursuivirent leur route vers les cuirassés et les unités légères qui tentaient de les rejoindre.

« Ses armes et ses unités de propulsion sont toutes mortes, mais quelque chose fonctionne encore à son bord et l’équipage ne l’a pas abandonné », fit remarquer Desjani d’une voix presque suppliante, comme pour implorer qu’on lui donnât l’ordre de survoler le vaisseau syndic blessé pour lui porter le coup de grâce.

Geary opina sans quitter l’hologramme des yeux. « Le Risque-tout est en meilleure position pour l’achever. Laissons-le faire. » Desjani hocha la tête en cachant à peine son désappointement.

Le Risque-tout obliqua légèrement vers le haut pour survoler le croiseur de combat syndic dans un nouveau déchaînement de ses lances de l’enfer. Alors qu’il poursuivait son chemin, le bâtiment ennemi explosa comme suite à une surcharge de son réacteur. « Des capsules de survie ont-elles réussi à s’échapper ? » se demanda Geary à voix haute, se rendant subitement compte qu’il n’en avait vu aucune.

Une vigie secoua la tête. « Deux ont été larguées avant l’explosion du réacteur, mais elles n’en ont pas réchappé.

— Salaud, murmura Desjani, faisant manifestement allusion au commandant syndic qui avait permis trop tard à son équipage de s’échapper.

— La mort de Syndics vous attristerait-elle ? » s’enquit Geary, étonné de la voir s’en inquiéter. Non seulement Tanya Desjani considérait qu’il était de son devoir de détruire les vaisseaux ennemis et de tuer ses soldats, mais elle avait paru jusque-là y prendre un plaisir vindicatif.

La question la fit sourciller. « Ces gens ne seront plus une menace pour les nôtres et ce n’est pas dommage, expliqua-t-elle. Mais leur commandant n’en avait pas moins l’obligation de leur laisser une chance de se battre. Vous voyez très bien ce que je veux dire. »

C’était le cas, puisqu’un siècle plus tôt, à Grendel, alors que la bataille prenait une tournure de plus en plus désespérée, il avait précisément donné à son équipage l’ordre d’abandonner le vaisseau. « Ouais. Très bien. »

Sur leur lancée, les croiseurs de combat de l’Alliance, parfaitement dans leur élément maintenant que leur vélocité leur permettait de rattraper les unités légères syndics, pulvérisèrent une série d’avisos et de croiseurs légers ennemis et, comme distraitement, les deux croiseurs lourds encore opérationnels qui les flanquaient. À regarder ses croiseurs de combat charger à travers l’espace pour décimer les vaisseaux ennemis alors que les cuirassés de l’Alliance n’étaient plus qu’à deux doigts d’atteindre la Flottille sacrifiée, Geary comprit enfin pourquoi ses meilleurs officiers briguaient leur commandement. Cette charge n’était pas moins glorieuse que celle d’une cavalerie de jadis à la surface d’une planète. Mais, même aujourd’hui, il ne pouvait s’interdire de se demander combien de croiseurs de combat avaient été éventrés par des cuirassés plus lourdement blindés, et si le nombre des engagements où ils avaient réussi à charger victorieusement sur le champ de bataille n’était pas inférieur de très loin à celui des combats où ils avaient souffert de ce handicap.

Derrière l’Indomptable et les autres croiseurs de combat, les cuirassés de l’Alliance avaient légèrement altéré leur course pour survoler la Flottille sacrifiée et viser un point d’interception des deux cuirassés ennemis, encore distants de plusieurs minutes-lumière. Tout autour, les destroyers et croiseurs légers qui avaient fini de balayer les plus proches vaisseaux syndics cherchaient à rattraper les cuirassés. À l’arrière-garde de ce qu’on pouvait peu ou prou appeler la formation de l’Alliance arrivaient ses quatre auxiliaires rapides, escortés de quatre cuirassés, des deux croiseurs de combat de Cresida et d’une vingtaine de croiseurs légers et de destroyers. Contrairement aux autres bâtiments, les auxiliaires avaient maintenu le cap sur un point d’interception des bâtiments de radoub syndics, au centre de la bulle aplatie formée par la Flottille sacrifiée.

« Nos cuirassés de tête ne sont plus qu’à deux minutes-lumière de leurs homologues syndics qui ont reçu la désignation de “flottille syndic Bravo”, fit remarquer Desjani. Je me demande encore pourquoi le système ne les a pas baptisés “flottille Suicide”. »

Desjani marquait un point, mais Geary montra les auxiliaires de la flotte : « S’ils parviennent à se frayer un chemin en force jusqu’à nos auxiliaires, ils pourraient fichtrement bien nous nuire. »

Desjani secoua la tête. « S’ils réussissent à passer malgré tout ce que nous leur aurons envoyé, ils seront tellement affaiblis que les vaisseaux de Cresida pourront s’en charger.

— Les duels entre croiseurs de combat et cuirassés n’ont jamais fait mon bonheur », lâcha Geary. Il craignait que ses commandants agressifs ne se laissent emporter dans le feu de l’action. Mais leur ordonner de tempérer cette agressivité lui était interdit. Aucun ne l’écouterait. Il pressa de nouveau sa touche de communication. « À toutes les formations de croiseurs de combat de l’Alliance. Dès achèvement de vos passes de tir sur la Flottille syndic Bravo, freinez votre vélocité pour la régler sur celle de la Flottille sacrifiée et attendez les instructions. Tous les cuirassés de l’Alliance devront aussi exécuter cette manœuvre sitôt que la flottille syndic Bravo sera détruite. »

Pendant qu’il parlait, des navettes jaillirent des vaisseaux de l’Alliance qui fondaient sur la Flottille sacrifiée. La trajectoire de chacune s’incurva vers une cible spécifique. La plupart visaient l’épave de l’Audacieux, mais d’autres fonçaient vers les bâtiments de radoub et les vaisseaux de guerre proches afin de vérifier qu’ils étaient bel et bien abandonnés et que les unités de l’Alliance pouvaient s’en approcher sans risque.

Les navettes se dirigeaient encore vers leurs objectifs respectifs quand les croiseurs de combat de Duellos et Bravo se croisèrent à une vitesse combinée supérieure d’un poil à 0,2 c. À une telle vélocité, les effets relativistes distordent suffisamment l’image des objets extérieurs pour rendre malaisée l’acquisition d’une cible ; en outre, lorsque l’ennemi arrivait à portée des armes, la fenêtre de tir n’était plus que d’une infime fraction de seconde.

Quand les deux formations se séparèrent, Geary constata que les boucliers des cuirassés syndics étaient sans doute affaiblis, mais qu’aucune frappe n’avait fait mouche. Les Syndics, cependant, avaient concentré leur massive puissance de feu sur le Formidable, sans doute parce qu’ils s’étaient aperçus des dommages infligés au croiseur de combat de l’Alliance lors de son dernier engagement. Le Formidable avait essuyé un déluge de feu et perdu la majeure partie de son aptitude au combat, mais il avait au moins réussi à éviter que ses unités de propulsion fussent davantage endommagées et ne perdait pas de terrain sur ses collègues.

Brillant, Opportun et Inspiré frappèrent ensuite de conserve les cuirassés, affaiblissant un peu plus leurs boucliers. L’Opportun avait essuyé quelques méchantes frappes dans l’aventure.

Les quatre croiseurs de combat de Tulev concentrèrent leur feu sur le plus proche cuirassé syndic en le croisant sur bâbord, ouvrant ainsi quelques brèches dans ses boucliers ; mais le Dragon avait pris quelques coups.

Desjani lança ses croiseurs de combat dans la mêlée ; Geary espérait qu’elle limiterait leur passe de tir à prudente distance de cuirassés syndics encore extrêmement dangereux. Ceux-ci concentraient leur feu sur un Risque-tout déjà endommagé, mais Desjani avait organisé cette interception en l’éloignant le plus possible de l’ennemi, lui épargnant ainsi les dommages dont avait souffert le Formidable. L’Indomptable et le Victorieux pilonnaient celui des cuirassés dont les boucliers restaient les plus solides, affaiblissant encore sa protection tout en réussissant à éviter d’autres dégâts.

Ne restait plus à l’Illustre et l’Incroyable qu’à marmiter de nouveau le premier cuirassé ennemi. Quand les derniers croiseurs de combat de l’Alliance achevèrent leur passe de tir, les cuirassés syndics avançaient toujours, leurs boucliers sérieusement affaiblis mais leur blindage, leurs armes et leurs autres systèmes encore intacts, et filaient vers les auxiliaires de la flotte sur une trajectoire d’interception incurvée.

Mais les cuirassés des deuxième, cinquième et huitième divisions fondaient déjà sur eux. À deux contre douze, la lutte eût été déjà effroyablement inégale en n’importe quelle circonstance, mais, de surcroît, les cuirassés de l’Alliance disposaient encore de boucliers à leur pleine puissance, alors que ceux des syndics ne la recouvraient que lentement.

Geary sourit en voyant ses trois sous-formations se conformer au plan de manœuvre qui coordonnait leurs mouvements. Galant, Intraitable, Glorieux et Magnifique fendirent l’espace juste au-dessus des cuirassés syndics, suivis quelques millisecondes plus tard par Acharné, Représailles, Superbe et Splendide, dont la passe de tir s’effectua sous leur ventre, tandis que Téméraire, Résolution, Redoutable et Écume de Guerre les pilonnaient par tribord. Une telle force de frappe, déployée à cette vitesse, ne laissait aucune chance aux cuirassés syndics assiégés. Ils ripostèrent sans doute et réussirent à frapper une ou deux fois le Glorieux et le Téméraire, mais, quand ils s’éloignèrent, les douze cuirassés de l’Alliance laissaient derrière eux une boule de débris en expansion marquant l’emplacement de la destruction du premier, et l’épave tournoyante du second. Quelques capsules de survie s’évadèrent des vestiges du second cuirassé ennemi, qui s’écartait de son vecteur d’origine en culbutant silencieusement dans le vide.

Quand la dixième division du capitaine Armis arriva trente secondes plus tard à portée d’engagement, ses cuirassés durent se contenter de déchiqueter ces vestiges en plus petits fragments.

Geary soupira de soulagement puis transmit de nouvelles instructions. « À tous les vaisseaux de l’Alliance à l’exception de la formation des auxiliaires, adoptez la position spécifiée par rapport au vaisseau amiral Indomptable. » Sur son écran, la formation prévue ressemblait à une bille irrégulière s’étirant vers l’extérieur, face à la Flottille sacrifiée tout en la surplombant légèrement ; les sous-formations construites autour des croiseurs de combat et des cuirassés dessinaient une sphère grossière. Pas très esthétique, mais ça ferait l’affaire.

Sachant qu’il préférait les formations bien ordonnées, Desjani lui jeta un regard interrogateur. « Pour économiser les cellules d’énergie ?

— En partie. Les manœuvres de nos bâtiments seront réduites au minimum. Mais je me suis aussi dit que, si la flotte semblait quelque peu disloquée à l’arrivée des vaisseaux syndics retour d’Ixion, ils la croiraient peut-être encore sur le point de s’effondrer, comme elle en donnait l’impression quand nous avons quitté Lakota.

— Mais le croiront-ils quand ils auront vu ce que nous avons fait ici aux Syndics ? demanda-t-elle, dubitative.

— Il y a de bonnes chances pour qu’une flotte, même désorganisée, ait pu laminer les Syndics de ce système. Ça ne les abusera peut-être pas, mais il serait stupide de brûler maintenant nos cellules d’énergie. Dès que la flotte qui nous traque apparaîtra, nous bougerons rapidement et nous reprendrons ensuite une formation au carré. »

Tous les vaisseaux de l’Alliance avaient pivoté de manière à décélérer au moyen de leurs principales unités de propulsion sans trop s’éloigner pour autant d’auxiliaires à l’importance cruciale, et adopté leur position dans la formation que Geary avait mentalement baptisée la « vilaine grosse boule ». Maintenant qu’il avait la situation bien en main, que la flotte syndic lancée à leur poursuite n’apparaissait toujours pas et que les plus proches unités opérationnelles syndics se trouvaient déjà à une bonne heure-lumière de la flotte et déguerpissaient à toutes jambes, il céda derechef à la tentation et afficha une image de la reprise de l’Audacieux, vue par un officier des fusiliers.

Les navettes s’étaient non seulement accouplées aux vestiges des sas extérieurs et du quai d’appontement du cuirassé, mais aussi aux quelques larges orifices percés dans son blindage. Les détachements d’infanterie spatiale s’étaient engouffrés, prêts à tout, dans le vaisseau silencieux. La vue dont disposait à présent Geary par le truchement de la cuirasse de combat du fusilier qu’il avait élu montrait l’intérieur du bâtiment, auquel un effroyable amoncellement de dommages et l’absence de l’éclairage habituel conféraient un aspect étrange. Le lieutenant des fusiliers et sa section venaient d’atteindre un sas interne, suffisamment réparé pour qu’il recommençât à fonctionner, et traversaient des secteurs dont les cloisons trouées avaient été provisoirement colmatées pour empêcher la fuite de l’atmosphère.

Les fantassins de l’Alliance se déplaçaient rapidement, en scrutant les alentours, en quête de pièges, par le biais des senseurs de leur cuirasse de combat ; leurs armes cherchaient une cible dès qu’ils tournaient un coin pour s’engager dans d’étroites coursives jonchées de débris. Nul ennemi ne se manifestait et aucun piège n’était décelable, ce qui, au lieu de les rassurer, contribuait plutôt à accroître leur nervosité. Un autre sas, verrouillé celui-là, se dressa devant eux. Les fusiliers firent halte, aux aguets et leurs armes prêtes à tirer, pendant qu’un des leurs appliquait une minicharge à l’écoutille et la faisait exploser. « Pas de grenades incapacitantes ! aboya une voix sur leur circuit de commande.

— Mais, sergent, il pourrait y avoir…

—… des prisonniers de l’Alliance derrière cette écoutille et nous ignorons dans quel triste état nos gens pourraient se trouver sur cette épave. Une simple grenade incapacitante pourrait les tuer. Ne tirez qu’en visant, et personne ne s’y risque avant d’avoir positivement identifié une cible ennemie. Je descendrai moi-même le premier fils de pute ou la première pétasse qui s’avisera de loger une balle dans un prisonnier de guerre de l’Alliance. C’est vu ? » Un concert de voix lui répondit par l’affirmative.

Un des fusiliers agrippa l’écoutille et l’attira à lui pendant que les armes de ses camarades se braquaient sur le vaste compartiment qu’elle cachait.

L’espace d’un instant, Geary craignit qu’il ne fût bourré de cadavres de spatiaux de l’Alliance, puis il vit résignation, soumission ou terreur s’afficher sur les visages des détenus, toutes émotions qui cédèrent la place à l’incrédulité quand ils reconnurent la cuirasse de combat de leurs fusiliers. « Ça pue là-dedans, annonça le lieutenant à son supérieur. Trop de CO2.

— Faites-les sortir aussi vite que possible, lui ordonna-t-on. Le troisième peloton est en train d’installer un tube d’évacuation menant du dernier sas en état de fonctionner aux navettes. Giclez ! »

Les uniformes des prisonniers portaient les insignes de différents vaisseaux. Geary repéra dans les premiers rangs des écussons de l’Infatigable, de l’Audacieux lui-même, du croiseur lourd Bassinet et du destroyer Talwar. Quelques-uns des nouveaux libérés souriaient aux fusiliers qui les extirpaient du compartiment nauséabond, d’autres semblaient tout bonnement assommés quand ils les poussaient vers l’écoutille. « Première section ! Alignez-vous le long des coursives pour guider ces gens et faites-les avancer ! »

Un sous-officier qui portait l’écusson du Rebelle et dont le bras était pris dans une attelle improvisée s’arrêta en sortant du compartiment. « Première fois que je suis content de voir un fusilier, bredouilla-t-il en s’adressant à l’un d’eux. Je vous embrasserais presque.

— Pas ma tasse de thé, chef, répondit le fusilier. Adressez-vous plutôt à mon copain, là-bas. Mais continuez d’avancer. »

Nouvel appel sur le circuit de commande des fusiliers : « On a trouvé un autre compartiment dans cette direction, lieutenant ! Il a l’air plein de calmars de l’espace, lui aussi.

— Sortez-les de là et conduisez-les au tube d’évacuation ! Allez, allez, allez ! »

Geary coupa la connexion, regrettant de ne pouvoir continuer à regarder mais conscient d’avoir d’autres responsabilités. Constatant que Desjani l’observait, il lui fit un signe de tête. « L’infanterie est en train d’extraire nos gens de l’Audacieux. Ils étaient foutrement nombreux, apparemment.

— Parfait. » Desjani hocha la tête à son tour, en désignant son écran. « Nos auxiliaires se rapprochent des bâtiments de radoub syndics. »

Les quatre auxiliaires de la flotte avaient remorqué quatre gros bâtiments de radoub et glissaient à présent pour se mettre en position au-dessus de ces vaisseaux, tandis que leurs tubes transporteurs s’étiraient sous leur ventre, comme autant de gigantesques créatures tentant de s’accoupler avec des partenaires encore plus monstrueux. Ce qu’ils étaient d’ailleurs, d’une certaine façon. Geary dut jongler un petit moment avec ses menus, mais il réussit à afficher un diagramme montrant l’activité à l’intérieur des bâtiments syndics. Des symboles représentant les ingénieurs de l’Alliance faisaient sauter cloison après cloison pour dégager la voie jusqu’aux soutes pleines de minerais bruts des auxiliaires syndics, puis, dès que c’était chose faite, étirer d’autres tubes transporteurs de l’Alliance vers ces vaisseaux afin de les vider.

« Des images étrangement déstabilisantes, non ? » murmura Rione par-dessus son épaule. Elle s’était levée de son siège pour se poster juste derrière lui. « Ou bien n’est-ce que le point de vue d’une femme ? »

Geary secoua la tête. « Pas quand les tubes commenceront à pomper le minerai de ces bâtiments syndics. Nous n’avons pas l’habitude, j’imagine, de voir des parasites à cette échelle.

— Ont-ils ce que nous cherchons ?

— En partie. » Geary fixa l’hologramme en se renfrognant. De nombreuses fenêtres s’y chevauchaient, montrant des détails exhaustifs sur les besoins de la flotte et sur ce qu’on avait découvert dans les bâtiments syndics. La masse énorme de petits caractères et de termes peu familiers lui interdisait de comprendre ce qui se passait. « Pourquoi est-ce que ça ne peut pas se contenter de m’apprendre la quantité de minerai dont nous avons besoin dans chaque cas, et celle que nous pouvons nous procurer ? Capitaine Desjani, pourriez-vous demander à votre officier d’ingénierie de m’afficher un rapport m’exposant en termes simples où nous en sommes du remplissage de nos soutes ? »

Desjani hocha la tête et transmit l’ordre puis sourit de satisfaction. « Nous avons reçu deux lourdes navettes de réapprovisionnement du Titan, capitaine. Quand les nouvelles cellules d’énergie seront installées, le niveau des réserves de l’Indomptable remontera à soixante-cinq pour cent. Nous avons aussi reçu soixante conteneurs de mitraille et sept spectres, ainsi que d’importantes pièces détachées dont nous avions besoin mais que nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes.

— Excellent. Est-ce là tout ce que le Titan enverra à l’Indomptable ?

— Nous recevrons une troisième navette si le délai le permet, capitaine. »

Encore mieux. Geary se sentit sourire. « Maintenant, si nous pouvions aussi recevoir des vivre… »

La vigie de l’ingénierie venait d’apparaître et s’éclaircissait la voix pour attirer son attention. « Excusez-moi, capitaine. Puis-je… » Ses doigts pianotèrent rapidement sur des touches et une fenêtre apparut sur son écran, montrant des diagrammes indiquant la capacité totale des soutes de ses auxiliaires et la quantité de minerais bruts trouvés sur ceux des Syndics ou déjà transbordés. « Merci. C’est quoi, cette colonne ?

— Les vivres, capitaine, déclara l’ingénieur sur le ton satisfait d’un subordonné répondant à une question que son supérieur ne lui a pas encore posée. Les bâtiments syndics que nous avons abordés étaient tous bourrés de réserves de vivres. À ce que j’ai cru comprendre, les stocks entreposés sur les vaisseaux civils sont en fait d’une qualité assez convenable. Ce sera sans doute loin d’être suffisant, mais nous allons aussi refaire le plein de vivres ici.

— A-t-on analysé des échantillons pour vérifier qu’ils n’étaient pas contaminés ? » s’enquit Rione.

L’ingénieur afficha une mine stupéfaite : « Oui, madame la coprésidente. Je suis persuadé qu’ils ne le sont pas. Pas plus que les minerais bruts que nous tirons de leurs soutes. Mais je procéderai à un second contrôle.

— Contrôle total : macro, micro, nano, organique et inorganique, ajouta Rione.

— Oui, madame la coprésidente. Je suis sûr qu’ils comprendront. » L’ingénieur s’interrompit, se demandant visiblement si Rione était habilitée à leur donner des ordres, aux quatre auxiliaires et à lui.

« Assurez-vous que ce sera fait », renchérit Geary.

Soulagé de recevoir enfin un ordre d’un homme dont il était certain qu’il pouvait lui en donner, l’ingénieur salua et se hâta de rejoindre son poste pour transmettre les instructions.

« Pardonnez-moi d’avoir désorienté votre ingénieur, déclara Rione. J’aurais dû vous demander de lui donner vous-même ces instructions.

— Il n’y a pas de mal. Et je suis content que vous ayez abordé le sujet. Compte tenu de l’effervescence, on aurait pu omettre de procéder à toutes les analyses possibles de ces vivres syndics, qu’ils auraient pu empoisonner avant de quitter leurs vaisseaux.

— Il n’est pas mauvais, parfois, d’avoir sous la main une politicienne à l’esprit tortueux, n’est-ce pas ? » Rione tourna les talons pour regagner son siège puis fit volte-face : un autre message venait d’arriver pour Geary.

Le colonel Carabali semblait satisfaite, du moins autant qu’un fusilier pouvait le laisser transparaître. « Nous pensons avoir trouvé tous les compartiments de l’Audacieux qui abritaient des prisonniers, déclara-t-elle. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de morts, compte tenu de leur surpeuplement et du piètre état des supports vitaux, mais les officiers supérieurs de chaque compartiment procédaient à la relève des détenus, de sorte qu’aucun n’a été écrasé. Mes éclaireurs ont estimé qu’ils auraient commencé à succomber dans une journée en raison des mauvaises conditions de détention. Tous ont besoin de s’alimenter et la plupart souffrent de blessures mal soignées. Les Syndics ont négligé de panser les moins graves.

— Combien sont-ils ? demanda Geary en songeant au nombre des spatiaux que l’Alliance avait perdus dans ce système.

— Nous procédons encore à leur énumération. Environ neuf cents spatiaux de la flotte et dix-huit fusiliers. Le capitaine Cresida a insisté pour en héberger la plupart sur le Furieux, l’Implacable et les croiseurs lourds de la formation, bien que les cuirassés en eussent volontiers accueilli quelques-uns. Le capitaine Casia a intercepté plusieurs navettes pleines pour son Conquérant. » Le ton de Carabali laissait clairement entendre que régler les différends entre les officiers de la flotte n’était pas du ressort de l’infanterie. « D’autres prisonniers de l’Alliance ont manifestement été transférés à bord de vaisseaux syndics pendant notre absence de Lakota, et il devrait donc en rester quelques-uns dans ce système stellaire. Des vaisseaux marchands contraints de se transformer en transports de détenus, selon ceux que nous avons libérés. Avons-nous une chance de les récupérer ?

— Pas très grande. Et elle diminue de seconde en seconde. » La flotte syndic pouvait surgir à tout instant et, plus le temps passerait, plus sa réapparition deviendrait imminente. « Nous n’avons arraisonné que les deux vaisseaux marchands syndics les plus proches et ils ne contenaient que des fournitures. Deux douzaines d’autres sont encore visibles dans ce système, mais hors de notre portée, si bien que nous ignorons ce qu’ils transportent. Dans la mesure où nous n’y avons pas repéré de camps de travail pour prisonniers de l’Alliance, nos gens devaient se trouver sur d’autres vaisseaux qui ont quitté très tôt ce système.

— Je comprends, capitaine. Nous nous préparons à évacuer l’Audacieux, rendit compte Carabali. Que devons-nous faire de ce qu’il en reste ? »

Geary fit la grimace. Autant il aurait aimé sauver ce bâtiment, autant son épave était incapable d’assurer sa propre défense, ni même, d’ailleurs, de suivre la flotte ; on ne pouvait pas non plus la remorquer sans la mettre tout entière en péril, et elle était probablement irréparable, fût-elle confiée au meilleur chantier spatial imaginable. Le seul avenir de ce vaillant vaisseau de guerre restait la mise à la ferraille, et il eût été stupide d’abandonner le métal aux syndics. « Pouvons-nous faire sauter son réacteur ?

— Oui, capitaine. Il est encore assez puissant.

— Alors réglez-le sur surcharge pour dans six heures et dégagez. »

Six heures devraient suffire. Geary voyait mal quelles circonstances auraient pu contraindre la flotte à s’attarder davantage auprès de la Flottille sacrifiée.

« Attendez ! » C’était Rione, qui se penchait sur Geary pour lui parler, le visage véhément. « Revenez sur votre décision de détruire ainsi l’Audacieux. »

Geary soupira puis s’adressa de nouveau au colonel des fusiliers : « Rectification. Ne le réglez pas encore sur surcharge. Attendez un moment. » Puis il se tourna vers Rione. « Pourquoi ne pas faire sauter l’Audacieux ? Pourquoi permettre aux Syndics de le reprendre ?

— Je ne suggère pas de les laisser le récupérer, répliqua-t-elle froidement. D’innombrables vaisseaux ennemis sont lancés à notre poursuite et nous devrions utiliser toutes les armes disponibles pour rétablir l’équilibre. Piégez ce bâtiment pour qu’il explose, non pas à une heure préétablie, mais quand les Syndics l’investiront de nouveau. »

Geary ne put réprimer une grimace à cette idée. Pourtant, si haïssables que fussent les chausse-trappes, elles restaient des armes acceptables en pareil cas. Puis une autre pensée se fit jour en lui : « Peut-être pourrions-nous piéger tous les vaisseaux pour qu’ils explosent quand les Syndics les réoccuperont. »

La bouche de Desjani, qui écoutait, se tordit en une moue agacée. « Hélas, ça ne leur nuira que lorsque notre combat sera terminé dans ce système.

— Eh bien, en effet, convint Geary, mais ce n’est pas comme si nous pouvions… »

Il laissa traîner sa voix puis jeta un regard stupéfait à son capitaine de pavillon.

Celle-ci écarquilla les yeux. « Tous ces vaisseaux syndics désertés fonctionnent avec un réacteur. Si nous pouvions les régler pour qu’ils explosent au moment voulu…

— Comme des mines ?

— Exactement ! D’énormes mines obéissant à un détonateur de proximité ! Il nous suffirait d’attirer la flotte syndic assez près de la Flottille sacrifiée…

— Ça ferait effectivement un foutu champ de mines ! Pouvons-nous le réaliser ? » demanda-t-il à Desjani.

Celle-ci pivota vers son officier d’ingénierie. « Lieutenant Nicodeom, j’ai besoin d’une évaluation. Pouvons-nous piéger un vaisseau syndic abandonné afin qu’il fonctionne comme une mine et fasse exploser son réacteur dès l’entrée d’une cible dans son enveloppe d’engagement ? »

Le lieutenant parut d’abord surpris puis pensif. « La meilleure façon de procéder serait sans doute d’utiliser une mèche de mine connectée aux systèmes de contrôle du réacteur. Ça exigerait un gros travail, commandant, parce qu’il faudrait régler sa programmation en fonction de l’estimation du rayon de destruction du réacteur, tenir compte du délai nécessaire à la surcharge du réacteur de chaque bâtiment, poser quelques câbles de contrôle et créer des interfaces avec les systèmes de contrôle du réacteur syndic.

— Où se trouvent les ressources nécessaires dans la flotte ? s’enquit Desjani.

— Nos meilleurs ingénieurs en armement sont à bord des auxiliaires, commandant. C’est aussi là que sont entreposées les mèches de mine. Il faudrait amener les auxiliaires près du vaisseau syndic que vous comptez piéger ou transférer par navette le personnel et le matériel des auxiliaires à ce bâtiment. »

Le sourire de Desjani s’élargit d’une oreille à l’autre. « Vous avez entendu, capitaine ? »

Geary hocha la tête, conscient de sourire lui aussi. Les quatre auxiliaires se trouvaient auprès des vaisseaux de guerre syndics de la Flottille sacrifiée, là précisément où leur présence était requise. « Il me semble qu’il est temps d’appeler le capitaine Tyrosian. Espérons que ses ingénieurs n’auront pas besoin de spécifications pour exécuter ce travail en vitesse. »

Le lieutenant Nicodeom reprit la parole : « C’est une gageure, capitaine Geary. Configurer les mèches sur chaque vaisseau syndic et les connecter toutes en un très bref délai, c’est exactement le défi qu’aimerait relever tout bon ingénieur en armement, rien que pour le plaisir. Chercher un nouveau moyen de faire exploser un énorme objet ? On ne peut guère trouver mieux.

— Merci, lieutenant. » Geary activa le circuit de communication pour appeler Tyrosian puis l’informa brièvement de ses besoins. « Vos gens en seront-ils capables, capitaine Tyrosian ? demanda-t-il ensuite. Je reste conscient que c’est un très difficile défi technologique en si peu de temps, et je me suis aussi laissé dire que seuls les meilleurs ingénieurs en armement sauraient le relever. » Il pouvait difficilement se montrer plus direct, mais l’heure n’était pas à la subtilité. En outre, il avait affaire à quelqu’un du génie, de sorte que la subtilité risquait de toute façon de lui échapper.

Le regard du capitaine Tyrosian, qui tendait parfois à se glacer quand elle affrontait des questions opérationnelles, s’illumina d’enthousiasme. « Faire des vaisseaux syndics désertés une arme ? Des détonateurs de proximité ? Voulez-vous qu’on les connecte tous et qu’on les programme pour créer une explosion globale ?

— Ouais, ce serait fantastique.

— Considérez que c’est chose faite, capitaine, affirma Tyrosian avec assurance. Quand est-ce que ça devra être prêt ?

— Dans deux heures environ. »

L’ingénieur sursauta visiblement puis hocha la tête : « Ils seront prêts, capitaine. »

L’image de Tyrosian s’effaçant, Geary lança un regard à Rione : « Merci pour la suggestion. »

La coprésidente haussa les sourcils. « Votre idée me semble surpasser de loin ma modeste proposition.

— Elle ne nous serait jamais venue sans votre contribution », fit-il remarquer.

Desjani coula un regard vers Rione et inclina la tête en signe de tacite assentiment. La coprésidente lui retourna un sourire contraint.

Geary se remit à étudier l’hologramme du système stellaire en se massant le menton d’une main, l’air de n’avoir pas remarqué le jeu de scène. « Le hic, ce sera d’inciter les Syndics à entrer dans la zone dangereuse au moment voulu. Nous devrons les y attirer sans qu’ils soient conscients qu’on les mène par le bout du nez. Pas facile.

— Je suis bien certaine que vous trouverez un moyen, affirma Rione.

— Nous disposons déjà de leurres sur place, pour les appâter vers la Flottille sacrifiée », fit observer Desjani.

Geary fixa l’hologramme en fronçant les sourcils, conscient qu’elle parlait des auxiliaires. Sans eux, la flotte serait perdue ; elle manquerait nécessairement de cellules d’énergie et de munitions avant d’atteindre l’espace de l’Alliance. Les protéger était donc d’une importance cruciale, en même temps qu’ils faisaient les meilleures cibles pour une attaque ennemie. « Nous l’avons déjà fait à Sancerre. Goberont-ils une deuxième fois l’hameçon ?

— Il suffit de procéder de manière différente, argua Desjani.

— Des suggestions ? » demanda Geary.

Il se trouva qu’elle avait bel et bien quelques idées. Pas forcément de celles que Geary approuvait totalement, mais assez intéressantes pour qu’on les creusât jusqu’à échafauder un plan véritable. Il jetait de temps en temps un regard à Rione pour voir si elle avait quelque chose à ajouter, mais la coprésidente se contentait de fixer son écran, le visage de marbre.


« Capitaine Tyrosian, ordonnez à toutes les navettes et à tous les spatiaux qui ne s’emploient pas à piller les bâtiments de radoub syndics ou à piéger les carcasses pour qu’elles explosent de dépouiller de manière flagrante les autres vaisseaux syndics de leurs matériaux. »

L’ingénieur, qui s’apprêtait manifestement à lui annoncer fièrement que le pillage progressait sensiblement, se pétrifia au beau milieu d’une phrase, l’air décontenancée. « Capitaine ?

— Je veux que les Syndics nous voient en train de grappiller désespérément tout ce qui nous tombe sous la main, reprit Geary. Vivres, matériel, n’importe quoi. Ils doivent se persuader que vous tenez à vous attarder le plus longtemps possible auprès de la Flottille sacrifiée pour faire main basse sur tout ce que vous pourrez. Nous devons avoir l’air de manquer cruellement de réserves, capitaine Tyrosian.

— Nous… manquons cruellement de réserves, capitaine Geary », protesta Tyrosian.

Réprimant difficilement un éclat de rire, Desjani se tourna de côté et émit un ricanement étouffé que Geary feignit d’ignorer. « Capitaine Tyrosian, expliqua-t-il patiemment, quand la flotte syndic lancée à notre poursuite apparaîtra, nous maintiendrons vos auxiliaires auprès de la Flottille sacrifiée, bien au-delà de la limite de sécurité. L’ennemi se focalisera sur vous et vos quatre auxiliaires de toute manière, puisqu’ils sont les bâtiments les plus sensibles de la flotte. Il faut donc fournir aux Syndics qui fondront sur vous une raison plausible à la présence de vos bâtiments auprès de la Flottille. S’ils se persuadent que c’est pour piller les carcasses de leurs vaisseaux, elle leur deviendra évidente.

— Nous les appâtons encore ? demanda Tyrosian après un moment de réflexion.

— Oui, capitaine. Nous les appâtons encore. »

L’officier du génie afficha une mine légèrement atterrée mais hocha la tête. « À vos ordres, capitaine.

— Inutile de vous dire que nous ferons tout notre possible pour éviter la destruction de vos auxiliaires, se sentit contraint d’ajouter Geary.

— Merci, capitaine. Nous apprécions.

— J’adresserai à vos bâtiments des instructions de manœuvre détaillées dès que la flotte syndic émergera et que nous connaîtrons les vecteurs de mouvement de ses vaisseaux. Merci, capitaine Tyrosian. »

Vingt minutes plus tard, alors que quelques autres navettes de l’Alliance fourmillaient encore parmi les carcasses syndics et que des spatiaux en combinaison de survie balançaient des fournitures pillées sur les vaisseaux syndics dans leurs soutes béantes en faisant tout un cinéma, les alarmes que Geary avait tant redoutées résonnèrent enfin.

« La flotte syndic a émergé du point de saut pour Ixion », annonça la vigie des opérations.

Geary retint son souffle le temps que les senseurs de la flotte évaluent la puissance de la force ennemie qui venait d’apparaître au point de saut, distant à présent de quinze minutes-lumière ; autrement dit, avant même que l’Alliance n’ait assisté à son irruption dans ce système stellaire, les Syndics avaient déjà disposé de quinze minutes pour décider de ce qu’ils devaient faire et commencer à l’entreprendre.

Le nombre des avisos et des croiseurs légers de cette flotte syndic restait impressionnant, en dépit des pertes que l’Alliance avait réussi à lui infliger. D’un autre côté, ses rangées de croiseurs lourds avaient été décimées lors des combats précédents à Lakota : nombre d’entre eux avaient été détruits, et vingt-deux de ces bâtiments figuraient parmi les plus endommagés abandonnés dans ce système stellaire. Neuf de ces vingt-deux vaisseaux avaient été anéantis, et les autres, à présent désertés, faisaient partie de la Flottille sacrifiée. Il ne lui restait plus que seize croiseurs lourds.

Les gros vaisseaux syndics commençaient de se matérialiser et leur nombre se multipliait : dix cuirassés. Quinze. Trente et un. Six croiseurs de combat. Treize.

« Trente et un cuirassés et treize croiseurs de combat, marmonna Desjani. Pas trop méchant.

— Ils sont en meilleur état que les nôtres », fit observer Geary. Il vérifia des chiffres qu’il connaissait pourtant déjà par cœur : il restait encore vingt-deux cuirassés, les deux cuirassés de reconnaissance et dix-sept croiseurs de combat à l’Alliance ; plus vingt-neuf croiseurs lourds. Mais bon nombre de ces bâtiments avaient subi de sérieux dommages au combat et, bien qu’on eût réapprovisionné les vaisseaux en munitions fraîches, les Syndics disposaient probablement d’un plus vaste arsenal de missiles et de mitraille.

Trente et un cuirassés ennemis. Geary s’accorda un instant de détente, conscient qu’il devait respecter une telle capacité combattante sans toutefois se laisser abattre par elle. « Le nombre de nos croiseurs lourds est notre seul avantage », déclara-t-il à haute voix.

Desjani secoua la tête. « Nous en avons un autre et d’importance, rectifïa-t-elle. La dernière fois, le commandant syndic nous a vus fuir pour sauver notre peau et il a eu onze jours pour se graver cette image dans la tête. Il va maintenant s’apercevoir des dégâts que nous avons infligés aux vaisseaux de son camp restés sur place et ça le rendra fou furieux. Colère et trop grande assurance conduisent à l’imprudence, capitaine.

— J’aurais peine à critiquer votre analyse », lâcha Geary. Il ne pouvait s’empêcher de se dire que sa trop grande assurance, ajoutée à la colère que lui inspiraient ses commandants les plus rétifs, l’avait peut-être conduit lui-même à prendre l’imprudente décision d’aller une première fois à Lakota. Peu importait à présent, au demeurant. L’essentiel, c’était de tirer profit de l’état d’esprit, quel qu’il fût, du commandant ennemi. « Voyons s’il réagit comme nous nous y attendions. »

Les minutes passant, il devint de plus en plus clair que le commandant syndic, peut-être effectivement poussé par l’imprudence, réagissait comme ils l’avaient espéré. Sa classique formation syndic en forme de boîte se modifia légèrement, en même temps qu’elle accélérait vers une interception des vaisseaux de l’Alliance, pour adopter celle d’un profond parallélépipède dont la face la plus large les affronterait ; formation sans doute convenable et pouvant servir de multiples propos, dans la mesure où l’on pouvait adapter ses trois dimensions aux diverses situations tactiques, mais qui avait ses limites en termes de concentration de la puissance de feu sur un point précis de la formation ennemie, et qui ne permettait guère d’ajuster assez vite le tir. Mais c’était la seule, semblait-il, qu’on apprenait (ou qu’on autorisait) aux commandants syndics.

« Il se prépare à intercepter les bâtiments de l’Alliance proches de la Flottille sacrifiée », annonça en souriant Desjani.

Geary calcula le délai avant interception. La flotte ayant ralenti pour régler son allure sur celle de la Flottille sacrifiée, tous ses vaisseaux de guerre s’éloignaient de la formation syndic à moins de 0,02 c, tandis que celle-ci arrivait sur eux rapidement, à plus de 0, 079 c. Geary ordonna aux systèmes de manœuvre de l’Indomptable de partir du principe qu’elle continuerait d’accélérer jusqu’à 0,1 c : il obtint un délai de deux heures et cinquante et une minutes avant le contact.

À condition, toutefois, que les vaisseaux de l’Alliance ne procèdent à aucune manœuvre. Ne voyant pas d’alternative compte tenu de sa dimension et de son état, Geary avait longtemps projeté de fuir dès qu’apparaîtrait la flotte syndic lancée à sa poursuite. L’idée de recourir comme d’une arme à la Flottille sacrifiée avait changé la donne. Il lui faudrait la combattre tôt ou tard, de toute façon, sauf si, inexplicablement, elle décidait de renoncer à sa traque ; et, maintenant, peut-être la vaincrait-il.

« Se persuaderont-ils que nous nous contentons de les attendre ? s’enquit Rione.

— Avec un peu de chance, ils s’imagineront que nous nous efforçons encore de décider de la manière dont nous devons réagir », expliqua Geary. Exactement comme dans leur système mère, quand l’Alliance avait longuement tergiversé et perdu un temps précieux pour débattre de l’identité de son commandant et décider des mesures à prendre. « La vilaine grosse boule les convaincra peut-être que je ne suis plus aux commandes.

— La vilaine grosse boule ? Je vois. Vous comptez feindre l’indécision et l’affolement, faire mine d’être tétanisé.

— C’est l’idée générale », admit-il, en espérant qu’indécision et affolement resteraient simulés.

Rione se rapprocha à nouveau de lui et s’assura que le champ d’insonorisation entourant son fauteuil de commandement était activé. « Même si je te dis que ce combat est très risqué ? Quelles sont nos chances de vaincre ?

— Tout dépend », répondit-il. Il prit conscience de l’accroissement de son inquiétude. « Sincèrement. Si tout se passe comme prévu, elles sont assez bonnes.

— Et… sinon ?

— Ça risque d’être moche. Il nous faudra les combattre tôt ou tard. »

Elle le dévisagea plus longuement. « Inutile de te répéter à quel point il est important que l’Indomptable regagne l’espace de l’Alliance. Pas la totalité de la flotte. L’Indomptable. La clé de l’hypernet syndic suffirait peut-être à faire pencher le plateau de la balance en notre faveur, même si l’on perdait tous les autres vaisseaux de la flotte. »

Geary fixa le pont. « Je sais. Mais pourquoi me le dire quand tu sais parfaitement que c’est inutile ?

— Parce que tu te concentres encore sur l’idée de la sauver autant que possible dans son intégralité. Tu ne dois pas perdre de vue le tableau général. S’il te fallait choisir entre sacrifier l’Indomptable pour tenter de sauver le plus grand nombre possible de vaisseaux, ou le ramener dans l’espace de l’Alliance quelles que soient nos pertes, ton devoir exigerait que tu te concentres sur lui.

— Je peux me passer d’un sermon sur mes responsabilités », marmonna Geary. Rione avait entièrement raison, il en était persuadé, mais cette sempiternelle rectitude était invivable.

« Les autres vaisseaux pourraient retenir les Syndics pendant qu’un détachement construit autour de l’Indomptable et chargé d’autant de cellules d’énergie que pourraient en transporter ces bâtiments regagnerait l’espace de l’Alliance, insista Rione d’une voix dépourvue d’émotion.

— Fuir, autrement dit. Tu es en train de me suggérer d’abandonner la flotte à son sort pour filer avec l’Indomptable et quelques autres vaisseaux ?

— Oui. » Il la regarda dans le blanc des yeux et y lut qu’elle-même n’appréciait guère sa suggestion mais se sentait obligée de l’avancer. Par devoir. Son devoir envers l’Alliance. « N’oublie jamais le tableau général, John Geary ! Nous sommes tous dans ce cas ! Il ne s’agit pas de ce que nous voulons faire mais de ce que nous devons faire ! »

Il baissa les yeux pour fixer de nouveau le pont. « Ce que nous devons faire pour vaincre. Nous en revenons à cela, n’est-ce pas ? » Rione ne répondit pas. « Tu voudras bien m’excuser, mais je ne suis pas le héros qu’il te faut. Je ne peux pas faire ce que tu me proposes.

— Il reste encore le temps…

— Je n’ai pas dit que c’était infaisable. Mais que j’en étais incapable. Je n’abandonnerai pas les autres vaisseaux à leur sort. Je ne permettrai pas au “tableau général” de justifier la trahison d’hommes et de femmes qui ont remis leur destin entre mes mains. »

Rione donnait l’impression d’être tout à la fois furieuse et implorante : « Tous ont prêté serment de se sacrifier pour l’Alliance.

— Oui, effectivement. Et moi aussi. » Il releva les yeux vers elle. « Mais je ne peux pas faire cela, même si l’Alliance devait en perdre la guerre. Le prix serait trop élevé. »

La colère de Rione s’exacerba. « Nous pouvons payer le prix nécessaire, capitaine Geary. Pour nos foyers. Nos familles.

— Je suis censé l’expliquer à ces familles ? “Peuple de l’Alliance, j’ai sacrifié vos parents, vos amis et vos enfants pour votre salut.” Combien de gens accepteraient-ils ce genre de marché ? Ceux qui y consentiraient mériteraient-ils de gagner cette guerre ?

— Nous y consentons tous les jours ! Tu le sais ! Tous les civils le font quand ils laissent leurs enfants partir pour le front ! Nous savons pertinemment qu’ils risquent leur vie pour nous. »

Elle avait encore raison. Mais pas entièrement. « Ils se fient à nous pour ne pas les gaspiller, affîrma-t-il pesamment. Ils n’échangeraient pas la vie de tous les spatiaux de la flotte pour une clé de l’hypernet syndic. Je les ramènerai chez eux dans l’espace de l’Alliance et je me battrai comme un beau diable pour y rapporter aussi cette clé, mais ne compte pas sur moi pour sacrifier la vie de mes gens en échange. L’instant où je décide qu’il y a un prix à payer est aussi celui où je trahis leur confiance et ce que je considère comme mon devoir. Nous vaincrons ou nous mourrons tous ensemble, avec honneur. »

Rione soutint un instant son regard puis secoua la tête. « Je suis en partie furieuse contre toi et en partie soulagée de n’avoir pas réussi à te convaincre. Je ne suis pas un monstre, John Geary.

— Je n’ai rien dit de tel. » Il désigna du menton l’hologramme où les mouvements des vaisseaux dans le système stellaire s’affichaient désormais très clairement. « Mais de nombreuses personnes mourront tout à l’heure à cause des décisions que j’ai prises par le passé et que je prendrai encore aujourd’hui. Je me demande parfois ce que cela fait de moi.

— Lis-le dans les yeux de tes camarades, capitaine Geary, répliqua-t-elle tranquillement. De ceux que tu refuses d’abandonner. Tu y verras le reflet de ce que tu es. »

Elle regagna son siège. Geary prit quelques profondes inspirations puis remarqua que Desjani s’absorbait totalement dans son travail. Il se demanda ce qu’elle avait deviné de sa conversation avec Rione.

Autant pour se changer les idées que par nécessité, il appela le capitaine Cresida. « Je vais ordonner aux auxiliaires de rompre le contact avec la Flottille sacrifiée dans deux heures. Entre-temps, ils devront continuer à faire étalage publiquement d’un désir frénétique de faire main basse sur tout ce qu’ils peuvent piller à bord des vaisseaux ennemis. »

Cresida hocha la tête ; seule la promptitude de ce geste trahissait sa nervosité avant la bataille. Trente et un cuirassés et treize croiseurs de combat fondaient droit sur sa force et, pour protéger les auxiliaires, elle ne disposait que de deux croiseurs de combat, quatre cuirassés dont trois à divers stades de réparation, et d’un petit nombre d’escorteurs plus ou moins endommagés. « Nous couvrirons les auxiliaires, mais nous aurons besoin de renforts.

— Ils viendront, lui affirma-t-il. Ne permettez pas au Furieux et à l’Implacable de s’engager dans un échange de tirs avec ces cuirassés syndics. Efforcez-vous de disloquer leurs assauts au lieu de les affronter. » Il abreuvait de conseils échafaudés un siècle plus tôt, en temps de paix, dans les séminaires de stratégie, une femme qui avait livré des dizaines de combats.

Mais Cresida se contenta de hocher de nouveau la tête comme si Geary venait de lui dévoiler un arcane de sagesse ésotérique. « Le Guerrier ne peut plus manœuvrer assez efficacement pour esquiver. Il devra affronter l’attaque. S’agissant du Majestic et de l’Orion, je ne saurais dire. »

L’écran de Geary affichant l’état des vaisseaux indiquait que Majestic et Orion avaient recouvré la presque totalité de leur capacité de manœuvre, et il en conclut donc que Cresida, en réalité, exprimait des doutes sur les réactions de leurs commandants face à un assaut ennemi massif. Lui-même n’avait aucune certitude à ce sujet. « Je comprends. Le Conquérant ne devrait pas vous poser de problèmes. » Techniquement, Casia était le supérieur de Cresida, mais Geary s’était donné la peine d’élaborer des ordres limitant à ce point son rôle à celui d’escorte rapprochée des auxiliaires qu’il ne serait probablement pas en mesure d’interférer dans les décisions d’une Cresida bien plus compétente.

« J’espère que le Conquérant réussira à créer de gros problèmes à l’ennemi, déclara-t-elle.

— Moi aussi. Nous disloquerons leur assaut avant qu’ils n’arrivent sur vous. Espérons que les dommages occasionnés suffiront à la bonne marche du plan. »

Le sourire de Cresida le sidéra. « Sinon, il y a des sorts moins enviables. On m’attend. »

Il fallut à Geary quelques secondes pour comprendre que ce « on » ne faisait pas allusion à quelqu’un qui l’attendrait chez elle, mais plutôt à ce qu’il arriverait si le Furieux était détruit durant le combat. « Nous avons besoin de vous, capitaine Cresida. Faites votre devoir, mais trop de héros sont déjà morts pour l’Alliance.

— En effet. » Cresida opina de nouveau.

Geary coupa la transmission et fixa son hologramme, où la puissante flotte syndic continuait d’accélérer vers le point d’interception. Il se demanda combien de héros mourraient encore pour l’Alliance avant la fin de cette journée.

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