10

L’œil dansait un lent ballet circulaire, coupé de brusques saccades qui le projetaient en avant, d’un mouvement obscène et brutal. Par moments, il semblait se rapetisser, se froisser, s’étirer grotesquement et même ricaner.

À dix centimètres de lui la coquille de boxeur contenant les attributs sexuels d’un immense pédéraste aux membres filiformes oscillait au même rythme.

Les pieds du danseur ne bougeaient presque pas. Il était tellement long et souple qu’on aurait dit un saule pleureur agité par le vent. La tête rejetée en arrière, il dansait sur place, le ventre en avant, les yeux fermés, un rictus nerveux découvrant ses dents très blanches. Malko était fasciné par ses cheveux noirs collés dans son cou par la sueur.

La fille avait un beau visage régulier de Madone, avec une bouche presque blanche.

Son collant couleur chair imitait à s’y méprendre la nudité. Au contraire des autres participants de la soirée, elle ne s’était pas barbouillé le visage.

L’œil, peint soigneusement sur son minuscule cache-sexe blanc, était la seule tache de couleur de son déguisement. Sous les mouvements de la fille, il vivait, bougeait, s’allongeait grotesquement, semblant vouloir par instants avaler la coquille qui le narguait. On ne pouvait rien deviner des sentiments de la danseuse. D’énormes lunettes aux verres blancs dissimulaient ses yeux et la moue de ses lèvres charnues n’avait aucune expression. Ses longs cheveux noirs tombaient en cascade silencieuse sur ses épaules.

Fasciné, Malko regardait la scène par-dessus les épaules des deux Arabes au torse nu qui gardaient la voûte menant au patio où se déroulait la soirée psychadélique.

Insensiblement, l’homme et la femme se rapprochaient. Millimètre par millimètre. Ils dansaient pour eux sans se préoccuper du rythme de l’orchestre installé dans un coin du patio, sur une estrade. Maintenant, l’œil frôlait la coquille, à chaque balancement. Un frémissement parcourut le corps de l’interminable pédéraste. Il s’immobilisa, le ventre agité d’un frémissement imperceptible et leva très lentement les bras vers le ciel, vers la pleine lune. L’œil se mit à tourner de plus en plus vite, comme si les hanches de la fille avaient été montées sur roulement à billes. C’est lui qui s’approchait. On le vit encore par intermittence pendant quelques secondes. Brusquement, le pédéraste donna un coup de rein en avant. Comme télécommandée, la fille avança le ventre au même instant et l’œil resta collé à la coquille.

Tétanisé, le pédéraste poussa un long hurlement, trembla sur place, comme si du plomb bouillant les avait unis à jamais. La fille avait laissé retomber les bras et son corps était tendu en arc de cercle, mais son visage n’avait pas changé d’expression.

Des applaudissements éclatèrent partout à la fois. Le couple se dénoua et un mince sourire apparut enfin sur le visage de la fille. Elle se sépara de son cavalier. L’œil avait fondu. Tout barbouillé par la transpiration des deux corps, il n’était plus qu’un magma de peinture sans forme. Malko se secoua. Charmante soirée. Et on n’en était qu’au début. Son déguisement commençait à lui tenir horriblement chaud. Les deux Arabes le regardèrent avec méfiance. L’un d’eux, le plus lettré, articula péniblement :

— Your card, sir ?

Carole était à un mètre, derrière une petite table couverte de listes et de cartes. Il y avait déjà une bonne centaine de personnes.

— Carole ! appela Malko.

La jeune fille leva la tête, et dévisagea l’étrange apparition. On aurait dit la momie de Toutankhamon. Chris Jones, promu maquilleur, n’avait pas lésiné sur les bandelettes achetées à la pharmacie de Porto-Giro. Il avait absolument tenu à ce que Malko emporte son pistolet extra-plat. Mais il fallait une petite demi-heure pour le récupérer et dévider deux ou trois cents mètres de bandelettes. Malko, ne gardant qu’un slip et une large ceinture pour dissimuler la forme du pistolet, s’était entièrement emmailloté de bandelettes, de la tête aux pieds, comme l’Homme Invisible de H.G. Wells. Seuls deux trous pour les yeux, un pour la bouche et un pour le nez rappelaient qu’il n’était pas un fantôme.

— C’est moi, répéta Malko.

Carole prit une petite lampe électrique posée sur la table devant elle et la braqua sur la momie. Dans les deux trous des yeux, elle vit briller le regard doré. Aussitôt, elle pouffa de rire.

— Laissez-le entrer, dit-elle aux Arabes.

Ceux-ci s’écartèrent et Malko put s’approcher de Carole. Son déguisement lui permit de l’admirer un instant, discrètement. Comme elle le lui avait dit, elle ne portait qu’un soutien-gorge et un slip de dentelle noire, avec une large ceinture de cuir, très bas sur le ventre et de hautes bottes de cuir marron montant à mi-cuisse. En dépit de ses problèmes, Malko sentit se réveiller en lui, le démon de la chair. Il avait rarement vu une femelle aussi appétissante. Il dut en transparaître quelque chose dans son regard car Carole rougit en s’excusant :

— L’émir a voulu que toutes les femmes soient très sexy, ce soir. Malko s’inclina :

— Le résultat dépasse les espérances…

Ce fut Carole qui dut se pencher pour que ses bandages effleurent ses lèvres. Avec le chignon de cheveux blonds, elle ne faisait pas loin de deux mètres.

L’Annapurna en moins rocailleux…

— Entrez vite, dit-elle, l’émir serait furieux s’il savait que j’ai invité quelqu’un qu’il ne connaît pas.

Malko ne se le fit pas dire deux fois. Une fois à l’intérieur il était relativement en sécurité. L’émir ne pouvait pas savoir qu’il connaissait Carole et tous les invités étaient triés sur le volet. Son déguisement le mettait à l’abri des mauvaises rencontres. Il fonçait déjà vers l’immense buffet de l’autre côté de la piscine quand il fut happé par un avorton, le seul présent à être habillé normalement qui se tenait derrière Carole.

— Vous êtes maquillé ?

— Vous trouvez que cela ne suffit pas ? Le petit Sarde secoua la tête :

— Il faut vous maquiller. L’émir le désire. Asseyez-vous sur cette chaise.

Malko s’exécuta. L’autre avait disposé sur une petite table une douzaine de bombes à main pour faire des raccords de peinture sur les voitures.

Il en brandit une dans chaque main et commença à asperger les bandelettes de Malko.

En dix secondes, celui-ci ressemblait à une palette de peinture. Le Sarde stoppa et regarda son œuvre d’un œil satisfait.

— Molto bene, signor. C’est dix mille lires.

On se demandait vraiment pourquoi les carabiniers tendaient chaque nuit des barrages sur les routes pour attraper les bandits sardes. Il y a longtemps que ceux-ci n’étaient plus dans leurs maquis… Heureusement que Malko avait glissé quelques billets entre deux bandelettes : il paya et cette fois se fondit dans la foule. Personne ne semblait prêter une attention particulière à son déguisement. La plupart des hommes portaient des Tee-shirts barbouillés de peinture, avec des pantalons.

Et toutes les femmes étaient nues. Ou du moins, elles le paraissaient. Beaucoup avaient des collants couleur chair et des bottes. Plusieurs portaient la même tenue que Carole : slip et soutien-gorge noirs, grosse ceinture de cuir et bottes… De quoi faire faire des heures supplémentaires à Freud.

En s’éloignant du buffet, un verre de vodka à la main, Malko aperçut soudain l’émir Katar.

Escorté de son géant café au lait, et de l’ineffable Hussein, le dépliant publicitaire vivant, il se tenait debout près des musiciens, un verre de cristal à la main. Lui aussi avait peinturluré son visage et sa chemise ornée de dentelle blanche. Ses traits mous ressortaient désagréablement sous l’éclat brutal des projecteurs de l’orchestre. À ses côtés se tenait une des plus belles filles que Malko ait jamais vues. Des yeux clairs et immenses, un ovale parfait, une longue chevelure noire et des jambes interminables moulées par des bottes de daim collantes s’arrêtant au-dessus du genou.

Elle n’avait pas de soutien-gorge : simplement une bavette de bébé attachée autour du cou. D’où il était, Malko pouvait parfaitement apercevoir sa poitrine, en profil perdu. Ce qui ne semblait nullement la gêner.

L’émir posa son verre, enlaça la belle inconnue de la main gauche, les doigts emprisonnant tout le sein sous la bavette et tourna la tête dans la direction de Malko. Son regard se posa sur les bandelettes et il daigna sourire.

Malko éprouva une sensation désagréable. Était-ce de la curiosité ou l’émir éprouvait-il un soupçon quelconque ? Pour se donner une contenance, il chercha Carole des yeux. Elle n’était plus à la porte gardée par les deux cerbères arabes. Il l’aperçut au milieu d’un groupe qui évoquait assez bien une explosion dans une usine de peinture. L’orchestre anglais jouait à tue-tête, éclairé par des projecteurs de toutes les couleurs placés dans les arcades du patio. Dans un coin, le grand pédéraste buvait de la sangria à la louche, effondré comme une araignée désarticulée, mais une douzaine de couples mimaient l’amour sans aucune honte. Partout les gens buvaient, flirtaient. Malko croisa un invité qui portait un pot de chambre sur la tête. Follement « in ».

Il avait peine à croire que cette réunion de snobs dingues fût un dangereux repaire d’espions. Et pourtant, il était en danger. Il n’avait encore vu aucun des gardes à mitraillettes qui devaient se tenir dans l’ombre.

Chris et Milton étaient à cinq cents mètres à vol d’oiseau, dans le Donzi, ancré derrière un rocher de la baie. Joe Litton avait tenu parole et prévenu son marin. Mais que pouvaient-ils faire ? Une fille très saoule bouscula ses réflexions :

— Oh ! une momie ! gloussa-t-elle.

Aussitôt, elle enlaça Malko et le traîna sur la piste. Luxe suprême, elle portait en tout et pour tout une robe en plastique transparent bordée de vison au cou et dans le bas. Avec un minuscule slip blanc. Et elle puait le whisky comme un alambic. Jetant ses bras autour du cou de Malko, elle se colla énergiquement contre lui et murmura à son oreille :

— Qu’est-ce que ça vous fait sous vos bandelettes ? C’est fou ce que ça m’excite, un homme comme ça ? Vous en avez mis partout ?

À côté de la façon dont elle dansait, l’exhibition de l’araignée pédéraste était un divertissement de patronage. Malko commençait à se sentir sérieusement gêné, bandelettes ou pas. Soudain, un énergumène fonça sur eux et les sépara violemment, en hurlant :

— C’est la cure !

Il portait une lampe de médecin attachée sur le front et brandissait une énorme seringue.

— Ouvrez la bouche, ordonna-t-il.

La cavalière de Malko s’exécuta docilement. L’autre fit gicler un long jet de liquide ambré. Elle riait tellement qu’elle s’étrangla et se plia en deux, toussant comme la Dame aux Camélias. Le faux médecin braqua sa seringue sur Malko, qui dut ouvrir la bouche de mauvaise grâce. Il ne tenait pas à se singulariser. Mais il se garda bien d’avaler le liquide qui dégoulina dans sa bouche. Satisfait, l’autre alla s’attaquer à un autre couple. Malko recracha discrètement. C’était du whisky.

Tout était permis, puisque la soirée était placée sous le signe du psychadélisme, donc de la folie douce.

Il récupéra Carole au bord de l’immense piscine. Ses yeux étaient encore plus brillants. Sans façon, elle attira Malko contre elle. Elle s’était littéralement arrosée de parfum. Dommage qu’elle soit si grande. C’était vraiment la montagne de chair pour superman. Assise dans un fauteuil de rotin, elle attira Malko contre elle. Ses cuisses dures enserraient ses jambes et la chaleur de son ventre pénétrait les bandelettes. Elle avait pas mal bu.

— Si on dansait, proposa Malko pour échapper à l’attentat à la pudeur.

— Formidable !

Elle se leva et s’étira, faisant saillir sa poitrine. Son slip ne cachait rien de son intimité.

Par chance, l’orchestre était un peu moins déchaîné. Ils s’enlacèrent au bord de la piscine. Gentiment Carole demanda :

— Mon ceinturon ne vous fait pas mal ?

Malko l’assura que non. Dressé sur la pointe des pieds, sa bouche arrivait tout juste à la bonne hauteur. Il commença à l’embrasser à petits coups et elle frissonna, se serrant encore plus contre lui.

— C’est fou ce que je suis bien, souffla-t-elle. Je me sens merveilleusement libre… L’émir devrait organiser des fêtes plus souvent. Sans répondre, Malko la serra un peu plus et commença à se diriger sournoisement vers l’ombre de la galerie qui courait tout autour du patio. Toutes les portes des appartements privés de l’émir donnaient là. Quelque part dans cette partie des bâtiments se trouvait Kitty. Ce soir, c’était sa seule chance. Mais il fallait d’abord sortir de cette foule.

Carole dansait de plus en plus amoureusement, fredonnant la mélodie de A whiter shade of pale. Elle pencha sa bouche sur Malko et l’embrassa goulûment.

— C’est bon de faire ce dont on a envie, murmura-t-elle. En Angleterre, on est toujours obligé de se retenir. Cet émir est vraiment un type formidable.

En tout cas, la soirée tournait à l’orgie mondaine, à la partouze géante.

Malko aperçut la tête de l’émir dansant lui aussi, les deux mains enfoncées sous la bavette-soutien-gorge de sa cavalière. Autour d’eux, les gens dansaient d’une façon qui aurait fait honte à des chimpanzés en rut. Il y avait quelques robes longues, mais la plupart des femmes n’avaient sur elles que leurs dessous et des robes transparentes bardées de cuir ou de chrome. D’ailleurs, Malko vit une jeune femme très distinguée, avec un chignon compliqué, qui avait relevé sa robe du soir pour que son cavalier puisse la caresser à son aise tout en dansant. Tout autour de la piste, les serviteurs arabes, le torse nu et bronzé, tournaient silencieusement, ramassant les verres vides et surveillant l’obscurité. Ils devaient être une douzaine. Malko remarqua qu’ils ne regardaient jamais les couples. C’étaient peut-être de vrais eunuques, selon la bonne vieille tradition orientale.

Soudain, il y eut un plouf et une bordée de hurlements venant de la piscine. Carole s’arrêta de danser et prit Malko par la main.

— Allons voir !

Il n’y avait qu’une fille nue, en équilibre sur le plongeoir. Au pied de ce dernier, un faux cow-boy brandissait un fouet. Il le fit claquer et la lanière s’enroula autour de la taille de la fille nue. Elle poussa un cri et plongea une nouvelle fois, bras et jambes écartés. L’homme au fouet se tourna vers une autre victime, une petite brune boulotte qui poussa un hurlement hystérique lorsque la lanière s’enroula autour de sa poitrine protégée par un plastique transparent. Nouveau hurlement d’approbation des spectateurs. Carole attrapa un grand verre de sangria sur un plateau qui passait et le vida d’un coup. Elle en tendit un à Malko.

— Bois !

Il but, sentant le liquide lui réchauffer l’estomac. Ce n’était pas le moment de céder à l’ambiance. Jamais, il ne retrouverait une occasion pareille. Dans une heure, ils seraient tous ivres morts.

Sans doute payé au décibel, l’orchestre attaqua une composition absolument assourdissante. L’eau de la piscine en tremblait. Carole, soudain, pouffa et désigna à Malko un homme d’une cinquantaine d’années, chauve et bedonnant, bavant comme un boxer, en train de peloter une petite blonde.

— C’est le directeur de ma banque, à Londres, fit-elle. Rassurant.

— Si nous allions nous reposer un peu ? proposa Malko.

Sans attendre sa réponse, il l’entraîna par la main dans l’ombre de la galerie. Elle ne résista pas.

Toutes les portes-fenêtres vitrées étaient grandes ouvertes. L’intérieur des pièces n’était éclairé que par quelques chandeliers posés sur les meubles. À tâtons, Malko entra dans la première pièce. Il y avait déjà un couple en train de faire l’amour sur un des canapés. Carole pouffa discrètement. Le couple ne se dérangea même pas en les voyant. Simplement, la fille posa sur Malko des yeux tristes et inexpressifs puis recommença à regarder le plafond. Deux verres de whisky étaient posés près d’eux.

Malko avait beaucoup de mal à garder son calme. Pas à cause de Carole. Il jeta un coup d’œil vers l’extérieur. Personne ne semblait avoir remarqué leur disparition.

— Où allons-nous ? souffla Carole.

— À l’aventure.

Ils trouvèrent un divan libre à la troisième pièce. Dans toutes les autres, un ou plusieurs couples faisaient l’amour. Mais cette promiscuité ne déplaisait pas à Malko. On les remarquerait moins. Carole retrouva toute son hypocrisie anglaise de bonne famille en s’affalant sur le divan.

— Pourquoi m’avez-vous amenée ici ? murmura-t-elle. On entend à peine la musique…

Comme si elle ne s’en doutait pas.

Malko se mit en devoir de lui prouver que la musique n’est pas tout dans l’existence.

Quelques secondes plus tard, il y eut un choc sourd. Carole faisait tomber ses bottes par terre. Le ceinturon suivit très vite. À voir la façon dont ses mains s’activaient autour des bandelettes, elle ne se demandait plus du tout, ce qu’elle était venue faire. Soudain elle se redressa et ôta elle-même son soutien-gorge avec un sourire d’aise, et le jeta par terre. Elle était si grande que la pointe de ses seins arrivait juste à la hauteur de la bouche de Malko. Il n’ignora pas l’invitation.

Carole gémit, se tordit contre lui, poussant furieusement son ventre contre celui de Malko.

Elle commença à tirer les bandelettes de tous les côtés. Ses grandes mains avaient une force peu commune. Elle parvint à en déchirer une et se mit à tirer dans tous les sens. Malko tournait comme un toton.

En trois minutes, Carole fut parvenue à ses fins, ayant découvert tout le corps de Malko jusqu’à la ceinture. En commençant par les pieds. C’était une tornade, la belle Carole. Malko avait l’impression de faire l’amour avec un acheteur. Elle le pétrissait, le malaxait, finalement se glissa sous lui.

— Maintenant ! ordonna-t-elle.

Ce sont des ordres auxquels un gentleman ne désobéit pas. Malko se trouva, quelques minutes plus tard, un peu essoufflé, serré dans des bras d’acier, par une Carole qui lui murmurait à l’oreille.

— Il faut que je boive, sinon, j’ai des complexes à cause de ma taille. La musique arrivait toujours faiblement jusqu’à eux, mêlée de cris et de rires. Apparemment, la fête battait son plein. Malko chercha à tâtons son pistolet qu’il avait glissé sous le divan au début de leurs ébats et le glissa sous le matelas.

— J’ai soif, dit soudain Carole.

C’était l’occasion rêvée. Malko bondit du divan et remit son slip.

— Je vais chercher à boire.

Il posa un baiser sur les seins encore palpitants de Carole et sortit de la pièce, avec quand même un pincement de cœur. Il se conduisait comme un mufle. Un monsieur n’abandonne pas brutalement une dame après un échange de bons procédés. Il se jura de lui envoyer une énorme gerbe de fleurs, de tulipes, fleurs d’amour. Il tourna à gauche, suivant la galerie qui contournait tout le bâtiment. Il avait remarqué un passage symétrique à celui par lequel il était entré dans ce patio, qui devait conduire à un autre corps de bâtiment. Carole ne s’étonnerait pas trop de ne pas le voir revenir tout de suite. Elle penserait qu’il s’était fait enlever par une des nombreuses beautés de la soirée.

Personne ne gardait la voûte. Malko la franchit rapidement et un air tiède lui fouetta le visage. Il se trouvait dehors, derrière le bâtiment, dans un second patio à peine éclairé et beaucoup plus petit. L’endroit était absolument désert. Le bruit de la soirée psychadélique arrivait très faiblement jusque-là. Au fond, il apercevait la masse noire d’un bâtiment. C’est là que devait se trouver Kitty, car après il n’y avait plus rien que le désert.

Le danger commençait là. Car Malko n’avait absolument rien à faire dans cette zone, en tant qu’invité. Il aurait dû emmener Carole, mais il aurait fallu lui donner des explications. D’ailleurs, avec ses bandelettes et son slip, il n’avait vraiment pas l’air d’un espion. Résolument il s’engagea dans le patio, chaloupant volontairement sa démarche. Il aurait toujours la ressource de jouer l’ivrogne. Cela n’étonnerait personne.

Mais il parvint de l’autre côté sans encombre. Une porte était en face de lui, il tenta de l’ouvrir.

Fermée à clef. Tout était noir. Une seconde, l’idée l’effleura qu’il était tombé dans un piège. Tout cela aurait dû être gardé. Mais il n’avait pas beaucoup de temps pour se poser des questions.

Il se remit en marche et contourna le bâtiment. Avec ses espadrilles, il ne faisait aucun bruit. Arrivé au coin du mur, il regarda.

Devant lui, il y avait encore une galerie avec plusieurs appliques.

Déserte.

D’où il se trouvait, il entendait le bruit de la mer dans l’obscurité. Si au moins les gorilles avaient pu l’accompagner !

Aucun bruit ne filtrait. D’innombrables étoiles brillaient dans le ciel limpide. La brise était encore tiède, en dépit de l’heure tardive.

Malko se décida à poursuivre.

À Dieu vat !

Malko entendit soudain un glissement derrière lui. Il n’eut pas le temps de se retourner. Sa tête éclata et il glissa dans l’inconscience.

Загрузка...