12 Un lys en hiver

Un autre serviteur manqua s’étaler tant il s’était incliné. En soupirant, Elayne continua son chemin le long du couloir. En glissant plus qu’elle ne marchait ! Enfin, en théorie. La Fille-Héritière, majestueuse et sereine… En réalité, elle aurait voulu courir, mais elle se serait probablement emmêlé les pinceaux dans sa robe.

Entre ses omoplates, elle sentait le regard du gros domestique. Un désagrément mineur qui ne durerait pas. À peine un grain de sable dans sa chaussure.

Ce maudit Rand « je-sais-tout-mieux-que-quiconque-sur-ce-qui-est-bien-pour-les-autres » al’Thor me rendra folle !

S’il réussissait encore à lui filer entre les doigts…

— N’oublie pas, rappela-t-elle, on ne lui parle ni des espions, ni de la fourche-racine ni du reste.

Sinon, il risquait de vouloir la « sauver », ce qu’elle redoutait plus que tout au monde. Selon Nynaeve, ce genre de choses arrivait quand les hommes pensaient avec leur mâle pilosité. S’il savait, Rand voudrait que les Aiels et les soldats du Saldaea reviennent en ville. Voire au palais ! Si amer que ce fût, s’il décidait ça, elle ne pourrait rien faire, sauf à lui déclarer la guerre – et même ainsi, le résultat n’était pas garanti.

— Je ne lui dis jamais ce qu’il n’a pas besoin de savoir, fit Min.

Intriguée, elle regarda une servante dont la révérence exagérée avait failli se terminer en culbute.

Elayne jeta un coup d’œil en coin à sa visiteuse et repensa au temps où elle portait aussi un pantalon. Avec ça, on était bien plus à son aise qu’en robe. Pourquoi ne pas s’y remettre ? Mais sans les bottines à hauts talons qui grandissaient Min au point qu’elle semble de la taille d’Aviendha. Dans ces chaussures, même Birgitte avait du mal à marcher droit. De plus, combinées au pantalon moulant de Min et à sa veste courte, les bottines composaient une tenue proprement scandaleuse.

— Tu lui mens ? demanda Aviendha, maussade.

Véritable incarnation de la désapprobation, elle foudroyait Min du regard à la moindre occasion.

— Bien sûr que non ! Sauf quand c’est absolument nécessaire…

Aviendha gloussa, parut dépitée de sa propre réaction et se replongea dans sa morosité.

Elayne se demanda ce qu’elle allait faire avec ces deux-là. Il fallait qu’elles s’apprécient, c’était incontournable. Mais dès qu’elles étaient ensemble, elles se défiaient du regard comme deux tigresses en cage.

En principe, elles étaient d’accord sur tout – comment faire autrement, puisqu’elles ne savaient pas plus qu’Elayne quand ce fichu type leur tomberait de nouveau sous la main ? – mais leur petite démonstration d’adresse, couteau en main, avait eu de quoi glacer les sangs. Seul point positif, Aviendha s’était déclarée très impressionnée par le nombre de lames que Min cachait sur elle.

Un jeune serviteur grand et mince, avec sur les bras un plateau lesté de manchons à incandescence pour les lampes, s’inclina sur le passage des trois femmes. Distrait par ce qu’il voyait, il s’emmêla les pieds, trébucha et lâcha son fardeau. En se brisant, les objets en verre firent un vacarme infernal.

Elayne soupira à pierre fendre. Elle espérait tellement que les gens s’habitueraient enfin au nouvel ordre des choses, mais il y avait encore du chemin à faire. Bien entendu, la Fille-Héritière n’était pas la cause de ces regards écarquillés et de ces bouches grandes ouvertes. Même chose pour Aviendha et pour Min, malgré la tenue provocante de cette dernière. Si les domestiques avaient les yeux ronds et manquaient s’étaler, c’était à cause de Caseille et Deni, qui fermaient la marche.

Elayne avait désormais huit gardes du corps. Depuis le matin, ces deux-là étaient postées devant sa porte.

La surprise des serviteurs s’expliquait en partie par la simple présence de gardes, mais qu’il s’agisse de femmes ne simplifiait rien. Pour l’instant, personne ne s’y était habitué…

Cela dit, Birgitte avait promis que ces femmes auraient l’air martial, et elle n’avait pas menti. La veille, après avoir quitté Elayne, elle avait dû mobiliser toutes les couturières et les modistes du palais…

Un chapeau rouge vif sur la tête – avec une plume blanche reposant sur son large bord –, chacune de ces femmes arborait fièrement un large baudrier sur lequel était brodée une kyrielle de Lions Blancs rampants. En soie, leur longue veste écarlate à col blanc – ajustée pour tomber parfaitement – recouvrait presque jusqu’aux genoux leur pantalon lui aussi écarlate et orné d’une large bande blanche verticale, sur l’extérieur de la jambe. De la dentelle aux poignets et au col, leurs bottes noires cirées jusqu’à briller comme de petits astres, ces protectrices étaient somptueuses et même Deni, pourtant d’une grande placidité, avait tendance à bomber un peu trop le torse. Selon Elayne, cette tendance ne s’arrangerait pas quand les ceinturons d’armes et les fourreaux rehaussés d’or seraient prêts – sans parler des casques et des plastrons laqués.

La commande de Birgitte – des plastrons adaptés aux spécificités féminines – avait certainement dû laisser bouche bée l’armurier du palais.

En ce moment même, l’archère était occupée à évaluer des femmes pour enrôler les douze qui manquaient encore. Via le lien, Elayne sentait sa concentration, sans aucun signe d’activité physique. Ce devait donc bien être ça, sauf si elle lisait ou disputait une partie de pierres – des distractions qu’elle s’autorisait très rarement.

Vingt, d’accord, mais pas plus, pensa Elayne pour la énième fois.

Elle espéra aussi que sa Championne, trop occupée, ne s’apercevrait pas qu’elle occultait le lien à certains moments. Très inquiète que Birgitte capte des choses qu’elle estimait privées, la Fille-Héritière s’était rongé les sangs – jusqu’à ce qu’il lui vienne l’idée de poser une question toute simple à Vandene. La réponse, élémentaire, lui avait rappelé combien elle ignorait de choses sur sa propre nature d’Aes Sedai – des fondamentaux pour toutes les autres sœurs, formées plus classiquement. Toutes celles qui avaient un ou plusieurs Champions, et même celles qui restaient célibataires, savaient défendre jalousement leur vie privée.

Parfois, les choses étaient vraiment étranges. Sans la garde rapprochée, Elayne n’aurait jamais eu l’idée de demander à Vandene comment on pouvait s’isoler de vingt personnes et d’une Championne. Dans un avenir proche, ça ne semblait pas d’actualité – en ce qui concernait les gardes –, mais mieux valait prévenir que guérir.

Birgitte, en revanche, n’était sûrement pas disposée à permettre à la future reine de se balader en ville avec Aviendha, que ce soit de jour ou de nuit.

Une fois devant la porte de Nynaeve, Elayne oublia totalement Birgitte – au détail près qu’elle ne devait pas occulter le lien trop tôt. Au tout dernier moment, voilà ce qu’il faudrait faire…

Rand était derrière cette porte… Rand, l’homme qui occupait ses pensées au point qu’elle se demandait souvent si elle n’était pas une de ces idiotes, dans les romans, prêtes à se taper la tête contre les murs à cause d’un amoureux. Des romans écrits par des mâles, pensait-elle depuis toujours. Pourtant, Rand la privait parfois du plus élémentaire bon sens. La Lumière en soit louée, il n’en avait pas conscience…

— Attendez dehors et ne laissez entrer personne, ordonna Elayne à ses gardes.

Pas question d’être dérangée et encore moins d’attirer l’attention sur elle. Avec un peu de chance, la garde rapprochée était si récente que personne ne comprendrait ce que signifiait sa présence devant une porte.

— Je ne serai pas longue.

Les deux femmes saluèrent la Fille-Héritière – un bras sur la poitrine, très simplement – puis se placèrent de chaque côté de la porte. Le visage de marbre, Caseille posa les doigts sur le pommeau de son épée. Deni prit à deux mains sa longue massue et esquissa un sourire.

Elayne aurait parié que la solide bonne femme avait compris que Min venait de conduire son amie à un rendez-vous galant. Même chose pour Caseille. De fait, Min, Aviendha et elles ne s’étaient pas montrées très discrètes en chemin. Sans mentionner de nom, elles avaient multiplié les « il a fait ceci » ou « il a dit cela ».

Élément encourageant, aucune des deux gardes n’avait demandé à se retirer… pour aller faire son rapport à Birgitte. Une bonne chose, puisque cette garde rapprochée était celle d’Elayne, pas celle de la Championne. Cela dit, si le lien était occulté trop tôt, tout ce bel assemblage s’écroulerait…

Elayne s’avisa qu’elle tentait par tous les moyens de retarder le moment fatidique. L’homme auquel elle rêvait chaque nuit était derrière cette porte, et elle restait plantée devant comme une petite dinde. Après avoir attendu si longtemps et s’être tant languie, voilà qu’elle était presque terrifiée. Mais cette rencontre ne devait pas mal tourner. Au prix d’un gros effort, la jeune femme se ressaisit.

— Vous êtes prêtes ?

Si elle était moins forte qu’elle aurait voulu, sa voix ne tremblait pas et c’était déjà ça. Depuis quand n’avait-elle plus eu l’estomac noué de cette façon ?

— Bien sûr, répondit Aviendha d’un ton étranglé.

— Prête…, souffla Min.

Les trois femmes entrèrent sans frapper et refermèrent la porte derrière elles.

Avant qu’elles aient fait trois pas dans le salon, Nynaeve sauta sur ses pieds, les yeux ronds. Mais Elayne la remarqua à peine – idem pour Lan, alors que la fumée de sa pipe saturait l’atmosphère.

Même si c’était difficile à croire, Rand était bel et bien là. Sans l’affreux déguisement dont Min avait parlé – à l’exception des vêtements, bien sûr.

Oui, il était là, plus beau que jamais.

En voyant Elayne, il voulut se lever d’un bond, mais il tituba et dut se retenir à la table, soudain d’une pâleur de cire. Elayne s’unit à la Source, fit un pas… puis s’immobilisa et se força à se couper du Pouvoir. En matière de guérison, elle ne valait pas tripette, et Nynaeve accourait déjà, l’aura du saidar l’enveloppant.

D’un geste, Rand la repoussa.

— Tu ne pourras rien contre ça, Nynaeve, dit-il. En tout cas, il semble que tu aies remporté le débat.

Les traits impassibles, Rand buvait Elayne du regard – au moins, c’est ce qu’elle eut le sentiment de voir. Même chose en ce qui concernait Aviendha…

À sa grande surprise, Elayne en fut ravie. C’était ce qu’elle espérait, bien sûr, parce qu’elle ne souhaitait que du bien à sa sœur, mais elle ne pensait pas réussir si facilement à surmonter la jalousie.

Non sans peine, Rand parvint à se redresser. Même s’il tenta de le cacher, détourner son regard d’Elayne et Aviendha lui coûta aussi de gros efforts.

— Il est plus que temps de partir, Min, dit-il.

Elayne eut du mal à en croire ses oreilles.

— Tu crois pouvoir filer sans même m’avoir parlé – nous avoir parlé ?

— Les hommes, vraiment, soufflèrent Min et Aviendha à la même seconde.

Stupéfaites, elles se regardèrent puis décroisèrent à la hâte leurs bras. Un instant, malgré tout ce qui les rendait si différentes, elles s’étaient ressemblé comme des jumelles. La vibrante image de l’indignation féminine…

— S’ils savent que je suis là, dit Rand, les hommes qui m’ont attaqué à Cairhien raseront ce palais. Même chose s’ils suspectent ma présence… Min vous a dit que c’étaient des Asha’man. Ne vous fiez à aucun d’eux. À part Damer Flinn, Jahar Narishma et Eben Hopwil. Eux, ça devrait aller. Les autres…

D’instinct, Rand serra ses poings gantés et les plaqua sur ses hanches.

— Parfois, une épée peut glisser dans la main de son maître. J’ai quand même besoin d’en avoir une. Restez loin de tous les hommes en veste noire. Désolé, mais je n’ai pas le temps de parler.

Elayne constata qu’elle s’était trompée. Rand n’était plus l’homme dont elle rêvait. Avant, il restait en lui quelque chose d’un enfant, mais ça n’existait plus, comme si cette partie de son âme avait brûlé. Et il fallait s’en désoler pour lui, car il n’en était plus capable.

— Il a raison sur un point, dit Lan, les dents serrées sur le tuyau de sa pipe.

Un autre homme qui semblait n’avoir jamais été un enfant… Pour le savoir, il suffisait de sonder son regard bleu glacial, sous la lanière de cuir qui ceignait son front.

— Près de lui, tout le monde est en danger. Tout le monde.

Pour une raison connue d’elle seule, Nynaeve émit un grognement. Puis elle mit une main sur le gros sac posé sur la table et sourit. Un court instant, uniquement…

— Ma première-sœur et moi, nous n’avons pas peur du danger, dit Aviendha, les poings également plaqués sur ses hanches.

Son châle glissa de ses épaules et tomba sur le sol. Trop concentrée, elle ne s’en aperçut pas.

— Cet homme a un toh envers nous, Aan’allein, et nous en avons un envers lui. L’abcès doit être vidé.

— Je ne saurais dire si c’est une affaire de « tôt » ou de « tard », intervint Min, mais je n’irai nulle part tant que tu ne leur auras pas parlé, Rand !

Min feignit de ne pas remarquer le regard outragé d’Aviendha.

Rand s’appuya d’une main à la table et se passa l’autre dans les cheveux. Marmonnant dans sa barbe, il semblait se disputer avec… lui-même.

— Je suis navré que vous ayez récupéré les sul’dam et les damane, soupira-t-il.

De fait, il semblait désolé, mais pas tant que ça. Juste une façon de parler…

— Taim était censé les livrer aux sœurs qui selon moi vous accompagnaient. Mais j’imagine que tout le monde peut se tromper. Il a peut-être pris pour des Aes Sedai toutes ces Matriarches et ces Sages-Dames réunies par Nynaeve.

Rand eut un sourire apaisant qui ne se communiqua pas à ses yeux.

— Rand…, murmura Min d’un ton qui n’annonçait rien de bon.

Rand eut le culot de la regarder comme s’il ignorait ce qu’elle voulait dire. Puis il enchaîna :

— Heureusement, vous êtes assez nombreuses pour contrôler une poignée de femmes avant de les remettre aux… eh bien, aux autres sœurs, celles qui accompagnent Egwene. La vie nous réserve bien des surprises, pas vrai ? Qui aurait cru que des sœurs fuyant Elaida deviendraient le noyau d’une rébellion contre la Tour Blanche ? Et Egwene nommée Chaire d’Amyrlin ! Avec la Compagnie de la Main Rouge en guise d’armée… Je suppose que Mat sera absent un certain temps…

Rand cligna des yeux, se toucha le front puis reprit d’un ton monocorde :

— Bien… Partout, les événements sont étranges… Si ça continue, je ne serais pas surpris que mes amies de la Tour Blanche trouvent assez de courage pour se montrer au grand jour.

Un sourcil arqué, Elayne regarda Nynaeve. Des Sages-Dames et des Matriarches ? La Compagnie de la Main Rouge, armée d’Egwene ? Mat dans le coup ?

L’air innocent que tenta de prendre l’ancienne Sage-Dame revint à agiter une pancarte avec le mot « coupable » écrit dessus. Elayne n’en fit pas toute une affaire. S’il finissait par accepter d’aller voir Egwene, Rand apprendrait bientôt la vérité. Et avec lui, elle avait des affaires bien plus importantes à traiter.

Pour l’heure, il jacassait, lançant à peu près n’importe quoi pour faire diversion.

— Ça ne fonctionnera pas, Rand, lâcha Elayne.

Pour ne pas brandir un index sur lui, elle agrippa à deux mains le devant de sa robe. Un index ou un poing ? Les « autres sœurs » ? Les « véritables Aes Sedai », voilà ce qu’il avait failli dire. Et ses « amies » de la Tour Blanche ? Prenait-il encore au sérieux l’étrange lettre d’Alviarin ?

La Fille-Héritière enchaîna d’une voix qui ne tremblait pas :

— Pour l’instant, tout ça ne compte pas. Toi, Aviendha, Min et moi, nous devons parler. Et nous allons le faire. Ensemble, Rand al’Thor, et tu ne quitteras pas ce palais avant que nous en ayons terminé.

Un long moment, Rand regarda Elayne, le visage de marbre. Puis il inspira à fond, les traits encore plus durs :

— Je t’aime, Elayne.

Des mots jaillissant de lui comme de l’eau d’une digue enfin brisée. Et entraînant avec eux la suite inévitable.

— Je t’aime, Aviendha. Je t’aime, Min… De la même façon et aussi fort, toutes les trois. Je ne veux pas l’une d’entre vous, mais les trois ! Voilà, vous savez tout. Je suis un pervers lubrique. À présent, vous pouvez vous détourner et ne plus jamais me regarder. De toute façon, c’est de la folie. Parce que je ne peux aimer personne !

— Rand al’Thor, s’écria Nynaeve, c’est la chose la plus ignoble que j’aie entendue ! Déclarer à trois femmes qu’on les aime ! Lubrique, dis-tu ? C’est encore pire que ça ! Tu es un… Excuse-toi sur-le-champ !

Lan retira sa pipe de sa bouche et riva les yeux sur Rand.

— Je t’aime, Rand, dit simplement Elayne. Et même si tu ne l’as pas demandé, oui, je veux t’épouser.

La jeune femme se sentir rosir. Ayant l’intention d’être beaucoup plus directe dans un très proche avenir, elle ne s’en formalisa pas.

Nynaeve voulut intervenir, mais pas un son ne sortit de sa bouche.

— Mon cœur repose entre tes mains, Rand, dit Aviendha, prononçant ce prénom comme un mot magique. Si tu tresses une couronne de mariage pour ma première-sœur et moi, je la ramasserai.

L’Aielle rougit aussi et tenta de le cacher en se baissant pour ramasser son châle. Selon les coutumes de son peuple, elle n’aurait jamais dû dire une chose pareille.

Nynaeve réussit enfin à émettre un couinement pathétique.

— Si tu n’as pas déjà compris que je t’aime, dit Min, c’est que tu es aveugle et sourd – et même mort !

Elle ne rougit pas. Une lueur malicieuse dans le regard, elle semblait prête à éclater de rire.

— Quant au mariage, nous verrons ça toutes les trois…

Nynaeve saisit sa natte à deux mains et très fort. Comme s’il était fasciné par le fourneau de sa pipe, Lan l’étudiait attentivement.

Rand regarda Min, Elayne et Aviendha comme s’il n’avait jamais vu de femmes de sa vie, se demandant ce qu’elles pouvaient bien être.

— Vous êtes folles, lâcha-t-il. J’épouserai volontiers chacune d’entre vous – et même les trois, que la Lumière me pardonne ! – mais c’est impossible, et vous le savez bien.

Nynaeve se laissa tomber sur une chaise, et marmonna entre ses dents. Elayne crut entendre que le Cercle des Femmes, au pays, en avalerait sa langue…

— Nous devons parler d’un autre sujet, dit Elayne.

Du coin de l’œil, elle vit que Min et Aviendha lorgnaient Rand comme un délicieux gâteau. Non sans effort, elle parvint à rendre son sourire un peu moins… avide.

— Dans mes appartements, reprit-elle. Inutile de déranger Nynaeve et Lan.

En réalité, elle avait peur que Nynaeve tente d’empêcher ça, si elle savait. Dès qu’il était question d’affaires d’Aes Sedai, elle n’hésitait pas à faire jouer son autorité.

— D’accord, dit Rand. Nynaeve, j’ai dit que tu as gagné et je le maintiens. Je ne m’en irai pas sans être revenu te voir.

— Pardon ? Ah ! oui… Bien sûr… Dire que je l’ai vu grandir, Elayne… Presque depuis le début. Pour ses premiers pas, j’étais présente. Il ne peut pas partir sans m’avoir longuement parlé…

Elayne dévisagea son amie, l’air soupçonneuse. Voilà qu’elle bavassait comme une vieille nourrice. Encore que Lini n’ait jamais jacassé ainsi…

Lini… Elle l’espérait en vie et en bonne santé, mais l’un et l’autre étaient peu probables. Pourquoi Nynaeve babillait-elle comme ça ? Elle mijotait quelque chose, et si elle n’usait pas de son statut pour imposer sa volonté, c’était sans doute parce qu’elle n’était pas très fière d’elle…

Autour de Rand, l’air scintilla puis ondula. Elayne en oublia aussitôt ses questions. En un clin d’œil, le Dragon Réincarné devint… quelqu’un d’autre. Un type plus petit, plus massif et très… vulgaire. Si répugnant à voir, en outre, qu’elle ne pensa pas un instant qu’il utilisait la moitié masculine du Pouvoir.

Des cheveux noirs graisseux, une énorme verrue sur le nez, des lèvres molles et tombantes… Comme s’il ne supportait pas que ses trois aimées le regardent, il tituba et s’appuya au dossier d’une chaise.

— Tu es toujours aussi beau, l’assura Elayne.

— Foutaises ! s’écria Min. Cette trogne ferait s’évanouir une chèvre.

La stricte vérité, mais Elayne aurait évité de la dire.

— Tu as le sens de l’humour, Min Farshaw, apprécia Aviendha. Cette trogne ferait s’évanouir un troupeau de chèvres.

Lumière, c’était tout aussi vrai ! De justesse, Elayne s’empêcha de glousser.

— Je reste moi-même, dit Rand. Vous ne le voyez pas, c’est tout…

Quand elle vit le jeune homme sous son déguisement, Deni ne fut pas loin de s’évanouir aussi et Caseille en resta bouche bée.

Et vlan pour le rendez-vous galant ! pensa Elayne, secrètement hilare.

Sur le chemin du retour, le grotesque bonhomme attira autant les regards que les gardes flamboyantes. Aucun risque que quelqu’un devine son identité. Les domestiques, à coup sûr, pensèrent qu’il s’agissait d’un criminel pris en flagrant délit. Très cohérent avec son allure, ça… D’ailleurs, Caseille et Deni gardèrent en permanence un œil sur l’individu…


Quand elles comprirent qu’elles étaient censées attendre dans le couloir alors qu’Elayne, Min et Aviendha entreraient avec l’épouvantail ambulant, les deux gardes du corps faillirent discuter. Soudain, la laideur de Rand ne semblait plus les amuser.

Pour convaincre ses protectrices de se camper des deux côtés de la porte, mais dans le couloir, Elayne dut quasiment leur brandir sa bague au serpent sous le nez. Quand ce fut fait, elle entra et referma doucement le battant derrière elle. En réalité, elle aurait aimé le claquer ! Quand même, Rand aurait pu trouver un déguisement moins répugnant…

Approchant de la table, il s’y appuya tandis que l’air scintillait autour de lui. En un clin d’œil, il redevint lui-même, les têtes de dragon, sur ses mains, brillant d’un éclat métallique.

— Il me faut un verre, dit-il dès qu’il avisa la carafe à long col posée sur un guéridon.

Sans regarder Min, Aviendha ou Elayne, il approcha du guéridon d’un pas mal assuré, emplit un gobelet et le vida à moitié. Oublié après le petit déjeuner d’Elayne, ce vin épicé devait être gelé. La Fille-Héritière n’étant pas attendue si tôt chez elle, la cheminée était éteinte, et on crevait de froid. Pourtant, Rand n’avait rien fait pour réchauffer le vin avec le Pouvoir. Sinon, on aurait au moins vu de la vapeur monter du gobelet. Et pourquoi avait-il approché du guéridon au lieu de faire léviter la carafe et le gobelet jusqu’à lui ? Utiliser des flux d’Air pour les petites tâches quotidiennes était dans ses habitudes…

— Tu vas bien, Rand ? demanda Elayne. Je veux dire : es-tu malade ?

Sachant de quel genre d’affection cet homme pouvait souffrir, la Fille-Héritière sentit son cœur se serrer.

— Nynaeve pourrait…

— Je vais aussi bien que possible, coupa Rand.

Toujours en tournant le dos aux trois femmes, il vida son gobelet et se resservit.

— Alors, que voulez-vous donc cacher à Nynaeve ?

Elayne sursauta puis échangea un regard avec ses deux complices. Si Rand avait éventé son subterfuge, aucun doute que Nynaeve y était arrivée aussi. Pourquoi les avait-elle laissés partir ? Et comment Rand avait-il percé à jour leur plan ?

Aviendha secoua la tête en signe d’impuissance. Min l’imita, mais avec un sourire fataliste. De temps en temps, des choses comme ça arrivaient…

Elayne éprouva une pointe de… quoi, jalousie ? Non, entre elles trois, c’était hors de question. Une pointe… d’agacement à l’idée que Min ait pu passer tellement de temps avec Rand alors qu’elle ne l’avait pas vu depuis des mois.

Pour le reste, s’il voulait la jouer en force, il n’allait pas être déçu.

— Nous voulons que tu deviennes notre Champion, dit Elayne.

Avant de s’asseoir, elle lissa le devant de sa robe. Min se posa sur un coin de table et Aviendha prit sa position favorite – en tailleur, sur un tapis.

— À toutes les trois… L’usage veut qu’on demande au candidat pressenti…

Rand se retourna si vite qu’il renversa une partie du vin qu’il était en train de se servir. Avec un juron étouffé, il s’écarta de la tache humide, sur le tapis, et reposa la carafe sur son plateau. Puis il essuya nerveusement le revers de sa veste lui aussi souillé.

Un spectacle réjouissant…

— Vous êtes cinglées, marmonna-t-il. Vous savez très bien ce qui m’attend et ce qui guette toute Aes Sedai liée à moi. Même si je ne deviens pas fou, elle devra me sentir mourir. Et qu’est-ce que ça veut dire « toutes les trois » ? Min est incapable de canaliser…

» De toute façon, Alanna Mosvani est passée avant vous – sans se sentir obligée de demander. Avec Verin, elle accompagnait à la Tour Blanche des filles de Deux-Rivières… Voilà des mois que je suis lié à elle.

— Et tu ne me l’as pas dit, tête de mule ? s’indigna Min. Si j’avais su…

Elle fit jaillir un couteau de sa manche, le regarda d’un air morne puis le remit en place. Ce « remède » aurait fait autant de mal à Rand qu’à Alanna, s’il lui avait été appliqué…

— C’est une violation des coutumes, non ? demanda Aviendha en pianotant sur le manche de son couteau.

— Plutôt deux fois qu’une ! s’écria Elayne, révulsée.

Imaginer qu’une sœur fasse ça à n’importe quel homme était déjà répugnant. Alors, qu’Alanna ait pu l’infliger à Rand… La Fille-Héritière se souvint de la sœur verte avec son caractère explosif et son esprit acide…

— Alanna a envers Rand un toh dont elle ne pourra jamais s’acquitter, même en une vie entière. Et envers nous… Quand je lui mettrai la main dessus, elle regrettera que je ne la tue pas tout de suite…

— Quand nous lui mettrons la main dessus, corrigea Aviendha avec un hochement de tête résolu.

— Du coup, dit Rand, les yeux baissés sur son vin, vous voyez que votre projet ne tient pas… Bien, je devrais retourner chez Nynaeve, à présent. Min, tu viens avec moi.

Malgré ce que les trois femmes venaient de lui dire par la bouche d’Elayne, il semblait redouter encore que Min veuille l’abandonner. Et si cette perspective l’accablait, elle ne paraissait pas l’inquiéter.

— Notre projet se tient tout à fait, insista Elayne.

Elle se pencha vers Rand comme si cette posture renforçait sa force de persuasion.

— Un lien n’interdit pas qu’on en ait d’autres… Si plusieurs sœurs ne se lient pas à un même homme, c’est par respect des traditions – et parce qu’elles ne veulent pas le partager –, pas à cause d’une quelconque impossibilité. Et les lois de la Tour Blanche sont muettes sur ce sujet.

Bien sûr, aux yeux des sœurs, certaines traditions avaient force de loi. Sur ce plan, Nynaeve devenait de plus en plus stricte, comme si elle entendait incarner l’ordre et la morale. Quand elle saurait, pour cette affaire, elle risquait d’exploser.

— Toutes les trois, nous sommes prêtes à te partager. Et si tu es d’accord, nous le ferons…

Comme ces mots étaient faciles à prononcer… Naguère, Elayne s’en croyait incapable. Puis elle s’était aperçue qu’elle aimait Aviendha autant que Rand, quoique d’une manière différente. Même chose pour Min, une autre sœur, même si elles ne s’étaient pas adoptées. Si elle en avait l’occasion, elle écorcherait Alanna vive parce qu’elle avait osé toucher à son Rand. Aviendha et Min, c’était différent. Elles faisaient partie d’elle. En un sens, elles étaient une part d’elle-même – et réciproquement.

— Rand, je te le demande – non, nous te le demandons. Deviens notre Champion.

— Min, murmura le jeune homme, presque accusateur. Tu le savais, n’est-ce pas ? Tu savais que si je posais les yeux sur elles…

Rand secoua la tête, incapable de continuer.

— Au sujet du lien, j’ignorais tout il y a encore une heure, avant qu’elles me le disent.

Sans tressaillir, Min soutint le regard de Rand avec dans ses yeux plus de tendresse qu’Elayne eût jamais vue.

— Mais je savais – et j’espérais – ce qui arriverait dès que tu les reverrais. Rand, certaines choses sont inéluctables.

Rand contempla son gobelet – une éternité, sembla-t-il – puis il se décida à le poser sur le plateau.

— C’est d’accord, lâcha-t-il. Comment prétendre que je ne veux pas de ça, puisque j’en meurs d’envie ? Que la Lumière me brûle, mais c’est comme ça ! Seulement, pensez au prix que vous allez payer !

Une injonction qui laissa Elayne de marbre. Ce prix, elle le connaissait depuis le début, et pour ne rien laisser au hasard, elle en avait parlé avec Aviendha, puis avec Min.

« Prends ce que tu veux et règle le prix demandé », un très vieux dicton. Face à Rand, aucune des trois n’avait besoin de réfléchir aux conséquences. Une chance, parce qu’il n’y avait pas de temps à perdre.

Quoi qu’il en soit, ça n’était pas à lui de décider si ce prix était trop élevé. Sur ce point, il n’avait pas son mot à dire.

Après s’être unie à la Source, Elayne se lia à Aviendha puis lui sourit. Avec sa première-sœur, partager des émotions et atteindre un très haut degré d’intimité était toujours un plaisir. Et bientôt, ce qu’elles auraient en commun avec Rand serait tout aussi beau.

Avec soin, Elayne tissa un flux d’Esprit composé d’une centaine de fils, puis en enveloppa Aviendha et Min. Malgré les apparences, il s’agissait d’un seul tissage, et toutes les trois furent nimbées par l’aura du saidar. Chacune devenant le reflet des deux autres, elles ne firent plus qu’une.

Différents de ceux qu’on utilisait lors de la cérémonie d’adoption, ces tissages recouraient cependant au même principe. L’inclusion… Tout ce qui arrivait à un membre de ce lien arrivait également aux autres.

Dès que tout fut en place, Elayne transmit à Aviendha le contrôle du premier cercle de deux – le leur. Alors que les tissages déjà réalisés se maintenaient, l’Aielle enveloppa à son tour Elayne et Min d’une « toile » identique, puis elle passa à Min, mêlant ses flux à ceux d’Elayne jusqu’à ce qu’il devienne impossible de les démêler. Enfin, elle rendit le contrôle à la Fille-Héritière.

À force d’entraînement, les deux premières-sœurs réussissaient ces tissages délicats presque sans y penser. Et elles n’avaient plus aucun mal à faire en sorte qu’ils se ressemblent comme… des jumeaux.

Tout était prêt… Véritable montagne de confiance, Aviendha donnait un sentiment de force au moins aussi impressionnant que celui de Birgitte.

S’appuyant à la table pour ne pas tomber, les chevilles serrées l’une contre l’autre, Min ne pouvait pas voir les flux. Pourtant, elle eut un sourire éclatant – à peine gâché quand elle se passa la langue sur les lèvres.

La respiration d’Elayne devint plus profonde. À ses yeux, elles étaient toutes les trois entourées d’un treillis d’Esprit plus fin et subtil que bien des filets de résille. L’essentiel, désormais, était que tout se déroule comme prévu.

D’elles trois, elle fit jaillir des filaments de pouvoir qui se dirigèrent vers Rand tout en se fondant les uns dans les autres pour devenir le lien qui ferait de lui leur Champion.

Ce tissage se posa délicatement sur le jeune homme, comme si Elayne étendait une couverture sur un bébé. Quand cette toile pénétra en lui, il ne broncha pas. Pourtant, tout était achevé.

Elayne lâcha à regret le saidar.

Achevé, oui…

Impassible, Rand regarda les trois jeunes femmes, puis il posa les doigts sur ses tempes.

— Rand, tant de douleur, par la Lumière ! murmura Min d’une voix brisée. Je ne m’en suis jamais doutée… Comment peux-tu supporter une telle souffrance ? Dans ce torrent, il y a des peines dont tu ne sembles même pas conscient, comme si elles faisaient partie de toi, depuis le temps… Ces hérons, dans tes paumes… Tu sens encore la brûlure du fer. Et ces créatures, sur tes bras – une perpétuelle torture. Sans parler de… Ton flanc, Rand ! C’est une abomination ! Comment fais-tu pour ne pas hurler de douleur ?

— Il est le Car’a’carn, lança Aviendha en riant. Plus fort que la Tierce Terre elle-même.

Sur le visage rayonnant de fierté de l’Aielle, des larmes coulèrent, se mêlant à ses rires.

— Les veines d’or ! Oui, les veines d’or ! Tu m’aimes vraiment, Rand !

Elayne regarda simplement le jeune homme et sentit qu’il était présent dans sa tête. Elle capta la souffrance de blessures et de coups dont il avait pourtant tout oublié. La tension, l’incrédulité, l’émerveillement… Mais ses émotions étaient bien trop rigides – dures, même, comme un nœud de sève de pin presque aussi compact qu’une pierre. Mais à l’intérieur, des veines d’or pulsaient et brillaient chaque fois qu’il regardait Min ou Aviendha – et Elayne aussi, bien sûr. Il l’aimait. Il les aimait toutes les trois. Et la jeune femme avait envie d’en rire de joie. À sa place, d’autres amoureuses auraient été dévastées par le doute. Elle, jusqu’à la fin des temps, elle saurait qu’il l’aimait…

— Lumière, j’espère qu’elles savaient ce qu’elles faisaient…, souffla Rand. Et qu’elles n’auront jamais à…

Le nœud de sève devint un peu plus dur. Certains que ses compagnes devraient souffrir, Rand commençaient déjà à s’endurcir.

— Je… Je dois partir… Au moins, je sais que vous allez toutes bien…

Soudain, Rand eut un grand sourire qui lui aurait donné des airs de gamin s’il s’était communiqué à ses yeux.

— Nynaeve sera furieuse que j’aie filé sans repasser la voir. Cela dit, ça lui fera les pieds…

— Il y a encore une chose, Rand, dit Elayne, la gorge serrée.

Dire qu’elle avait cru que ce serait le plus facile de tout !

— Si nous ne parlons pas un peu maintenant, Aviendha et moi, dit Min en sautant de son coin de table, quand aurons-nous l’occasion de le faire ? En privé, je veux dire… Vous nous excusez ?

Souple et gracieuse, Aviendha se releva et tira sur sa jupe.

— Oui, nous devons parler, Min Farshaw et moi. Il est temps d’apprendre à nous connaître…

L’air néanmoins dubitative, l’Aielle tira sur son châle puis sortit avec Min – bras dessus bras dessous.

Devinant que cette sortie était de tout temps prévue, Rand suivit les deux femmes du regard. Un loup acculé… Mais les veines d’or brillaient dans sa tête.

— Toutes les deux, elles ont eu de toi quelque chose que je n’ai pas… reçu.

Elayne s’interrompit, rouge comme une pivoine. Par le sang et les cendres !

Comment s’y prenaient les autres femmes, sur ce sujet-là ? Très délicatement, Elayne étudia dans sa tête l’entrelacs de sentiments qui appartenait à Rand puis celui qui était à Birgitte. Rien à signaler pour le moment dans celui-ci. Un instant, elle s’imagina en train d’envelopper ce fatras dans un mouchoir, puis de nouer ce paquet… et Birgitte se volatilisa, ne laissant plus que Rand et les merveilleuses veines d’or.

Comment un cœur pouvait-il battre si fort sans exploser ? Un mystère, vraiment…

— Tu vas devoir m’aider avec les boutons… Toute seule, pas moyen d’enlever cette robe.


Les deux « gardes rapprochées » se redressèrent lorsque Min et Aviendha déboulèrent dans le couloir. Comprenant que personne ne les suivrait, elles ne purent s’empêcher de tressaillir.

— Elle ne peut pas avoir si mauvais goût ! marmonna celle qui tenait une longue massue.

Une remarque que personne n’aurait dû entendre, comprit Min.

— Trop de courage et bien trop d’innocence, grogna l’autre garde. Notre capitaine général nous avait prévenues.

Caseille posa une main sur la poignée de la porte.

— Avise-toi d’entrer, et elle risque bien de t’écorcher vive, avertit Min, toute guillerette. Tu l’as déjà vue de mauvaise humeur ? Elle pourrait arracher des larmes à un ours.

Aviendha dégagea son bras et s’écarta un peu de Min. Mais ce furent Deni et Caseille qu’elle foudroya du regard.

— Vous croyez que ma sœur ne sait pas se débrouiller face à un seul homme ? C’est une Aes Sedai, et elle a le cœur d’une lionne. Quant à vous, n’avez-vous pas juré de lui obéir ? Alors faites-le, et ne fourrez pas le nez dans ses affaires.

Deni et Caseille se regardèrent. L’une haussa les épaules, et l’autre éloigna sa main de la porte.

— J’ai juré de garder cette fille en vie, dit-elle, et j’ai bien l’intention de réussir. Petites, allez jouer avec vos poupées et laissez-moi faire mon travail.

Min envisagea de sortir un couteau et de faire une petite démonstration de jonglerie. Quelques figures apprises par Thom, histoire de montrer qui étaient les enfants, dans cette affaire. Mais la plus mince des deux gardes, si mûre soit-elle, n’avait pas encore de gris dans les cheveux et rien ne garantissait que le surpoids de l’autre soit du gras et non des muscles. Autour d’elles, elle ne voyait ni images ni auras, mais elles n’avaient pas l’air du genre timoré. À partir du moment où elles laissaient Rand et Elayne tranquilles, pourquoi chercher la bagarre ?

Du coin de l’œil, Min vit qu’Aviendha venait à contrecœur de lâcher le manche de son couteau. Si cette Aielle ne cessait pas de l’imiter comme une image dans un miroir, il y aurait de quoi penser que ces histoires de Pouvoir n’étaient pas que des âneries. Encore que le phénomène eût commencé avant qu’Elayne ait fait son numéro. Aviendha et elle avaient-elles simplement des esprits jumeaux ? Une idée des plus dérangeantes… La tirade au sujet du mariage – « je vous veux toutes les trois » et le reste – était plutôt sympathique, mais laquelle Rand finirait-il par épouser ?

— Elayne est courageuse, dit Min aux gardes. Plus que quiconque que je connaisse. Et elle n’est pas idiote. Prenez-la pour une imbécile, et il vous en cuira.

Du haut des quinze ou vingt ans d’âge qu’elles avaient en plus, Caseille et Deni regardèrent Min comme si elle était une fourmi. Encore un effort, et elles lui rediraient d’aller jouer ailleurs.

— Aviendha, si nous voulons parler, il faudrait partir d’ici.

— Oui, répondit l’Aielle avec un regard mauvais pour les gardes, ça vaudrait mieux…

Caseille et Deni s’aperçurent à peine du départ des deux empêcheuses de tourner en rond. De fait, leur mission n’incluait pas de gérer les amies d’Elayne.

J’espère qu’elles ouvriront l’œil…, pensa Min. Elayne n’est pas idiote, juste téméraire, en certaines occasions…

Avec un peu de chance, ses protectrices l’empêcheraient de se jeter dans un buisson de ronces d’où elle ne réussirait pas à se dépêtrer.

En avançant dans le couloir, Min regarda l’Aielle à la dérobée. Marchant le plus loin possible de sa compagne – dans un couloir –, elle ne daignait même pas la regarder. À un moment, elle sortit de sa bourse un bracelet en ivoire lourdement sculpté et le glissa à son poignet gauche avec un petit sourire satisfait.

Depuis le début, Aviendha semblait morose et Min ne comprenait pas pourquoi. Dans sa culture, que des femmes se partagent un homme n’avait rien d’extraordinaire. À Baerlon, en revanche, ça n’était pas du tout dans les mœurs.

Amoureuse folle de Rand, Min allait jusqu’à accepter de le partager. Et puisqu’il le fallait, il n’y avait personne en ce monde qu’elle aurait préféré à Elayne pour cet… arrangement. Avec elle, ça ne posait presque aucun problème. L’Aielle, en revanche, restait une étrangère. Selon Elayne, il était essentiel que les deux autres compagnes de Rand se connaissent. Mais comment découvrir quelqu’un qui ne vous adresse pas la parole ?

Min ne s’attarda pourtant pas longtemps sur Aviendha et Elayne. Ce qu’il y avait dans sa tête était bien trop merveilleux. Rand… Une petite boule qui lui apprenait tout sur lui. Depuis le début, elle pensait que ça ne marcherait pas – pour elle, en tout cas. Et voilà que… Comment ce serait, faire l’amour, maintenant qu’elle savait tout ? Bien sûr, de son côté, il saurait tout sur elle. Et ça, ce n’était peut-être pas si bien qu’on aurait pu le croire…

Soudain, Min s’aperçut que l’entrelacs de sentiments et d’émotions avait changé. Désormais, on eût dit qu’un incendie dévastait une forêt d’arbres dénudés et d’herbes sèches. Des flammes crépitaient, et…

Par la Lumière ! Trébuchant, Min passa à un souffle de s’étaler. Si elle avait su qu’un tel brasier couvait en lui, l’aurait-elle laissé la toucher ? Cela dit… Eh bien, songer qu’elle avait allumé ce feu était des plus gratifiants. À présent, il lui tardait de voir si elle faisait à Rand le même effet que…

Min trébucha de nouveau et dut se rattraper à un grand coffre sculpté. Elayne, par la Lumière !

De quoi rougir jusqu’à la racine des cheveux… C’était comme regarder par un trou de serrure, et…

Le truc d’Elayne ! Imaginer qu’on enveloppe la boule d’émotions dans un mouchoir…

Aucun résultat ! Min essaya encore, mais le feu continua à se déchaîner. Elle devait cesser de s’y intéresser. Son attention devait se fixer ailleurs. N’importe où ! Si elle commençait à parler, peut-être…

— Elle aurait dû boire une infusion contraceptive, dit-elle.

En principe, Min ne parlait jamais de ses visions, sauf aux personnes concernées – et uniquement quand elles étaient disposées à savoir. Mais elle devait dire quelque chose…

— Elayne va tomber enceinte. Elle aura deux bébés. Un garçon et une fille, forts et en bonne santé.

— Elle veut porter les enfants de Rand, marmonna Aviendha.

Le regard rivé devant elle, les dents serrées, elle avait le front lustré de sueur.

— Je ne boirai pas non plus l’infusion si…

L’Aielle s’ébroua et tourna enfin la tête vers Min.

— Ma sœur et les Matriarches m’ont parlé de toi. Tu as vraiment des visions qui se réalisent ?

— Je vois parfois des choses, et quand je comprends ce qu’elles veulent dire, elles se réalisent.

À cause de la distance, les deux femmes parlaient un peu trop fort, attirant l’attention des domestiques. Décidée à faire le premier pas, Min vint se placer au centre du grand couloir. Après un moment, Aviendha la rejoignit.

Min se demanda si elle devait mentionner ce qu’elle avait vu pendant qu’ils étaient tous ensemble. Aviendha aussi porterait les enfants de Rand. Quatre bébés d’un coup. Mais il y avait quelque chose d’étrange… Les enfants seraient en bonne santé, pourtant…

Souvent, les gens, même quand ils prétendaient le contraire, n’avaient aucune envie de connaître leur avenir. Min, elle, aurait aimé que quelqu’un lui dise si elle aussi…

Toujours muette, Aviendha s’essuya le front puis déglutit avec peine.

Min ne tarda pas à l’imiter. Tout ce que Rand éprouvait était dans cette boule – ou cet entrelacs. Absolument tout !

— Pour toi aussi, le truc du mouchoir ne marche pas ?

Aviendha sursauta et sa peau cuivrée tourna au carmin. Quelques instants plus tard, elle souffla :

— Je vais mieux, merci… Avec Rand dans ma tête, j’ai oublié… Pour toi, ça n’est pas efficace ?

Min secoua la tête, accablée. Cette situation était indécente !

— Non, mais parler arrange un peu les choses…

De plus, si ce « montage » très particulier devait réussir, il fallait que Min sympathise avec l’Aielle.

— Désolée de ce que j’ai dit sur le « tôt » et le « tard ». Enfin, sur le toh… En fait, je connais un peu vos coutumes. Mais il y a chez Rand quelque chose qui me fait craquer, et je ne contrôle plus ma langue. Cela dit, ne va pas croire que je te laisserai me frapper ou me débiter en tranches. J’ai peut-être un toh envers toi, mais il faudra trouver autre chose. Je pourrais bouchonner ton cheval, quand nous aurons le temps.

— Tu es aussi fière que ma sœur, fit Aviendha, perplexe.

Que voulait-elle dire par là ?

— Et tu as le sens de l’humour, continua l’Aielle comme si elle parlait toute seule. Au sujet de Rand et Elayne, tu ne te ridiculises pas, contrairement à ce qui arriverait à bien des femmes des terres mouillées. Et tu me rappelles vraiment…

Avec un soupir, Aviendha ajusta machinalement son châle.

— Je sais où trouver de l’oosquai. Si tu es trop soûle pour penser, eh bien…

Levant les yeux, l’Aielle s’arrêta soudain.

— Non, pas maintenant !

Quelqu’un avançait vers les deux femmes. Une apparition qui coupa la chique à Min. Consternée, elle en oublia Rand. Par ouï-dire, elle savait que la Garde Royale était désormais dirigée par une femme – Championne d’Elayne par-dessus le marché. Mais elle ne connaissait aucun détail.

La femme qui approchait avait une épaisse natte blonde, une veste rouge à col blanc et un ample pantalon bleu dont le bas était fourré dans des bottes aux talons aussi hauts que ceux de Min. Autour d’elle, des images et des auras dansaient par centaines, voire par milliers. Plus d’auras et d’images que Min en avait jamais vu autour d’une seule personne.

La Championne d’Elayne, chef de sa Garde, titubait un peu, comme si elle avait déjà forcé sur l’oosquai. Les domestiques qui l’apercevaient détalaient comme s’ils venaient de s’aviser qu’une tâche urgente les attendait à l’autre bout du palais. Du coup, les trois femmes se retrouvèrent seules dans le couloir. Et la Championne vit Min et Aviendha une fraction de seconde seulement avant de les percuter.

— Tu l’as aidée à faire ça, pas vrai ? s’écria-t-elle, les yeux rivés sur Aviendha. D’abord, cette fichue gamine disparaît de ma tête, puis elle…

Le souffle rauque, la Championne parvenait à contrôler ses tremblements, mais ses jambes semblaient avoir du mal à la porter. Après s’être passé la langue sur les lèvres, elle continua :

— Que la Lumière la brûle ! Je ne peux pas me concentrer assez pour chasser ça de mon esprit. Écoute-moi bien, Aielle : si elle est en train de faire ce que je pense, je chasserai son galant du palais à grands coups de pied dans les fesses, puis je flanquerai à cette perruche la fessée de sa vie – de quoi ne pas s’asseoir pendant un mois – et tu y auras droit aussi. S’il faut que je trouve de la fourche-racine pour ça, j’en trouverai !

— Birgitte Trahelion, ma première-sœur est une femme adulte, dit Aviendha, peu disposée à se laisser faire.

Pourtant, ses épaules s’étaient affaissées et elle ne parvenait pas à soutenir le regard de la Championne.

— Tu dois cesser de nous traiter comme des gamines !

— Quand cette fichue Elayne se comportera comme une adulte, il se peut que je la traite en tant que telle. Mais elle n’a pas le droit de faire ça dans ma maudite tête, compris ? Pas dans ma…

Birgitte se tut, les yeux sortant de leurs orbites. Bouche bée, elle se serait écroulée si Min et Aviendha ne l’avaient pas retenue chacune par un bras.

Fermant les yeux, Birgitte émit une sorte de sanglot, puis elle gémit :

— Deux mois sans s’asseoir !

Après s’être dégagée, elle se redressa et riva sur Aviendha ses yeux d’un bleu glacial.

— Coupe-la de la Source pour moi, et je t’épargnerai la fessée.

Indignée par une telle proposition, l’Aielle détourna la tête.

— Tu es Birgitte Arc-d’Argent ! lança Min.

Elle l’aurait parié avant même qu’Aviendha prononce le nom de la Championne. Pas étonnant qu’elle se soit comportée comme si elle craignait de voir se réaliser les menaces de la guerrière blonde. Birgitte Arc-d’Argent, rien que ça !

— Je t’ai vue à Falme.

Birgitte sursauta comme si on venait de la pincer, puis elle regarda autour d’elle. Ayant constaté qu’il n’y avait personne d’autre dans le couloir, elle se détendit un peu.

— Quoi que tu aies vu, Birgitte Arc-d’Argent est morte. Désormais, je suis Birgitte Trahelion, un point c’est tout… La fichue dame Birgitte Trahelion, si tu veux le savoir. Pour y changer quelque chose, je devrai attendre que les poules aient des dents. Et toi, qui es-tu, jeune personne ? Mets-tu toujours un pantalon si moulant ?

— Je me nomme Min Farshaw…

Birgitte Arc-d’Argent ! L’héroïne d’une centaine de récits épiques ! Et si grossière ?

D’ailleurs, que signifiait cette histoire de mort ? Cette femme était bel et bien en face de Min. Et la farandole d’auras et d’images, autour d’elle, laissait penser à bien plus d’aventures qu’une femme pouvait en avoir en une seule vie. Bizarrement, certaines images avaient un rapport avec un type très vieux et très laid plus âgé que Birgitte. D’autres, au contraire, évoquaient un homme beaucoup plus jeune qu’elle mais tout aussi repoussant. D’instinct, Min comprit qu’il s’agissait de la même personne.

Héroïne ou pas, légende ou non, l’air supérieur de Birgitte commençait à taper sur les nerfs de Min.

— Elayne, Aviendha et moi, dit-elle sans réfléchir, nous venons de nous lier à un Champion. Si Elayne a envie de fêter ça à sa façon, tu ferais mieux d’éviter de la déranger, si tu ne veux pas avoir du mal à t’asseoir, ces jours prochains.

Ayant évoqué le sujet, Min reprit conscience de Rand. L’incendie n’était pas éteint – à peine moins violent, en fait – mais, grâce en soit rendue à la Lumière, le jeune homme n’était plus en train de…

Min sentit que ses joues chauffaient. Plus d’une fois, après leurs étreintes, Rand avait repris son souffle entre ses bras, mais là, on frôlait le voyeurisme.

— Ce type, contre moi ? fit Birgitte. Par le lait de ma mère versé dans une tasse ! Elayne aurait pu tomber amoureuse d’un coupe-jarret ou d’un voleur de chevaux, mais il a fallu qu’elle choisisse ce gars-là, cette idiote. D’après ce que j’ai vu de lui à… enfin, à l’endroit que tu as mentionné, il est bien trop beau pour rendre une femme heureuse. Quoi qu’il en soit, elle doit arrêter ça !

— Tu n’as aucun droit sur sa vie privée, rappela Aviendha.

Birgitte sembla disposée à se montrer un peu moins intransigeante – oh ! juste un tout petit peu…

— Elayne est peut-être aussi convenable qu’une pucelle du Talmour, sauf quand il s’agit de mettre sa fichue tête sur le billot, mais je parie qu’elle mobilisera son courage pour congédier cet individu. Et même si elle a fait avec lui ce que je suppose, elle oubliera et reviendra dans ma tête. Je ne referai pas cette maudite expérience !

— Dis-toi que c’était une plaisanterie, conseilla Aviendha. Elle t’a joué un bon tour, et voilà tout !

D’un rictus, Birgitte exprima tout le mal qu’elle pensait de ce genre d’humour.

— Elayne m’a appris un truc très utile, dit Min en prenant Birgitte par la manche. Pour moi, ça n’a pas fonctionné, mais sait-on jamais ?

Elle expliqua l’astuce du mouchoir. Hélas, sans grand succès.

— Elle est toujours là, grogna Birgitte. Écarte-toi de mon chemin, Min Farshaw. Sinon…

— De l’oosquai ! s’écria Aviendha en faisant de grands gestes. Je sais où en trouver. Si tu te soûles… Birgitte, je t’en prie ! Je jure de te servir comme une apprentie, mais par pitié, ne va pas déranger Elayne. Ce serait une terrible humiliation.

— De l’oosquai ? C’est un genre d’eau-de-vie ? Hum… Je sens que notre jeune amie rougit… En principe, elle est plutôt pudibonde, tu sais… Une plaisanterie, as-tu dit ?

La Championne sourit et écarta les bras.

— En route pour cet oosquai providentiel, Aviendha. Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai envie d’être ronde au point de me déshabiller et de danser sur une table. Rien de plus excentrique, c’est juré !

Min ne comprit rien à cet étrange discours. Pareillement, elle ne saisit pas pourquoi Aviendha éclata de rire en répétant que c’était une « plaisanterie ». En revanche, si Elayne rougissait, elle devinait très bien pourquoi. La boule de sensations et de sentiments, dans sa tête, était redevenue un feu dévorant.

— Cet oosquai, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? J’ai envie d’être ronde comme une queue de pelle – et le plus vite possible !


Le lendemain matin, quand Elayne se réveilla, la chambre était glacée. La neige tombait sur Caemlyn, et Rand était parti. Sauf dans la tête de la Fille-Héritière, et ça suffirait à son bonheur. Pour l’instant, en tout cas…

S’étirant langoureusement, Elayne se souvint de son abandon pendant la nuit – et même une bonne partie de la journée. Était-ce vraiment elle ? Franchement, elle avait du mal à y croire, et elle aurait dû rougir comme un soleil couchant. Mais avec Rand, elle voulait s’abandonner, et dès qu’il serait concerné, plus rien ne la ferait rougir.

Cerise sur le gâteau, il lui avait laissé un cadeau. Sur l’oreiller d’à côté, un lys doré pleinement éclos, de la rosée brillant encore sur ses pétales. Au milieu de l’hiver, où avait-il déniché une fleur ? Incapable de répondre, Elayne tissa une protection autour de son trésor et le posa sur un guéridon où elle le verrait chaque matin à son réveil.

Le tissage était un héritage de Moghedien. Tant pis, puisqu’il conserverait pour toujours le lys dans cet état, souvenir de l’homme qui avait donné son cœur à Elayne.

La matinée commença par l’annonce de la disparition d’Alivia, la nuit même. Un gros problème qui sema la panique parmi les tricoteuses.

Peu après que Zaida eut déboulé, excédée parce que Nynaeve n’était pas venue donner une leçon à ses Atha’an Miere, Elayne apprit que l’ancienne Sage-Dame et son Champion avaient aussi quitté le palais. Quand et comment, nul ne semblait pouvoir le dire.

Quelques minutes plus tard, Elayne fut informée que la collection d’angreal et de ter’angreal rapportée d’Ebou Dar avait été délestée de l’angreal le plus puissant et de quelques autres artefacts. Dont certains, Elayne l’aurait juré, serviraient parfaitement une femme qui craignait d’être à tout moment attaquée par le Pouvoir.

Du coup, la note griffonnée à la va-vite par Nynaeve, puis déposée parmi les objets restants, en devenait encore plus inquiétante.


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