Chapitre 6

Le jour blanchâtre n'était pas parvenu à percer entièrement les verrières épaisses. La pièce baignait dans un clair-obscur qui avait rendu tour à tour mystérieux ou sinistre leur entretien. Maintenant que le Rescator était éloigné d'Angélique, elle lui trouvait une allure de sombre fantôme avec, pour seule clarté, ses mains entre lesquelles repassait le fil lumineux du collier de perles.

Ce fut alors qu'elle sut pourquoi il lui avait paru aujourd'hui différent. Il avait fait couper sa barbe. C'était lui et c'était un autre. Son cœur sombra comme l'autre soir quand elle avait cru comprendre une vérité insensée. Et sans se la formuler, elle fut reprise de la crainte de se trouver là, avec un homme qu'elle ne comprenait pas et qui avait sur elle un pouvoir envoûtant. Par cet homme lui viendraient des souffrances sans nom.

Elle regarda vers la porte d'un air traqué :

– Maintenant, laissez-moi partir, fit-elle tout bas.

Il ne parut point l'entendre, puis il releva la tête.

– Angélique.

Sa voix étouffée était l'écho d'une autre voix.

– Comme vous êtes loin !... Plus jamais il ne me sera possible de vous atteindre.

Elle demeurait immobile, les yeux dilatés. Pourquoi lui parlait-il sur ce ton bas et triste ? Un grand vide se faisait en elle. Ses pieds étaient cloués au tapis. Elle aurait voulu courir vers la porte pour échapper aux sortilèges qu'il allait déchaîner contre elle, mais ne le pouvait pas.

– Je vous en prie, laissez-moi partir, supplia-t-elle, encore. Il faut pourtant faire cesser cette situation ridicule. Je voulais vous parler dans cette intention ce matin. Et puis nos propos se sont égarés. Et, désormais, la situation est plus ridicule encore.

– Je ne vous comprends pas... Je ne comprends rien à ce que vous me dites.

– Et l'on parle de l'intuition des femmes, de la voix du cœur. Que sais-je ?... Le moins qu'on puisse constater c'est que vous en êtes totalement dépourvue... Allons donc au fait. Madame du Plessis, quand vous êtes venue à Candie, certains prétendaient que vous vous étiez embarquée dans ce voyage pour affaires, d'autres pour rejoindre un amant. D'autres enfin, que vous recherchiez l'un de vos maris. Quelle est la version exacte ?

– Pourquoi me demandez-vous cela ?

– Oh ! répondez, fit-il avec impatience. Décidément, vous vous battrez jusqu'au bout. Vous êtes morte d'appréhension mais il faut encore que vous teniez tête. Que redoutez-vous d'apprendre par mes questions ?

– Je l'ignore moi-même.

– Réponse peu digne de votre sang-froid habituel et qui prouve par contre que vous commencez à soupçonner où je veux en venir... Madame du Plessis, ce mari que vous recherchiez, l'avez-vous retrouvé ?

Elle secoua négativement la tête, incapable de proférer un son.

– Non ?... Et pourtant, moi, le Rescator, qui connaissais tous et toutes en Méditerranée, je peux vous affirmer qu'il vous a approchée de très près.

Angélique sentit ses os se liquéfier, son corps se dissoudre. Elle cria, sans presque en avoir conscience :

– Non, non, ce n'est pas vrai... C'est impossible ! S'il m'avait approchée je l'aurais reconnu entre mille !...

– Eh bien, c'est ce qui vous trompe ! Car, voyez plutôt.

Загрузка...