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Pum s’était dégoté une beauté, une jeune fille arrivée ce même jour et promise au fils d’une riche famille. Elle se montra déconfite en découvrant le va-nu-pieds qui l’avait élue. Eh bien, chacun son problème. Encore que Pum risquât d’en avoir lui aussi, même si Everard en doutait.

Les chambres proposées par Hanno étaient minuscules et meublées en tout et pour tout d’une paillasse. Leurs fenêtres borgnes donnant sur la cour laissaient entrer un soupçon de lumière, mais aussi de la fumée, des odeurs de bouse et de graillon, des cris et la mélodie plaintive d’une flûte. Everard tira le rideau de bambou qui servait de porte et se tourna vers sa compagne.

Elle était agenouillée devant lui, comme caparaçonnée dans ses vêtements. « Je ne sais quel est ton nom ni quel est ton pays, sire, dit-elle d’une petite voix mal assurée. Peux-tu éclairer ta servante ?

— Bien sûr. » Il se présenta sous son identité d’emprunt. « Et tu es Sarai, de Rasil Ayin, c’est cela ?

— Est-ce le petit mendiant qui t’a envoyé à moi ? » Elle baissa la tête. « Non, pardonne-moi. Cette question est déplacée. Je ne souhaitais pas me montrer insolente. »

Il s’aventura à lui ôter son écharpe pour lui caresser les cheveux. Quoique un peu cassants, ils étaient splendides et faisaient sans doute sa fierté. « Je ne me sens point insulté. Écoute, pourquoi ne tenterions-nous pas de mieux nous connaître ? Que dirais-tu de boire une coupe de vin avant de... Eh bien, qu’en dis-tu ? »

Elle poussa un hoquet de stupeur. Il ressortit, trouva le logeur et passa commande.

Un peu plus tard, ils étaient assis côte à côte, à même le sol, il lui avait passé un bras autour des épaules et elle parlait librement. Les Phéniciens ignoraient peu ou prou le concept de vie privée. En outre, bien qu’ils accordassent à leurs femmes plus de respect et d’indépendance que bien des sociétés, un homme faisant preuve de considération était fort apprécié.

«... non, pas de mariage en vue pour moi, Eborix. Si je suis venue vivre dans la cité, c’est parce que mon père était pauvre, avec quantité de bouches à nourrir, et qu’aucun des membres de la tribu ne risquait de demander ma main au nom de son fils. Connaîtrais-tu un époux pour moi, par hasard ? » Comme il allait lui prendre sa virginité, il était d’office disqualifié pour ce rôle. En fait, elle bousculait les convenances en lui posant cette question, car la loi interdisait les mariages arrangés. « J’ai acquis au palais une position assez influente, dans les faits sinon dans les titres. Les domestiques, les fournisseurs et les saltimbanques reconnaissent mon autorité. J’ai économisé pour me constituer une dot, certes modeste, mais... mais peut-être que la déesse daignera enfin me sourire, une fois que j’aurai fait cette oblation...

— Je suis navré, lui dit-il avec compassion. Je ne connais personne ici. »

Il pensait comprendre la situation. Si elle souhaitait se marier, ce n’était pas tant pour échapper à son statut de femme célibataire, source de mépris et de soupçons à peine déguisés, que pour avoir des enfants. Dans ce peuple, il n’y avait pire sort que de périr sans descendance, c’était redoubler l’emprise de la mort... Perdant soudain toute contenance, elle se blottit contre le torse d’Everard et pleura à chaudes larmes.

Le jour tombait. Il décida de faire fi des craintes de Yael – sans parler de l’exaspération de Pum, songea-t-il en gloussant – et de prendre son temps, de traiter Sarai comme l’être humain qu’elle était en fait, d’attendre les ténèbres et de faire appel à son imagination. Ensuite, il la raccompagnerait à son domicile.

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