13.

Quand Elena rouvrit tes paupières, de la lumière filtrait sous les rideaux de sa chambre. Elle était allongée dans son lit, les membres tout endoloris. Elle tenta de se remémorer les événements de la nuit.

Damon l’avait menacée de s’en prendre à Margaret, alors elle lui avait cédé. Pourtant, elle vivait encore. Elle porta une main à son cou : la blessure était là, à vit Pourquoi n’avait-il pas été jusqu’au bout ? Ses souvenirs étaient confus. Seuls des flashes lui revenaient. Le regard brulant de Damon, la morsure à sa gorge, puis son agresseur, ouvrant son propre col, l’entaille qu’il s’était faite… forcée à boire son sang… Enfin, ce n’était pas les faits exacts, car elle ne se souvenait pas de lui avoir résisté. En fait, c’était horrible de l’avouer, mais elle avait aimé ça.

Elle ne comprenait pas pourquoi elle était toujours en vie. Damon n’avait aucune conscience. Ce n’était sûrement pas la pitié qui l’avait arrêté. Il devait sans doute vouloir la faire souffrir encore un peu avant de la tuer. Ou bien, il comptait la rendre complètement folle, comme Vickie.

Repoussant les couvertures, elle se leva péniblement Tante Judith allait et venait dans le couloir. On était lundi, et elle devait se préparer pour le lycée.

Mercredi 27 novembre

Même si je fais tout pour ne rien laisser paraître, je suis terrorisée. Demain, c’est Thanksgiving, et la commémoration du lycée est dans trois jours, et je n’ai toujours rien trouvé pour déjouer le plan de Caroline et Tyler. En plus elle fait partie des trois élèves désignés pour lire les poèmes : rien de plus facile pour elle que de dévoiler mon journal à tout le monde ! Je vois d’ici la tête du père de Tyler quand il assistera au fiasco. Il se mordra les doigts d’avoir choisi Caroline…

De toute façon, je me fous de ce qu’il pense ! J’aurai d’autres chats à fouetter lorsque Stefan se retrouvera avec tous ces gens à dos. Il finira lynché s’il ne récupère pas ses pouvoirs… Et s’il meurt, j’en crèverai.

Il faut absolument que je récupère mon journal. Le seul moyen est d’accepter le marché de Damon, même si ça m’angoisse au plus haut point. J’ai tellement peur de ce qui va m’arriver, et des conséquences pour Stefan.

C’est tellement horrible ! Et je n’ai personne à qui en parler ! Qu’est-ce Que je vais faire ?

Jeudi 28 novembre, 23 h 30

Ça y est j’ai pris ma décision. Je vais tout raconter à Stefan. De toute façon je n’ai pas le choix : la commémoration a lieu samedi et je n’ai toujours aucun plan. Stefan lui, aura peut-être une idée… Quand j’irai chez lui, demain, je lui déballerai tout, y compris bien sûr ce qui concerne Damon. C’est ce que j’aurais dû faire depuis longtemps, d’ailleurs.

Mais je suis terrifiée à l’idée de sa réaction. Je n’arrête pas de rêver qu’il me dévisage avec colère, comme s’il ne m’aimait plus. Pourvu qu’il n’ait pas cette expression demain… Toute cette histoire me donne envie de vomir : j’ai à peine touché au dîner de Thanksgiving. Et je ne tiens pas en place. J’ai l’impression que je vais exploser. Ça m’étonnerait que je ferme l’œil cette nuit.

Pourvu que Stefan comprenne, pourvu qu’il me pardonne ! Et dire que je voulais être digne de son amour ! Tu parles ! Qu’est-ce qu’il va penser de moi quand il découvrira que je lui ai menti ? Est-ce qu’il va me croire si je lui dis que j’ai agi pour le protéger ?

Demain, j’aurai une réponse à ces questions. J’aimerais que ce soit déjà derrière moi. Je me demande comment je vais tenir le coup jusque-là.

Elena se glissa dehors ni vu ni connu. Elle ne voulait pas dire à sa tante qu’elle allait chez Stefan. Elle savait qu’elle aurait encore droit à un sermon. Tante Judith ne jurait d’ailleurs plus que par Damon : à chaque conversation, Elena avait droit à une allusion plus ou moins subtile. Et Robert s’y était mis aussi. Un vrai complot.

Elle appuya plusieurs fois sur la sonnette. Où était donc passée Mme Flowers ? Quand, enfin, la porte s’ouvrit, elle se retrouva nez à nez avec Stefan.

— On va se balader ? demanda-t-il.

— Non, Stefan, remontons. Il faut qu’on parle.

Il consentit d’un hochement de tête surpris, et la précéda dans l’escalier.

Les malles et les meubles avaient depuis longtemps repris leur place, et Elena ne put s’empêcher de contempler la chambre. Son œil fut attiré par les objets sur la commode : les florins d’or du XVe siècle, la dague à manche d’ivoire, le coffret en métal. La première fois qu’elle était venue dans cette pièce, elle avait voulu l’ouvrir, et Stefan l’en avait empêchée.

Elle se retourna vers le jeune homme, dont la silhouette adossée à la fenêtre se découpait sur le ciel gris. Depuis le début de la semaine, le temps était particulièrement maussade, tout comme l’humeur de Stefan à cet instant.

— Bon, qu’est-ce que tu voulais me dire ?

Elena n’eut qu’une courte hésitation. Elle alla chercher le coffret, l’ouvrit, et en sortit un ruban orange. Sa vue lui rappela l’été où elle l’avait porté dans les cheveux. Ça fois paraissait tellement loin ! Elle le tendit à Stefan, qui eut l’air perplexe.

— Voilà, c’est de ce ruban que je voudrais te parler. Je savais qu’il était là : une fois, tu t’es absenté un instant, et j’en ai profité pour y jeter un œil. Et après… j’en ai parlé dans mon journal.

Stefan avait les yeux comme des soucoupes. De toute évidence, ce n’était pas du tout ce à quoi il s’attendait.

— C’était la preuve que tu t’intéressais à moi. C’est pour ça que je n’ai pas pu m’empêcher de l’écrire. Je n’aurais jamais imaginé que ça pourrait se retourner contre toi.

Un aveu en entraînant un autre, elle finit par tout lui raconter : le vol de son journal, les messages anonymes, comment elle avait découvert que Caroline était la coupable. Enfin, tout en tripotant nerveusement le ruban, elle lui révéla le plan de Caroline et Tyler.

— J’avais tellement peur que tu sois fâché contre moi, continua-t-elle les yeux baissés, que je n’ai pas osé t’en parler. Mais je suis encore plus terrifiée par ce qui pourrait t’arriver. J’ai tout fait pour récupérer mon journal, tu sais, je suis même allée fouiller chez Caroline. Sans succès. Et je n’ai rien trouvé pour l’empêcher de le lire devant tout te monde. Je suis désolée.

— Tu peux ! s’exclama Stefan. Pourquoi me cacher une chose pareille, alors que je pouvais t’aider ?

Elena avait blêmi.

— Je me sentais tellement mal… Et puis, j’ai rêvé que je te disais la vérité et que tu devenais furieux. Tu avais l’air de ne plus m’aimer… C’était horrible.

— Voilà donc se qui te tourmentais, murmura-t-il comme pour lui-même.

Au grand soulagement d’Elena, son visage n’exprimait plus aucune colère. Il ne lui laissa pas le temps de continuer.

— Je savais que tu me dissimulais quelque chose. Mais je pensais que…

Il secoua la tête et un sourire s’ébaucha au coin de ses lèvres.

— Et dire, que tu ne songeais qu’à me protéger…

En voyant l’air joyeux et soulagé de Stefan, Elena n’eut pas le courage d’en venir à son dernier aveu.

— Lorsque tu ma dis que tu voulais parler, reprit le jeune homme, j’ai cru que tu avais changé d’avis à mon sujet. J’aurais pu le comprendre d’ailleurs… Au lieu de ça…

Il l’attira tendrement dans ses bras. Blottie contre lui, elle se laissa aller à bien être qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps. Elle avait l’impression d’être de revenue à leur début, lorsqu’il n’avait pas de secret l’un pour l’autre. Leur deux cœur battaient à l’unisson, en parfaite harmonie. Pour que leur félicité soit parfaite, il ne leur manquait plus qu’une seule chose.

Rejetant ses cheveux en arrière, elle lui offrit son cou. Cette fois, Stefan ne refusa pas : au contraire, ses yeux étaient plein d’une reconnaissance éperdue. Elle lui renvoya un regard où il lut toute la force de son amour. Sans s’en rendre compte, elle lui avait tendu le côté de son cou épargné par Damon. Lorsque Stefan enfonça ses dents dans sa chair, elle n’éprouva aucune douleur, et quand il décida qu’il était temps de s’arrêter, elle refusa de s’arracher à son étreinte. Il dut la forcer à obéir. Sans la lâcher, il chercha à tâtons la dague, sur la commode, et fit couler son propre sang. Une fois Elena rassasiée, il la déposa sur le lit où ils restèrent un long moment enlacés.

— Je t’aime, murmura Stefan.

Elena, tout à l’ivresse de leur étreinte, mit quelques secondes à réaliser le sens de ses paroles. L’émotion lui serra la gorge. Il l’aimait ! Quelle joie d’entendre de sa bouche la déclaration qu’elle attendait depuis si longtemps.

— Moi aussi, je t’aime, répondit-elle.

Elle s’étonna de le voir aussitôt s’écarter d’elle pour porter les mains à son col et en sortir sa chaîne. Un magnifique anneau d’or orné d’un lapis-lazuli y pendait La bague de Katherine !

— Quand Katherine est morte, j’ai cru que je ne pourrais jamais aimer quelqu’un d’autre. Je sais pourtant que c’est ce qu’elle aurait voulu. Cet anneau, c’était le symbole de mon amour pour elle, continua-t-il d’une voix hésitante. Maintenant, j’aimerais qu’il prenne une autre signification. Vu la situation, je n’ai pas vraiment te droit de te demander ça, mais…

Stefan se méprit sur le silence d’Elena, restée sans voix. La lueur d’espoir s’éteignit dans ses yeux. Tu as raison, c’est impossible. Il y a bien d’autres obstacles… Quelqu’un comme moi ne peut pas te proposer de…

— Stefan…

— … alors, fais comme si je n’avais rien dit.

— Stefan, regarde-moi !

Il leva lentement les yeux vers elle, et son désespoir s’évanouit en un instant. Elena tendait la main vers lui dans un geste qui ôta toute hésitation : il lui passa l’anneau au doigt. On aurait dit qu’il avait été fait pour elle.

— Il faudra garder ça pour nous un bout de temps, murmura Elena, la voix chargée d’émotion. Tante Judith aura une attaque si elle apprend qu’on s’est fiancés. L’été prochain, je m’inscrirai à la fac, et elle n’aura plus son mot à dire.

— Elena, tu es sûre de toi ? Ça ne sera pas facile de vivre avec moi… Malgré tous mes efforts, je suis différent de toi. Tu peux encore changer d’avis…

— Je ne changerai jamais d’avis… à moins que tu ne m’aimes plus !

Stefan l’étreignit avec fougue, et elle s’abandonna dans ses bras. Mais il restait encore une ombre au tableau.

— Qu’est-ce qu’on fera si leur plan marche demain ? Demanda Elena.

— On peut encore les en empêcher, je trouverais un moyen de récupérer ton journal. Et même si je n’y arrive pas, je ne les laisserai pas me chasser comme ça. Je me battrai.

— Mais si tu es blessé… ou pire, je ne le supporterai pas.

— Fais-moi confiance. Il doit y avoir une solution. De toute façon … Rien ne pourra nous séparer.

Vendredi 29 novembre

Je n’arrive pas à dormir : Comme d’habitude, d’ailleurs.

Demain c’est le jour J. On a mis Meredith et Bonnie dans le coup ! Le plan de Stefan est d’une simplicité enfantine comme la lecture des poèmes vient en dernier, Caroline sera obligée de planquer mon journal quelque part pendant la cérémonie. On va la filer dès l’instant où elle sort de chez elle jusqu’à ce qu’elle monte sur scène ! on verra où elle l’aura caché. Et là, hop, on le récupère.

C’est un plan infaillible : on sera tous en costumes du XXᵉ siècle, et Mme Grimesby, qui nous sert d’habilleuse, ne veut pas qu’on garde d’affaires personnelles. Pas de blouson, pas de sac… et pas de journal intime. Caroline sera donc forcée de s’en séparer. On va la surveiller à tour de rôle : Bonnie montera la garde devant sa maison pour nous dire ce qu’elle portera en partant. Je prendrai la relève chez Mme Grimesby pendant l’habillage. Et lors du défilé, Stefan et Meredith s’arrangeront pour entrer chez elle, ou pour forcer la voiture de ses parents, si le journal si trouve. Ce plan ne peut pas échouer. Je suis tellement soulagé ! J’ai bien fait de parler de ça à Stefan. Je ne lui cacherais plus jamais rien maintenant !

Demain, je mettrais sa bague. Si Mme Grimesby, veut me la faire enlever sous prétexte, qu’elle est anachronique, je lui dirais qu’elle remonte à la Renaissance ! Elle va en faire une tête !

Je vais essayer de dormir maintenant. En espérant que je ne rêve pas…

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