5.

Samedi 2 novembre

Quand je me suis réveillée tout à l’heure, fêtais dans un état vraiment bizarre : à la fois très faible (je me suis écroulée en mettant un pied par terre !), et très… bien. Comme sur un petit nuage. Je n’ai même pas paniqué en voyant que j’arrivais à peine à marcher.

J’ai aussitôt pensé à Stefan : je me suis traînée en bas, mais tante Judith m’a expédiée illico au lit en me répétant que je devais me reposer. Elle a ajouté que Bonnie et Meredith étaient parties depuis quelques heures après avoir essayé de me réveiller. Mais je dormais trop profondément.

Bref, je suis obligée de rester dans ma chambre. Tante Judith m’a apporté une télé. C’est sympa, mais je préfère rester allongée à écrire.

J’attends que Stefan m’appelle. Il avait dit qu’il téléphonerait : Ou peut-être que non. Je ne sais pas. Quand il appellera, il faudra que je

Dimanche 3 novembre, 10 h

Je viens de relire ce que j’ai écrit hier, et je suis sciée ! Qu’est-ce qui m’a pris de m’arrêter au beau milieu d’une phrase ? Et je ne me souviens même pas de ce que je voulais écrire ! J’étais vraiment dans les vapes…

Bref, ceci est l’inauguration officielle de mon nouveau journal. Je l’ai acheté à la papeterie du coin. Il n’est pas aussi beau que l’ancien, mais tant pis. De toute façon, ça m’étonnerait que je retrouve l’autre. Quand je pense que quelqu’un doit être en train de lire mes pensées les plus intimes, j’ai des envies de meurtre ! C’est l’humiliation de ma vie… Ce n’est pas que j’ai honte, pas du tout. Mais j’ai écrit des trucs vraiment perso, notamment tout ce que je ressens quand Stefan m’embrasse, et me serre dans ses bras… Je sais que Stefan n’apprécierait pas non plus…

Heureusement, je n’ai rien écrit sur son secret parce qu’à ce moment-là, je n’en savais rien. Depuis que je suis au courant, je me sens encore plus proche de lui.

J’ai l’impression de l’avoir attendu toute ma vie ! Ça peut paraître bizarre que j’aime quelqu’un comme ça c’est vrai qu’il est parfois violent et que son passé pas très clair : Mais je suis certaine qu’il ne me fera tenais de mal. Il souffre tellement… Je veux le guérir de sa culpabilité.

Je ne sais pas comment les choses vont tourner. Pour le moment, l’essentiel, c’est que Stefan soit sain et sauf. Je suis passée à la pension tout à l’heure : Stefan m’a dit qu’il avait eu la visite des flics. Il n’a pas pu s’en débarrasser grâce à ses pouvoirs parce qu’il était trop faible. De toute façon, ils l’ont juste interrogé comme témoin. Ils ont été plutôt sympas avec lui, ce qui me paraît louche. C’est peut-être une tactique pour essayer de le coincer…

D’accord, les crimes ont commencé après son arrivée à Fell’s Church. Et alors ? Ça ne prouve rien. Et le fait qu’il se soit engueulé avec Tanner cette nuit-là n’est pas une preuve non plus : tout le monde se disputait avec ce prof. Il a disparu après la découverte du corps ? Maintenant, il est là et il a lui-même été attaqué par l’assassin, c’est évident. Mary a raconté à la police dans quel état on l’a retrouvé. Et Matt, Bonnie, Meredith et moi pouvons tous témoigner. Il n’y a aucune preuve contre lui.

Stefan et moi en avons longuement parlé. C’est tellement génial d’être de nouveau ensemble ! Mais il est encore très faible. Il ne se souvient toujours pas comment il s’est retrouvé au fond de ce puits. Il m’a raconté qu’il est allé voir Damon après mon départ, mardi soir. Ils se sont battus… Alors, pas la peine d’être un génie pour comprendre comment il a atterri dans ce trou !

Je ne lui ai toujours pas dit que j’ai vu Damon dans le cimetière. Je lui raconterai ça demain. Il va être fou surtout quand il saura tout ce que Damon m’a balancé.

Bon, j’arrête pour aujourd’hui. Je suis crevée. Cette fois, ce journal sera bien caché…

Après avoir relu sa dernière phrase, Elena ajouta :

P.S. : Je me demande qui sera notre prochain prof d’histoire.

Elle glissa le journal sous son matelas et éteignit la lumière.

Depuis le matin, le vide se faisait autour d’Elena. D’habitude, où qu’elle aille, tout le monde s’empressait de lui dire bonjour. Aujourd’hui, rien. Les regards se détournaient à son approche, les élèves faisant mine de se plonger dans des occupations qui les obligeaient, comme par hasard, à lui tourner le dos.

Elle s’arrêta sur le seuil de la salle d’histoire. Plusieurs lycéens étaient déjà installés à leur place, et un inconnu se trouvait au tableau. Avec ses cheveux blonds mi-longs et son allure sportive, il ressemblait à un type de leur âge.

— Après avoir inscrit son nom à la craie — Alaric Saltzman — il se retourna en lui adressant un sourire.

Au moment où elle s’asseyait, Stefan entra, précéda d’un petit groupe. Il s’installa à ses côtés sans un bruit. D’ailleurs, un silence inhabituel régnait dans la classe.

Bonnie prit place non loin d’elle. Quelques sièges plus loin. Matt gardait les yeux fixés droit devant lui.

Caroline et Tyler arrivèrent les derniers. Son ex-meilleure amie affichait une mine réjouie. Qu’est-ce qu’elle mijotait encore celle-là ? Son sourire rusé et la lueur sournoise dans ses yeux ne lui disaient rien qui vaille. Quant à cet abruti de Tyler, il avait l’air très fier de lui. Ses coquards ne se voyaient presque plus. Dommage !

— Pour commencer, on va mettre les tables en cercle.

L’attention d’Elena se reporta sur le nouveau professeur.

— De cette façon, celui qui prendra la parole s’adressera à tout le monde, expliqua-t-il sans se départir de son expression joyeuse.

Les élèves s’exécutèrent sans enthousiasme, et le remplaçant de M. Tanner s’installa au milieu du cercle, à califourchon sur sa chaise.

— Parfait ! Mon nom est écrit au tableau : Alaric Saltzman. Mais vous pouvez m’appeler Alaric. Avant de me présenter, j’aimerais que vous vous exprimiez, le sais que vous traversez un moment difficile : un de vos enseignants est décédé, et c’est douloureux pour tout le monde. Je veux vous donner l’occasion d’extérioriser cette souffrance. Ensuite, nous pourrons travailler ensemble dans la sérénité, et bâtir entre nous une relation de confiance. Qui veut commencer ?

On aurait entendu une mouche voler.

— Voyons… si nous commencions par toi ? proposa-t-il avec un sourire encourageant à une blonde au premier rang.

— Donne-moi ton nom et tes impressions sur ce qui c’est passé.

La jeune fille se tortilla sur sa chaise puis se leva.

— Je m’appelle Sue Carton et… euh… Elle respira un bon coup… et j’ai peur parce que l’assassin court toujours. La prochaine fois, ça sera peut-être mon tour… Elle se rassit précipitamment.

Merci, Sue, Je suis sûr que beaucoup de tes camarades partagent tes craintes. J’ai cru comprendre que certains d’entre vous se trouvaient là au moment du draine c’est bien ça ?

Les élèves étaient visiblement très mal à l’aise. Seul Tyler semblait content d’aborder le sujet. Il se leva avec assurance, dévoilant ses dents blanches dans un grand sourire.

— La plupart d’entre nous étaient là, corrigea-t-il.

Il glissa un regard en coin vers Stefan, et plusieurs autres en firent autant.

— Je suis arrivé après que Bonnie a découvert le corps, poursuivit Tyler. C’est dramatique ! Un psychopathe se balade dans les rues sans que personne ne fasse rien pour l’arrêter !

Il se rassit.

— D’accord, merci. Donc, pas mal d’entre vous se trouvaient là. Cela rend le problème encore plus délicat. Peut-on avoir le témoignage de l’élève qui a découvert le corps ?

Bonnie leva une main hésitante.

— C’est moi qui l’ai trouvé, murmura-t-elle. Enfin plus exactement, je me suis aperçu que M Tanner ne faisait pas semblant d’être mort.

— Pus semblant ? répéta Alaric Saltzman, stupéfait, C’était donc une habitude pour lui de faire le mort ?

Il y eut quelques rires étouffés ce qui sembla plaire au professeur, qui sourit de plus belle. Elena jeta un œil à Stefan : il arborait sa mine des mauvais jours.

— Non, non, répondit Bon rue d’un air grave. Il jouait un sacrifié dans la Maison Hantée et il était donc couvert de faux sang, C’est moi qui ai insisté pour qu’il s’en asperge… Mais comme il ne voulait pas en entendre parler, Stefan s’est disputé avec lui… Enfin, bref, nous avons réussi a le convaincre et le spectacle a pu commencer. Il devait se relever pour effrayer les visiteurs, mais, comme il ne bougeait pus, je suis allée voir ce qui se passait, là, j’ai constaté qu’il fixait le plafond sans répondre à mes questions. Je l’ai touché et alors il… C’était affreux,… Sa tête a basculé…

La voix de Bonnie se brisa dans un sanglot. Elena s’était levée, aussitôt imitée par Stefan, Matt, et quelques autres, tout aussi écœurés par les méthodes de Saltzman. Elle posa une main sur l’épaule de son amie dans un geste de réconfort.

— Ça va aller, Bonnie, ne t’en fais pas.

— J’avais du sang plein les mains. Il y en avait partout…

— O.K., on va s’arrêter là, intervint Alaric. Je suis désolé, je ne voulais pas te bouleverser à ce point. Il faudrait peut-être que tu vois un psychologue pour t’aider à surmonter ce traumatisme…

Tandis que Bonnie reniflait, le jeune professeur se mit à arpenter le plancher avec nervosité.

— J’ai une idée ! S’exclama-t-il soudain en retrouvant son grand sourire. Pour prendre un nouveau départ, il faut créer une atmosphère plus détendue. Que diriez-vous de venir ce soir chez moi pour une discussion entre amis ? Ainsi, nous apprendrions à nous connaître, et ceux qui le souhaitent pourront parler de ce qui est arrivé. Vous pouvez amener un ami si vous voulez…

— Qu’en pensez-vous ?

Un silence consterné lui répondit.

— Chez vous ? S’étonna quelqu’un.

— Oui… enfin chez les Ramsey. Ils habitent Magnolia Avenue, dit-il en écrivant l’adresse au tableau. Ils me prêtent leur maison en leur absence. Je viens de Chariottesville. Votre proviseur m’a appelé vendredi pour ce remplacement. J’ai saisi cette chance : c’est mon premier vrai poste d’enseignant.

— Tout s’explique… murmura Elena entre ses dents.

— Tu crois ? lui glissa Stefan d’un air ironique.

— Alors, ça vous dit ? demanda Saltzman à la ronde.

Personne n’eut le courage de protester.

— Parfait ! Alors, je m’occupe des boissons. Ah oui j’oubliais… Dans mon cours, la participation compte pour la moitié dans la moyenne, annonça-t-il joyeusement, Voilà, vous pouvez y aller.

— Quel plaie, ce mec ! Marmonna quelqu’un.

Comme Bonnie se dirigeait vers la porte, elle fut rappelée par le professeur.

— Attendez une minute ! Que tous ceux qui se sont exprimés restent ici.

— Je vais voir si l’entraînement de foot a toujours lieu, déclara Stefan à Elena dans le couloir.

— Tu es sûr d’avoir repris assez de forces pour jouer ?demanda Elena, inquiète.

— Ça devrait aller, répondit-il en dépit de ses traits tirés et de sa démarche hésitante. On se retrouve tout à l’heure, d’accord ?

Elena approuva. Quand elle parvint à son casier, elle trouva Caroline en grande conversation avec deux autres filles. Elle sentit leurs regards peser sur elle tandis qu’elle rangeait ses livres. Lorsqu’elle releva la tête, Caroline continuait à la fixer effrontément. Elle se pencha même vers ses camarades pour leur chuchoter quelques mots à l’oreille.

Cette fois, c’en était trop. Elena claqua la porte de son casier et se dirigea droit vers elles.

— Salut Beckie, salut Sheila. Oh, et salut Caroline ! lança-t-elle avec insistance.

Les deux premières marmonnèrent un vague bonjour avant de se diriger vers la sortie.

— Y a un problème ? demanda Elena.

— Un problème ? fit Caroline d’un air faussement étonné.

Elle se délectait visiblement de la situation, la faisant durer avec un malin plaisir.

— Te fous pas de moi. Je te connais par cœur. Tout le monde m’évite comme si j’avais la peste. Et comme par hasard, tu as l’air très fier de toi. Qu’est-ce que t’as été raconter derrière mon dos ?

Un sourire narquois se dessina sur le visage de Caroline.

— Tu ne te souviens pas ? Je t’ai dit il y a quelque temps que la fin de ton règne était proche… Mais je n’y suis pour rien, après tout. Ce qui se passe, c’est simplement… comment dire… la loi de la jungle…

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Disons que sortir avec un assassin n’est pas forcément un atout pour briller en société…

L’insulte lui fit l’effet d’une gifle. Bouillant d’une colère sourde, elle fit un effort gigantesque pour ne pas se jeter sur Caroline.

— Stefan n’a rien fait, protesta-t-elle entre ses dents. La police l’a interrogé, et il a été mis hors de cause.

Caroline prit un air condescendant.

— Elena, je te connais depuis la maternelle, alors permets-moi de te donner un conseil d’amie : laisse tomber Stefan. À moins que tu tiennes absolument à t’acheter une clochette de lépreuse…

Caroline tourna les talons, l’air très satisfait de sa pique. Elena écumait de rage. Elle se retint de lui balancer les pires insultes.

— Caroline ?

Celle-ci se retourna.

— Tu vas à la soirée de Saltzman ?

— Sans doute. Pourquoi ?

— Parce que j’y serai aussi. Avec Stefan. Rendez-vous dans la jungle…

Elle passa devant elle d’un air très digne pour gagner la porte principale. Cependant, en apercevant une silhouette noire au bout du couloir, sa démarche se fit hésitante, ce qui gâcha un peu sa sortie. En reconnaissant Stefan, elle lui adressa un sourire forcé. Celui-ci ne fut pas dupe.

— L’entraînement de foot a été annulé ? demanda-t-elle en pénétrant avec lui dans la cour.

Il approuva d’un signe de tête.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? S’enquit-il.

— Rien. Je demandais à Caroline si elle venait ce soir.

Elle leva la tête vers le ciel gris.

— Ah bon ? Vous parliez vraiment de ça ?

— Oui, affirma-t-elle avec aplomb, les yeux toujours fixés sur les nuages menaçants.

— Et c’est ce qui t’a mise en colère ?

— Oui.

— C’est faux, Elena, affirma-t-il sans la quitter du regard.

— Si tu arrives à lire dans mes pensées, tu n’as pas le besoin de me poser toutes ces questions…

— Tu sais très bien que je ne m’amuserais pas à ça. Mais je croyais que tu voulais une relation basée sur la franchise, non ?

— Cette pétasse de Caroline faisait des insinuations au sujet du meurtre, lâcha-t-elle. De toute façon, qu’est que t’en as à faire ?

— Elle a peut-être raison, lança durement Stefan. Pas à propos du crime, mais à propos de nous deux… Je savais bien qu’ils allaient nous mettre dans le même sac toi et moi.

J’ai senti de l’hostilité et de la peur toute la journée. Ils sont toujours persuadés que je suis l’assassin, et c’est sur toi que ça va retomber.

— Je me fous de leur opinion ! Éclata Elena. Ils finiront bien par se rendre compte de leur erreur, et tout redeviendra comme avant !

— Tu crois vraiment ? demanda Stefan avec un sourire triste. Et s’ils ne comprennent pas ? ajouta-t-il, les traits soudain durcis. La situation risque de devenir invivable. …

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je crois qu’il vaudrait mieux ne plus se voir pendant quelques temps… S’ils pensent qu’on n’est plus ensemble, ils te laisseront tranquille.

Elle le dévisagea avec horreur.

— Quoi ? Tu pourrais arrêter de me voir pendant je ne sais pas combien de temps ?

— S’il le faut, oui… On a qu’à faire semblant d’avoir cassé…

Elena le fixa sans rien dire. Puis, elle se mit à arpenter le sol en cercles concentriques autour de lui.

— Il n’y a qu’à une seule condition que j’annoncerai aux autres qu’on n’est plus ensemble : si tu me dis que tu ne m’aime plus, et que tu ne veux plus me voir. Alors dis-le-moi Stefan. Dis-moi que tu ne veux plus me moi !

Stefan resta sans voix.

— Allez, le défia-t-elle. Ose me dire que tu me jettes… Ose me dire que…

La fin de sa phrase fut étouffée par un baiser.

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