CHAPITRE X L’ENTRETIEN

Rohan entra dans la cabine de l’astronavigateur, nullement surpris d’avoir été appelé. Il s’y était rendu rarement, il est vrai ; pourtant, après son retour solitaire à la base installée dans le cratère, il avait été convoqué à bord de L’Invincible et Horpach l’avait alors, justement, reçu chez lui. De telles invitations, d’ordinaire, ne présageaient rien de bon. Il est vrai qu’alors Rohan était trop secoué par la catastrophe survenue dans le ravin pour craindre la colère de l’astronavigateur. Du reste, celui-ci n’avait pas eu un mot de blâme et l’avait simplement interrogé dans les moindres détails sur les circonstances qui avaient accompagné l’attaque du nuage. Le docteur Sax avait participé à l’entrevue. Il avait émis l’hypothèse que si Rohan avait survécu, c’était parce qu’il avait été frappé de « stupeur », d’un hébétement qui avait réduit l’activité électrique du cerveau, si bien que le nuage l’avait pris pour l’un de ceux qu’il avait déjà rendus inoffensifs, qu’il avait déjà blessés. Quant à Jarg, le neurophysiologiste estimait que le chauffeur avait été sauvé par pur hasard, puisque, en s’enfuyant, il s’était trouvé en dehors du rayon de l’attaque. Terner en revanche, qui presque jusqu’à la fin avait essayé de défendre les autres et soi-même en tirant à l’aide de ses lasers, avait agi comme le devoir le lui ordonnait, certes, mais, paradoxalement, c’était justement cela qui l’avait perdu, car son cerveau avait travaillé normalement et avait donc attiré l’attention du nuage. Celui-ci était évidemment aveugle, et l’homme ne constituait pour lui rien de plus qu’un objet mobile dont l’existence se manifestait par les potentiels électriques de son cortex cérébral. Aussi Horpach, les médecins et Rohan avaient-ils examiné la possibilité de protéger les hommes en les plongeant dans un état de « stupeur artificielle », grâce à l’absorption d’une préparation chimique appropriée. Sax avait estimé, toutefois, qu’une telle potion agirait trop lentement quand il serait réellement nécessaire de procéder à un « camouflage électrique », alors qu’il était évidemment impossible d’envoyer des hommes en mission dans un état d’hébétude. C’est ainsi que l’examen médical de Rohan n’avait donné aucun résultat concret.

À présent, il supposait que Horpach voulait peut-être en parler une fois encore. Il s’arrêta au milieu de la cabine, deux fois plus grande que la sienne. Elle était en communication directe avec le poste de pilotage, et sur le mur s’alignaient les microphones de l’installation intérieure. Mais, en dehors de ça, rien n’y prouvait que le commandant du vaisseau l’habitait depuis des années. Horpach se débarrassa de son manteau. Il portait en dessous un pantalon et une chemise à résille. À travers les mailles, les poils gris et abondants de son large thorax s’échappaient. Il s’assit un peu de biais par rapport à Rohan et s’appuya de ses bras puissants sur la table sur laquelle il n’y avait rien, en dehors d’un petit livre à la reliure de cuir fatiguée, que Rohan ne connaissait pas. Le regard de ce dernier glissa de cette lecture inconnue de son chef au visage du commandant lui-même, qu’il vit en quelque sorte pour la première fois. C’était un homme mortellement fatigué, qui n’essayait même pas de dissimuler le tremblement de ses mains qu’il avait portées à son front. Rohan comprit alors en un éclair qu’il ne connaissait absolument pas Horpach sous les ordres duquel il servait depuis quatre ans déjà. Jamais il n’avait encore eu l’idée de se demander pourquoi, dans la cabine de l’astronavigateur, il n’y avait aucun de ces petits objets, parfois amusants ou naïfs, que les hommes emportent dans l’espace comme autant de souvenirs de leur enfance ou de leur foyer. Il lui sembla alors qu’il comprenait pourquoi Horpach n’avait rien de ce genre, pourquoi, sur les murs, il ne voyait aucune photographie représentant des êtres chers demeurés sur la Terre. Horpach n’avait besoin de rien de tel, car il était entièrement ici et la Terre n’était pas son foyer. Mais peut-être le regrettait-il à présent, pour la première fois de sa vie ? Ses lourdes épaules, ses bras puissants et sa nuque ne trahissaient pas la vieillesse. Seule était vieille la peau sur les mains, épaisse, formant des rides peu prononcées sur les articulations des doigts qui blanchissaient lorsqu’il les redressait, tandis qu’il regardait leur léger tremblement avec un intérêt apparemment indifférent et fatigué, comme s’il constatait quelque chose qui jusqu’à présent lui était inconnu. Rohan ne voulait pas regarder cela. Mais le commandant, penchant légèrement la tête sur le côté, le regarda droit dans les yeux et grommela, avec un sourire presque coupable :

— J’ai forcé la dose, hein ?

Rohan fut abasourdi non pas tant par ces paroles que par leur ton et par tout le comportement de l’astronavigateur. Il ne répondit pas. Il était encore debout. L’autre, après s’être frotté la poitrine de sa large paume, ajouta :

— Ça valait peut-être mieux.

Et, quelques secondes plus tard, avec une sincérité exceptionnelle chez lui :

— Je ne savais pas quoi faire.

Il y avait dans ces mots quelque chose de bouleversant. Rohan croyait savoir que le commandant, depuis plusieurs jours déjà, était tout aussi embarrassé qu’eux tous, mais en cet instant, il se rendit compte que ce n’était pas là un savoir réel, qu’en réalité il était persuadé que l’astronavigateur prévoyait quelques coups à l’avance de plus que tout autre, parce qu’il devait en être ainsi. Or voici que soudain l’être même du commandant se révélait à lui, sous deux aspects en quelque sorte, puisqu’il voyait le torse à demi dénudé de Horpach, ce corps si fatigué, aux mains tremblantes, dont l’existence n’était pas parvenue précédemment jusqu’à sa conscience, et qu’en même temps il venait d’entendre des paroles qui confirmaient la véracité de cette découverte.

— Assieds-toi, mon garçon, dit le commandant.

Rohan s’assit. Horpach se leva, alla au lavabo, s’inonda le visage et la nuque d’eau froide, s’essuya rapidement, brutalement, enfila un blouson, le boutonna et s’assit en face de lui. Le regardant de ses yeux pâles, toujours un peu larmoyants, comme s’ils étaient irrités par un vent violent, il demanda nonchalamment :

— Quoi de neuf, avec ton … immunité ? Ils t’ont ausculté ?

« Ce n’est donc que ça » — cette réflexion passa par la tête de Rohan. Il s’éclaircit la gorge.

— Oui, les médecins m’ont ausculté, mais ils n’ont rien découvert. Sans doute Sax avait-il raison avec cette histoire de stupeur.

— Eh oui ! Ils n’ont rien dit de plus ?

— Pas à moi. Mais j’ai entendu … ils se demandaient pourquoi le nuage n’attaque qu’une seule fois un homme et qu’il l’abandonne ensuite à son triste sort.

— C’est intéressant. Et quoi

— Lauda estime que le nuage distingue les hommes normaux de ceux qu’il a blessés, en raison de la différence d’activité électrique du cerveau. Chez un blessé, le cerveau a le même genre d’activité que chez un nouveau-né. Ou du moins très semblable. Il semble justement que dans cet état d’hébétude dans lequel j’étais tombé, l’image est assez semblable. Sax suppose qu’on pourrait imaginer une fine résille métallique que l’on dissimulerait sous les cheveux … elle enverrait des impulsions très faibles, les mêmes que celles d’un cerveau blessé. Une sorte de « capuchon invisible ». Que de cette façon, on pourrait se masquer devant le nuage. Mais c’est sans doute une supposition. On ne sait pas si ça réussirait. Ils aimeraient faire un certain nombre d’expériences. Ils n’ont toutefois pas un nombre suffisant de ces petits cristaux — et ceux que Le Cyclope devait ramasser, nous ne les avons pas reçus …

— C’est bon, soupira l’astronavigateur. Ce n’est pas de cela que je voulais parler avec toi … Ce que nous allons nous dire maintenant restera entre nous, hein ?

— Oui …, répondit lentement Rohan, et la tension revint entre eux.

L’astronavigateur le regardait à présent, comme s’il avait du mal à commencer.

— Je n’ai pas pris encore de décision, dit-il soudain. Un autre, à ma place, tirerait à pile ou face. Rentrer — ne pas rentrer … Mais je ne le veux pas. Je sais que souvent tu n’es pas d’accord avec moi …

Rohan ouvrit la bouche, mais l’autre, d’un léger mouvement de la main, lui coupa la parole avant qu’il n’ait dit mot.

— Non, non … Et voilà, tu as une chance. Je te la donne. C’est toi qui vas décider. Je ferai ce que tu diras de faire.

Il le regarda dans les yeux puis abaissa immédiatement ses lourdes paupières.

— Comment ça … moi ? balbutia Rohan.

Il s’était attendu à tout, mais pas à cela.

— Oui, toi, justement toi. Évidemment, c’est convenu : ça restera entre nous. Tu prendras la décision, et moi j’en assurerai l’exécution. C’est moi qui en répondrai devant la Base. Des conditions bien commodes, pas vrai ?

— Vous dites ça … sérieusement … Monsieur ? demanda Rohan, uniquement pour gagner du temps, car il savait déjà que tout cela était vrai.

— Oui. Si je ne te connaissais pas, je te laisserais du temps. Mais je sais que tu erres ici et là et que tu penses … que depuis longtemps tu as pris une décision … mais peut-être que j’aurais été incapable de te faire parler. C’est pourquoi tu vas me le dire, ici, immédiatement. Parce que c’est un ordre. Pendant ces quelques instants, tu vas devenir le commandant de L’Invincible … Tu ne veux pas sur-le-champ ? Bien. Tu as une minute.

Horpach se leva, se dirigea vers le lavabo, se frotta les joues de ses mains jusqu’à faire crisser ses poils gris sous ses doigts, et commença à se raser avec son rasoir électrique, comme si de rien n’était. Il se regardait dans la glace. Rohan à la fois le voyait et ne le voyait pas. Sa première réaction était la colère. Colère contre Horpach qui avait agi avec lui d’une façon aussi brutale, lui donnant le droit ou plutôt le devoir de décider, le liant par sa parole, tout en acceptant par avance toute la responsabilité. Rohan le connaissait assez pour savoir que tout cela avait été mûrement réfléchi et était désormais irrévocable. Les secondes passaient et il allait falloir parler, à l’instant, tout de suite, et il ne savait rien. Tous les arguments irréfutables qu’il eût si volontiers envoyés au visage de l’astronavigateur, qu’il avait échafaudés comme des briques parfaitement assemblées pendant ses méditations nocturnes, avaient disparu. Quatre hommes étaient morts — à peu près certainement. Si ce n’était pas ce « à peu près », il n’y aurait rien eu à soupeser, à éplucher, tout simplement ils auraient décollé à l’aube. Mais voici qu’à présent ce « à peu près » commençait à prendre en lui des proportions gigantesques. Tant qu’il avait tout simplement été à côté d’Horpach, il avait estimé qu’ils devaient décoller immédiatement. Il sentait à présent qu’un tel ordre ne lui passerait pas par la gorge. Il savait que ce serait alors non pas la fin de l’affaire de Régis III, mais bien son commencement. Cela n’avait rien à voir avec la responsabilité envers la Base. Ces quatre hommes resteraient sur la planète, et rien, désormais, ne serait plus comme dans le passé. L’équipage voulait rentrer. Mais il se souvint alors de son errance nocturne à travers le vaisseau et il comprit qu’au bout d’un certain temps, les hommes commenceraient à y penser, puis à en parler. Ils seraient amenés à se dire : « Vous voyez ? Il a laissé quatre hommes là-bas et il a pris le départ. » Et rien ne compterait, hormis ce fait. Chaque homme devait savoir que les autres ne l’abandonneraient pas — en aucune circonstance. Que l’on peut subir tous les échecs possibles, mais qu’il faut avoir l’équipage au complet à bord — les vivants et les morts. Ce principe ne figurait pas dans le règlement. Mais si l’on ne se comportait pas de la sorte, personne ne pourrait voler.

— Je t’écoute ? dit Horpach.

Il reposa son rasoir et vint s’asseoir en face de lui.

— Il faut essayer …

— Quoi ?

— De les retrouver …

C’était dit. Il savait que l’astronavigateur ne s’opposerait pas à lui. Il était à présent, en vérité, absolument certain que Horpach avait compté précisément sur ceci, qu’il l’avait fait exprès. Afin de ne pas être seul à prendre le risque ?

— Les autres. Je comprends. Bien.

— Mais il faut un plan. Un moyen, raisonnable …

— Nous avons été raisonnables jusqu’à présent, fit remarquer Horpach. Tu connais les résultats.

— Puis-je dire quelque chose ?

— Je t’écoute.

— J’ai été, cette nuit, au conseil de guerre des stratèges. C’est-à-dire que j’ai écouté … du reste, peu importe. Ils mettent au point diverses variantes en vue d’annihiler le nuage … mais le problème ne consiste pourtant pas à le détruire, mais tout simplement à retrouver ces quatre hommes. C’est pourquoi, si l’on se lance dans un massacre à l’aide d’antiprotons, et si l’on suppose que l’un d’eux est encore vivant, alors, il ne sortira plus d’un deuxième enfer de ce genre, c’est sûr et certain. Personne n’en sortirait. C’est impossible.

— C’est aussi ce que je pense, répondit d’une voix lente le commandant.

— Vous aussi, Monsieur ? C’est bien … mais alors ?

Horpach se taisait.

— Est-ce qu’ils … est-ce qu’ils ont trouvé une autre solution ?

— Eux ? … Non.

Rohan voulait demander encore quelque chose, mais il n’en eut pas le courage. Les mots moururent sur ses lèvres. Horpach le regardait, comme s’il attendait quelque chose. Mais Rohan ne savait rien — le commandant supposerait-il par hasard que lui, sans aide aucune, était parvenu à imaginer quelque chose de plus parfait que tous les savants, que les cybernéticiens et les stratèges, avec leurs cerveaux électroniques ? Ce serait absurde. Et pourtant, il le regardait patiemment. Ils se taisaient. Des gouttes d’eau tombaient régulièrement du robinet, avec un bruit particulièrement sonore dans le silence absolu. Et de ce silence entre eux prit naissance quelque chose qui glaça les pommettes de Rohan. Il sentait déjà le froid gagner tout son visage, de la nuque aux mâchoires, sa peau le tirait, tandis qu’il regardait les yeux larmoyants de Horpach, à présent indiciblement vieux. Il ne voyait plus rien hormis ces yeux. À présent, il savait.

Il hocha lentement la tête. C’était comme s’il disait « oui ». « Tu comprends ? demandait le regard de l’astronavigateur — Je comprends », répondit Rohan d’un regard. Mais au fur et à mesure que cette conscience devenait en lui plus évidente, il sentait que cela ne pouvait pas être. Que cela, personne n’avait le droit de l’exiger de lui, pas même lui-même. Il continuait donc à se taire. Il se taisait, mais faisant à présent semblant qu’il ne devinait rien, qu’il ne savait rien ; il se réconfortait avec cet espoir naïf que du moment que rien n’avait été dit, il était possible de nier ce qui était passé d’un regard à l’autre. Il serait possible de mentir, de soutenir que c’était manque de pénétration — car il comprenait que Horpach ne lui dirait jamais cela. Mais celui-ci voyait cela, voyait tout. Ils restaient assis, sans bouger. Le regard de Horpach s’adoucit. Il n’exprimait plus l’attente ni une insistance impérieuse, mais seulement de la compassion. c’était comme s’il disait : « Je comprends. Bien. Qu’il en soit donc ainsi. » Le commandant baissa les paupières. Un instant encore, et ce qui n’avait pas été dit aurait disparu et tous deux pourraient se comporter à l’avenir comme si rien du tout ne s’était passé. Mais ce regard détourné remporta la décision. Rohan entendit sa propre voix : J’irai, dit-il.

Horpach poussa un profond soupir, mais Rohan, saisi de la panique provoquée par le mot qu’il venait de prononcer, ne le remarqua pas.

— Non, dit Horpach. Tu n’iras pas ainsi …

Rohan gardait le silence.

— Je ne pouvais pas te le dire …, dit l’astronavigateur. Ni même chercher un volontaire. Je n’en ai pas le droit. Mais à présent, tu sais déjà toi-même que nous ne pouvons pas décoller comme ça. Seul, un homme seul peut entrer là-bas … et en ressortir. Sans casque, sans machines, sans arme.

Rohan l’entendait à peine.

— Je vais à présent t’exposer mon plan. Tu y réfléchiras. Tu pourras le rejeter, parce que tout ça continue à rester entre nous deux. Je vois ça comme ça : un appareil à oxygène en silicone. Aucun métal. J’enverrai là-bas deux jeeps, vides. Elles attireront sur elles le nuage, qui les détruira. En même temps partira une troisième jeep. Avec un homme. C’est là qu’est à vrai dire le plus grand risque : il faudra s’approcher aussi près que possible en voiture, afin de ne pas perdre son temps à marcher dans le désert. La réserve d’oxygène suffira pour dix-huit heures. J’ai ici des photogrammes de tout le ravin et de ses environs. J’estime qu’il ne faut pas emprunter le chemin des expéditions précédentes, mais arriver en jeep aussi près que possible de la limite nord du haut plateau et, de là-bas, descendre à pied à travers les rochers, jusqu’en bas. Jusqu’à la partie supérieure de la gorge. S’ils sont quelque part, ce ne peut être que là. Là-bas, ils ont pu en réchapper. Le terrain est difficile, beaucoup de cavernes et de crevasses. Si tu les retrouvais tous ou seulement l’un d’entre eux …

— Justement. Comment les emmener avec moi ? demanda Rohan, qui se sentit aiguillonné par une satisfaction maligne.

À cet endroit, le plan devenait bancal. Avec quelle légèreté Horpach ne le sacrifiait-il pas …

— Tu auras une potion prévue pour cela, qui plonge dans une légère stupeur. Il existe quelque chose de ce genre. Évidemment, cela ne sera nécessaire que si le rescapé ne veut pas te suivre de lui-même. Heureusement, plongé dans cet état, on peut marcher.

« Heureusement … », se dit Rohan. Il serra les poings sous la table, en veillant à ce que Horpach ne puisse pas le remarquer. Il n’avait absolument pas peur. Pas encore. Tout cela, pris ensemble, était par trop irréel …

— Dans le cas où le nuage … s’intéresserait à toi, tu devras te coucher sur le sol et rester immobile. J’ai pensé à utiliser quelque préparation pharmaceutique en un tel cas, mais elle agirait avec trop de retard. Il ne reste que cette protection de la tête, ce simulateur de courant dont a parlé Sax …

— Quelque chose de ce genre existe-t-il déjà ? demanda Rohan.

Horpach comprit la signification cachée de cette question. Mais il garda son calme.

— Non. Mais on peut fabriquer ça en l’espace d’une heure. Un filet très mince, caché dans les cheveux. Le petit appareil générateur d’un courant rythmé sera cousu dans le col de la combinaison. Et maintenant … je te donne une heure. Je te donnerais volontiers davantage de temps, mais avec chaque heure qui passe, les chances de les sauver diminuent. Comme ça déjà, elles sont minimes. Quand prendras-tu ta décision ?

— Je l’ai déjà prise.

— Quel idiot ! Tu n’entends pas ce que je te dis ? Tout le reste, ce n’était que pour que tu comprennes que nous n’avons pas encore le droit de décoller …

— Puisque vous savez, Monsieur, qu’en tout cas j’irai …

— Tu n’iras pas si je ne te le permets pas. N’oublie pas que je suis toujours et encore le commandant à bord. Un problème se pose à nous, devant quoi aucune ambition, de qui que ce soit, ne doit compter.

— Je comprends parfaitement, dit Rohan. Vous voulez, Monsieur, que je me sente contraint … ? Bien … Par conséquent … mais ce que nous disons est toujours protégé par votre parole ?

— Oui.

— Dans ce cas, je veux savoir ce que vous feriez à ma place. Nous allons changer de rôles … juste le contraire de ce que nous avons fait à l’instant …

Horpach se tut un instant.

— Et si je te disais que je n’y serais pas allé ?

— Dans ce cas-là, moi non plus, je n’irai pas. Mais je sais que vous me direz la vérité.

— Alors, tu n’iras pas ? Parole ? Non, non … Je sais que ce n’est pas nécessaire …

L’astronavigateur se leva. Alors, Rohan se leva, lui aussi.

— Vous ne m’avez pas répondu, Monsieur.

L’astronavigateur le regardait. Il était plus grand, plus massif et plus large d’épaules. Ses yeux prirent la même expression de lassitude qu’au début de leur entretien.

— Tu peux y aller, dit-il.

Rohan se redressa instinctivement et se dirigea vers la porte. L’astronavigateur fit alors un geste comme s’il voulait le retenir, le saisir par le bras, mais Rohan ne s’en aperçut pas. Il sortit. Horpach resta immobile devant la porte qui venait de se refermer, et il resta longtemps debout ainsi.

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