LVIX


La nouvelle courut bientôt dans les villages voisins que l’on avait emprisonné un homme pour cause d’hérésie et que l’inquisiteur Titelman, doyen de Renaix, surnommé l’inquisiteur Sans-Pitié, dirigeait les interrogatoires. Ulenspiegel vivait alors à Koolkerke, dans l’intime faveur d’une mignonne fermière, douce veuve qui ne lui refusait rien de ce qui était à elle. Il y fut bien heureux, choyé et caressé, jusqu’au jour où un traître rival, échevin de la commune, l’attendit un matin qu’il sortait de la taverne et voulut le frotter de chêne. Mais Ulenspiegel, pour lui rafraîchir sa colère, le jeta dans une mare d’où l’échevin sortit de son mieux, vert comme un crapaud et trempé comme une éponge.

Ulenspiegel, pour ce haut fait, dut quitter Koolkerke et s’en fut à toutes jambes vers Damme, craignant la vengeance de l’échevin.

Le soir tombait frais, Ulenspiegel courait vite : il eût voulu déjà être au logis ; il voyait en son esprit Nele cousant, Soetkin préparant le souper, Claes liant les fagots, Schnouffius rongeant un os et la cigogne frappant sur le ventre de la ménagère pour avoir quelques miettes de nourriture.

Un colporteur piéton lui dit en passant :

– Où t’en vas-tu ainsi courant ?

– À Damme, en mon logis, répondit Ulenspiegel.

Le piéton dit :

– La ville n’est plus sûre à cause des réformés qu’on y arrête.

Et il passa.

Arrivé devant l’auberge du Rhoode-Schildt, Ulenspiegel y entra pour boire un verre de dobbel-kuyt. Le baes lui dit :

– N’es-tu point le fils de Claes ?

– Je le suis, répondit Ulenspiegel.

– Hâte-toi, dit le baes, car la maleheure a sonné pour ton père.

Ulenspiegel lui demanda ce qu’il voulait dire.

Le baes répondit qu’il le saurait trop tôt.

Et Ulenspiegel continua de courir.

Comme il était à l’entrée de Damme, les chiens qui se tenaient sur le seuil des portes lui sautèrent aux jambes en jappant et en aboyant. Les commères sortirent au bruit et lui dirent, parlant toutes à la fois :

– D’où viens-tu ? As-tu des nouvelles de ton père ? Où est ta mère ? Est-elle aussi avec lui en prison ? Las ! pourvu qu’on ne le brûle pas !

Ulenspiegel courait plus fort.

Il rencontra Nele, qui lui dit :

– Thyl, ne vas pas à ta maison : ceux de la ville y ont mis un gardien de la part de Sa Majesté.

Ulenspiegel s’arrêta :

– Nele, dit-il, est-il vrai que Claes mon père soit en prison ?

– Oui, dit Nele, et Soetkin pleure sur le seuil.

Alors le cœur du fils prodigue fut gonflé de douleur et il dit à Nele :

– Je vais les voir.

– Ce n’est pas ce que tu dois faire, dit-elle, mais bien obéir à Claes, qui m’a dit, avant d’être pris : « Sauve les carolus ; ils sont derrière le contre-cœur de la cheminée. » Ce sont ceux-là qu’il faut sauver d’abord, car c’est l’héritage de Soetkin, la pauvre commère.

Ulenspiegel, n’écoutant rien, courut jusqu’à la prison. Là il vit sur le seuil Soetkin assise ; elle l’embrassa avec larmes, et ils pleurèrent ensemble.

Le populaire s’assemblant, à cause d’eux, en foule devant la prison, des sergents vinrent et dirent à Ulenspiegel et à Soetkin qu’ils eussent a déguerpir de là au plus tôt.

La mère et le fils s’en furent en la chaumine de Nele, voisine de leur logis, devant lequel ils virent un des soudards lansquenets mandés de Bruges par crainte des troubles qui pourraient survenir pendant le jugement et durant l’exécution. Car ceux de Damme aimaient Claes grandement.

Le soudard était assis sur le pavé, devant la porte, occupé à humer hors d’un flacon la dernière goutte de brandevin. N’y trouvant plus rien, il le jeta à quelques pas, et tirant son bragmart, il prit son plaisir à déchausser les pavés.

Soetkin entra chez Katheline toute pleurante.

Et Katheline, hochant la tête : « Le feu ! Creusez un trou, l’âme veut sortir », dit-elle.

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