III


Cependant Lamme revint suant à grosses gouttes et soufflant comme un dauphin.

– Las ! dit-il, je suis né sous une mauvaise étoile. Après avoir dû bien courir pour arriver à cette femme qui n’était point mienne et qui était âgée, je vis à son visage qu’elle avait bien quarante-cinq ans, et à sa coiffe qu’elle n’avait jamais été mariée. Elle me demanda aigrement ce que je venais faire avec ma bedaine dans les trèfles ?

– Je cherche ma femme, qui m’a laissé, répondis-je avec douceur, et, vous prenant pour elle, j’ai couru vers vous.

À ce propos, la fille âgée me dit que je n’avais qu’à m’en retourner d’où j’étais venu, et, que si ma femme m’avait quitté elle avait bien fait, attendu que tous les hommes sont larrons, bélîtres, hérétiques, déloyaux, empoisonneurs, trompant les filles malgré la maturité de leur âge, et qu’au demeurant elle me ferait manger par son chien si je ne troussais mon bagage au plus vite.

Ce que je fis non sans crainte ; car j’aperçus un gros mâtin couché et grondant à ses pieds. Quand j’eus franchi la limite de son champ, je m’assis, et, pour me refaire, je mordis à ton morceau de jambon. Je me trouvais alors entre deux pièces de trèfle ; soudain j’entendis du bruit derrière moi, et, me retournant, je vis le grand mâtin de la fille âgée, non plus menaçant, mais balançant la queue avec douceur et appétit. Il en voulait à mon jambon. Je lui en baillai donc quelques menus morceaux quand survint sa maîtresse, laquelle cria :

– Happe l’homme ! happe aux crocs, mon fils.

Et moi de courir, et à mes chausses le gros mâtin, qui m’en enleva un morceau et de la viande avec le morceau. Mais me fâchant à cause de la douleur, je lui baillai, en me retournant sur lui, un si fier coup de bâton sur les pattes de devant, que je lui en cassai au moins une. Il tomba, criant en son langage de chien « Miséricorde ! » que je lui octroyai. Dans l’entretemps, sa maîtresse me jetait de la terre à défaut de pierres et moi de courir.

Las ! n’est-il point cruel et injuste que, parce qu’une fille n’eut point assez de beauté pour trouver un épouseur, elle s’en venge sur de pauvres innocents comme moi ?

Je m’en fus toutefois mélancoliant au kaberdoesje que tu m’avais indiqué, espérant y trouver la bruinbier de consolation. Mais je fus trompé, car en y entrant je vis un homme et une femme qui se battaient. Je demandai qu’ils daignassent interrompre leur bataille pour me donner un pot de bruinbier, ne fût-ce qu’une pinte ou six ; mais la femme, vraie stokfisch, furieuse, me répondit que, si je ne déguerpissais au plus vite, elle me ferait avaler le sabot avec lequel elle frappait sur la tête de son homme. Et me voici, mon ami, bien suant et bien las : n’as-tu rien à manger ?

– Si, dit Ulenspiegel.

– Enfin ! dit Lamme.

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