CHAPITRE II EPSILON DU TOUCAN

Un doux tintement résonna sur la table, accompagné de feux orangés et bleu clair. Des reflets multicolores scintillèrent sur la cloison translucide. Dar Véter, directeur des stations externes du Grand Anneau, observait la spirale lumineuse qui se cambrait dans les hauteurs et frangeait la mer d’un reflet jaune. Sans la quitter des yeux, Dar Véter tendit le bras pour mettre le levier sur R : la réflexion n’était pas terminée. Un grand changement s’opérait aujourd’hui dans la vie de cet homme. Ce matin, son successeur, Mven Mas, élu par le conseil d’Astronautique, était venu de la zone habitée de l’hémisphère austral. Ils opéreraient ensemble la dernière émission par l’Anneau, ensuite … oui, cet « ensuite » demeurait encore dans le vague. Il s’était acquitté des gens aux facultés supérieures, doués d’une excellente mémoire et de connaissances universelles. Lorsque les accès d’indifférence — l’une des plus graves maladies humaines — se multiplièrent avec une sinistre obstination, la célèbre psychiatre Evda Nal l’examina. Le remède éprouvé, musique d’accords tristes dans la salle aux rêves bleus, traversée d’ondes calmantes, fut sans effet. Il ne restait plus qu’à changer d’activité et se soigner par un labeur manuel, nécessitant encore l’exercice quotidien des muscles. Véda Kong, son amie, lui avait proposé hier de travailler chez elle comme fouilleur. Dans les fouilles archéologiques, les machines ne pouvaient pas tout faire, et la dernière étape s’exécutait à la main. Ce n’étaient pas les volontaires qui manquaient, mais Véda lui promettait un long voyage dans les steppes anciennes, au sein de la nature …

Si seulement Véda Kong … Au fait, il savait à quoi s’en tenir. Elle aimait Erg Noor, membre du Conseil d’Astronautique et chef de la 37e expédition astrale. Il devait donner de ses nouvelles, de la planète Zirda et de plus loin, s’il continuait le voyage. Or, s’il n’y avait pas de message et que le calcul des vols interstellaires fût absolument exact … non inutile de songer à conquérir le cœur de Véda ! Le vecteur d’amitié, voilà tout ce qui les reliait. Néanmoins, il irait travailler avec elle.

Dar Véter déplaça le levier, appuya sur un bouton, et la pièce fut inondée de lumière. La fenêtre de cristal constituait la paroi d’une salle nui dominait la terre et la mer. D’un autre tour de levier, l’homme inclina sur lui la baie vitrée, qui découvrit le ciel constellé, et cacha de son châssis métallique les lumières des routes, des bâtiments et des phares côtiers.

Le cadran de la montre sidérale à trois cercles concentriques fixa l’attention de Dar Véter. Le Grand Anneau transmettait ses messages à chaque cent-millième de seconde galactique, c’est-à-dire tous les huit jours, 45 fois par an terrestre. Une révolution de la Galaxie autour de son axe représentait une journée galactique.

L’émission suivante, la dernière pour Dar Véter, devait avoir lieu quand il serait neuf heures du matin à l’Observatoire du Tibet et deux heures du matin ici, à l’Observatoire Méditerranéen du Conseil. Il restait donc un peu plus de deux heures …

L’appareil, sur la table, se remit à sonner et à clignoter. Un homme en costume clair et soyeux parut derrière la cloison.

— Prêts à l’émission et à l’écoute, lança-t-il d’un ton bref, sans la moindre marque extérieure de déférence, bien que son regard recelât de l’admiration pour son chef.

Comme Dar Véter demeurait silencieux, son adjoint se taisait également, l’allure dégagée et fière.

— La salle cubique ? demanda enfin Dar Véter et, après avoir reçu une réponse affirmative, il s’enquit de Mven Mas.

— Il est à l’appareil de fraîcheur matinale, pour se remettre des fatigues du voyage. Et puis, il me paraît ému …

— Dame, je le serais aussi, à sa place !.. Prononça Dar Véter, pensif. C’était le cas il y a six ans …

L’adjoint rougit à force de vouloir rester impassible. Il sympathisait avec son chef, de toute son ardeur juvénile, peut-être parce qu’il pressentait lui-même les joies et les peines d’un grand travail et d’une grande responsabilité. Le directeur des stations externes se gardait bien de révéler son émotion : à son âge, cela passait pour indécent.

— Amenez-moi Mven Mas dès qu’il sera là …

L’adjoint partit. Dar Véter s’approcha du coin, où la cloison translucide était noircie du haut en bas, et ouvrit d’un geste large deux battants aménagés dans un panneau en bois précieux. Une lumière jaillit du fond d’un écran qui ressemblait à un miroir. Mais au lieu d’une surface plane et brillante, c’était une sorte de corridor qui s’enfonçait au loin.

Le directeur brancha, au moyen d’une vis spéciale, le vecteur d’amitié, contact direct permettant aux personnes liées par une grande affection de communiquer entre elles à n’importe quel moment. Le vecteur d’amitié reliait plusieurs résidences habituelles de l’homme : son logis, son poste de travail, son coin de repos favori.

L’écran s’illumina, montrant les tableaux de signes codés des films électroniques qui avaient remplacé les clichés primitifs des livres. Depuis que l’humanité avait adopté un alphabet unique, appelé linéaire, parce qu’il ne comprenait aucun signe complexe, le filmage des livres, même anciens, était devenu encore plus simple et plus accessible aux automates. Les bandes bleues, vertes, rouges désignaient les filmothèques centrales des recherches scientifiques, qu’on ne publiait plus qu’à dix exemplaires. Il suffisait de composer telle ou telle série de signes pour que la filmothèque transmît automatiquement le texte complet de l’ouvrage filmé. La machine en question était la bibliothèque personnelle de Véda. Un déclic, l’écran s’éteignit et se ralluma, montrant une autre pièce, également déserte. Un deuxième déclic transporta la vue dans une salle meublée de pupitres faiblement éclairés. Une femme assise devant l’un d’eux leva la tête ; Dar Véter reconnut les sourcils écartés et le charmant visage aux grands yeux d’azur. Le sourire à dents blanches de la bouche volontaire, qui soulevait les joues de part et d’autre du nez légèrement retroussé, arrondi au bout comme celui d’un enfant, rendait le visage encore plus doux et plus affable …

— Véda, il ne reste que deux heures. Il faut encore vous changer ; or, je voudrais que vous veniez à l’observatoire un peu plus tôt …

La femme de l’écran toucha son abondante chevelure cendrée …

— À vos ordres, mon Véter, dit-elle avec un rire silencieux, je rentre.

Dar Véter ne se laissa pas tromper par la gaieté de l’accent.

— Rassurez-vous, courageuse Véda. Tous ceux, qui prennent la parole au Grand Anneau, ont eu leur début …

— Ne perdez pas votre temps à me distraire, dit-elle en redressant la tête d’un air obstiné. Je viens.

L’écran s’éteignit. Dar Véter ferma les battants et se retourna pour accueillir son successeur. Mven Mas arrivait à grands pas. Ses traits et la couleur brune de sa peau lisse attestaient une origine africaine. Un manteau blanc tombait en plis lourds de ses épaules d’athlète. Mven Mas serra les deux mains de Dar Véter dans les siennes, maigres et vigoureuses. Les deux directeurs, l’ancien et le nouveau, étaient de très grande taille. Véter, dont la lignée descendait du peuple russe, paraissait plus large et plus massif que le svelte Africain.

— Je crois que la journée sera marquante, commença Mven Mas avec la franchise propre aux hommes de l’ère du Grand Anneau.

Dar Véter haussa les épaules.

— Elle sera marquante pour trois d’entre nous. Moi, je quitte mon poste, vous, vous l’occupez, et Véda Kong conversera pour la première fois avec l’Univers.

— Elle est vraiment belle ? fit Mven Mas d’un ton à moitié interrogatif.

— Vous jugerez par vous-même. À propos, l’émission d’aujourd’hui n’a rien de particulier. Véda fera une conférence d’histoire terrestre pour la planète KRZ 664456+BCH 3252 …

Mven Mas effectua un calcul mental instantané.

— Constellation de la Licorne, étoile Ross 614 ( son système planétaire est connu depuis des temps immémoriaux ), mais ils n’ont rien accompli de remarquable … J’aime les archaïsmes, ajouta-t-il d’une voix où perçait un imperceptible ton d’excuse.

Dar Véter se dit que le Conseil savait choisir son personnel. Il déclara :

— Alors, vous vous entendrez bien avec Junius Ante, préposé aux machines mnémotechniques. Il s’intitule directeur des lampes de la mémoire. Le mot ne vient pas du pauvre luminaire de l’antiquité, mais des premiers appareils électroniques, balourds inclus dans des cloches à vide qui rappelaient les ampoules électriques du temps jadis …

Mven Mas rit de si bon cœur que Dar Véter sentit grandir sa sympathie pour lui.

— Les lampes de la mémoire ! fit-il. Nos réseaux mnémoniques sont des couloirs qui mesurent des kilomètres de long et se composent de milliards de cellules ! Mais je suis là à m’épancher au lieu de prendre les informations. À quelle époque Ross 614 s’est-elle mise à parler ?

— Il y a cinquante-deux ans. Depuis, ils ont appris le langage du Grand Anneau. Nous ne sommes séparés d’eux que par quatre parsecs. Ils entendront la conférence de Véda dans treize ans.

— Et après ?

— Après la conférence, on passe à l’écoute de nouvelles transmises par les vieux amis de l’Anneau.

— Le 61 du Cygne ?

— Bien sûr. Et quelquefois par le 107 d’Ophiochus, pour employer votre terminologie archaïque …

Un homme entra, vêtu du même costume blanc d’argent que l’adjoint de Dar Véter. De taille moyenne, vif, le nez aquilin, il séduisait par le regard attentif de ses yeux de jais. Le nouveau venu caressa son crâne dégarni.

— Je suis Junius Ante, déclara-t-il d’une voix aiguë, s’adressant sans doute à Mven Mas. L’Africain salua avec respect. Les préposés à la mnémotechnie étaient d’une haute érudition. C’étaient eux qui choisissaient les communications pour les perpétuer dans les machines, les diriger sur les lignes d’information générale ou dans les palais de créativité.

— Encore un brévien, grogna Junius Ante en serrant la main de sa nouvelle connaissance.

— Comment ? demanda Mven Mas, interdit.

— Un terme de mon invention, dérivé du latin. C’est ainsi que j’appelle les gens dont la vie est brève, travailleurs des stations externes, pilotes de la navigation interstellaire, techniciens des usines de moteurs astronautiques … Et nous autres. Nous vivons à peine la moitié de l’existence normale. En revanche, la besogne est intéressante ! Où est Véda ?

— Elle voulait venir un peu plus tôt …, commença Dar Véter, mais sa voix fut couverte par des accords musicaux alarmants, qui avaient suivi un déclic sonore au cadran de la montre sidérale.

— Avertissement pour toute la Terre, les centrales énergétiques, les usines, le réseau des transports et les stations de radio. Dans une demi-heure, il faut cesser la distribution d’énergie et l’amasser dans les condensateurs en quantité suffisante, pour percer l’atmosphère par le canal de radiation dirigée. L’émission prendra 43 % de l’énergie terrestre. La réception, rien que pour l’entretien du canal 8 %, expliqua Dar Véter.

— C’est bien ce que je pensais, dit Mven Mas en approuvant de la tête. Soudain son regard concentré brilla d’admiration. Dar Véter se retourna. Véda Kong, entrée sans qu’on l’eût aperçue, se tenait contre une colonne lumineuse. Elle avait mis ses plus beaux atours, dont la coupe plusieurs fois millénaire datait de la civilisation crétoise. Le lourd chignon de cheveux cendrés, relevés sur la nuque, ne pesait guère au cou robuste et élancé. Les épaules satinées étaient nues, un corsage très échancré, en tissu d’or, soutenait la poitrine. Une jupe large et courte, brodée de fleurs bleues sur fond d’argent, découvrait des jambes hâlées et des pieds chaussés de souliers cerise. Des pierres fines de même couleur, saphir de Vénus, serties dans une chaîne d’or, scintillaient sur la peau délicate et s’harmonisaient avec les joues et les oreilles roses d’émoi.

Mven Mas, qui n’avait jamais vu une savante historienne, l’examinait d’un air extasié.

Véda leva sur Dar Véter des yeux inquiets.

— Très bien, répondit-il à sa question muette.

— J’ai souvent parlé en public, mais pas de cette manière, dit-elle.

— Le Conseil est fidèle à la tradition. Ce sont toujours les jolies femmes qui diffusent les informations interplanétaires. Cela donne une idée du sentiment esthétique des Terriens et en dit long, en général, continua Dar Véter.

— Le Conseil ne s’est pas trompé dans son choix ! s’écria Mven Mas.

Véda lui adressa un regard pénétrant.

— Vous êtes célibataire ? demanda-t-elle à voix basse, et comme il faisait « oui » de la tête, elle se mit à rire.

— Vous vouliez me parler, dit-elle, tournée vers Dar Véter.

Ils sortirent sur la grande terrasse annulaire, où Véda exposa avec délices son visage à la brise marine.

Le directeur des stations externes lui confia son désir de participer aux fouilles : il hésitait entre la 38e expédition astrale, les gisements sous-marins antarctiques et l’archéologie.

— Non, non, pas d’expédition astrale ! se récria-t-elle, et Dar Véter sentit son manque de tact. Tout à ses préoccupations, il avait, sans le vouloir, touché le point sensible de l’âme de Véda.

La mélodie des accords inquiétants, parvenue de la salle, le tira d’embarras.

— Il est temps, on branche sur l’Anneau dans une demi-heure ! Dar Véter prit délicatement Véda Kong par le bras. Tout le monde descendit par l’escalier roulant dans une salle souterraine, taillée dans le roc.

Partout des appareils. Les parois mates, qui semblaient tendues de velours noir, étaient sillonnées de lignes de cristal. Des lueurs dorées, vertes, bleues et orange éclairaient faiblement les colonnes graduées, les signes et les chiffres. Les pointes émeraude des aiguilles tremblotaient sur les arcs sombres, comme si ces larges murs se trouvaient dans une attente fébrile.

Plusieurs fauteuils, une grande table d’ébène engagée dans un écran hémisphérique aux reflets irisés, que cerclait un cadre d’or massif.

Véda Kong et Mven Mas, qui voyaient pour la première fois un observatoire des stations externes, étaient tous yeux.

Dar Véter appela du geste son successeur et désigna aux autres les hauts fauteuils noirs. L’Africain s’avança sur la pointe des pieds, comme marchaient jadis ses ancêtres en chassant le fauve dans la savane brûlée de soleil. Il retenait son souffle. Là, dans ce caveau peu accessible, s’ouvrirait tout à l’heure une fenêtre sur l’immensité du Cosmos, et les hommes se relieraient par la pensée et le savoir à leurs congénères des autres mondes. Ce petit groupe de cinq personnes représentait à ce moment l’humanité devant l’Univers. Et à partir de demain, lui, Mven Mas, dirigerait ce système et commanderait tous les leviers de cette force grandiose. Un frisson lui parcourut le dos. Il venait de comprendre tout le poids de la responsabilité qu’il assumait en acceptant le poste offert par le Conseil. Et quand il vit l’ancien directeur s’occuper sans hâte du réglage, son regard exprima un enthousiasme pareil à celui qui brillait dans les yeux du jeune adjoint de Dar Véter.

Il y eut un son grave, inquiétant, comme si on faisait vibrer du cuivre massif. Dar Véter se tourna aussitôt et déplaça un long levier. Le son cessa, un panneau étroit du mur de droite s’éclaira sur toute sa hauteur. Le mur semblait avoir disparu dans l’infini, cédant la place aux contours vagues d’une montagne tronconique, coiffée d’un énorme disque de pierre. Au-dessous de ce vaste couronnement de lave solidifiée, on apercevait çà et là des plaques de neige éblouissante.

Mven Mas reconnut le Kenya, l’un des plus hauts sommets de l’Afrique.

Un autre coup de gong ébranla le caveau, mettant les gens sur le qui-vive.

Dar Véter prit la main de Mven Mas et la posa sur une manette ronde où luisait un œil grenat. Mven Mas la poussa docilement à bloc. Toute la force de la Terre, toute l’énergie des mille sept cent soixante usines électriques se trouvait maintenant concentrée sur l’équateur, sur cette montagne de cinq kilomètres d’altitude. Une auréole multicolore ceignit son sommet, se ramassa en boule et fila subitement en l’air, tel un javelot perçant verticalement les profondeurs du ciel. Une mince colonne ressemblait à une trombe. Une fumerolle bleue, d’une clarté intense, s’y enroulait en spirale.

L’émanation dirigée à travers l’atmosphère terrestre formait pour l’émission et l’écoute des stations externes un canal qui tenait lieu de fil. Là-haut, à trente-six mille kilomètres de la Terre, il y avait un satellite journalier, grande station qui faisait le tour de la planète en une journée, dans le plan de l’équateur, et semblait par conséquent suspendu au-dessus du Kenya, en Afrique Orientale, point de communication permanente avec les stations externes. Un autre satellite, qui évoluait à cinquante-sept mille kilomètres, parallèlement au 90e méridien, communiquait avec l’observatoire émetteur et récepteur du Tibet. L’ambiance y était plus favorable à la formation du canal conducteur, mais il n’y avait pas de contact permanent. Ces deux grands satellites étaient reliés à plusieurs autres stations automatiques disposées autour de la Terre.

Le panneau de droite s’éteignit : le canal était branché sur le poste de réception du satellite. L’écran irisé, encadré d’or, s’éclaira à son tour. Au centre, une figure curieusement agrandie parut, se précisa, sourit de sa bouche énorme. Gour Gan, observateur du satellite journalier, avait l’air ici d’un géant des contes de fées. Il salua gaiement de la tête et, tendant son bras de trois mètres de long, brancha le réseau des stations externes de notre planète, qui fut incorporé dans un circuit unique par la force envoyée de la Terre. Les yeux sensibles des récepteurs se dirigèrent dans tous les sens de l’Univers. Gour Gan se mit en liaison avec le système planétaire d’une étoile pourpre de la Licorne, qui avait lancé récemment un appel et qui était plus facile à fixer depuis le satellite 57. Le contact entre la Terre et un autre corps céleste ne pouvait durer que trois quarts d’heure. Il n’y avait donc pas une minute à perdre.

Sur un signe de Dar Véter, Véda Kong vint se placer devant l’écran, sur un disque de métal bleuté. Des rayons invisibles qui tombaient en cascade puissante approfondissaient la nuance bronzée de sa peau. Les machines électroniques, qui traduisaient les paroles de Véda en langage du Grand Anneau, se mirent en marche silencieusement. Dans treize ans, les récepteurs des planètes de l’astre rouge enregistreraient l’émission par des symboles universels que les machines à traduire — s’il y en avait là-bas un langage — reconvertiraient en paroles.

« Dommage que nos auditeurs lointains ne puissent entendre la voix mélodieuse de la femme terrestre, songea Dar Véter, ni apprécier ses intonations … Qui sait comment sont faites leurs oreilles … L’ouïe peut être de types si différents ! Seule la vue, toujours desservie par les ondes électromagnétiques qui pénètrent l’atmosphère, est presque la même partout ; ils verront donc l’adorable Véda palpitante d’émotion … »

Dar Véter écouta la conférence sans quitter des yeux la petite oreille de Véda, à demi cachée sous une mèche de cheveux.

Véda évoquait en termes laconiques les principaux jalons de l’histoire ; elle parlait des temps anciens où l’humanité vivait déchirée par des antagonismes économiques et idéologiques, et qu’on groupait sous le nom général d’EMD : Ère du Monde Désuni. Mais ce n’était pas l’énumération des guerres destructrices, des horribles souffrances ou des prétendus grands chefs d’État qui importait aux hommes de l’ère du Grand Anneau. Ils s’intéressaient bien plus au développement des forces productrices, à la formation des idées, des arts, des sciences, à la lutte spirituelle pour l’homme et l’humanité véritables, à l’évolution du besoin de créer, à la naissance des nouvelles conceptions du monde et des rapports sociaux, des devoirs, des droits et du bonheur, qui avaient fait croître et prospérer sur toute la planète le puissant arbre de la société communiste.

Au dernier siècle de l’EMD, surnommé le siècle de la Scission, les hommes avaient fini par comprendre que tous leurs malheurs provenaient d’un régime social datant des époques barbares, et que la force et l’avenir de l’humanité étaient dans le travail, dans les efforts conjugués de millions d’hommes libérés de l’oppression, dans la science et la réorganisation scientifique de la vie. On avait compris les lois essentielles de l’évolution sociale, le cours dialectiquement contradictoire de l’histoire, la nécessité d’une discipline stricte, d’autant plus importante que la population de la planète devenait plus nombreuse.

La lutte entre les idées anciennes et nouvelles s’intensifia au siècle de la Scission et aboutit au partage du monde en deux camps. La découverte des premières formes d’énergie atomique et l’obstination des partisans de l’ancien régime faillirent provoquer une terrible catastrophe.

Mais le régime nouveau devait forcément remporter la victoire, qui fut cependant retardée par les difficultés d’éducation. La réorganisation du monde suivant les principes communistes était impossible sans la suppression de la misère, de la famine et d’un labeur épuisant. Et pour transformer l’économie, il fallait une gestion très complexe de la production et de la répartition, qu’on ne pouvait assurer qu’en développant la conscience sociale de chaque individu.

Le communisme ne s’étendit pas d’emblée à tous les peuples, à tous les États. L’extirpation de la haine et surtout des mensonges accumulés par la propagande hostile, au cours de la lutte idéologique, exigea des efforts immenses. Nombre d’erreurs furent commises dans l’évolution des nouveaux rapports humains. Il y eut des révoltes provoquées par des éléments arriérés qui, par ignorance, espéraient trouver dans la résurrection du passé la solution des problèmes qui se posaient à l’humanité.

Mais le régime nouveau se propageait inéluctablement sur la Terre, et les races les plus différentes constituèrent une seule famille unie et sage.

Tel fut le début de l’EU, Ère de l’Unification, comprenant les siècles de l’Union des Pays, des Langues Hétérogènes, de la Lutte pour l’Énergie, de la Constitution d’une Langue Commune.

L’évolution sociale allait en s’accélérant, chaque époque passait plus vite que la précédente. Le pouvoir de l’homme sur la nature progressait à pas de géant.

Les anciens utopistes rêvaient d’un monde graduellement affranchi du travail. Les écrivains prédisaient qu’une besogne de deux à trois heures par jour donnerait à l’homme le moyen de se livrer le reste du temps à une oisiveté béate.

Ces fictions provenaient du dégoût pour le labeur pénible et forcé d’autrefois.

Mais bientôt les hommes réalisèrent que le travail c’était le bonheur, de même que la lutte incessante contre la nature, les obstacles à surmonter — la contribution incessante au développement de la science et de l’économie. Le travail à plein rendement, mais un travail créateur, correspondant aux aptitudes et aux goûts innés, multiforme et diversifié de temps à autre, voilà ce qu’il fallait à l’homme. Le développement de la cybernétique, science de l’autorégulation, une instruction poussée, une haute intellectualité, une bonne éducation physique de l’individu permirent aux gens de changer de spécialité, d’apprendre rapidement d’autres professions et de varier à l’infini leur activité laborieuse, en y trouvant de plus en plus de satisfaction. La science, dans son expansion croissante, embrassa toute la vie humaine, et la joie de percer les mystères de la nature devint accessible à une multitude de personnes. L’art assuma un rôle de premier ordre dans l’éducation sociale. Ce fut l’avènement de l’ETG, l’Ère du Travail Général, la plus magnifique de l’histoire de l’humanité, comprenant les siècles de la Simplification des Choses, de la Réorganisation, de la Première Abondance et du Cosmos.

La condensation de l’électricité, qui aboutit à la création d’accumulateurs de grande capacité et de moteurs électriques de dimensions réduites, révolutionna la technique des temps modernes ! On avait réussi antérieurement, au moyen de semi-conducteurs, à tisser des réseaux complexes de courants de basse tension et à construire des automates. La technique amenée à la finesse et à la précision de la joaillerie asservit les puissances de grandeur cosmique.

Mais la nécessité de satisfaire chacun au maximum fit simplifier considérablement la vie domestique. L’homme cessa d’être l’esclave des objets, l’élaboration de standards détaillés permit de créer n’importe quels articles et mécanismes avec un nombre minime d’éléments, de même que les multiples espèces d’organismes vivants sont constituées par des cellules peu variées, la cellule par les albumines, les albumines par les protéides, etc. Le gaspillage de la nourriture était jadis si fantastique qu’on put économiser dessus sans nuire à la santé d’une population accrue de plusieurs milliards d’habitants.

Les forces dépensées pour la fabrication des engins de guerre, pour l’entretien d’armées nombreuses qui ne faisaient aucun travail utile, pour la propagande politique et le trompe-l’œil, servirent à organiser la vie et à développer les sciences …

Sur un signe de Véda Kong, Dar Véter appuya sur un bouton, et un globe terrestre apparut près de la jolie conférencière.

— Nous avons commencé, poursuivit-elle, par modifier complètement la répartition des zones habitables et industrielles de la planète …

Les bandes brunes du globe, qui longent les trentièmes degrés de latitude nord et sud, présentent une suite ininterrompue de localités urbaines, situées au bord des mers dans les régions au climat doux. On ne prodigue plus l’énergie à chauffer les demeures pendant l’hiver et à confectionner des vêtements lourds. La population la plus dense est concentrée sur le littoral méditerranéen, berceau de la civilisation. La largeur de la zone subtropicale a triplé depuis la fonte artificielle des glaces polaires.

Au nord de cette zone, s’étendent de vastes régions de prairies et de steppes où pâturent d’innombrables troupeaux. La production des aliments végétaux et du bois a été concentrée dans les tropiques où elle est infiniment plus avantageuse que dans les régions froides. Il y a longtemps déjà que la synthèse des hydrates de carbone, sucres obtenus à partir de la lumière solaire et de l’acide carbonique, a dispensé l’agriculture de nous fournir toutes les denrées alimentaires, comme elle le faisait dans le temps. La fabrication des sucres, des graisses et des vitamines est pratiquement illimitée. Rien que pour l’extraction des albumines, il y a de vastes champs de plantes terrestres et d’algues. L’humanité est débarrassée à jamais de la peur de la famine, qui avait régné sur le monde durant des dizaines de millénaires.

L’une des plus grandes joies de l’homme, c’est le goût des voyages, hérité de nos ancêtres chasseurs, qui pérégrinaient en quête de leur maigre pitance. De nos jours, la planète est ceinte de la Voie Spirale, qui relie par des ponts immenses tous les continents.

Véda indiqua du doigt une ligne d’argent et tourna le globe :

— Elle est parcourue sans cesse par les trains électriques, et des centaines de milliers de gens peuvent passer très rapidement de la zone habitable dans les régions steppiques, champêtres, montagneuses, forestières.

L’organisation planifiée de la vie a mis fin à la terrible course de vitesse, à la fabrication de moyens de transport de plus en plus rapides. Les trains de la Voie Spirale font deux cents kilomètres à l’heure, les véhicules des ramifications latérales, encore moins. On n’utilise que rarement les aéronefs express qui franchissent en une heure des milliers de kilomètres.

Il y a quelques centaines d’années, nous avons sensiblement amélioré l’aspect de notre planète. Dès le siècle de la Scission, on a découvert l’énergie atomique et appris à en dégager une part infime pour la transformer en chaleur, avec radiations résiduelles nocives. Le danger qu’elle présentait pour la vie de la planète se fit bientôt sentir et imposa des limites étroites à l’ancienne énergétique nucléaire. Presque en même temps, les astronomes découvrirent par l’étude de la physique des étoiles lointaines, deux nouvelles méthodes pour obtenir de l’énergie atomique, KU et EF, beaucoup plus efficaces et ne laissant aucun produit dangereux de désintégration.

Nous employons toujours ces deux méthodes, mais pour les moteurs des astronefs on utilise une forme d’énergie nucléaire différente, anamésonique, qu’on a connue en observant les grandes étoiles de la Galaxie par le Grand Anneau.

Tous les anciens stocks de matières nucléaires, isotopes radioactifs de l’uranium, du thorium, de l’hydrogène, du cobalt, du lithium, furent détruits dès qu’on eut trouvé le moyen d’expulser les produits de leur désintégration hors de l’atmosphère terrestre.

Au siècle de la Réorganisation, on fit des soleils artificiels « suspendus » au-dessus des régions polaires. En réduisant les champs de glace qui s’étaient constitués aux pôles à l’époque quaternaire, nous avons transformé le climat de la planète. Le niveau des océans s’est élevé de sept mètres, les fronts polaires ont nettement diminué dans la circulation atmosphérique, les alizés qui desséchaient les déserts en bordure des tropiques se sont affaiblis. Les ouragans et les autres troubles météoriques violents ont presque entièrement cessé.

Les steppes chaudes ont atteint les soixantièmes parallèles, tandis que les prés et les bois de la zone tempérée ont franchi 70° de latitude.

L’Antarctide aux trois quarts libérée des glaces est devenue le trésor minier de l’humanité : elle avait gardé intactes les richesses du sous-sol, très appauvries ailleurs par suite de la dispersion insensée des métaux dans les guerres mondiales. C’est l’Antarctide qui permit d’aménager la Voie Spirale.

Dès avant la transformation des climats, on avait creusé d’immenses canaux et fendu les chaînes de montagnes pour équilibrer la circulation des eaux et de l’air. Des pompes diélectriques perpétuelles 0nt assuré l’irrigation des terres, y compris les hauts plateaux désertiques de l’Asie.

Les possibilités de l’industrie alimentaire se sont multipliées, de nouveaux territoires ont été rendus habitables.

Les anciens vaisseaux planétaires, si dangereux et fragiles qu’ils fussent, ont néanmoins ouvert l’accès des plus proches planètes de notre système. Une ceinture de satellites artificiels, d’où les hommes ont étudié de près le Cosmos, a entouré la Terre. Là-dessus, il y a quatre cent huit ans, est arrivé un événement qui a inauguré une ère nouvelle dans l’existence de l’humanité, l’Ère du Grand Anneau, ou EGA.

La pensée humaine s’évertuait depuis longtemps à transmettre à distance les images, les sons, l’énergie. Des centaines de milliers de savants émérites travaillaient dans une organisation appelée jusqu’ici l’Académie des Émissions Dirigées. Quand ils réussirent à transmettre l’énergie au loin sans conducteurs, en contournant la loi selon laquelle le flux d’énergie est proportionnel au sinus de l’angle d’écartement des rayons, les faisceaux de radiations parallèles permirent de communiquer en permanence avec les satellites artificiels et, de ce fait, avec tout l’Univers. Dès la fin de l’Ère du Monde Désuni, nos savants avaient établi que de puissantes émanations radioactives se déversaient du Cosmos sur la Terre. Ces flux provenant des constellations et des galaxies nous apportaient des appels et des messages du Cosmos par le Grand Anneau. Sans les comprendre encore, on avait appris à capter ces signaux mystérieux qu’on prenait pour des radiations naturelles.

Le savant Kam Amat, d’origine indienne, eut l’idée de faire sur les satellites artificiels des expériences avec les récepteurs d’images, essayant, durant des dizaines d’années, différentes combinaisons de diapasons.

Kam Amat capta une émission du système planétaire d’une étoile double nommée le 61 du Cygne. Un être qui ne ressemblait pas aux terriens, mais un homme assurément, apparut sur l’écran et montra une inscription en symboles du Grand Anneau. On ne réussit à la lire que quatre-vingt-dix ans plus tard. Elle orne aujourd’hui, traduite en notre langue, le monument à Kam Amat : « Salut frères entrés dans notre famille. Séparés par l’espacé et le temps, nous voilà unis par l’Anneau de la Grande Force. »

Le langage des symboles, des épures et des cartes du Grand Anneau s’est révélé facile à comprendre au niveau actuel de l’évolution humaine. Au bout de deux cents ans, nous pouvions converser, à l’aide de machines à traduire, avec les systèmes planétaires des étoiles les plus proches, prendre et émettre des scènes de la vie si diverse des mondes. Nous avons reçu dernièrement la réponse de quatorze planètes de Deneb, important centre de vie du Cygne, astre géant, 4 800 fois plus lumineux que notre soleil et situé à 122 parsecs. La pensée s’y développait d’une autre manière, mais elle a également atteint un niveau élevé.

Quant aux mondes anciens — les amas sphériques de notre Galaxie et la vaste région habitée qui entoure son centre —, ils nous envoient des tableaux et des signes étranges, qu’on n’a pas encore déchiffrés. Enregistrés par les machines mnémotechniques, ils sont transmis à l’Académie des Limites du Savoir, organisation qui étudie les problèmes naissants de notre science. Nous nous efforçons de comprendre cette pensée qui dépasse la nôtre de plusieurs millions d’années et s’en distingue nettement, la vie ayant suivi là-bas de toutes autres voies d’évolution.

Véda Kong se détourna de l’écran qu’elle avait fixé d’un regard hypnotisé et leva sur Dar Véter des yeux interrogateurs. Il lui sourit et fit un geste d’approbation. Elle redressa fièrement la tête, tendit les bras et s’adressa au public invisible et inconnu, qui percevrait dans treize ans ses paroles et son image :

— Tel est notre passé, l’ascension difficile, longue et complexe des sommets du savoir. Frères nouveaux, fusionnez avec nous dans le Grand Anneau pour répandre dans l’Univers infini la puissance de la raison !

La voix de Véda vibra, triomphante, comme si elle avait absorbé la force de toutes les générations terriennes assez évoluées aujourd’hui pour porter leurs desseins au-delà de la Galaxie, vers d’autres îles astrales du Cosmos …

Un son cuivré retentit : c’était Dar Véter qui avait débranché d’un tour de manette l’émission. L’écran s’éteignit. Sur le panneau translucide, il ne restait plus que la colonne lumineuse du canal conducteur.

Véda, lasse et silencieuse, se pelotonna au fond d’un grand fauteuil. Dar Véter fit asseoir Mven Mas au pupitre de commande et se pencha sur son épaule. On entendait dans le silence le bruit presque imperceptible des déclics.

L’écran au cadre d’or disparut soudain, découvrant une profondeur inouïe. Véda Kong, qui voyait pour la première fois cette merveille, poussa un grand soupir. Même les gens initiés au secret de l’interférence complexe des ondes lumineuses, qui donnait cette ampleur de perspective, trouvaient toujours le spectacle étonnant.

La surface sombre d’une planète étrangère approchait, grandissant à vue d’œil. C’était un système rare d’étoile double, où deux soleils s’équilibraient de façon à doter leur planète d’une orbite régulière et à y rendre la vie possible. Les deux astres, l’un orange, l’autre écarlate, plus petits que le nôtre, éclairaient d’une lueur rougeâtre les glaces d’une mer gelée. Au bord d’un plateau noir, un large édifice s’étalait dans d’étranges reflets violets. Le rayon visuel, dirigé sur une terrasse de sa toiture, semblait la transpercer, et tout le monde vit un homme à peau grise, aux yeux ronds comme ceux d’une chouette et cernés d’un duvet argenté. Il était de haute taille, mais très mince, avec de longs membres pareils à des tentacules. Après un hochement de tête grotesque, qui ressemblait à un salut précipité, il fixa sur l’écran ses yeux impassibles comme des objectifs et ouvrit une bouche sans lèvres, recouverte d’un clapet de peau molle, en forme de nez. Aussitôt, la voix mélodieuse de la machine à traduire se fit entendre.

— Zaf Ftète, préposé aux informations extérieures du 61 du Cygne. Nous transmettons aujourd’hui pour l’étoile jaune STL 3388+04KF … Nous transmettons …

Dar Véter et Junius Ante échangèrent un regard, Mven Mas serra le poignet de Dar Véter. C’étaient les appels sidéraux de la Terre, ou, plus exactement, de notre système planétaire considéré jadis par les observateurs des autres mondes comme un seul grand satellite qui faisait le tour du Soleil en 59 ans. C’est au cours de cette période que se produit l’opposition de Jupiter et de Saturne, qui déplace le Soleil visiblement pour les astronomes des étoiles voisines. La même erreur était commise par nos astronomes à l’égard de nombreux systèmes planétaires dont la présence autour de certaines étoiles avait été décelée aux temps anciens.

Junius Ante vérifia plus hâtivement qu’au début de l’émission le réglage de la machine à traduire et les indications des appareils ŒS qui veillaient à son fonctionnement.

La voix impassible de l’interprète électronique continuait :

— Nous avons pris l’émission de l’étoile … — nouvelle série de chiffres et de sons saccadés — par hasard, entre les émissions du Grand Anneau. Ils n’ont pas déchiffré le langage de l’Anneau et dépensent en vain l’énergie en lançant leurs messages pendant les heures de silence. Nous leur répondons selon l’horaire de leurs émissions à eux ; les résultats seront connus dans trois dixièmes de seconde …

La voix se tut. Les appareils de signalisation restaient allumés, sauf l’œil vert.

— On ignore jusqu’ici les causes de ces interruptions, peut-être est-ce le fameux champ neutre des astronautes qui passe entre nous, expliqua Junius Ante à Véda.

— Trois dixièmes de seconde galactique, cela fait près de six cents ans à attendre, grommela Dar Véter. Pour quoi faire, je me le demande ?

— Si j’ai bien compris, l’étoile qu’ils ont contactée est Epsilon du Toucan, constellation du ciel austral, intervint Mven Mas. Elle est située à quatre-vingt-dix parsecs, ce qui est presque la limite de nos contacts permanents. Nous ne les avons pas encore établis au-delà de Deneb.

— Ne prenons-nous pas le centre de la Galaxie et les amas sphériques ? demanda Véda Kong.

— Oui, mais irrégulièrement, par captage fortuit 0u par l’intermédiaire des machines mnémotechniques des autres membres de l’Anneau, qui s’échelonnent à travers la Galaxie, répondit Mven Mas.

— Les messages envoyés il y a des milliers, voire des dizaines de milliers d’années, ne se perdent pas dans l’espace et finissent par nous parvenir, ajouta Junius Ante.

— Par conséquent, nous jugeons de la vie et des connaissances des mondes lointains avec un retard qui, pour le centre de la Galaxie, par exemple, est de vingt mille ans ?

— Oui, que les données soient transmises par les machines mnémotechniques des mondes proches ou captées par nos stations, les mondes lointains nous apparaissent tels qu’ils étaient dans un passé très reculé. Nous voyons des hommes morts et oubliés depuis longtemps sur leur planète …

— Sommes-nous donc si impuissants, nous, les maîtres de la nature ? ! protesta Véda avec une indignation puérile. Ne pourrait-on pas atteindre les mondes lointains autrement que par le rayon ondulatoire ou photonique[13] ?

— Comme je vous comprends, Véda ! s’écria Mven Mas.

— L’Académie des Limites du Savoir étudie les possibilités de vaincre l’espace, le temps, l’attraction, fit observer Dar Véter, mais ils n’en sont pas encore aux expériences et n’ont pas pu …

L’œil vert se ralluma tout à coup, et Véda eut de nouveau le vertige en voyant l’écran s’enfoncer dans le gouffre cosmique.

Les contours nets de l’image témoignaient que c’était un enregistrement de machine mnémotechnique et non un captage direct.

On aperçut d’abord la surface d’une planète vue naturellement d’une station externe placée sur un satellite artificiel. Un soleil immense, mauve pâle, d’une intensité qui le faisait paraître irréel, inondait de ses rayons pénétrants les nuages bleus de l’atmosphère.

— C’est bien l’étoile Epsilon du Toucan, classe C9, d’une température très élevée et 78 fois plus lumineuse que nos soleils, chuchota Mven Mas.

Dar Véter et Junius Ante firent un signe affirmatif.

La vue se modifia, parut se rétrécir et descendre au ras du sol du monde inconnu.

De hautes montagnes, qui semblaient moulées en terre, profilaient sur le ciel leurs dômes cuivrés. Une roche ou un métal inconnu, de structure granulée, scintillait à la lumière éclatante du soleil bleuté. Bien que la transmission fût imparfaite, le tableau était d’une splendeur solennelle, triomphante.

Les rayons réfléchis faisaient aux monts cuivrés un nimbe rose qui se mirait en un large ruban dans les flots calmes d’une mer voilette. L’eau couleur d’améthyste semblait lourde et imprégnée d’étincelles rouges qui clignotaient comme des essaims de petits yeux vivants. Les vagues léchaient le soubassement massif d’une statue géante, en pierre rouge sombre, dressée loin du rivage dans une solitude orgueilleuse. C’était une figure de femme qui renversait la tête et tendait les bras dans une attitude d’extase vers la voûte ardente du ciel. Elle aurait pu être la fille de la Terre : sa ressemblance avec les Terriens était non moins frappante que la beauté de la sculpture. Son corps, tel le rêve incarné d’un artiste de la Terre, alliait la puissance à la spiritualité de ses moindres lignes. La pierre polie dégageait une flamme de vie mystérieuse et fascinante.

Les cinq spectateurs terrestres contemplaient en silence ce monde surprenant. Mven Mas exhala un long soupir : du premier coup d’œil jeté sur la statue, ses nerfs s’étaient tendus dans une attente joyeuse.

En face du monument, sur la côte, des tours d’argent ajourées marquaient le départ d’un large escalier blanc qui s’élançait librement par-dessus le bois d’arbres sveltes, au feuillage d’azur.

— Elles doivent sonner ! chuchota Dar Véter à l’oreille de Véda, en montrant les tours. Elle acquiesça.

L’appareil visuel de la nouvelle planète s’enfonçait toujours, en un mouvement continu et silencieux.

On entrevit des murs blancs, à ressauts, percés d’un portail en pierre bleue, et l’écran se déploya dans une haute salle inondée de lumière. La teinte nacrée des parois sillonnées de rainures prêtait à toutes choses une netteté particulière. L’attention des Terriens fut attirée par un groupe de gens debout devant un panneau vert émeraude.

Le rouge feu de leur peau correspondait à la nuance de la statue. Il n’avait rien d’étonnant pour les habitants de la Terre, car certaines tribus d’indiens de l’Amérique centrale, d’après les chromophotographies conservées depuis l’antiquité, avaient une couleur d’épiderme à peine moins vive.

Il y avait là deux femmes et deux hommes. Les deux couples portaient des habits différents. Ceux qui étaient plus près du panneau vert avaient des vêtements courts, sorte d’élégantes combinaisons dorées, à plusieurs fermetures. Les deux autres étaient enveloppés des pieds à la tête de manteaux identiques, de la même nuance nacrée que les murs.

Les deux premiers touchaient, avec des mouvements plastiques, des cordes tendues en biais au bord gauche du panneau. La paroi d’émeraude polie ou de verre devenait diaphane. Au rythme de leurs gestes, des images nettes se succédaient dans le cristal. Elles changeaient si vite que même les yeux exercés de Junius Ante et de Dar Véter avaient de la peine à en saisir le sens.

Dans cette alternance de montagnes cuivrées, d’océans violets et de forêts d’azur, on devinait l’histoire de la planète. Des animaux et des plantes parfois monstrueux, parfois superbes, défilaient, spectres du passé. Beaucoup d’entre eux ressemblaient à ceux dont les vestiges s’étaient conservés dans les strates de l’écorce terrestre. La longue échelle des formes de la vie attestait une évolution qui paraissait aux habitants de la Terre plus ardue, plus tourmentée que leur propre généalogie.

De nouveaux tableaux surgissaient dans la clarté fantomatique de l’appareil : des entassements de rochers dans les plaines, des combats avec des bêtes féroces, des cérémonies funèbres et religieuses. Une silhouette d’homme drapé dans une fourrure bigarrée occupa toute la hauteur de l’écran. Appuyé d’une main sur un javelot et levant l’autre vers les étoiles d’un geste large, il avait posé un pied sur le cou d’un monstre terrassé, à la crinière de poils rudes et aux longs crocs. À l’arrière-plan, il y avait une rangée de femmes et d’hommes qui se tenaient les mains deux par deux et semblaient chanter.

Les visions disparurent, cédant la place à la paroi de pierre sombre et polie.

Alors, les deux êtres vêtus d’or s’écartèrent à droite et l’autre couple s’avança. Les manteaux furent jetés bas d’un geste rapide et les corps rouges flamboyèrent sur le fond irisé des murs. L’homme tendit les bras à sa compagne, elle lui répondit par un sourire si fier et si rayonnant que les Terriens ne purent s’empêcher de sourire. Là-bas, dans la salle nacrée du monde lointain, une danse lente commençait. C’était moins une danse que des poses rythmiques, destinées sans doute à montrer la beauté et la souplesse des corps. Cependant, on devinait dans la succession cadencée des gestes une musique solennelle et triste, tel le souvenir de la grande cohorte des victimes de l’évolution qui avait abouti à cette forme admirable de l’être pensant : l’homme.

Mven Mas croyait entendre la mélodie, gerbe de notes hautes et pures, soutenue par le rythme régulier des sons graves. Véda Kong pressa la main de Dar Véter qui n’y fit aucune attention. Junius Ante regardait, immobile, sans un souffle, tandis que de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front dégagé.

Les hommes du Toucan ressemblaient tellement à ceux de la Terre qu’on perdait peu à peu l’impression d’un autre monde. Mais les hommes rouges étaient d’une beauté accomplie qu’on rencontrait rarement sur la Terre, où elle vivait dans les rêves et les œuvres des artistes et s’incarnait dans un petit nombre d’individus.

« Plus la voie de l’évolution animale jusqu’à l’être pensant était longue et pénible, plus les formes supérieures de la vie sont parfaites et par conséquent plus belles, songeait Dar Véter. Les Terriens ont compris depuis longtemps que la beauté est l’expression d’une structure logique, bien adaptée à sa destination. Plus la destination est variée, plus la forme est belle : ces hommes rouges doivent être plus intelligents et plus habiles que nous … Il se peut que leur civilisation tienne du développement de l’homme lui-même, de sa puissance physique et spirituelle, plus que du progrès technique. Même à l’avènement de la société communiste, notre culture restait essentiellement technique, et c’est seulement depuis l’Ère du Travail Général qu’elle s’applique à perfectionner l’homme et non seulement ses machines, ses maisons, sa nourriture et ses divertissements … »

La danse avait cessé. La jeune « Peau-Rouge » s’avança au milieu de la salle, et le rayon visuel de l’appareil se concentra sur elle. Ses bras ouverts et son visage étaient levés.

Les yeux des Terriens suivirent machinalement son regard … La salle n’avait pas de plafond, à moins que ce ne fût un ingénieux simulacre de ciel semé d’étoiles brillantes. Les constellations étrangères n’évoquaient aucune association connue. La jeune fille agita la main gauche, et une bille bleue apparut au bout de son index. Un rayon d’argent en jaillit, tenant lieu de baguette. Le rond de lumière à son extrémité s’arrêtait sur telle ou telle étoile du plafond. Aussitôt le panneau émeraude montrait une image immobile, à grande échelle. Le rayon indicateur se déplaçait lentement, faisant surgir à la même cadence les vues des planètes désertes ou peuplées. Les étendues pierreuses ou sablonneuses brillaient d’un éclat lugubre sous les soleils rouges, bleus, violets, jaunes. Parfois, les rayons d’un astre bizarre, plombé, animaient sur ses planètes des dômes aplatis et des spirales suturées d’électricité, qui nageaient comme des méduses dans une atmosphère épaisse ou un océan orange. Dans un monde au soleil rouge, croissaient des arbres géants, à l’écorce noire et luisante, qui brandissaient d’un air désespéré des milliards de branches torses. D’autres planètes étaient complètement submergées par une mer sombre. D’énormes fies vivantes, animales ou végétales, flottaient partout, remuant dans les eaux calmes leurs innombrables tentacules velus …

— Dans leur voisinage, il n’existe pas de planètes à formes biologiques supérieures, dit soudain Junius Ante, qui ne quittait pas des yeux la carte du ciel inconnu.

— Mais si, répliqua Dar Véter. Par là, ils ont un système stellaire plat, de formation récente, qui appartient à la Galaxie. Or, nous savons que les systèmes plats et sphériques, anciens et nouveaux, alternent fréquemment. En effet, voici du côté d’Éridan un système peuplé d’êtres pensants et qui fait partie de l’Anneau …

— VVR 4955+MO 3529 … etc. intervint Mven Mas, mais pourquoi n’en savent-ils rien ?

— Le système a adhéré au Grand Anneau il y a 275 ans, et cette communication est antérieure, répondit Dar Véter.

La jeune fille du monde lointain fit tomber de son doigt la bille bleue et se tourna vers les spectateurs, les bras ouverts, comme pour étreindre quelqu’un. Elle rejeta un peu la tête et les épaules, comme aurait fait une femme de la Terre dans un élan passionné. Les lèvres entrouvertes murmuraient des paroles inaudibles. Elle se figea dans cette attitude invocatoire, jetant à travers les ténèbres glacées des espaces cosmiques son ardente oraison faveur de ses frères, hommes des autres mondes. Et de nouveau sa beauté éblouissante frappa d’admiration les observateurs de la Terre. Elle n’avait pas les traits sévères et accentués des Peaux-Rouges terrestres. Son visage rond, au nez délicat, à la bouche petite et aux grands yeux bleus, largement écartés, l’apparentait plutôt à nos Nordiques. Les cheveux noirs, épais et ondulés, n’étaient pas rudes. Toutes les lignes du visage et du corps dénotaient une assurance gaie et légère, le sentiment inconscient d’une grande force.

— Alors, ils ne savent vraiment rien du Grand Anneau ? gémit presque Véda Kong en s’inclinant devant sa magnifique sœur du Cosmos.

— Ils doivent être renseignés à l’heure actuelle, repartit Dar Véter. Car enfin, ce que nous voyons là remonte à trois cents ans …

— Quatre-vingt-huit parsecs, barytonna Mven Mas, quatre-vingt-huit … Tous ceux que nous avons vus sont morts depuis longtemps. Et comme pour confirmer ses paroles, la vision merveilleuse disparut ; l’œil vert, indicateur du contact, s’éteignit. La transmission par le Grand Anneau était terminée.

Les spectateurs restèrent un moment figés. Dar Véter fut le premier à reprendre ses esprits. Mordant ses lèvres avec dépit, il se hâta de déplacer la manette grenat. Le débranchement de la colonne d’énergie dirigée s’annonça par un son cuivré qui rappelait aux ingénieurs des stations énergétiques la nécessité de répartir le flux puissant dans ses canaux habituels. Après avoir fait toutes les opérations nécessaires, le directeur des stations externes se retourna vers ses compagnons.

Junius Ante, les sourcils levés, maniait des feuillets couverts de signes.

— Il faut envoyer sans retard à l’institut du Ciel Austral l’enregistrement mnémonique de la carte représentée au plafond ! dit-il au jeune adjoint de Dar Véter. Celui-ci le regarda, ébahi, comme réveillé en sursaut.

Le grave savant dissimula un sourire : la vision n’avait-elle pas été, en effet, un beau rêve envoyé à travers l’espace trois siècles auparavant ? … Un rêve que verraient en toute netteté des milliards d’hommes sur la Terre et dans les cités de la Lune, de Mars et de Vénus.

Dar Véter sourit :

— Vous aviez raison, Mven Mas, quand vous prédisiez un événement extraordinaire. C’est la première fois, depuis huit siècles d’adhésion au Grand Anneau, que nous voyons surgir du fond de l’Univers une planète habitée par des hommes qui sont nos frères non seulement par l’esprit, mais aussi par le corps. Cette découverte me comble de joie ! Votre entrée en fonctions débute bien ! Les anciens y auraient vu un heureux présage et nos psychologues auraient dit que c’est un concours de circonstances favorable au travail ultérieur …

Dar Véter se tut à demi-mot : la réaction nerveuse l’avait rendu loquace ; or, dans l’Ère du Grand Anneau, la prolixité passait pour un des vices les plus honteux de l’homme.

— Oui, oui ! fit distraitement Mven Mas. Junius Ante qui perçut dans sa voix et dans la lenteur de ses gestes une nuance de détachement, dressa l’oreille. Véda Kong effleura du doigt la main de Dar Véter et montra l’Africain d’un signe de tête.

« Serait-il trop impressionnable ? » se demanda Dar Véter, et il regarda fixement son successeur.

Cependant Mven Mas, qui avait senti la perplexité cachée de ses compagnons, se ressaisit et redevint un spécialiste attentif. L’escalier roulant les monta vers les larges baies et le ciel étoilé, aussi lointain qu’il l’avait été au cours des trente millénaires d’existence de l’homme, ou plus exactement de son espèce dite Homo sapiens, homme sage.

Mven Mas et Dar Véter devaient rester à l’observatoire.

Véda Kong chuchota à ce dernier qu’elle n’oublierait jamais cette nuit.

— Ma propre personne m’a paru si minable ! conclut-elle dans un rayonnement qui démentait ses paroles. Dar Véter comprit ce qu’elle entendait par là et secoua la tête.

— Je suis certain, moi, que si la femme rouge vous avait vue, elle aurait été fière de sa sœur …

Ma parole, notre Terre vaut bien leur monde !

Et l’amour éclaira son visage.

— Vous êtes partial, cher ami, remarqua-t-elle, souriante. Demandez donc l’avis de Mven Mas !.. Elle mit la main sur ses yeux d’un geste badin et disparut derrière la courbe du mur …

Lorsque Mven Mas fut enfin seul, l’aube pointait. Un jour grisâtre se répandait dans l’air frais et serein, la mer et le ciel étaient d’une limpidité de cristal, argentée pour l’une, nuancée de rose pour l’autre.

L’Africain s’attardait sur le balcon à examiner les contours des bâtiments.

À quelque distance, sur un plateau assez bas, s’élevait un arc immense en aluminium, barré de neuf faisceaux de tubes, en aluminium également, dont les intervalles étaient remplis par des vitres en matières plastiques opalines et blanc d’argent. C’était le siège du Conseil d’Astronautique. Devant l’édifice, s’érigeait un monument aux premiers hommes qui avaient pénétré dans les espaces du Cosmos : un escarpement entouré de nuages et de tourbillons et surmonté d’un astronef de modèle ancien, fusée pisciforme dont la tête effilée visait les hauteurs encore inaccessibles. Autour du soubassement, s’enroulait une chaîne de personnages en métal, pilotes de fusées, physiciens, astronomes, biologistes, romanciers à l’imagination hardie, qui grimpaient au prix d’efforts surhumains en se soutenant les uns les autres … L’aurore rougissait déjà les flancs de l’astronef et les silhouettes ajourées des bâtiments, mais Mven Mas arpentait toujours le balcon à grands pas. Il n’avait jamais été si bouleversé. Éduqué selon les règles de l’Ère du Grand Anneau, il avait subi une rude trempe physique et accompli avec succès ses travaux d’Hercule. C’est ainsi qu’on appelait, en souvenir des beaux mythes de l’Hellade, les tâches difficiles exécutées par chaque jeune homme à la fin des études scolaires. S’il y réussissait bien, il était jugé digne de recevoir une instruction supérieure.

Mven Mas avait assuré le ravitaillement en eau d’une mine du Tibet occidental, restauré la forêt d’araucarias sur le plateau de Nahebt en Amérique du Sud et fait la chasse aux requins qui avaient reparu près de l’Australie. Son expérience de la vie et ses capacités remarquables lui avaient permis de consacrer des années à l’étude et de se préparer à une activité difficile et d’importance. Or, voici que dès la première heure de son nouveau travail, la rencontre d’un monde apparenté à la Terre l’avait bouleversé. Il sentait avec inquiétude s’ouvrir en lui un gouffre auprès duquel il avait marché toute sa vie sans s’en douter. Comme il souhaitait revoir la planète de l’étoile Epsilon du Toucan, ce monde qui semblait sorti des plus beaux contes de l’humanité terrestre ! Il ne pouvait oublier la jeune fille à la peau rouge, l’appel de ses bras tendus, de ses jolies lèvres entrouvertes !..

La distance infranchissable de deux cent quatre-vingt-dix années-lumière, qui le séparait du monde merveilleux, loin d’affaiblir son désir ardent, ne faisait que l’intensifier.

Dans son âme, il était né quelque chose qui vivait par soi-même, rebelle au contrôle de la volonté et de la raison. Dans son existence studieuse et presque ascétique, il n’avait pas connu l’amour et jamais éprouvé cette agitation, cette joie qui lui causait la vision parvenue aujourd’hui à travers le champ démesuré de l’espace et du temps !

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