EPILOGUE

Je suis vivant.

Assis dans la pénombre, il touchait son corps pour s’assurer d’exister encore. Rasalom avait disparu à jamais, réduit en cendres par la magie de l’épée. Après des éternités de lutte, Rasalom était vaincu.

Et pourtant, je suis toujours vivant. Pourquoi ?

Il avait basculé dans le vide et s’était écrasé sur les rochers. La lame avait volé en éclats et la garde elle-même n’était plus que de vil métal.

Malgré tout, il vivait.

A l’instant du choc, il avait senti quelque chose le quitter et avait attendu la mort.

Mais elle n’était pas venue.

Sa jambe droite lui faisait atrocement mal. Mais il pouvait voir, sentir, respirer, bouger. Entendre, aussi. Il avait perçu le bruit des pas de Magda au fond du ravin et s’était traîné vers la dalle masquant l’entrée du passage secret, à la base de la tour. Il s’y était caché et avait dû se boucher les oreilles pour ne pas céder aux cris de désespoir de Magda. Il fallait attendre, encore un peu. Pour être sûr.

Puis Magda franchit une nouvelle fois le ruisseau et s’éloigna. Il sortit de sa cachette et essaya de se lever. Sa jambe ne le soutenait pas. Était-elle cassée ?

Il n’avait jamais souffert de fracture auparavant. Incapable de marcher, il rampa vers le cours d’eau. Il lui fallait regarder avant de faire quoi que ce soit d’autre.

Près de l’onde, il hésita. Il voyait le bleu du ciel s’y refléter. Y découvrirait-il autre chose quand il se pencherait au-dessus de l’eau ?

Et il adressa une prière silencieuse à la Puissance qu’il avait servie, une Puissance qui ne l’écoutait même peut-être déjà plus.

Faites que ce soit la fin de mon épreuve. Faites que je passe le reste de mon temps comme un homme normal. Faites que je vieillisse auprès de cette femme au lieu de la voir se faner tandis que je conserverais mon éternelle jeunesse. Ma tâche est accomplie ! Libérez-moi à tout jamais !

Il avança la tête au-dessus de l’eau. Un homme aux cheveux roux le contemplait. Il pouvait se voir ! Son reflet lui avait été rendu !

Une joie sauvage envahit Glaeken. C’est fini ! Tout est fini !

Il se redressa et vit de l’autre côté du ravin la femme qu’il aimait d’un amour qu’il n’avait jamais connu de sa longue existence.

— Magda !

Il voulut se mettre debout mais sa jambe le lui interdit. Enfin, il allait devoir se soigner comme le commun des mortels !

— Magda !

Elle se retourna et s’immobilisa. Il agita les deux bras et aurait éclaté en sanglots s’il avait encore su pleurer. Les larmes – c’était une chose qu’il devait réapprendre.

— Magda !

Elle laissa tomber à terre un objet qui ressemblait à la garde de son épée, puis elle s’élança vers lui. Sur son visage se lisaient la joie mais aussi le doute, comme si elle ne pouvait croire à ce qu’elle voyait avant de le toucher.

Pendant ce temps, au-dessus du ravin, un oiseau bleu transportant de la paille dans son bec voletait vers le donjon avant de se poser sur le rebord de la fenêtre où il allait bâtir son nid.

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