Chapitre XI

Malko regardait le cône gigantesque du Fuji-Yama sur la droite disparaître peu à peu.

Le Tokkaido filait à 250 à l’heure le long de l’énorme montagne. Ensuite, de nouveau, ce fut la campagne japonaise, morcelée, super-cultivée, avec de curieux toits de tuiles mauves ou vertes… Il fallait deux heures et demie pour rejoindre Kyoto, l’ancienne capitale du Japon. À côté de Malko, Kuniko, moulée dans une tenue de cuir noir, dormait. Méconnaissable.

Malko avait failli ne pas la reconnaître lorsqu’elle était venue le chercher à l’Imperial moins d’une heure après la visite de Yamato. Heureusement qu’elle passait le dimanche chez elle… La somptueuse crinière rousse avait fait place à des cheveux noirs coupés courts. Les extraordinaires prunelles vertes avaient disparu aussi. Kuniko avait les yeux noirs, comme toutes les Japonaises. Bordés de cils minuscules et presque invisibles. Sans le lourd maquillage, on distinguait les légères cicatrices de son nez refait. L’opération qui lui avait débridé les yeux avait été mieux réussie. Il fallait s’approcher de très près pour voir les fins traits du bistouri… Même les mains semblaient différentes sans les faux ongles interminables : Devant l’étonnement de Malko, Kuniko avait pris le parti de rire :

— Quand j’étais petite, j’étais très laide. Alors, j’ai juré d’être très belle. Sur mon premier salaire, je me suis fait refaire la poitrine. Avec des silicones. Ce que j’ai fait en dernier, ce sont les lentilles de contact vertes.

Ainsi, même les globes somptueux qui tendaient le pull de laine blanche n’étaient pas naturels… Kuniko était un pur produit du Japon industriel. Elle avait tapoté sa grosse boîte à maquillage de cuir noir, avec un sourire mi-gai, mi-amer.

— J’ai tout là-dedans. Ce soir, je ne vous ferai pas honte…

Elle avait bien failli ne pas venir. Il avait fallu toute la diplomatie de Malko pour convaincre Yamato. Il espérait aborder Osumi, le pharmacien, en douceur. Avec la tête de Yamato, c’était difficile. Shiganobu, après avoir retrouvé l’ancien flirt de Hiroko, était rentrée à Tokyo, reprendre son travail au Mikado. Malko avait dû jurer au gangster que Kuniko ne se laisserait plus entraîner par sa rapacité naturelle…

La neige apparut sur les bas-côtés. Le Tokkaido traversait un massif montagneux. Par miracle, le train était bien à l’heure. Car, depuis quelque temps, les trains ultra-rapides qui faisaient la gloire du Japon perdaient leurs boulons et tombaient sans cesse en panne… Kuniko bougea et posa la tête sur l’épaule de Malko. Le noyant dans un nuage de parfum. Tout ce qui restait de l’autre Kuniko. Le train débouchait dans une plaine spongieuse. Malko s’attendait à trouver un bijou, une petite bourgade semée d’oeuvres d’art. Il vit une grande ville plate, serrée entre les flancs d’une large vallée, hérissée de béton, avec de grandes avenues sans grâce, se coupant à angle droit.

Il réveilla Kuniko.

— Nous arrivons.

Comme toutes les gares japonaises, celle de Kyoto était immense, avec plusieurs niveaux pour les trains de différentes vitesses. Le Tokkaido glissa lentement le long des quais et s’arrêta. Malko prit les deux sacs de voyage et sortit. Il faisait encore plus froid qu’à Tokyo et il tombait un crachin insidieux. Ils prirent place dans un taxi pour le Kyoto Hotel, en plein centre.

À l’hôtel, sans même leur demander leur avis, on leur donna une suite. Malko avait hâte de rencontrer le pharmacien qui avait été amoureux de la terrible Hiroko. Son sixième sens lui disait que cela faisait trop de coïncidences. Malheureusement, la pharmacie était fermée le dimanche. Il fallait attendre jusqu’au lendemain. À peine arrivée, Kuniko se barricada dans la salle de bains avec sa boîte à malices.


* * *

De nouveau, Kuniko incarnait le rêve impossible du Japonais moyen. Tout y était. Le cuir noir lui allait aussi bien que les paillettes. Malko n’avait pas eu la goujaterie de lui demander si ses fesses rondes et cambrées étaient aussi filles d’un bistouri, mais rien n’était impossible. Cela n’avait pris qu’une demi-heure.

— Mais où sont donc les temples qui ont fait la renommée de Kyoto ? s’enquit Malko.

— Un peu partout, dit Kuniko, sur le pourtour de la ville. Il y en a des dizaines. Ainsi que le château du Shogun. Vous voulez en voir un ? Je vais vous emmener au Kinkaku-Ji, c’est le plus beau.

Pourquoi pas ? se dit Malko. Kuniko semblait prendre très bien leur intimité. Il se demanda comment la nuit se passerait.

Ils hélèrent un taxi. En dix minutes, ils atteignirent l’entrée d’un parc, sur une colline au nord-ouest de Kyoto. Ils payèrent quelques yens et partirent à pied. Au détour d’un sentier, Malko découvrit un spectacle beau à couper le souffle.

Une pagode de trois étages, qui paraissait coulée dans de l’or massif, se reflétait dans l’eau verte et calme d’un petit lac aux contours tourmentés.

Le Temple de la Pagode d’Or.

Respectueusement, ils firent le tour du lac. Il n’y avait presque personne. À part quelques vieux couples japonais, fêtant leurs noces de diamants… Kuniko s’arrêta, appuyée au bras de Malko.

— C’est beau, n’est-ce pas ? Une fois, je suis venue ici au printemps, c’était fabuleux…

À quelques mètres de la pagode, il y avait un petit stand. Kuniko acheta plusieurs petites feuilles couvertes de caractères japonais qu’elle roula, puis alla accrocher, comme des bigoudis, aux branches d’un arbre. Tous les arbres autour de la pagode étaient couverts de ces étranges fleurs.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Malko.

Kuniko pouffa, embarrassée.

— C’est pour se marier, avoua-t-elle. On demande aux dieux de nous faire trouver l’homme que nous voulons.

Son regard s’était brusquement voilé. Malko se demanda quel âge elle avait : entre trente et quarante. Brusquement, Kuniko, comme si elle en avait trop dit, lui prit le bras en riant :

— Je me marierai cet été ! Puisque nous sommes venus ici…

Avant, il y avait autre chose à faire…


* * *

La salle à manger du Kyoto était bizarrement divisée en deux parties. L’européenne et la japonaise, séparées par une estrade où se produisaient de simili-geishas…

Malko et Kuniko s’étaient installés du côté japonais, les pieds pendant dans la fosse, sous la table, permettant le passage des tuyaux de gaz. L’eau du shabu-shabu bouillait à gros bouillons. Kuniko se goinfrait de viande coupée en lamelles.

Ils finirent par une soupe très épicée, chose rare au Japon, puis quelques minuscules fruits confits.

Il n’y avait plus qu’à se coucher. Dans la suite, il y avait une grande télé couleur en face d’un canapé. Kuniko disparut dans la chambre et revint, une bouteille de cognac à la main. N’ayant gardé qu’un slip et un soutien-gorge. Elle tripota les boutons de la télé, s’installa sur le divan, les jambes allongées devant elle, déboucha la bouteille et en but à même le goulot. C’était du cognac de Lagrange. probablement « subtilisé » au Hawa.

— Venez ici, dit-elle à Malko, après avoir reposé la bouteille.

Il s’installa près d’elle. Kuniko posa une main sur sa cuisse et l’oublia aussitôt.


* * *

Sur l’écran, des samouraï aux mines farouches s’entretuaient pour les beaux yeux d’une péronnelle si engoncée dans son kimono qu’on ne voyait que le bout de ses doigts. Sensuelle comme un cierge de cathédrale. Ce n’étaient que glapissements sauvages, cliquetis des épées, râles d’agonie des traîtres et roulements d’yeux du héros qui sautait comme une grenouille en brandissant un sabre aussi grand que lui.

Kuniko avait les larmes aux yeux lorsque l’écran s’éteignit. Elle s’étira, but une gorgée de cognac, puis se pencha sur Malko. Sans un mot, elle défit les boutons de sa chemise, le dénudant jusqu’à la taille et, glissant ses longues mains sous le tissu, commença à lui griffer doucement le torse. Son parfum noya Malko. Elle commença à lui embrasser, avec une délicatesse exaspérante, la poitrine. Puis, sans cesser de l’embrasser, elle se laissa glisser à genoux au pied du divan. Sans presque s’en rendre compte, Malko se retrouva nu, la bouche de Kuniko beaucoup plus bas sur son corps, prenant possession de lui millimètre par millimètre.

Elle s’interrompit pour boire une rasade de cognac. À assommer un samouraï, puis fila dans la chambre.

Elle réapparut très vite, drapée dans un kimono de soie bleue, un petit flacon à la main.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Malko.

-- Une liqueur qui vient de ma province, dit Kuniko. On l’utilise pour les jeunes mariés.

Elle renversa le flacon, versa un peu du liquide sombre dans le creux de sa main droite et commença à masser le sexe de Malko. D’abord, cela le picota légèrement, puis il ressentit une sensation de froid qui se transforma en chaleur brûlante. Comme si son pouls s’était brusquement accéléré.

Elle continua à le masser, agenouillée sur la moquette. Malko éprouva peu à peu une sorte de vertige, comme lorsqu’on est au bord de l’évanouissement. Il lui semblait que son sexe grossissait indéfiniment, qu’il l’envahissait, que lui-même n’était plus qu’un sexe. Il ressentit une sensation étrange, lorsque Kuniko s’empala sur lui, lentement, comme si elle avait peur de le blesser, ses longs doigts agrippés à sa poitrine.

Dans l’état où il se trouvait, Malko ne s’attendait pas à prolonger son plaisir. Mais il eut l’impression que Kuniko le chevauchait des heures avant qu’il sente un spasme d’une violence extraordinaire monter de sa colonne vertébrale. Kuniko lui griffa la poitrine, puis se laissa tomber sur lui.

Malko était trempé de sueur, le coeur battant la chamade… À sa grande surprise, il s’aperçut que son orgasme n’était pas venu à bout de son désir. Kuniko l’observait, les yeux mi-clos.

— Tu vois que ma liqueur est utile, Malko-san, dit-elle doucement.

Glissant sur lui, elle l’effleura de sa bouche et il jaillit comme un saumon d’un torrent. Avec l’impression d’avoir une bête brûlante et avide, agrippée au ventre, insatiable.

Brutalement, il poussa Kuniko contre le divan, le visage dans les coussins, la prit de nouveau avec une fureur insatiable. Il n’y avait plus qu’un point brillant sur l’écran de la télé lorsqu’il reprit conscience du monde extérieur…

Ils se reposèrent de nouveau. Malko somnola, fut réveillé par la langue agile et chaude de Kuniko, l’entourant comme un serpent.

Son désir n’était pas calmé.

Puis, Kuniko le supplia de s’enfoncer encore en elle, mélangeant les mots obscènes anglais et les interjections en japonais. De nouveau, la bête qui l’habitait se déchaîna. Puis il s’endormit, sans même quitter le ventre de Kuniko, se réveilla. Pas encore assouvi. Kuniko s’écarta de lui, prit dans la poche de son kimono une petite ampoule de verre, la tendit à Malko :

— Lorsque tu sentiras que tu ne peux plus attendre, brise-la et aspire très fort.

Rapidement, elle ranima son désir. La tête lourde, Malko recommença à éprouver la même brûlure délicieuse. Lorsqu’il se sentit au bord de l’orgasme, il cassa l’ampoule et aspira.

Ce fut comme si ses artères explosaient. Sa tête se vida d’un coup, toutes ses sensations se concentrèrent dans son sexe. Cela explosait indéfiniment, comme les roulements de la foudre, cela durait des siècles ; en même temps une main de géant lui ouvrait la poitrine, lui soufflait de l’air brûlant.

Son coeur battait à deux cents pulsations, il eut soudain peur, se demanda s’il n’allait pas mourir là, en pleine jouissance. Si Kuniko n’était pas un piège mortel, envoyé par ses ennemis. Puis il perdit conscience d’un coup, comme on tire un rideau.


* * *

Lorsqu’il revint à la surface, Malko ignorait s’il était demeuré inconscient une minute ou une heure. Kuniko n’était plus à côté de lui. Il n’y avait plus de lumière, seulement la faible lueur de l’écran de la télé. Il tourna la tête et aperçut la Japonaise, allongée sur le divan, une jambe passée par-dessus le dossier, écartelée. Sa main allait et venait rapidement entre ses jambes, elle avait la tête rejetée en arrière.

Cela dura longtemps, puis elle eut un spasme bref, un drôle de petit cri étouffé et demeura immobile, dans la même position, comme morte. Cette fois, Malko s’endormit pour de bon.


* * *

À son réveil, il avait l’impression d’avoir dormi un siècle avec un ours lubrique. Il tituba jusqu’à la douche, sentit avec délices l’eau tiède pénétrer dans tous ses pores. Il aurait pu boire un litre de Perrier. Lorsqu’il en sortit, Kuniko était devant lui, habillée comme la veille, avec le visage lisse et sage d’une collégienne. Elle lui sourit :

— Je n’ai pas voulu vous réveiller, Malko-san.

Il l’attira contre lui.

— Pourquoi ce déchaînement ?

Elle baissa modestement les yeux.

— Je voulais que vous me pardonniez les ennuis que vous avez eus à cause de moi… L’ampoule, c’est ce qu’on donne aux cardiaques lorsqu’ils ont une crise… Cela fait marcher le coeur plus vite.

Pas seulement le coeur, se dit Malko. En allant dans le living prendre le petit déjeuner, il buta contre un objet rond, par terre près du divan. Kuniko poussa un cri, mais il l’avait déjà ramassé. C’était une poupée de bois, d’une vingtaine de centimètres. Il croisa le regard embarrassé de la jeune femme et comprit. Il avait déjà vu de ces widows dolls[19] sur les lithographies érotiques japonaises. Kuniko dit à voix basse :

— Il faut me pardonner, Malko-san. Je n’ai jamais pu avoir de plaisir avec un homme.

Il eut honte de son indiscrétion involontaire. Pour dissiper le malaise de Kuniko, il lui demanda :

— Voulez-vous téléphoner à la police locale ? Tom Otaku doit avoir arrangé quelque chose.

Tandis qu’il achevait de s’habiller en prenant son thé, Kuniko s’installa au téléphone. Cela dura un bon quart d’heure ; enfin, elle raccrocha et annonça :

— Une voiture va venir nous chercher.


* * *

La grosse Toyota bleue avançait au pas dans l’étroite rue animée, non loin de l’hôtel. À l’avant, il y avait un médecin et le policier qui conduisait, à l’arrière, Malko, Kuniko et le superintendant de la police de Kyoto. Celui-ci se tourna vers Malko :

— Voici la pharmacie, Sir.

Il désignait une petite officine, à vingt mètres sur la droite, serrée entre un fleuriste et une épicerie.

— Attendez-moi là, dit Malko, je ne voudrais pas l’effrayer tout de suite.

Il descendit avec Kuniko, la prit par le bras.

— Vous allez dire que je suis journaliste, expliqua-t-il. Avant de faire intervenir la police, je veux voir s’il n’y a pas moyen de le faire parler d’une autre façon.

Ils entrèrent dans la pharmacie. Il y avait quelques clients, et, derrière le comptoir, une Japonaise aux cheveux gris et un jeune homme avec de grosses lunettes d’écaille, une mèche de cheveux sur l’oeil, l’air d’un étudiant bien sage. Kuniko s’avança vers lui. Il leva les yeux, avec une certaine curiosité, puis brusquement, Malko le vit se raidir et regarder derrière lui. Malko se retourna et vit la Toyota qui avait avancé. Avec le policier en uniforme au volant et le phare sur le toit !

Instantanément, le préparateur plongea dans l’arrière-boutique. Malko appela :

— Osami !

Puis, il fit le tour du comptoir devant les clients ébahis et fonça à la poursuite du jeune homme, tandis que Kuniko appelait les policiers à l’aide. La porte de la réserve était fermée de l’intérieur. Malko mit près d’une minute à la défoncer à coups d’épaule, au milieu des cris effarés de la pharmacienne et des clients.

Il se rua à l’intérieur, traversa des rangées d’étagères, déboucha dans une cour vide, s’enfonça dans un dédale de ruelles, Kuniko et les policiers sur les talons. Il émergea enfin sur une voie plus large. Juste à temps pour voir Osami s’engouffrer dans un taxi. Malko eut beau faire des signes désespérés, le véhicule s’éloigna. Les deux policiers arrivaient derrière lui, donnant de violents coups de sifflet. Un second taxi stoppa aussitôt. Ils s’entassèrent tous les quatre à l’intérieur, le superintendant donnant des ordres au chauffeur d’une voix hachée par l’émotion.

— Mais pourquoi s’est-il sauvé ainsi ? demanda le Japonais.

Ivre de rage, Malko lui jeta :

— Parce qu’il sait où se cache Hiroko !

Ils étaient projetés les uns contre les autres par les virages. Mais le taxi ne gagnait pas un mètre sur l’autre. Ils sortaient de la ville par le sud. Ils arrivèrent sur la rivière, la traversèrent, grimpèrent une côte, évitèrent un freeway. L’autre taxi tourna à gauche, contournant une colline. À travers les arbres on apercevait un grand temple de bois. La route devenait plus étroite… Il y avait une sorte de rond-point d’où partait un raidillon encombré de boutiques de souvenirs. Le premier taxi s’arrêta là, le jeune pharmacien en sauta et fila en courant dans la rue étroite.

Malko et les autres arrivèrent vingt secondes plus tard. La foule dans le raidillon était si dense qu’on ne voyait déjà plus le fuyard. Malko fonça dans la foule, culbuta une vieille en kimono qui se mit à pousser des cris d’orfraie, envoya un coup de coude dans le ventre d’un homme qui se mettait en travers de son chemin ; Kuniko le rattrapa, essoufflée.

— C’est un cul-de-sac, cria-t-elle, il n’y a que le temple de Kyomizu par là !

Le raidillon se terminait sur une placette, précédant un énorme temple shintoïste suspendu en cantilever au flanc de la montagne. Par un système de passerelles de bois, il communiquait avec d’autres constructions plus petites, dispersées sur la colline boisée. Une foule importante s’y pressait. Malko aperçut le pharmacien qui détalait en zigzag, contournant le bâtiment principal, se faufilant sur les grandes terrasses en surplomb qui faisaient ressembler le temple à un gigantesque chalet de montagne.

Le policier en uniforme revint à la hauteur de Malko, pistolet au poing. Il tira un coup de feu en l’air. Aussitôt, deux gardes qui se trouvaient à l’autre extrémité de la plate-forme se précipitèrent vers le fuyard pour l’intercepter.

Osami s’arrêta brusquement. Les deux gardes lui barraient le chemin de la montagne. Malko et les autres arrivaient derrière lui. Il se précipita vers l’intérieur du temple, une succession de pièces vides, comprit que c’était sans issue, s’arrêta, revint sur ses pas. Malko cria à Kuniko :

— Dites-lui de ne pas avoir peur !

Kuniko glapit d’une voix de tête aiguë. Tout à coup, le pharmacien se précipita comme un trait vers la balustrade de bois surplombant le vide de près de cinquante mètres. Il sembla voler par-dessus, tant il la franchit vite.

La foule cria.

Le corps disparut dans le vide au moment où les policiers se rejoignaient. Malko eut le temps de le voir tournoyer puis s’écraser en contrebas, sur un sentier, et demeurer immobile…

— Par là ! cria Kuniko. Faisons le tour.

Ils se ruèrent derrière le temple, bousculant les badauds affolés, trouvèrent le sentier qui descendait au pied du temple, coururent à perdre haleine… Malko arriva le premier, se pencha sur le corps, vit les yeux fixes, ouverts, la nuque disloquée.

Il n’y avait plus rien à faire pour Osami.

Les balustrades du temple étaient noires de curieux horrifiés penchés vers eux. Une brusque vague de dégoût le submergea. Osami s’était suicidé. Sans hésiter. Pour ne pas risquer de parler, vérifiant sa théorie.

Le médecin constata le décès. On fouilla les poches du mort. Sans rien trouver, sauf ses clefs.

— Retournons à la pharmacie, dit Malko.


* * *

— Il a commandé quatre fois ce médicament antithyroïdien, confirma le médecin après avoir consulté les registres de la pharmacie. Il payait les factures lui-même et personne ne s’en apercevait.

C’était le secret de l’ex-amoureux d’Hiroko. Grâce à lui, elle allait reprendre figure humaine pour quelque temps. Mais elle ne pourrait plus s’en procurer… Le cercle se refermait.

— Les policiers vont perquisitionner chez lui, dit Kuniko, bouleversée, voulez-vous venir avec eux ?

— Allons-y, dit Malko.

Ils roulèrent peu. Le pharmacien habitait une chambre minuscule dans le quartier des geishas. En un quart d’heure, les policiers eurent retourné la chambre, sans rien trouver.

Au moment où ils allaient partir, Malko aperçut un bout de papier qui dépassait de la glace de la salle de bains. Il tira avec précaution, ramenant une photo-couleur. Une Japonaise en kimono à fleurs, avec les chaussettes blanches, les socques, la coiffure compliquée pleine d’épingles, tendrement accrochée au bras d’Osami, dans une attitude qui ne laissait aucun doute sur leur intimité.

Derrière, il y avait une date. 1969. Et quelques caractères japonais. Malko s’approcha de Kuniko :

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

Elle lui traduisit :

— À mon amour de printemps. Osami.

La fille était Shiganobu, la taxi-girl du Mikado, envoyée retrouver Osami.

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