LES FOURMIS

Entre deux plaques de verre, que liaient l’une à l’autre des charnières de papier collées sur leurs bords, une société de petits monstres bruns s’agitait et travaillait. Le marchand avait donné aux fourmis un peu de sable; elles y avaient tracé des galeries convergentes. Au centre, on remarquait une bête plus grosse, presque toujours immobile. C’était la Reine, que les fourmis nourrissaient avec respect.

— Elles ne donnent aucune peine, dit le vendeur. Il suffit chaque mois de déposer une goutte de miel dans cette ouverture… Une seule goutte… Les fourmis se chargent elles-mêmes de la transporter et de la répartir.

— Une goutte par mois? dit la jeune femme… Une goutte suffit pour faire vivre tout ce peuple pendant un mois?

Elle portait un grand chapeau de paille blanche, une robe de mousseline à fleurs. Ses bras étaient nus. Le vendeur la regarda tristement.

— Une goutte suffit, répéta-t-il.

— Que c’est charmant, dit-elle.

Et elle acheta la fourmilière transparente.

* * *

— Chéri, dit-elle, vous avez vu mes fourmis?

Elle tenait la mince plaque vivante entre ses doigts pâles, aux ongles peints. L’homme assis à côté d’elle admira sa nuque penchée.

— Que vous rendez la vie intéressante, chérie… Avec vous tout est nouveau, varié… Hier soir, Bach… Maintenant ces fourmis…

— Regardez, chéri, dit-elle avec l’ardeur enfantine qu’il aimait (elle le savait)… Vous voyez cette fourmi géante? C’est la Reine… Les ouvrières la servent… Je les nourris moi-même… Et le croiriez-vous, chéri? Une goutte de miel par mois leur suffit… N’est-ce pas poétique?

* * *

Au bout de huit jours, son amant et son mari furent tous deux las de la fourmilière. Elle la cacha sur la cheminée de sa chambre, derrière la glace. A la fin du mois, elle oublia la goutte de miel. Les fourmis moururent de faim, lentement. Elles gardèrent jusqu’au bout un peu de miel pour la Reine, qui périt la dernière.

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