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Je vais sombrer, je le sens. La tempête qui se lève s’en prend à mes cheveux, les branches des arbres se tordent sur le ciel, toujours aussi noir. Pistolet dans la main, j’appuie sur le bouton du coffre qui s’ouvre dans un grincement macabre. Dans une bande dessinée, j’aurais matérialisé ce bruit par de grosses lettres noires barrant mon dessin. Pourquoi je pense à cela maintenant ?

Ce que je découvre dans le coffre me retourne l’estomac. Mes doigts impatients plongent dans la chevelure crasseuse, chassent les boucles brunes sur le côté pour dévoiler un visage qui me brûle le cœur. Nu, le corps est recroquevillé, immobile, les genoux repliés contre la poitrine. Les paupières sont baissées, la bouche sourit timidement. Je recule en gémissant. Cette victime ressemble à Lucille, l’épouse disparue de mon héros Teddy. Même physionomie, mêmes traits caractéristiques. Mes jambes vont me lâcher, je m’appuie contre un arbre.

Plus aucun doute, un sadique s’attaque à des personnages qui ressemblent aux héros d’Ouroboros, et me prend pour témoin de ses horreurs. Qui sera la prochaine victime ? L’être humain le plus proche de Teddy ? C’est-à-dire moi ? Non, non, Teddy et moi, on ne se ressemble que de l’intérieur. Dieu merci, nos physiques sont différents !

Les larmes aux yeux, je regarde l’arme à feu entre mes mains. Le contact de la crosse sur ma paume m’est étrangement familier, je sais que je pourrais tuer Sullivan d’un coup net et précis, alors que je n’ai jamais tiré de ma vie.

Transi, je m’approche de nouveau de l’arrière de ma voiture. Des larmes froides s’assèchent sur mes joues, je suis anéanti. Que faire à présent ? Que faire, bon Dieu ? Me débarrasser d’elle, comme j’ai fait lâchement pour Vicky ? La jeter dans un trou, elle aussi ? Non, je refuse cette fois. Je ne suis pas un meurtrier. Je vais m’habiller décemment et parcourir à pied les trente kilomètres qui me séparent de la ville. Tout leur expliquer. Et s’ils m’enferment, tant pis. Teddy agirait ainsi.

Et, tandis que je m’apprête à refermer le coffre, le corps de la femme se met à tressauter.

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