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Le 18.
Je viens de passer trois jours effroyables, enfermé dans le chalet, à guetter par la fenêtre et à cauchemarder. Moi qui ai toujours trouvé dans le sommeil l’apaisement, j’ai peur de m’endormir. Mes rêves sont atroces. Je suis incapable de me les rappeler clairement, mais on dirait que des mains de marionnettistes cherchent à disloquer mon corps, le torturer, le tirailler de tous les côtés. Quand je me réveille, trempé, j’ai étrangement mal aux muscles et aux os, comme si j’avais couru un marathon. J’ai en tête l’image horrible de ces hommes qui se transforment en loups-garous, dont on voit le nez s’étirer, les mâchoires s’écarteler, les omoplates saillir dans le dos. Je ressens le même malaise.
Une fois éveillé, j’ai souvent l’épouvantable sensation d’être observé par quelque chose que je ne peux identifier. Pas uniquement depuis l’extérieur du chalet, mais de partout. Comme si une présence malsaine flottait dans l’air, invisible et oppressante. Parfois, je perçois des chuchotements, et même des crissements, semblables à ceux d’une plume sur le papier. Sous la douche, tout à l’heure, j’ai eu l’impression de milliers d’insectes grouillant sur ma peau, je me suis gratté jusqu’au sang. La plus violente des crises se produit souvent en pleine journée, et peut durer de longues heures. Un interminable calvaire, à rendre fou. Je ne trouve le repos et l’apaisement que dans la nuit. Est-ce que je deviens un malade mental ? Qu’arrive-t-il à mon organisme, à mon esprit ? Est-ce la solitude, l’alcool qui me rongent à ce point ?
Par-dessus tout, je n’arrête pas de penser au cadavre, à mon geste insensé dans la grotte. À ce tueur sadique, qui rôde dans les environs. Plusieurs fois, j’ai eu envie d’appeler la police, de tout lui raconter. Puis je me suis raisonné. Je me suis dit que si je n’avais eu aucune nouvelle, c’est que personne ne recherchait le corps. Ou alors, on le recherchait, mais ailleurs… Loin, loin d’ici.
Pour l’instant, je ne risque rien. À penser ainsi, je me dégoûte.
Ce matin, j’ai avalé deux comprimés contre les maux de crâne, avec un doigt de whisky. Quand je me suis avancé de nouveau vers la fenêtre, j’avais l’impression que des arbres avaient changé de place. Je ne vais pas bien, je le sais, mais comme Teddy, je n’arrive plus à m’empêcher de picoler. L’alcool me grille la tête.
Je veux me regarder dans un miroir, histoire de voir l’éclat mort de mes yeux, mais prends soudain conscience qu’ici, il n’y en a aucun. Je n’ai jamais pensé à en rapporter… Comment peut-on vivre sans miroir ? L’ancien propriétaire devait être un homme étrange. Peut-être un vampire.
Vêtu de ma robe de chambre, je me précipite dehors, dans le terrain détrempé par la fonte de la neige. Pour me rendre compte que mes rétroviseurs sont arrachés, brisés, et mes quatre pneus, crevés. Le souffle coupé, je rentre en courant et m’enferme à double tour.