Malgré ce succès, l'animosité grandissait également parmi ceux qui étaient contre la nouvelle doctrine.

Les quelques Juifs de Lystre décidèrent de consulter les autorités d'Iconie, concernant les deux inconnus. Et cela suffit pour que les horizons s'assombrissent. Les commissaires revinrent avec une quantité de nouvelles ingrates. Le cas de Thècle était peint sous de noirs aspects. Paul et Barnabe étaient accusés de blasphémateurs, de sorciers, de voleurs et de séducteurs de femmes honnêtes. Paul, principalement, était présenté comme un terrible révolutionnaire. À Lystre, le sujet fut discuté « intramuros », les administrateurs de la ville invitèrent le prêtre de Jupiter à entrer en campagne contre les imposteurs et avec la même facilité avec laquelle ils avaient cru en sa condition de dieux, ils sont tous passé à attribuer aux prédicateurs les plus grandes perversions. Des mesures criminelles furent étudiées. Depuis l'arrivée des deux inconnus qui parlaient au nom d'un nouveau prophète, Lystre était assaillie par des idées différentes. Il fallait contrôler les abus. La parole de Paul était audacieuse et exigeait une punition efficace. Finalement, ils décidèrent que le fougueux prédicateur serait lapidé à la prochaine occasion qu'il parlerait en public.

Ignorant ce qui se tramait, l'apôtre des gentils, laissa Barnabe alité par excès de travail et se fit accompagner du petit Timothée, le samedi suivant dans la soirée jusqu'à la place publique où, une fois de plus, il annonça les vérités et les promesses de l'Évangile du Royaume de Jésus.

Ce jour-là, l'agitation était peu habituelle sur la place. Le prédicateur remarqua la présence de nombreuses physionomies suspectes qui lui étaient tout à fait inconnues. Ils accompagnaient tous ses moindres gestes avec une évidente curiosité.

Avec la plus grande sérénité, il est monté à la tribune et se mit à parler des gloires éternelles que le Seigneur Jésus avait apportées à l'humanité souffrante. Mais à peine avait-il initié son sermon évangélique, qu'aux cris furieux venant des plus exaltés, se mirent à pleuvoir des pierres en abondance.

Paul se souvint soudainement de la figure inoubliable d'Etienne. De toute évidence, le Maître lui réservait le même type de mort pour qu'il se rachète du mal infligé au martyr de l'église de Jérusalem. Les cailloux durs et petits tombaient à ses pieds, atteignant sa poitrine, son front. Il sentit le sang couler de sa tête blessée et s'agenouilla sans la moindre plainte, il supplia Jésus de le fortifier en cet instant angoissant.

Atterré Timothée s'est aussitôt mis à crier demandant de l'aide ; mais un homme aux bras athlétiques s'est approché prudemment et lui a soufflé à l'oreille :

- Tais-toi si tu veux être utile !...

Tu es Gaio ? - s'exclama le petit les yeux larmoyants, ressentant un certain réconfort à reconnaître un visage ami au beau milieu de cette confusion.

Oui - a dit l'autre tout bas -, je suis là pour aider l'apôtre. Je ne peux oublier qu'il a guéri ma mère.

Et regardant l'agitation de la foule criminelle, il a ajouté :

Nous n'avons pas de temps à perdre. Ils ne tarderont pas à le jeter à la décharge. Si c'est le cas, cherche à nous suivre avec un peu d'eau. Si le missionnaire ne succombe pas, tu lui apporteras les premiers secours, jusqu'à ce que je réussisse à prévenir ta mère !...

Ils se sont immédiatement séparés. Rongé d'affliction, le jeune garçon a vu le prédicateur agenouillé, les yeux levés au ciel dans une attitude inoubliable. Des filets de sang descendaient de son front fracturé. À un moment donné, sa tête a lâché et son corps s'est renversé à l'abandon. La foule semblait prise d'étonnement. Profitant de la situation, et comme aucun ordre préalable n'avait été donné, Gaio s'est insinué et s'est approché de l'apôtre inerte. Il fit un geste significatif au peuple et s'écria :

Le sorcier est mort !...

Sa figure gigantesque éveilla la sympathie de la foule inconsciente qui explosa d'applaudissements. Ceux qui avaient provoqué l'infâme attentat disparurent de suite. Gaio comprit que personne n'osait assumer cette responsabilité individuellement. Pris d'une étrange vibration, les plus pervers hurlaient :

Dehors. Dehors !... Sorcier à la décharge !... Sorcier à la déch... ar... ge ! ...

Feignant la commisération avec des gestes d'ironie, l'ami de Paul dit à la foule satisfaite :

Je porterai les restes du sorcier !

La foule a poussé un hurlement assourdissant et Gaio se mit à traîner le missionnaire avec le plus de précautions possibles. Ils ont traversé de longues ruelles en criant jusqu'à ce qu'ils aient atteint un lieu désert, un peu éloigné des enceintes de Lystre et y laissèrent Paul à demi mort sur le tas de déchets.

Le costaud s'est baissé comme pour vérifier la mort du lapidé et remarquant qu'il vivait encore, il s'est écrié :

Laissons-le aux chiens qui se chargeront du reste ! Il faut célébrer cela avec un verre de vin !...

Et suivant le meneur de la soirée, la foule a battu en retraite, alors que Timothée s'approchait du lieu, profitant des ombres de la nuit qui commençait à poindre. Il accourut à un puits tout proche, d'utilité publique, et le petit a rempli son bonnet imperméable d'eau pure, apportant les premiers secours au blessé. Baigné de larmes, il remarqua que Paul respirait avec difficulté, comme s'il était plongé dans une profonde torpeur. Le jeune de Lystre s'est assis à ses côtés, a baigné son front blessé avec une extrême tendresse. Quelques minutes de plus et l'apôtre revenait à lui pour examiner à nouveau la situation. Timothée l'a informé de tout ce qui s'était passé. Profondément affligé, Paul a remercié Dieu, car il reconnaissait que seule la miséricorde du Très-Haut pouvait avoir opéré un tel miracle en le ravissant aux intentions criminelles de la foule inconsciente.

Au bout de deux heures, trois ombres calmes s'approchèrent. Très angoissé, Barnabe avait quitté le lit malgré son état fiévreux pour accompagner Loïde el Eunlce qui, informées par Gaio, accouraient avec les premiers secours.

Tous rendirent grâce à Jésus, tandis que Paul prenait une petite dose de vin réconfortant. Doté d'une organisation spirituelle puissante, malgré les mauvais traitements physiques subis, le tisserand de Tarse s'est levé et est reparti avec ses amis, légèrement soutenu par Barnabe qui lui avait offert son bras fraternel.

Le reste de la soirée s'est passé à des conversations amicales. Les deux émissaires de la Bonne Nouvelle craignaient que l'agressivité du peuple touche les généreuses dames qui les avaient logés et aidés. Ils devaient partir pour éviter de plus grands dérangements et complications.

En vain, Loïde protesta cherchant à dissuader les prédicateurs publics du Christ ; en vain Timothée a baisé les mains de Paul et lui a demandé de ne pas partir. Craignant de plus tristes conséquences, après avoir donné les Instructions nécessaires à l'église naissante, ils ont passé les portes de la ville à l'aube en direction de Derbé qui était un peu plus loin.

Après une laborieuse randonnée, ils ont atteint leur nouveau secteur de travail où ils allaient séjourner pendant plus d'une année. Bien que livrés au travail manuel grâce auquel ils gagnaient le pain de tous les jours, les deux compagnons eurent besoin de six mois pour retrouver la santé. En tant que tisserand et potier anonymes, Paul et Barnabe restèrent à Derbé pendant longtemps sans éveiller la curiosité publique. Ce n'est qu'après s'être remis des préjudices soufferts qu'ils ont repris la diffusion de la Bonne Nouvelle du Royaume de Jésus. En visitant les alentours, ils provoquèrent beaucoup d'intérêt chez les gens simples pour l'Évangile de la rédemption. Des petites communautés chrétiennes furent fondées dans une ambiance de grande Joie.

Après plusieurs années de labeur, Ils décidèrent de retourner au noyau original de leur effort. Triomphant des étapes difficiles, ils avalent visité et encouragé tous les frères se trouvant dans les diverses réglons du Lycaonie, de Pisidie et de Pamphylie.

De Pergé, ils étaient descendus à Attalie où ils avaient embarqué à destination de Séleucie et de là ils avaient regagné Antioche.

Tous deux avaient vécu les difficultés des services les plus rudes. Combien de fois étalent-ils restés perplexes face à des problèmes complexes de société. En échange de leur dévouement fraternel, ils avalent reçu des railleries, des coups de fouets et des accusations perfides ; néanmoins, à travers leur abattement physique et leurs cicatrices rayonnaient les ondes invisibles d'une intense joie spirituelle. Car parmi les épines de la route scabreuse, les deux courageux compagnons avalent gardé bien droite la croix divine et consolatrice, répandant à pleine poignée les semences bénies de l'Évangile de Rédemption.

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LUTTES POUR L'ÉVANGILE

Le retour de Paul et de Barnabe fut annoncé dans Antioche avec une immense joie. La communauté fraternelle, profondément émue, était admirative quant au fait que les frères aient apporté à des régions aussi pauvres et lointaines les semences divines de la vérité et de l'amour.

Pendant plusieurs nuits consécutives, tous deux ont présenté un rapport verbal de leurs activités sans omettre un seul détail. L'église antiochienne vibrait de joie et rendait grâce au ciel.

Les deux missionnaires dévoués étaient revenus à l'heure où l'institution passait par une phase de grandes difficultés. Ils purent le constater attristés. Les conflits de Jérusalem s'étendaient à toute la communauté antiochienne, les luttes de la circoncision étaient déclenchées. Les chefs les plus éminents eux-mêmes étaient partagés face aux affirmations des dogmatique». Les discriminations avaient atteint un degré si élevé que les voix du Saint- Esprit ne se manifestaient plu». Manahen, dont les efforts dans l'église étaient indispensables, se maintenait à distance au vu des discussions stériles et envenimées. Les frères étaient extrêmement confus. Certains étaient partisans de la circoncision obligatoire, d'autres se battaient pour l'indépendance sans restriction de l'Évangile. Éminemment inquiet, le prédicateur tarsien observa les furieuses polémiques concernant les aliments purs et impurs.

Voulant établir l'harmonie générale autour des enseignements du divin Maître, Paul prenait inutilement la parole, expliquant que l'Évangile était libre et que la circoncision n'était qu'une caractéristique classique de l'intolérance judaïque. En dépit de son autorité incontestée qui était auréolée de prestige dans la communauté toute entière étant donné les grandes valeurs spirituelles conquises lors de sa mission, les malentendus persistaient.

Quelques éléments venant de Jérusalem compliquèrent encore davantage la situation. Les moins rigides parlaient de l'autorité absolue des apôtres galiléens. Mais on commentait furtivement que la parole de Paul et de Barnabe, bien que très inspirée par les leçons de l'Évangile, n'avait pas suffisamment d'autorité pour parler au nom de Jésus.

L'église d'Antioche oscillait dans une position d'une immense perplexité. Elle avait perdu ce sens de l'unité qui la caractérisait à ses débuts. Chacun prêchait son point de vue personnel. Les gentils étaient traités avec railleries ; des mouvements en faveur de la circoncision s'organisaient.

Fortement impressionnés par la situation, Paul et Barnabe prirent une résolution extrême. Ils décidèrent d'inviter Simon Pierre pour une visite personnelle à l'institution d'Antioche. Connaissant son esprit libre de tous préjugés religieux, les deux compagnons lui adressèrent une longue lettre expliquant que les travaux de l'Évangile avaient besoin de ses bons offices, tout en insistant sur sa prestigieuse performance.

Le porteur remis la lettre avec soin et à la grande surprise des chrétiens antiochiens, l'ex-pêcheur de Capharnaum est arrivé en ville, éprouvant une grande joie en raison de la période de repos physique que lui procurait cette excursion.

Paul et Barnabe ne cessaient de montrer leur satisfaction. En compagnie de Simon, il y avait Jean-Marc qui n'avait pas complètement abandonné les activités évangéliques. Le groupe vécut alors de belles heures d'échanges et de confidences relatives aux voyages missionnaires racontés intelligemment par l'ex-rabbin, et concernant les faits qui s'étaient déroulés à Jérusalem depuis la mort du fils de Zébédée, que Simon Pierre leur narra avec une singulière expression.

Après avoir été bien informé de la situation religieuse à Antioche, l'ex-pêcheur ajouta :

À Jérusalem, nos luttes sont les mêmes. D'un côté l'église qui est tous les jours pleine de nécessiteux ; de l'autre les persécutions sans trêves. Au centre de toutes les activités, il y a Jacques avec les plus âpres exigences. Parfois, je suis tenté de combattre pour rétablir la liberté des principes du Maître, mais comment faire ? Quand la tempête religieuse menace de détruire le patrimoine que nous réussissons à offrir aux affligés du monde, le pharisaïsme vient heurter le respect rigoureux de notre compagnon et l'oblige à paralyser l'action dite criminelle commencée depuis longtemps. Si je travaille pour annihiler son influence, je précipiterai l'institution de Jérusalem dans l'abîme de la destruction des tempêtes politiques de la grande ville. Et c'est le programme du Christ ? Et les nécessiteux ? Serait-il juste de nuire aux plus démunis pour une question de point de vue personnel ?

Devant l'attention profonde de Paul et de Barnabe, le bon compagnon continuait :

Nous savons que Jésus n'a pas laissé de véritable solution quant au problème des incirconcis, mais il nous a enseigné que ce ne serait pas par la chair que nous pourrions atteindre le Royaume des Cieux, mais par le raisonnement et par le cœur. Connaissant, cependant, l'action de l'Évangile sur l'âme populaire, le pharisaïsme autoritaire ne nous perd pas de vue et fait son possible pour exterminer l'arbre de l'Évangile qui naît parmi les simples et les pacifiques. Il est indispensable donc que nous soyons prudents afin de ne pas porter préjudices, de quelque nature que ce soit, à la plante divine.

Ses compagnons faisaient de grands gestes d'approbation. Révélant son immense capacité à orienter une idée et à réconcilier les nombreux prosélytes en divergence, Simon Pierre trouvait les mots adaptés à chaque situation, une clarification juste au problème le plus simple.

La communauté antiochienne se réjouissait. Les gentils ne cachaient pas la joie qu'ils éprouvaient. Le généreux apôtre rendait visite à chacun d'eux personnellement, sans distinction ou préférence. 11 affichait toujours un bon sourire face aux appréhensions de ses amis qui craignaient l'alimentation « impure » et avaient l'habitude de demander où étaient les substances qui n'étaient pas bénies de Dieu. Paul suivait ses pas sans dissimuler sa profonde satisfaction. Dans un louable effort de réconciliation, l'apôtre des gentils faisait en sorte de l'amener là où il y avait des frères perturbés par les idées de la circoncision obligatoire. Il s'est établi ainsi, rapidement, un mouvement notable de confiance et d'unité d'opinion. Tous les confrères exultaient de contentement.

Mais voilà qu'arrivèrent de Jérusalem trois émissaires de Jacques. Ils apportaient des lettres pour Simon qui les reçut avec un grand respect. Dès lors, l'ambiance ne fut plus la même. L'ex-pécheur de Capharnaûm, si porté à la simplicité et à l'indépendance du Christ Jésus, se mit immédiatement en retrait. Il ne répondit plus aux invitations des incirconcis. Les festivités familières et amicales organisées en son honneur, ne comptaient plus maintenant sur sa présence joyeuse et conviviale. Dans l'église, il modifia ses moindres attitudes. Toujours en compagnie des messagers de Jérusalem, qui ne le quittaient jamais, il semblait austère et triste. Jamais plus il ne se rapporta à la liberté que l'Évangile avait accordée à la conscience humaine.

Paul remarqua cette transformation, pris d'un profond chagrin. Pour son esprit habitué sans restriction aucune à la liberté d'opinion, le fait était choquant et pénible. Il était d'autant plus grave qu'il s'agissait justement d'un croyant comme Simon qui était à tous les niveaux hautement respectable et distingué. Comment interpréter cette attitude en complet désaccord avec ce à quoi il pouvait s'attendre ? Réfléchissant à la grandeur de sa tâche auprès des gentils, la moindre question de ses amis à ce sujet le laissait confus. Dans sa passion pour les attitudes franches, il n'était pas de ceux qui pouvaient attendre. Et après deux semaines d'anxieuse expectative, désireux de donner satisfaction aux nombreux éléments incirconcis d'Antioche, quand il fut invité à parler à ses compagnons à la tribune, il se mit à exalter l'émancipation religieuse du monde depuis l'arrivée de Jésus-Christ. Il passa en revue les généreuses démonstrations que le Maître avait données aux publicains et aux pécheurs. Pierre l'écoutait, hanté par tant d'érudition et de ressources herméneutiques pour enseigner aux auditeurs les principes les plus difficiles. Les messagers de Jacques aussi étaient surpris, l'assemblée écoutait l'orateur attentivement.

À un moment donné, le tisserand de Tarse a regardé fixement l'apôtre galiléen et s'exclama :

Frères, en défendant notre sentiment d'unification en Jésus, je ne peux déguiser notre peine face aux derniers événements. Je veux me rapporter à l'attitude de notre hôte très aimé, Simon Pierre, que nous devrions appeler « maître », si ce titre ne revenait pas de fait et de droit à notre Sauveur16.

(16) Les commentaires Paul dans l'Épître aux Calâtes (chapitre 2, versets 11 et 14) se rapportent à un fait antérieur à la réunion des disciples. - (Note d'Emmanuel)

La surprise fut grande et l'étonnement général. L'apôtre de Jérusalem le fut aussi mais restait très calme. Les émissaires de Jacques révélaient un profond malaise. Barnabe était livide. Et Paul continuait courageusement :

Simon est la personnification pour nous d'un exemple vivant. Le Maître nous l'a laissé comme un roc de foi immortelle. Dans son cœur généreux nous avons déposé les plus grands espoirs. Comment interpréter son attitude en s'éloignant des frères incirconcis depuis l'arrivée des messagers de Jérusalem ? Avant cela, il comparaissait à nos réunions intimes, il mangeait le pain à notre table. Si Je cherche ainsi à éclaircir la question, ouvertement, ce n'est pas par désir de scandaliser qui que ce soit, mais parce que je ne crois qu'en un Évangile libre de tous préjugés erronés du monde, considérant que la parole du Christ n'est pas enchaînée aux intérêts inférieurs de la prêtrise de quelque nature qu'elle soit.

L'ambiance devint agitée. Attendris et reconnaissants, les gentils d'Antioche regardaient l'orateur. Les sympathisants du pharisaïsme, au contraire, ne cachaient pas leur rancœur en raison de ce courage presque audacieux. À cet instant, les yeux enflammés par des sentiments indéfinissables, Barnabe a pris la parole, tandis que l'orateur faisait une pause, et fit remarquer :

Paul, je suis de ceux qui déplorent ton attitude en cet instant. De quel droit peux-tu attaquer la vie pure du continuateur du Christ Jésus ?

Il posait cette question sur un ton profondément ému, la voix saisie de larmes. Paul et Pierre étaient ses meilleurs et ses plus chers amis.

Loin de se sentir impressionné par cette question, l'orateur a répondu avec la même franchise :

Oui, nous avons un droit : - celui de vivre avec la vérité, d'abominer l'hypocrisie, et, ce qui est plus sacré -de sauver le nom de Simon des luttes pharisiennes dont je connais les détours, et qui sont le baromètre obscure dont j'ai pu sortir pour trouver les clartés de l'Évangile de la rédemption.

La conférence de l'ex-rabbin se poursuivit rude et franche. De temps en temps, Barnabe faisait un aparté, rendant la controverse plus libre.

Néanmoins, pendant tout le cours de la discussion, la figure de Pierre était la plus impressionnante par l'auguste sérénité de son visage tranquille.

En ces cours instants, l'apôtre galiléen a considéré la sublimité de sa tâche dans le cadre de la bataille spirituelle pour les victoires de l'Évangile. D'un côté se trouvait Jacques qui accomplissait une grande mission avec le judaïsme, de ses attitudes conservatrices surgissaient d'heureux incidents qui aidaient à la manutention de l'église de Jérusalem qui s'érigeait comme un point initial à la christianisation du monde ; de l'autre, il y avait la puissante figure de Paul, l'ami courageux des gentils qui œuvrait à l'exécution d'une tâche sublime, de ses actes héroïques découlait un torrent d'illumination pour les peuples idolâtres. Quel était le plus grand à ses yeux de compagnon qui avait coexisté avec le Maître, de qui il avait reçu les leçons les plus élevées ? En cette heure, l'ex-pêcheur a supplié Jésus de lui accorder l'inspiration nécessaire pour le fidèle respect de ses devoirs. Il ressentit l'épine de sa mission enfoncée en pleine poitrine, incapable de se justifier par la seule intention de ses actes sans provoquer un plus grand scandale pour l'institution chrétienne qui naissait à peine au monde. Les yeux humides, tandis que Paul et Barnabe se débattaient, il eut l'impression de revoir le Seigneur, le Jour du Calvaire. Personne ne l'avait compris. Pas même ses disciples aimés. Ensuite, il lui a semblé le voir expirant sur la croix du martyre. Une force occulte l'amenait à réfléchir à la poutre avec attention. La croix du Christ lui semblait, maintenant, un symbole de parfait équilibre. Une ligne horizontale et une ligne verticale, Juxtaposées, formaient des figures absolument droites. Oui, l'instrument du supplice lui envoyait un message silencieux. Il fallait être juste, sans partialité ou fausse inclination, le Maître les aimait tous, indistinctement. Il avait réparti les biens éternels entre toutes les créatures. A son regard compatissant et magnanime, les gentils et les juifs étaient des frères. Il éprouvait, maintenant, une singulière acuité pour examiner consciencieusement les circonstances. Il devait aimer Jacques pour ses soins généreux envers les Israélites, tout comme Paul de Tarse par son dévouement extraordinaire pour tous ceux qui ne connaissaient pas le concept du Dieu juste.

L'ex-pêcheur de Capharnaum remarqua que l'assemblée dans sa majorité lui adressait de curieux regards. Les compagnons de Jérusalem laissaient percevoir leur colère profonde à l'extrême pâleur de leur visage. Tous semblaient le convoquer au débat. Barnabe avait les yeux rouges de pleurs et Paul semblait de plus en plus franc, réprimandant l'hypocrisie avec sa logique foudroyante. L'apôtre préférerait le silence, afin de ne pas déranger la foi brûlante de ceux qui se rassemblaient dans l'église sous la lumière de l'Évangile, il mesura l'extension de sa responsabilité en cette minute inoubliable. S'irriter serait nier les valeurs du Christ et perdre ses œuvres ; s'incliner pour Jacques serait faire preuve de partialité ; donner entièrement raison aux arguments de Paul ne serait pas juste. Il repassa dans son esprit les enseignements du Maître et se souvint de l'inoubliable jugement : - que celui qui désire être le plus grand, soit le serviteur de tous. Cette règle lui apporta une immense consolation et une grande force spirituelle.

La polémique était de plus en plus ardue. Les partis s'exaltaient. L'assemblée était pleine de murmures étouffés. Il était naturel de prévoir une franche explosion.

Simon Pierre s'est levé. La physionomie calme, mais les yeux pleins de larmes qui n'arrivaient pas à couler.

Il profita d'une pause plus longue pour hausser la voix qui bientôt apaisa le tumulte :

Frères ! - a-t-il dit noblement - j'ai commis beaucoup d'erreur en ce monde. Ce n'est un secret pour personne que j'en suis arrivé à nier le Maître à l'instant le plus pénible de l'Évangile. J'ai mesuré la miséricorde du Seigneur à la profondeur de l'abîme de mes faiblesses. SI j'ai failli envers les frères très aimés d'Antioche, J'en demande pardon. Je me soumets à votre jugement et Je vous prie de vous soumettre au jugement du Très-Haut.

La stupéfaction fut générale. Comprenant l'effet produit par ses propos, l'ex-pêcheur a. conclu sa justification en disant :

Je reconnais l'extension de mes besoins spirituels et je me recommande à vos prières, passons, mes frères, aux commentaires de l'Évangile d'aujourd'hui.

L'assistance était perplexe face au résultat inattendu. Ils pensaient que Simon Pierre allait faire un long discours en représailles. Personne n'arrivait à se remettre de sa surprise. L'Évangile devait être commenté par l'apôtre galiléen conformément à ce qui avait été préalablement prévu, mais avant de se rasseoir, l'ex-pêcheur leur dit très calmement :

Je demande à notre frère Paul de Tarse la faveur de consulter et de commenter les annotations de Lévi.

Malgré sa gêne bien naturelle, l'ex-rabbin a considéré la portée élevée de cette demande, en une seconde il fit abstraction de tous sentiments catégoriques de son cœur ardent et c'est dans une belle improvisation qu'il a parlé de la lecture des parchemins de la Bonne Nouvelle.

L'attitude prudente de Simon Pierre avait sauvé l'église naissante. Prenant en considération les efforts de Paul et de Jacques, à leur juste valeur, il avait évité le scandale et le tumulte dans l'enceinte du sanctuaire. Au prix de son abnégation fraternelle, l'incident était resté presque imperceptible dans l'histoire de la chrétienté primitive, et pas même la légère référence faite par Paul dans l'épître aux Galates, malgré la rigidité d'expression de l'époque, ne peut donner une idée du danger imminent de scandale qui avait plané sur l'institution chrétienne en ce jour mémorable.

La réunion s'acheva sans nouveaux accrochages. Simon s'est approché de Paul et l'a félicité pour la beauté et l'éloquence de son discours. Il évoqua délibérément l'incident pour y faire référence sur un ton amical. Le problème des gentils, disait-il, méritait effectivement que l'on s'y arrête avec intérêt. Comment déshériter de la lumière du Christ ceux qui étaient nés loin des communautés judaïques, si le Maître lui-même avait affirmé que les disciples viendraient de l'Occident et de l'Orient ? La douce et généreuse causerie rapprocha Paul et Barnabe, tandis que l'ex-pêcheur intentionnellement parlait tout en calmant les esprits.

L'ex-docteur de la Loi ne cessait de défendre sa thèse avec des arguments solides. Gêné au début, en raison de la bienveillance du Galiléen, il s'est naturellement expliqué retrouvant sa profonde sérénité. Le problème était complexe. Transposer l'Évangile dans le judaïsme n'est-ce pas asphyxier ses possibilités divines ? - demandait-il à Paul en renforçant son point de vue. Mais et l'effort millénaire des juifs ? - interrogeait Pierre, avertissant qu'à son avis si Jésus avait affirmé que sa mission était l'exact accomplissement de la Loi, il n'était pas possible d'éloigner la nouvelle de l'ancienne révélation. Procéder différemment reviendrait à arracher du tronc vigoureux la brindille verdoyante destinée à fructifier.

Examinant ces arguments pondérés, Paul de Tarse s'est dit alors qu'il serait raisonnable de promouvoir à Jérusalem une assemblée de coreligionnaires les plus dévoués pour réfléchir à ce sujet avec une plus grande ampleur de vues. Les résultats, à son avis, seraient bénéfiques car ils présenteraient une norme d'action juste, sans latitude possible laissée à des sophismes si prisés des coutumes pharisiennes.

Comme quelqu'un qui se serait senti ravi d'avoir trouver la clé à un problème difficile, Simon Pierre a volontiers approuvé la proposition, assurant qu'il s'intéresserait personnellement à ce que la réunion se fasse dans les meilleurs délais. Intimement, il se dit que ce serait une très bonne occasion pour les disciples d'Antioche d'observer les difficultés grandissantes à Jérusalem.

Dans la soirée, tous les frères comparurent à l'église pour les adieux de Simon et pour les prières habituelles. Pierre a prié avec une ferveur sanctifiée et la communauté s'est sentie pénétrée de bénéfiques vibrations de paix.

L'incident avait laissé tout le monde empreint d'une certaine perplexité, mais les attitudes prudentes et affables du pêcheur réussirent à maintenir la cohésion générale autour de l'Évangile pour la bonne continuation des tâches sanctifiantes.

Après avoir observé la complète réconciliation de Paul et de Barnabe, Simon Pierre est retourné à Jérusalem avec les messagers de Jacques.

À Antioche, la situation a continué instable. Les discussions stériles restaient vives. L'influence judaïsante combattait les gentils et les chrétiens libres opposaient une résistance formelle au conventionnalisme préconçu. L'ex-rabbin, néanmoins, ne resta pas inactif. À la première occasion, il convoqua des réunions où il clarifia les finalités de l'assemblée que Simon leur avait promise à Jérusalem. Combattant actif, il multiplia ses énergies pour soutenir l'indépendance du christianisme et prou il I publiquement qu'il apporterait des lettres de l'église des apôtres galiléens, qui garantiraient la position des gentils dans la doctrine consolatrice de Jésus, se déchargeant des impositions absurdes, dans le cas de la circoncision.

Ses mesures et promesses embrasèrent de nouvelles luttes. Les observateurs rigoureux des règles anciennes doutaient de telles concessions venant de Jérusalem.

Paul ne se laissait pas décourager. Au fond, il idéalisait son arrivée à l'église des apôtres, il passait en revue dans son imagination surexcitée tous les puissants arguments à employer, et se voyait vainqueur de la question qui se présentait à ses yeux comme d'une importance fondamentale pour l'avenir de l'Évangile. Il chercherait à démontrer la capacité élevée des gentils pour le service de Jésus. Il raconterait les succès obtenus lors de ses longues excursions de plus de quatre ans à travers les régions pauvres et presque inconnues où les gentils avaient reçu les nouvelles du Maître avec une joie intense et une plus grande compréhension que les frères de sa race. Les généreux projets grandissants, il décida de prendre le jeune Tite avec lui qui, bien que de descendance païenne et ayant à peine vingt ans, dans l'église d'Antioche était doté d'une intelligence les plus lucides au service du Seigneur. Depuis l'arrivée de Tarse, Tite s'était pris d'affection pour lui comme un frère généreux.

Remarquant sa nature travailleuse, Paul lui avait enseigné le métier de tapissier et il le remplaça dans son humble tente pendant tout le temps que dura sa première mission. Le jeune garçon serait un exposant du pouvoir rénovateur de l'Évangile. Certainement que lorsqu'il parlerait à la réunion, il surprendrait les plus érudits par ses arguments d'une haute teneur exégétique.

Caressant ces espoirs, Paul de Tarse prit toutes les mesures pour s'assurer du succès de ses plans.

Au bout de quatre mois, un émissaire de Jérusalem apportait la nouvelle attendue de Pierre concernant l'assemblée. Assisté de Barnabe, l'ex-rabbin a accéléré les mesures indispensables. À la veille de partir, il est monté à la tribune et a renouvelé sa promesse des concessions espérées des gentils, insensible au sourire ironique que quelques Israélites déguisaient prudemment.

Le lendemain matin, la petite caravane est partie. Elle se composait de Paul et de Barnabe, de

Tite et de deux autres frères qui les accompagnaient comme assistants.

Ils firent un voyage lent, s'arrêtant à tous les villages pour prêcher la Bonne Nouvelle, apportant la guérison et la consolation chez les populations.

Après plusieurs jours, ils arrivèrent à Jérusalem où ils furent reçus par Simon avec une indicible satisfaction. En compagnie de Jean, le généreux apôtre leur a offert un accueil fraternel. Tous séjournèrent là où se trouvaient de nombreux nécessiteux et malades. Paul et Barnabe examinèrent les modifications introduites dans la maison. Bien que modestes, d'autres pavillons s'étendaient et couvraient maintenant tout un secteur.

Les services ne cessent d'augmenter - expliquait Simon avec bonté - ; les malades, qui frappent à nos portes, se multiplient tous les jours. Il a fallu construire de nouvelles dépendances.

La rangée de lits paraissait sans fin. Des blessés et des petits vieux se distrayaient au soleil entre les arbres amis du potager.

Paul était admiratif quant à la grandeur des œuvres réalisées. Peu après, Jacques et d'autres compagnons vinrent saluer les frères de l'institution antiochienne. L'ex-rabbin a fixé l'apôtre qui commandait les prétentions du judaïsme. Le fils d'Alphée lui semblait, maintenant. radicalement transformé. Ses manières étaient celles d'un « maître d'Israël », avec toutes les caractéristiques indéfinissables des usages pharisiens. Il ne souriait pas. Ses yeux laissaient percevoir une présomption de supériorité qui frisait l'indifférence. Ses gestes étaient mesurés comme ceux d'un prêtre du Temple, lors des actes cérémoniaux. Le tisserand de Tarse fit abstraction de ses déductions personnelles et a attendu la soirée, heure à laquelle s'initieraient les discussions préparatoires. À la clarté de quelques torches, s'assirent autour d'une grande table différents participants que Paul ne connaissait pas. Il s'agissait de nouveaux coopérateurs de l'église de Jérusalem, expliqua Pierre, avec bonté. À première vue, l'ex-rabbin et Barnabe n'eurent pas une bonne impression. Les inconnus ressemblaient davantage à des personnages du Sanhédrin, dans leur position hiérarchique conventionnelle.

Une fois arrivés dans l'enceinte, le converti de Damas éprouva sa première déception.

Observant que les représentants d'Antioche étaient accompagnés d'un jeune garçon, Jacques s'est avancé et a demandé :

Frères, il est juste que nous sachions qui est ce jeune qui vous accompagne à ce discret cénacle. Notre préoccupation se base sur des règles conforment à la tradition qui ordonne d'examiner d'où vient ce jeune, afin que les services de Dieu ne soient pas perturbés.

Il s'agit de notre valeureux collaborateur d'Antioche - a expliqué Paul, avec fierté et satisfaction -, il s'appelle Tite et représente l'un de nos plus grands espoirs dans la récolte de Jésus-Christ.

L'apôtre l'a fixé sans surprise et poursuivit ses questions :

Est-il le fils du peuple élu ?

Il est descendant de gentils - a affirmé l'ex-rabbin, presque avec hauteur.

Circoncis ? - a interrogé le fils d'Alphée méfiant.

Non.

Ce non, de Paul, fut dit avec le même ennui. Les exigences de Jacques l'énervaient. À ce refus, l'apôtre galiléen a expliqué sur un ton ferme :

Je pense, alors, qu'il ne serait pas juste de l'admettre à cette assemblée puisqu'il ne répond pas encore à toutes ses règles.

Nous faisons appel à Simon Pierre - dit Paul, convaincu. - Tite est représentatif de notre communauté.

L'ex-pêcheur de Capharnaum était livide. Placé entre deux grands représentants du judaïsme et des gentils, il devait décider à brûle-pourpoint de l'impasse inattendue.

Comme son intervention directe tardait à venir, le tisserand tarsien a continué :

D'ailleurs, la réunion devra décider de ces questions palpitantes, afin que s'établissent les droits légitimes des gentils.

Simon, néanmoins, connaissant les deux rivaux, s'est empressé de donner son opinion, s'exclamant sur un ton conciliateur :

Oui, ce sujet fera l'objet de notre examen attentif lors de l'assemblée. - Et adressant intentionnellement son regard à l'ex-rabbin, il continua son explication : - Tu fais appel à moi et j'accepte ta demande ; néanmoins, nous devons étudier l'objection de Jacques plus attentivement. Il s'agit d'un chef dévoué de cette maison et il ne serait pas juste de mépriser ses qualités. Effectivement, le conseil discutera de ce cas, mais cela signifie que le sujet n'est pas encore décidé. Je propose alors que le frère Tite soit circoncis demain pour participer aux débats avec l'inspiration supérieure que je lui connais. Et ce n'est qu'une fois que cette mesure sera prise que les horizons seront dûment élucidé pour la bonne tranquillité de tous les disciples de l'Évangile.

La subtilité de l'argument retira toute objection possible. S'il ne satisfit pas Paul, il avait contenté la majorité et alors que le jeune d'Antioche retournait à l'intérieur de la maison, l'assemblée initia les discussions préliminaires. L'ex-rabbin était taciturne et abattu. L'attitude de Jacques, les nouveaux participants étrangers à l'Évangile qui devaient voter à la réunion, le geste conciliateur de Simon Pierre, le contrariaient profondément. Cette imposition dans le cas de Tite était à ses yeux un crime. Il avait envie de retourner à Antioche, d'accuser d'hypocrites et de « pharisiens » les frères judaïsants. Mais, et les lettres d'émancipation qu'il avait promises aux compagnons des gentils ? Ne valait-il pas mieux avaler sa susceptibilité blessée par amour pour ses frères d'idéal ? Ne serait-il pas plus juste d'attendre les délibérations définitives et s'humilier ? Le souvenir de ses amis qui comptaient sur ses promesses, le calma. Profondément déçu, le converti de Damas a accompagné attentif les premiers débats. Les questions initiales donnaient une idée des grandes modifications qu'ils cherchaient à introduire dans l'Évangile du Maître.

L'un des frères présents en arrivait à dire que les gentils devaient être considérés comme le « bétail » du peuple de Dieu : des barbares qui devaient être soumis de force afin d'être employés aux travaux les plus lourds des élus. Un autre cherchait à savoir si les païens étaient semblables aux autres hommes convertis à Moïse ou à Jésus. Un vieillard aux traits sévères en arrivait à l'absurdité d'assurer que l'homme n'arrivait à se compléter qu'une fois circoncis. En marge du thème relatif aux gentils, d'autres sujets futiles furent évoqués. Il y eut ceux qui rappelaient que l'assemblée devait réglementer les devoirs concernant les aliments impurs, ainsi que le mode le plus approprié du lavage des mains. Jacques faisait valoir son opinion et discourait comme un profond connaisseur de toutes les règles. Pierre l'écoutait avec une grande sérénité. Jamais il ne répondait quand l'opinion prenait le caractère de la conversation, et attendait le moment opportun pour se manifester. Il ne prit une attitude plus énergique que lorsque l'un des composants du conseil demanda à. ce que l'Évangile de Jésus soit incorporé au livre des prophètes, tout en restant subordonné à la Loi de Moïse à toutes fins utiles. Ce fut là, la première fois que Paul de Tarse a remarqué l'ex-pêcheur intransigeant et presque sévère expliquer l'absurdité d'une telle suggestion.

Les travaux s'arrêtèrent tard dans la nuit, en phase de pure préparation. Jacques rassembla les parchemins avec des annotations, pria agenouillé et l'assemblée s'est dispersée pour une nouvelle réunion le lendemain.

C'est en compagnie de Paul et de Barnabe que Simon se dirigea vers sa chambre pour se reposer.

Le tisserand de Tarse était consterné. La circoncision de Tite lui apparaissait comme la défaite de ses principes intransigeants. Il ne pouvait s'y résigner et faisait sentir à l'ex-pêcheur toute l'extension de ses contrariétés.

Mais qu'y a-t-il de si grave à une si petite concession - interrogeait l'apôtre de Capharnaum, toujours affable -face à ce que nous prétendons réaliser ? Nous avons besoin d'un environnement pacifique pour éclaircir le problème de l'obligation de la circoncision. N'as-tu pas fait des promesses aux gentils d'Antioche ?

Paul s'est rappelé la promesse qu'il avait faite aux frères et acquiesça :

Oui, c'est vrai.

Nous savons donc combien nous devons garder notre calme pour arriver à des solutions précises. Les difficultés, en ce sens, ne concernent pas seulement l'église antiochienne. Les communautés de Césarée, de Joppé, ainsi que d'autres régions sont tourmentées par ces cas transcendants. Nous savons bien que toutes les cérémonies externes sont d'une évidente inutilité pour l'âme ; mais étant donné les principes respectables du judaïsme, nous ne pouvons pas déclarer la guerre et la mort de ces traditions, d'un jour à l'autre. Il est donc juste de combattre avec beaucoup de prudence sans offenser durement qui que ce soit.

L'ex-rabbin a écouté les admonestations de l'apôtre et, se rappelant les luttes auxquelles il avait lui-même assisté dans l'environnement pharisien, il se mit à méditer calmement.

Quelques pas encore et ils avaient atteint la salle de Pierre et Jean transformée en dortoir. Ils sont entrés. Comme Barnabe et le fils de Zébédée se livraient à une conversation animée, Paul s'est assis aux côtés de l'ex-pêcheur, se plongeant dans de profondes pensées.

Après quelques instants, l'ex-docteur de la Loi, sortant de ses réflexions, dit à Pierre, en murmurant :

Il me coûte d'être d'accord avec la circoncision de Tite, mais je ne vois pas d'autre solution.

Attirés par cette confession, Barnabe et Jean aussi se sont mis à l'écouter attentivement.

Mais, en me pliant à cette mesure - a-t-il continué avec une indicible franchise -, je ne peux m'empêcher de reconnaître à ce fait l'une des plus hautes démonstrations d'imposture. Je serai d'accord avec ce que je n'accepte d'aucune manière. Je me repentis presque d'avoir assume des engagements avec nos amis d'Antioche ; je ne pensais pas que la politique abominable des synagogues avait totalement envahi l'église de Jérusalem.

Le fils de Zébédée a fixé le converti de Damas de ses yeux très lucides, au point que Simon lui répondit calmement :

La situation est effectivement très délicate. Surtout depuis le sacrifice des quelques compagnons les plus aimés et les plus chers, les difficultés religieuses à Jérusalem se multiplient tous les jours.

Et balayant de son regard la pièce comme s'il voulait traduire fidèlement sa pensée, il a continué :

Quand la situation s'est aggravée, j'ai examiné la possibilité d'intégrer une autre communauté ; ensuite, j'ai pensé accepter la lutte et réagir ; mais, une nuit, aussi belle que celle-ci alors que je priais dans cette chambre, J'ai perçu la présence de quelqu'un qui approchait doucement. J'étais à genoux quand la porte s'est ouverte à ma grande surprise. C'était le Maître ! Son visage était le même que celui des beaux jours de Tibériades. Il m'a regardé grave et tendre, et a dit : - « Pierre occupe toi des « fils du Calvaire », avant de penser à tes caprices ! ». La merveilleuse vision n'a duré qu'une minute, mais juste après, je me suis souvenu des petits vieux, des nécessiteux, des ignorants et des malades qui frappent à notre porte. Le Seigneur me recommandait de m'occuper des porteurs de la croix. Dès lors, je n'ai plus désiré qu'une chose : les servir.

L'apôtre avait les yeux humides et Paul se sentait très Impressionné car il se rappelait qu'il avait entendu l'expression « fils du Calvaire » des lèvres spirituelles d'Abigail, lors de sa glorieuse vision dans le silence de la nuit, alors qu'il se trouvait à proximité de Tarse.

Effectivement, grande est la lutte - acquiesça le converti de Damas qui semblait plus tranquille.

Et se montrant convaincu de la nécessité d'examiner le réalisme de la vie commune, malgré la beauté des fabuleuses manifestations du plan invisible, il dit encore :

Néanmoins, nous devons trouver un moyen de libérer les vérités évangéliques du conventionnalisme humain. Quelle est la raison principale de la supériorité pharisienne dans l'église de Jérusalem ?

Simon Pierre a répondu sans hésitations :

Les plus grandes difficultés tournent autour de la question monétaire. Cette maison nourrit plus de cent personnes, quotidiennement, en plus des services d'assistance aux malades, aux orphelins et aux abandonnés. Pour la manutention des travaux, il faut beaucoup de courage et beaucoup de foi car les dettes contractées avec nos sauveteurs en ville sont inévitables.

Mais les malades - a interrogé Paul, attentif - ne travaillent pas une fois qu'ils vont mieux ?

Si - a expliqué l'apôtre -, j'ai organisé des services de plantation pour les convalescents et ceux qui sont dans l'impossibilité de s'absenter rapidement de Jérusalem. Grâce à cela, la maison n'a pas besoin d'acheter des fruits et des légumes. Quant à ceux qui sont rétablis, ils deviennent les infirmiers des plus malades. Cette providence a permis de dispenser deux hommes rémunérés qui nous aidaient à nous occuper des fous incurables ou des guérisons les plus difficiles. Comme tu vois, ces détails n'ont pas été oubliés et malgré tout l'église est pleine de dépenses et de dettes que seule la coopération du judaïsme peut atténuer ou résoudre.

Paul comprit que Pierre avait raison. Néanmoins, soucieux d'apporter une certaine indépendance aux efforts de ses frères d'idéal, il a considéré :

J'en conclus alors que nous devons mettre en place ici des modes de fonctionnement qui permettent à la maison de vivre de ses propres recours. Les orphelins, les vieux et les hommes valides pourraient trouver des activités en plus des travaux agricoles et produire quelque chose qui apporterait un revenu bien utile. Chacun travaillerait selon ses forces, sous la direction des frères les plus expérimentés. La production du service garantirait la manutention générale. Comme nous le savons, là où il y a du travail, il y a de la richesse, et où il y a de la coopération, il y a la paix. C'est le seul moyen d'émanciper l'église de Jérusalem des impositions du pharisaïsme dont je connais les astuces depuis le début ma vie.

Pierre et Jean étaient émerveillés. L'idée de Paul était excellente. Elle venait à la rencontre de leurs anxieuses préoccupations face aux difficultés qui semblaient ne pas avoir de fin.

Le projet est extraordinaire - a dit Pierre - et viendrait résoudre de grands problèmes dans notre vie.

Le fils de Zébédée, qui avait les yeux rayonnants de Joie, à son tour, a attaqué le sujet, en objectant :

Mais, l'argent ? Où trouver les fonds nécessaires à la grandiose entreprise ?...

L'ex-rabbin est entré dans une profonde réflexion et a expliqué :

Le Maître assistera nos bonnes intentions. Barnabe et moi entreprenons de longues excursions au service de l'Évangile et vivons pendant tout ce temps du fruit de notre travail. Moi comme tisserand, lui comme potier, réalisant une activité provisoire partout où nous passons. Cette première expérience passée, nous pourrions retourner maintenant dans ces mêmes régions et en visiter d'autres, demandant de l'aide pour l'église de Jérusalem. Nous prouverions notre désintérêt personnel en vivant au prix de notre effort et nous rassemblerions des dons de toute part, conscients du fait que si nous avons travaillé pour le Christ, il est tout aussi juste de demander par amour au Christ. La collecte apporterait la liberté de l'Évangile à Jérusalem, car elle serait l'outil indispensable à des constructions définitives sur le plan du travail rémunérateur.

Le programme que le généreux apôtre des gentils aurait à se soumettre pour le reste de ses jours était ainsi esquissé. Pour sa réalisation, il aurait à souffrir des plus cruelles accusations ; mais au sanctuaire de son cœur dévoué et sincère, de paire avec les services apostoliques grandioses, Paul apporterait sa collecte en faveur de Jérusalem jusqu'à la fin de son existence sur terre.

En entendant ses plans, Simon s'est levé et l'a étreint, lui disant ému :

Oui, mon ami, ce ne fut pas en vain que Jésus est allé te chercher personnellement aux portes de Damas.

Un fait assez rare dans sa vie, Paul avait les yeux pleins de larmes. Il a regardé l'ex- pêcheur d'une manière significative, considérant intimement ses dettes de gratitude envers le Sauveur, et a marmonné :

Je ne ferai rien de plus que mon devoir. Jamais je ne pourrai oublier qu'Etienne est sorti des grabats de cette maison, qui m'ont aussi déjà servi.

Ils étaient tous extrêmement émus. Barnabe a commenté cette idée avec enthousiasme et a enrichi le plan de nombreux détails.

En cette nuit, les dévoués disciples du Christ ont rêvé de l'indépendance de l'Évangile à Jérusalem ; de l'émancipation de l'église, sauvée des impositions absurdes de la synagogue.

Le lendemain, ils ont procédé solennellement à la circoncision de Tite, sous la soigneuse direction de Jacques et à la profonde répugnance de Paul de Tarse.

Les assemblées nocturnes ont continué pendant plus d'une semaine. Lors des premières nuits, à préparer le terrain pour préconiser ouvertement la cause des gentils, l'ex- pêcheur de Capharnaum a demandé aux représentants d'Antioche d'exposer leur impression lors des visites aux païens de Chypre, de Pamphylie, de Pisidie et de Lycaonie. Paul, qui était profondément contrarié par les exigences appliquées à Tite, a demandé à Barnabe de parler en son nom.

L'ex-lévite de Chypre a fait un rapport complet de tous les événements, provoquant l'immense surprise de ceux qui écoutaient les références faites à l'extraordinaire pouvoir de l'Évangile, parmi les populations qui n'avaient pas encore épousé une croyance pure. Ensuite, répondant encore aux commentaires de Paul, Tite a parlé, profondément ému, de l'interprétation des enseignements du Christ et démontrant posséder un beau don de prophétie, il éveilla l'admiration de Jacques lui-même qui l'a étreint plus d'une fois.

Au terme des travaux, l'obligation de la circoncision pour les gentils était encore en discussion. L'ex-rabbin suivait les débats, silencieux, admirant le pouvoir de résistance et la tolérance de Simon Pierre.

Lorsque l'ex-pêcheur reconnut que les divergences continueraient indéfiniment, il s'est levé et a demandé la parole, faisant la généreuse et sage exhortation fourme par les Actes des apôtres (chapitre 15, versets 7 à 11) :

Frères - a commencé Pierre, énergique et serein -, vous savez bien que depuis longtemps Dieu nous a élus pour que les gentils entendent les vérités de l'Évangile et croient en son Royaume. Le Père, qui connaît les cœurs, a donné aux circoncis et aux incirconcis la parole du Saint-Esprit. Au jour glorieux de la Pentecôte les voix ont parlé sur la place publique de Jérusalem pour les enfants d'Israël et des païens. Le Tout-Puissant a résolu que les vérités seraient annoncées indistinctement. Jésus a affirmé que les coopérateurs du Royaume arriveraient de l'Orient et de l'Occident. Je ne comprends pas pourquoi tant de controverses quand la situation est si claire à nos yeux. Le Maître a donné l'exemple du besoin d'harmonisation constante : il parlait avec les docteurs du Temple ; il fréquentait la maison des publicains ; il était l'expression de la bonne humeur pour tous ceux qui manquaient d'espoir ; il a accepté l'ultime supplice parmi les voleurs. Pour qu'elle raison devrions-nous maintenir un droit d'isolement sur ceux qui sont dans le plus grand besoin ? Un autre argument que nous ne devons pas oublier est l'arrivée de l'Évangile dans le monde alors que nous possédions déjà la Loi. Si le Maître nous l'a apporté, plein de son amour, avec les plus lourds sacrifices, serait-il juste de le renfermer dans les traditions conventionnelles, oubliant le travail à réaliser ? Le Christ ne nous a-t-il pas demandé de prêcher la Bonne Nouvelle à toutes les nations ? Bien sûr que nous ne pourrons pas mépriser le patrimoine des Israélites. Nous devons aimer, fils de la Loi que nous sommes, l'expression de profonde souffrance et d'expériences élevées qui nous vient du cœur à travers ceux qui ont précédé le Christ dans la tâche millénaire de préserver la foi en un seul Dieu ; mais cette reconnaissance doit induire notre âme à l'effort de rédemption de toutes les créatures. Abandonner les gentils à leur sort reviendrait à créer une dure captivité, plutôt que de pratiquer cet amour qui efface tous les péchés. C'est du fait de bien comprendre les juifs et de beaucoup estimer les desseins divins, que nous devons établir la plus grande fraternité avec les gentils en les convertissant en élément de fructification divine. Nous croyons que Dieu purifie notre cœur par la foi et non par les ordonnances du monde. Si aujourd'hui nous rendons grâce au triomphe glorieux de l'Évangile qui a institué notre liberté, comment imposer aux nouveaux disciples un joug que nous ne pouvons supporter nous-mêmes ? Je pense, alors, que la circoncision ne doit pas être un acte obligatoire pour ceux qui se convertissent à l'amour de Jésus-Christ, et je crois que nous ne nous sauverons que par la faveur divine du Maître qui s'étend généreusement à nous et à eux aussi.

Les paroles de l'apôtre tombèrent dans l'ébullition des opinions comme une douche froide. Paul était rayonnant, alors que Jacques ne réussissait pas à cacher sa déception.

L'exhortation de l'ex-pêcheur laissait place à de nombreuses interprétations ; s'il parlait du respect aimant aux juifs, il se rapportait aussi à un joug qu'il ne pouvait supporter. Personne, néanmoins, n'osa nier sa prudence et son indubitable bon sens.

Une fois terminée la prière, Pierre demanda à Paul de parler de ses impressions personnelles concernant les gentils. Avec plus d'espoir, pour la première fois l'ex-rabbin A pris la parole devant le conseil et invita Barnabe au Commentaire général, tous deux firent appel à l'assemblée pour qu'elle accorde la nécessaire indépendance aux païens A qui la circoncision se rapportait.

Une note de satisfaction générale régnait maintenant. Les commentaires de Pierre avaient fait taire tous les compagnons. C'est alors que Jacques a pris la parole, et se reconnaissant presque seul de son point de vue, il a expliqué que Simon avait été très bien inspiré dans son appel ; mais il demanda trois amendements pour que la situation reste bien claire. Les païens étaient exemptés de la circoncision, mais ils devaient assumer l'engagement de fuir l'idolâtrie, d'éviter la luxure et de s'abstenir des chairs d'animaux étouffés.

L'apôtre des gentils était satisfait. Le plus grand obstacle n'était plus.

Le lendemain les travaux prenaient fin et les résolutions furent inscrites sur des parchemins. Pierre fit en sorte que chaque frère prenne avec lui une lettre, comme preuve des délibérations, en vertu de la sollicitation de Paul qui désirait exhiber le document comme message d'émancipation des gentils.

Interpellé par l'ex-pêcheur, alors qu'ils étaient seuls, sur ses impressions personnelles concernant les travaux, l'ex-docteur de Jérusalem a clarifié avec un sourire :

En somme, je suis satisfait. Le plus difficile des problèmes a été résolu. L'obligation de la circoncision pour les gentils représente un crime à mes yeux. Quant aux amendements de Jacques, ils ne m'impressionnent pas, parce que l'idolâtrie et la luxure sont des actes détestables pour la vie privée de tout être ; quant aux repas, je suppose que tout chrétien pourra manger comme bon lui semble dès lors que les excès seront évités.

Pierre a souri et a expliqué à l'ex-rabbin ses nouveaux plans. Il a commenté, avec espoir, l'idée de la collecte générale pour l'église de Jérusalem, et démontrant une certaine prudence, il lui a dit inquiet :

Ton projet d'excursion et de propagande de la Bonne Nouvelle, en cherchant à collecter des fonds pour résoudre nos dépenses les plus sérieuses, me cause une Juste satisfaction ; néanmoins, je réfléchis aussi à la situation de l'église antiochienne. D'après ce que j'ai pu observer, j'en ai conclu que l'institution avait besoin de serviteurs dévoués qui se substitueraient aux travaux constants de chaque jour. Ton absence et celle de Barnabe provoqueront des difficultés si nous ne prenons pas des mesures précises. Voilà pourquoi je t'offre la coopération de deux compagnons dévoués qui m'ont remplacé ici dans les fonctions les plus lourdes. Il s'agit de Silas et de Barsabas, deux disciples amis des gentils et de principes libéraux. De temps en temps, ils entrent en désaccord avec Jacques, comme c'est naturel, et comme je le crois, ce seront de très bons auxiliaires à ton programme.

Paul vit dans cette nouvelle la mesure qu'il désirait. Avec Barnabe qui participait à la conversation, il a remercié l'ex-pêcheur, profondément ému. L'église d'Antioche aurait le soutien nécessaire que les travaux évangéliques exigeaient. L'idée proposée lui plaisait beaucoup d'autant qu'immédiatement il avait eu pour Silas une grande sympathie, pressentant en lui un compagnon loyal, actif et dévoué.

Les missionnaires d'Antioche s'attardèrent encore trois jours dans la ville après la fermeture du conseil, le temps nécessaire pour que Barnabe en profite pour se reposer chez sa sœur. Paul, néanmoins, avait décliné l'invitation de Marie Marc et était resté à l'église, étudiant la situation future en compagnie de Simon Pierre et de ses deux nouveaux collaborateurs.

Dans une atmosphère de grande harmonie, les travailleurs de l'Évangile ont examiné toutes les conditions du projet.

Un fait digne d'être mentionné fut la réclusion de Paul auprès des apôtres galiléens, il n'était jamais sorti dans la rue pour ne pas entrer en contact avec le scénario vivant de son passé tumultueux.

Finalement, tout était prêt et en place, la mission s'apprêtait à repartir. Il y avait sur toutes les physionomies un signe de gratitude et d'espoir sanctifié pour les jours à venir. Néanmoins, on pouvait remarquer un détail curieux qu'il est indispensable de souligner. A la demande de sa sœur, Barnabe avait accepté la contribution de Jean-Marc dans sa nouvelle tentative d'adaptation au service de l'Évangile. Étant donné la bonne volonté avec laquelle il avait accédé à la requête de sa sœur, l'ex-lévite de Chypre avait pensé qu'il était inutile de consulter le compagnon de ses efforts quotidiens. Paul, néanmoins, n'en fut pas blessé. Il accueillit la résolution de Barnabe, un peu étonné, a étreint le jeune garçon affectueusement et a attendu que le disciple de Pierre se prononce quant à l'avenir.

Le groupe au complet avec Silas, Barsabas et Jean-Marc se mit en route pour Antioche dans les meilleures dispositions d'harmonie.

Se relayant à la tâche de prédication des vérités éternelles, ils annonçaient le Royaume de Dieu et faisaient des guérisons partout où ils passaient.

Une fois arrivés à leur destination, à la grande joie des gentils, ils ont organisé un plan adéquat pour obtenir une efficacité immédiate. Paul a exposé son intention de retourner aux communautés chrétiennes déjà fondées en élargissant l'excursion évangélique à d'autres régions où le christianisme n'était pas connu. Ce plan reçut l'approbation générale. L'institution antiochienne serait sous la coopération directe de Barsabas et de Silas, les deux compagnons dévoués qui, jusque là, avaient été deux fortes colonnes de travail à Jérusalem.

Une fois le rapport verbal des efforts en perspective présenté, Paul et Barnabe entrèrent pour réfléchir aux dernières dispositions particulières.

Maintenant - a dit l'ex-lévite de Chypre -, j'espère que tu seras d'accord avec ce que J'ai décidé à l'égard de Jean.

Jean-Marc ? - a Interrogé Paul surpris.

Oui, Je désire l'emmener avec nous afin de lui donner goût à la tâche.

À la façon qu'il avait de le faire quand il était contrarié, l'ex-rabbln a froncé les sourcils et s'est exclamé :

Je ne suis pas d'accord ; ton neveu est encore très jeune pour cette entreprise.

Mais j'ai promis à ma sœur de l'accueillir dans nos travaux.

Cela ne peut se faire.

Surgit alors entre eux deux un conflit où Barnabe laissait percevoir son mécontentement.

L'ex-rabbin cherchait à se justifier alors que le disciple de Pierre alléguait l'engagement assumé et réfutait, avec telle ou telle marque d'amertume, l'attitude de son compagnon. Mais l'ex-docteur ne s'est pas laissé convaincre. La réadmission de Jean-Marc, disait-il, n'était pas juste. Il pourrait leur faire encore défaut, fuir les engagements supposés, mépriser l'occasion du sacrifice. Il rappelait les persécutions d'Antioche de Pisidie, les maladies Inévitables, les douleurs morales éprouvées à Icône, la lapidation cruelle sur la place de Lystre. Le jeune serait-il préparé en si peu de temps pour comprendre la portée de tous ces événements où l'âme était obligée de se réjouir du témoignage ?

Les yeux larmoyants, Barnabe était meurtri.

Après tout, a-t-il dit sur un ton émouvant, aucun de ces arguments ne me convainc et éclaire ma conscience. D'abord, je ne vois pas pourquoi détruire nos liens affectifs...

L'ex-rabbin ne l'a pas laissé finir et a conclu :

Cela jamais. Notre amitié est bien au-dessus de ces considérations. Nos liens sont

sacrés.

Et bien alors - lui fît remarquer Barnabe -, comment interpréter ton refus ? Pourquoi nier au jeune garçon une nouvelle expérience de travail régénérateur ? Ne serait-ce pas un manque de charité que de mépriser une occasion peut-être providentielle ?

Paul a longuement fixé son ami et a ajouté :

Mon intuition, en ce sens, est différente de la tienne. Presque toujours, Barnabe, l'amitié en Dieu est incompatible avec l'amitié au monde. lui nous levant pour l'exécution fidèle du devoir, les notions du monde se lèvent contre nous. Nous semblons mauvais et ingrats. Mais écoute-moi : personne ne trouvera les portes de l'opportunité fermées, parce que c'est le Tout-Puissant qui nous les ouvre. L'occasion est la même pour tous, niais les chemins doivent être différents. Dans le cadre du travail proprement humain, les expériences peuvent être renouvelées tous les jours. Cela est juste. Mais je considère qu'au service du Père, si nous interrompons la tâche commencée, c'est le signe que nous n'avons pas encore toutes les expériences indispensables à l'homme complet. Si la créature n'a pas encore connaissance de toutes les notions les plus nobles, relatives à sa vie et aux devoirs terrestres, comment peut-elle se consacrer avec succès au service1 divin ? Naturellement que nous ne pouvons pas juger si celui-ci ou celui-là a déjà fini le cours de ses démonstrations humaines et qu'à partir d'aujourd'hui, il est apte au service de l'Évangile, parce que dans ce cas chacun se révèle de lui-même. Je crois vraiment que ton neveu atteindra cette position avec quelques luttes de plus. Nous, néanmoins, nous sommes forcés de considérer que nous n'allons pas tenter une expérience, mais un témoignage. Tu comprends la différence ?

Barnabe a compris l'immense portée de ces raisons concises, irréfutables, et s'est tu pour dire quelques minutes plus tard :

Tu as raison. Cette fois, je ne pourrai donc aller avec toi.

Paul a senti toute la tristesse qui débordait de ces mots et après avoir réfléchi pendant un long moment, il a ajouté :

Ne soyons pas tristes. Je réfléchis à la possibilité de ton départ avec Jean-Marc pour Chypre. Il trouvera là-bas un terrain approprié aux travaux qui lui sont nécessaires et, en même temps, il s'occupera de l'organisation que nous avons fondée sur l'île. Dans un tel contexte, nous continuerons en parfaite coopération, même en ce qui concerne la collecte pour l'église de Jérusalem. Il est inutile de parler de l'utilité de ta présence à Neapaphos et à

Salamine. Quant à moi, je prendrai Silas et je m'enfoncerai dans le Taurus, et l'église d'Antioche restera avec la coopération de Barsabas et de Tite.

Barnabe fut très content. Le projet lui a semblé admirable. Paul restait, à ses yeux, le compagnon des solutions opportunes.

Et quelques jours plus tard, en route vers Chypre où il servirait Jésus jusqu'à ce qu'il quitte l'ile pour se rendre plus tard à Rome, Barnabe est parti avec son neveu pour la Séleucie, après s'être étreint, lui et Paul, comme deux frères très aimés que le Maître appelait à différentes destinations.

PÈLERINAGES ET SACRIFICES

En compagnie de Silas qui était en harmonie avec ses aspirations de travail, l'ex- rabbin a quitté Antioche et s'enfonça dans les montagnes pour finalement atteindre sa ville natale après d'énormes difficultés. Bientôt, le compagnon indiqué par Simon Pierre s'habituait à sa méthode de travail. Silas était d'un tempérament pacifique enrichi de remarquables qualités spirituelles vu son dévouement absolu au divin Maître. Paul, à son tour, était vraiment satisfait de sa collaboration. Parcourant de longs et impénétrables chemins, ils se nourrissaient frugalement, presque uniquement de fruits sauvages éventuellement trouvés. Le disciple de Jérusalem, néanmoins, révélait une joie égale en toutes circonstances.

Avant d'atteindre Tarse, tout le long du voyage, ils ont prêché la Bonne Nouvelle. Des soldats romains, des esclaves misérables, d'humbles caravaniers ont reçu de leurs lèvres les réconfortantes nouvelles de Jésus. Et ils ne furent pas rares ceux qui. bien que rapidement, copièrent l'une ou l'autre des annotations de Lévi, donnant la préférence à celles qui s'ajustaient le mieux à leur cas particulier. Grâce à ce procédé, l'Évangile se diffusait de plus en plus, remplissant les cœurs d'espoirs.

Dans la ville de sa naissance, plus maître de ses propres convictions, le tisserand qui se consacrait à Jésus répandit largement les joies de l'Évangile de la Rédemption. Beaucoup admiraient leur compatriote singulièrement transformé ; alors que d'autres poursuivaient leur tâche ingrate faite d'ironie et de lamentable oubli de soi-même. Plus que jamais, Paul se sentait fort dans sa foi. Il est allé voir la vieille maison où il était né, il a revu le doux site où il jouait les premiers temps de son enfance ; il a contemplé le terrain de sports où il conduisait sa bige romaine ; mais tous ces souvenirs furent exhumés sans souffrir d'aucune influence dépressive parce qu'il livrait tout cela au Christ en guise de patrimoine pour plus tard, une fois qu'il aurait accompli son divin mandat.

Après une courte permanence dans la capitale de la Cilicie, Paul et Silas partirent pour les hauteurs du Taurus, entreprenant une nouvelle étape de rude pèlerinage.

Des nuits passées sous la rosée, de nombreux sacrifices, la menace des malfaiteurs, maints dangers furent affrontés par les missionnaires qui, chaque nui!, livraient au divin Maître les résultats de leur récolte et. an petit matin, priaient que sa miséricorde ne leur manqua pas à la réalisation de la précieuse opportunité do travail qui leur était donnée, quelle que soit la difficulté de leur tâche quotidienne.

Pleins de cette confiance active, ils arrivèrent à Derbé où l'ex-rabbin très ému a étreint les amis qu'il s'était faits après sa pénible convalescence, lors de la première excursion.

L'Évangile ne cessait de répandre son rayon d'action dans tous les secteurs. Dans le cours naturel de ses travaux, c'est profondément ému que le converti de Damas reçut des nouvelles des activités de Timothée. Le jeune fils d'Eunice, d'après ce qu'on lui disait, avait su enrichir de manière fabuleuse les connaissances acquises. La petite chrétienté de Derbé lui devait déjà de grands bienfaits. Plus d'une fois, le nouveau disciple avait accouru pour des missions actives. Il disséminait des guérisons et apportait la consolation. Son nom était béni de tous. Rempli de joie, après la fin de sa tâche dans cette petite ville, l'ex-rabbin s'est dirigé vers Lystre avec une douce anxiété.

Loïde le reçut, ainsi que Silas, avec la même satisfaction de la première fois. Tous voulaient des nouvelles de Barnabe que Paul ne cessait de fournir, serviable et avec plaisir. Dans l'après-midi de ce jour, le converti de Damas a étreint Timothée avec une immense joie qui débordait de son âme. Le jeune homme arrivait de sa besogne quotidienne auprès des troupeaux. En quelques minutes, Paul prenait connaissance de l'extension de ses progrès et de ses conquêtes spirituelles. La communauté de Lystre était riche de grâces. Le jeune chrétien avait réussi à rénover les convictions d'un bon nombre : deux juifs des plus influents dans l'administration publique, qui s'étaient démarqués pour avoir approuvé la lapidation de l'apôtre, étaient maintenant de fidèles adeptes de la doctrine du Christ. Il s'occupait de la construction d'une église où les malades étaient soutenus et où les enfants abandonnés trouvaient un nid accueillant. Paul s'en réjouit.

Cette nuit-là, Il y eut dans Lystre une grande assemblée. L'apôtre des gentils trouva une atmosphère hospitalière qui lui prodiguait un grand réconfort. Il exposa l'objectif de son voyage, leur révéla ses Inquiétudes à la diffusion de l'Évangile et ajouta le point concernant l'église de Jérusalem. Comme à Derbé, tous les compagnons ont contribué dans la mesure du possible. Alors qu'il observait le triomphe tangible de l'effort de Timothée sur les couches populaires, Paul ne cachait pas sa satisfaction.

Profitant de son passage par Lystre, la gentille Loïde lui parla de ses besoins particuliers. Elle et Eunice avaient des parents en Grèce, du côté du père de son petit-fils, qui réclamaient leur présence personnelle pour qu'ils ne manquent pas de secours affectifs. Les ressources qui leur restaient à Lystre étaient sur le point de s'épuiser. D'autre part, elle désirait que Timothée se consacre au service de Jésus, Illuminant son cœur et son intelligence. La généreuse petite vieille et sa fille projetaient, alors, le changement définitif et consultaient l'apôtre quant à la possibilité d'accepter la compagnie du jeune homme, pour le moins pendant quelque temps, non seulement pour qu'il acquière de nouvelles valeurs sur le terrain de la pratique, mais aussi parce que cela faciliterait leur transfert dans un lieu aussi éloigné.

Paul acquiesça volontiers. Il accepterait la coopération de Timothée avec un réel plaisir. En apprenant la nouvelle, le jeune, à son tour transporté de joie, ne savait pas comment traduire sa profonde reconnaissance.

La veille de leur départ, Silas a abordé prudemment le sujet et demanda à l'apôtre s'il ne vaudrait pas mieux circoncire le jeune homme, afin que le judaïsme ne dérange pas les travaux apostoliques. Pour soutenir cet argument, il invoquait les obstacles et les luttes acerbes de Jérusalem. Paul y réfléchit longuement et s'est souvenu du besoin de répandre l'Évangile sans scandale pour personne et fut d'accord avec la mesure évoquée. Timothée devrait prêcher publiquement. Il coexisterait avec les gentils, mais plus particulièrement avec les Israélites, seigneurs des synagogues et de bien d'autres centres où la religion était enseignée au peuple. Il était juste de prendre des mesures pour que le jeune homme ne soit pas dérangé en leur compagnie.

Le fils d'Eunice a obéi sans hésitation. Quelques jours plus tard, faisant leurs adieux à leurs frères et aux généreuses femmes qui restaient à supplier des vœux de paix en Dieu, les missionnaires se sont dirigés vers Iconie, pleins d'un courage invincible et de la ferme intention de servir Jésus.

Les disciples visitèrent ainsi tous les petits villages de Galatie pleins de cet esprit aimant de prédication et de fraternité que le pouvoir de l'Évangile rédempteur dilatait dans les âmes et sans jamais oublier l'aide apportée à l'église de Jérusalem. Ils s'attardèrent quelque temps à Antioche de Pisidie où ils travaillèrent pour leur compte afin de répondre à leurs besoins.

Paul était très satisfait. Ses efforts, en compagnie de Barnabe, n'avaient pas été vains. Dans les lieux les plus éloignés, quand il s'y attendait le moins, voici qu'apparaissaient des nouvelles des églises qu'ils avaient précédemment fondées. Il s'agissait de bienfaits rendus à des nécessiteux, d'améliorations ou de guérisons de malades, de consolations apportées à ceux qui se trouvaient dans un désespoir extrême. L'apôtre ressentait la satisfaction du semeur qui se trouve devant les premières fleurs comme de radieuses promesses du champ cultivé.

Les émissaires de la Bonne Nouvelle ont traversé la Phrygie et la Galatie sans persécutions de grande ampleur. Le nom de Jésus était maintenant prononcé avec plus de respect.

L'ex-rabbin poursuivait sa franche activité pour la diffusion de l'Évangile en Asie, lorsqu'une nuit, après les prières habituelles, il a entendu une voix qui lui disait sur un ton aimant :

Paul, va de l'avant.... Apporte la lumière du ciel à d'autres ombres, d'autres frères t'attendent sur la route infinie !...

C'était Etienne, l'ami de tous les instants qui, représentant le Maître divin auprès de l'apôtre des gentils, l'incitait à semer la Bonne Nouvelle dans d'autres endroits.

Le valeureux émissaire des vérités éternelles a compris que le Seigneur lui réservait de nouveaux champs à défricher. Le lendemain, il en informa Silas et Timothée et conclut inspiré:

J'ai l'impression que le Maître m'appelle à de nouvelles tâches. Ce qui est d'autant plus juste que je reconnais que ces régions ont déjà reçu la semence divine.

Et il souligna après une pause :

Cette fois, nous n'avons pas rencontré de grandes difficultés. Avant, avec Barnabe, nous avons vécu les expulsions, la prison, les coups de fouets, la lapidation... Maintenant, cependant, rien de tout cela ne nous cm! arrivé. Cela veut dire qu'ici il existe déjà des bases sûres pour la victoire du Christ. Il faut donc aller là où se trouvent les obstacles et les vaincre pour que le Maître soit connu et glorifié, car nous sommes dans une bataille dont il ne faut pas mépriser les fronts.

Les deux disciples l'écoutaient et réfléchissaient à la grandeur de tels concepts.

Au bout d'une semaine, ils repartirent à pied vers Mysie. Malgré tout intuitivement, Paul perçut que ce n'était pas encore là que se trouvait leur nouveau terrain d'actions. Il a pensé se diriger vers la Bithynie, mais une voix que le généreux apôtre interprétait comme étant celle de l'« Esprit de Jésus »17, lui a suggéré de modifier son parcours l'induisant à descendre vers Troas. Une fois arrivés à destination, ils se sont arrêtés très fatigués dans une modeste auberge. Paul, dans une vision marquante de l'esprit, a vu un homme de Macédoine, qu'il a identifié à ses vêtements caractéristiques comme tel, lui faire anxieusement des signes tout en s'exclamant : - « Venez et aidez-nous ! » L'ex-docteur a interprété ce fait comme une injonction venant de Jésus quant à ses nouvelles tâches. Il en informa ses compagnons le matin même, non sans réfléchir à l'extrême difficulté d'un voyage en mer, manquant de recours.

(17) Actes, chapitre 16, verset 7. - (Note d'Emmanuel)

Néanmoins, conclut-il, je crois que le Maître nous donnera là-bas ce dont nous aurons besoin.

Respectueusement, Silas et Timothée se sont tus.

En sortant dans la rue pleine du soleil de la matinée, voilà que l'apôtre fixa du regard un commerce et s'y dirigea avec une vive joie. C'était Luc qui semblait faire des achats.

L'ex-rabbin s'est approché de lui avec les disciples et lui a tapé affectueusement sur l'épaule :

Par ici ? - a dit Paul, avec un grand sourire.

Ils se sont joyeusement étreints. Le prédicateur de l'Évangile présenta au médecin ses nouveaux compagnons, lui parla des objectifs de son excursion en ces lieux. Luc, à son tour, leur expliqua que depuis deux ans, il était chargé des services médicaux à bord d'un grand bateau ancré là, en transit vers Samothrace.

Paul prit note de ces informations avec beaucoup d'intérêt. Très impressionné par cette rencontre, il lui a parlé de la révélation auditive de leur parcours, ainsi que de sa vision de la veille.

Convaincu de l'assistance du Maître en cet instant, il lui parla avec assurance :

Je suis sûr que le Maitre nous envoie les recours nécessaires en ta personne. Nous devons faire le voyage vers la Macédoine, mais nous sommes sans argent.

Quant à cela - a répondu Luc avec franchise -, ne t'inquiète pas. Si je n'ai pas de fortune, j'ai des délais. Nous serons compagnons de voyage et je payerai tout avec satisfaction.

La conversation se poursuivit animée alors que l'ancien hôte d'Antioche leur raconta ses conquêtes pour Jésus. Lors de ses voyages, il avait profité de toutes les occasions pour diffuser l'Évangile, transmettant à tous ceux qui s'en approchaient les trésors de la Bonne Nouvelle. Quand il leur raconta qu'il était seul au monde, depuis le départ de sa chère mère pour la sphère spirituelle, Paul lui fit une nouvelle remarque en disant :

Et bien, Luc, si tu te trouves sans engagements immédiats, pourquoi ne te consacres- tu pas entièrement aux travaux du Maître divin ?

La question produisit une certaine émotion chez le médecin comme s'il s'agissait d'une révélation. Une fois la surprise passée, Luc a ajouté, un peu indécis :

Oui, mais il faut prendre en considération les devoirs de la profession.

Mais, qui a été Jésus sinon le divin médecin du monde ? Jusqu'à présent tu as guéri des corps qui, de toute façon, viendront à mourir tôt ou tard. Traiter l'esprit ne serait-ce pas un effort plus juste ? À cela je ne veux pas dire que tu doives mépriser la médecine du monde proprement dite ; mais cette tâche resterait pour ceux qui ne possèdent pas encore les valeurs spirituelles que tu portes en toi. J'ai toujours cru que la médecine du corps est un ensemble d'expériences sacrées dont l'homme ne pourra se passer jusqu'à ce qu'il se décide à faire l'expérience divine et immuable de la guérison spirituelle.

Luc a médité sérieusement à ces paroles et a répondu :

Tu as raison.

Veux-tu coopérer avec nous à l'évangélisation de la Macédoine ? - a interrogé l'ex- rabbin sentant l'avoir convaincu.

J'irai avec toi - a conclu Luc.

Les quatre disciples du Christ partagèrent une grande joie.

Le lendemain, la mission naviguait vers la Samothrace. Luc s'expliqua comme il le put et demanda à son chef l'autorisation de s'éloigner pendant une année des services à sa charge. Et comme il lui présentait un remplaçant, il réussit facilement à obtenir ce qu'il demandait.

À bord, comme il le faisait de toute part, Paul profita de toutes les occasions qui s'offraient à lui pour prêcher.

Les moindres sujets devenaient de grands thèmes évangéliques dans son raisonnement supérieur. Le commandant lui-même, un romain de bonne trempe, s'abandonnait volontiers à l'entendre.

C'est lors de ces voyages que Paul de Tarse est entré en relation avec un grand nombre de sympathisants de l'Évangile, se faisant de nombreux amis cités dans ses futures épîtres.

Une fois débarqués, les missionnaires, riches de la coopération de Luc, se sont reposés pendant deux jours à Néapolis, puis ils se sont dirigés vers Philippes. Presque aux portes de la ville, Paul a suggéré que Luc et Timothée prennent d'autres chemins et se rendent à Thessalonique où us se retrouveraient tous les quatre plus tard. Grâce à ce programme, aucun village ne serait oublié et les semences du Royaume de Dieu seraient éparpillées dans les milieux les plus humbles. L'idée fut approuvée avec satisfaction.

Luc n'oublia pas de demander si Timothée était circoncis. Il connaissait les intrigues des juifs et il ne désirait pas de frictions dans ses tâches initiales.

Ce problème - a expliqué l'apôtre des gentils - a déjà été traité. Les deux humiliations infligées à un jeune confrère que j'avais amené avec moi à Jérusalem, non pas au conseil de la synagogue mais à une réunion de l'église, m'amenèrent à réfléchir à la situation de Timothée qui aura très souvent besoin des faveurs des Israélites au cours de ses prédications. Jusqu'à ce que Dieu opère la circoncision de tant de cœurs endurcis, il est indispensable que nous sachions agir avec prudence, sans heurts qui annihilent nos efforts.

Le sujet réglé, ils sont entrés dans la ville où le médecin et le jeune de Lystre se reposèrent un peu, avant de se rendre à Thessalonique par des routes différentes, afin de multiplier les fruits de leur mission.

Ils logèrent dans une auberge presque misérable que la population de la ville réservait aux étrangers. Après trois nuits passées à la belle étoile, les amis de Jésus se sont dirigés de bon cœur vers cet abri qui se trouvait au bord du fleuve Gangas. Philippes ne possédait pas de synagogue et le sanctuaire destiné aux prières, bien que portant le nom de « maison », n'était rien d'autre qu'un coin tranquille dans la nature, entouré de murs en ruines.

Informé de la situation religieuse de la ville, Paul s'y est rendu avec ses compagnons. Très surpris, les missionnaires n'y trouvèrent que des femmes et des jeunes filles en prière. L'ex-rabbin a pénétré résolument dans le cercle féminin et a parlé des objectifs de l'Évangile, comme il l'aurait fait devant un grand public. Elles étaient toutes magnétisées par ses paroles ardentes et sublimes. Elles séchaient discrètement leurs larmes qui affluaient sur leur visage en recevant des nouvelles du Maître. L'une d'elles, appelée Lydie, une veuve digne et généreuse, s'est approchée des missionnaires se disant convertie au Sauveur promis, elle leur offrit sa propre maison pour fonder la nouvelle église.

Paul de Tarse l'a dévisagée les yeux larmoyants. En écoutant sa voix débordante d'une cristalline sincérité, il s'est souvenu qu'en Orient, le jour inoubliable du Calvaire, seules les femmes avaient accompagné Jésus dans ses pénibles angoisses, et avaient été les premières créatures à le voir dans sa glorieuse résurrection ; c'étaient encore elles qui, lors d'une douce réunion spirituelle, étaient venues recevoir la parole de l'Évangile en Occident pour la première fois. Dans une silencieuse contemplation, l'apôtre des gentils a fixé le grand nombre de jeunes filles qui étaient agenouillées à la douce ombre des arbres. Observant leurs vêtements très clairs, il eut l'impression qu'il avait devant lui une gracieuse bande de colombes très blanches, prêtes à prendre le glorieux envol des enseignements du Christ sous les merveilleux cieux de l'Europe.

C'est pour cela que contre toute attente, l'énergique prédicateur répondit à Lydie sur un ton très aimable.

Nous acceptons votre hospitalité.

Dès cet instant, est née entre Paul de Tarse et la chaleureuse église de Philippes la plus belle amitié.

Lydie, dont la maison était aisée vu le courant commercial de la pourpre, accueillit les disciples du Messie avec une Joie indicible. Entretemps, Luc et Tlmothcc continuaient leur voyage. Silas et l'ex-docteur de Jérusalem se consacraient au service de l'Évangile parmi les généreux habitants.

La ville se distinguait par son esprit romain. Il y avait dans les rues plusieurs temples dédiés aux dieux antiques. Et comme il n'y avait que les femmes qui pénétraient dans l'enceinte de la maison de prières, Paul, avec l'intrépidité qui le caractérisait, décida de prêcher l'Évangile sur la place publique.

À cette époque, Philippes avait une pythie qui était devenue célèbre dans les alentours. Comme dans les traditions de Delphes, sa parole était interprétée comme un oracle infaillible. Il s'agissait d'une jeune fille dont les employeurs cherchaient à marchander ses pouvoirs psychiques. Sa médiumnité était utilisée par des Esprits moins évolués qui se complaisaient à lui donner des intuitions sur des questions d'ordre temporel. La situation était hautement rentable pour ceux qui l'exploraient sans pitié. Il se trouva que la jeune fille était présente à la première prédication de Paul qui fut reçue par le peuple avec un succès inouï. Une fois l'exposition évangélique terminée, les missionnaires remarquèrent la jeune femme qui poussait des cris qui impressionnèrent le public et se mit à s'exclamer :

Recevez les envoyés du Dieu suprême !... Ils annoncent le salut !...

Paul et Silas restèrent un peu perplexes, mais ils ne réagirent pas à cet incident conservant une attitude discrète. Le lendemain, néanmoins, le fait se répéta et, pendant une semaine, les disciples de l'Évangile entendirent, après les prédications, l'entité qui prenait possession de la jeune fille leur lancer des compliments et des titres pompeux.

Mais l'ex-rabbin dès la première manifestation avait cherché à savoir qui était la jeune fille anonyme et fut informé de ses antécédents. Stimulés par le profit facile, ses patrons avaient installé un cabinet où la pythie donnait des consultations. Elle, à son tour, de victime était devenue partenaire de la société aux abondants revenus. Paul, qui n'avait jamais accepté le marchandage des biens célestes, perçut le mécanisme occulte des événements et, en possession de toutes les informations sur le sujet, a attendu que le visiteur de l'invisible se manifeste à nouveau.

Une fois son prêche terminé sur la place publique, la jeune fille se mit à crier : « Recevez les messagers de la rédemption ! Ce ne sont pas des hommes, mais des anges du Très-Haut !... »

Le converti de Damas est descendu de la tribune d'un pas ferme et, s'est approché de l'oratrice dominée par une étrange influence. Il a alors intimé l'entité manifestante sur un ton impératif :

Esprit pervers, nous ne sommes pas des anges, nous sommes des travailleurs en lutte contre nos propres faiblesses par amour pour l'Évangile. Au nom de Jésus-Christ, je t'ordonne de te retirer pour toujours ! Au nom du Seigneur, je t'interdis d'établir la confusion parmi les créatures en stimulant les intérêts mesquins du monde au détriment des intérêts sacrés de Dieu!

Immédiatement, la pauvre jeune fille a récupéré ses énergies et s'est sentie libérée de l'influence malfaisante.

Le fait provoqua l'admiration populaire.

Silas lui-même qui, d'une certaine manière, se complaisait à entendre les affirmations de la pythie, les interprétant comme un réconfort spirituel, était bouche bée.

Une fois seuls, il voulut connaître les raisons qui avaient amené Paul à avoir une telle attitude, et lui demanda :

Mais ne parlait-elle pas elle au nom de Dieu ? Sa propagande n'était-elle pas pour nous une aide précieuse ?

L'Apôtre a souri et a répondu :

Par hasard, Silas, peut-on sur terre juger de la valeur d'un travail avant qu'il ne soit conclu ? Cet Esprit pouvait parler de Dieu, mais ne venait pas de Dieu. Qu'avons-nous fait pour recevoir des éloges ? Jour et nuit, nous combattons les imperfections de notre âme. Jésus nous a conseillé de nous isoler pour que nous apprenions plus durablement. Tu n'ignores pas comme je vis à lutter face à l'épine de mes désirs inférieurs. Alors ? Serait-il juste d'accepter des titres que nous ne méritons pas quand le Maître a rejeté le qualificatif de « bon » ? Bien sûr que si cet Esprit venait de Jésus, toutes autres seraient ses paroles. Il stimulerait notre effort en comprenant nos faiblesses. De plus, j'ai cherché à m'informer concernant la jeune fille et je sais qu'elle est aujourd'hui la clé d'un grand mouvement commercial.

Silas était impressionné par ces clarifications plus que justes. Mais laissant entrevoir ses difficultés à les comprendre intégralement, il ajouta :

Alors, l'incident serait une leçon pour que nous n'entretenions pas de relations avec le plan invisible ?

Comment peux-tu en arriver à une telle conclusion ? - a répondu l'ex-rabbin très

surpris.

Le christianisme sans la prophétie serait un corps sans âme. Si nous fermons la porte de communication avec la sphère du Maître, comment recevoir ses enseignements ? Les prêtres sont des hommes, les temples sont des pierres. Qu'en serait-il de notre tâche sans la lumière du plan supérieur ? Du sol pousse beaucoup d'aliments, mais rien que pour le corps ; pour la nutrition de l'esprit il faut ouvrir les possibilités de notre âme au Très-Haut et compter sur le soutien divin. Pour autant, toute notre activité repose sur les dons reçus. As-tu déjà pensé au Christ sans la résurrection et sans l'échange avec les disciples ? Personne ne pourra fermer les portes qui nous mettent en communication avec le ciel. Le Christ est vivant et jamais il ne mourra. Il a coexisté avec ses amis, après le Calvaire, à Jérusalem et en Galilée; il a apporté une pluie de lumière et une sagesse aux coopérateurs galiléens à la Pentecôte ; il m'a appelé aux portes de Damas ; il a envoyé un émissaire pour la libération de Pierre quand le généreux pêcheur pleurait en prison...

À ces profondes évocations, la voix de Paul avait des intonations merveilleuses. Silas a compris et s'est tu, les yeux pleins de sanglots.

L'incident, néanmoins, allait avoir de plus grandes répercussions, bien au-delà de ce que les apôtres du Maître pouvaient attendre. La pythie ne reçut plus la visite de l'entité qui distribuait des impressions de toute sorte.

En vain, les consultants viciés ont frappé à sa porte. Se voyant privés d'un revenu facile, ceux qui étaient lésés ont fomenté un grand mouvement de révolte contre les missionnaires. La rumeur se répandait que Philippes. en vertu de l'audace du prédicateur révolutionnaire, était privée de l'assistance des Esprits de Dieu. Les fanatiques s'exaltaient. Trois jours plus tard, Paul et Sllas étalent surpris, en pleine place publique, par une attaque du peuple et furent attachés à des troncs très lourds et flagellés sans la moindre compassion. Sous les huées de la foule ignorante, ils se sont soumis avec humilité an supplice. Alors qu'ils saignaient sous les coups de fouet impitoyables, les autorités intervinrent et ils furent conduits en prison, abattus et chancelants. Dans la nuit obscure et pénible, incapables de dormir à cause de leurs cruelles douleurs, les disciples de Jésus sont restés en prières empreintes d'une lumineuse ferveur. Dehors, hurlait l'orage avec des coups de tonnerre terribles et des vents sibilants. Philippes toute entière semblait ébranlée dans ses fondations par la bruyante tempête. Il était plus de minuit et les deux apôtres priaient à voix haute. Les prisonniers voisins, les voyant prier, à l'expression de leur visage semblaient les accompagner. À travers les grilles, Paul les a dévisagés et s'en est difficilement approché. Il se mit alors à prêcher le Royaume de Dieu. Et tout en commentant la tempête imprévue qui s'était abattue sur l'esprit des disciples tandis que Jésus dormait dans la barque, un fait merveilleux toucha les yeux des incarcérés. Les lourdes portes des nombreuses cellules s'ouvrirent sans bruit. Silas est devenu livide. Paul a compris et est sorti à la rencontre de ses compagnons. Il continuait à prêcher les vérités éternelles du Seigneur avec un air impressionnant ; et voyant des dizaines d'hommes à la poitrine hirsute avec de longues barbes, la physionomie taciturne comme s'ils étaient complètement oubliés du inonde, l'apôtre des gentils se mit à parler avec d'autant plus d'enthousiasme de la mission du Christ et demanda que personne n'essaie de fuir. Ceux qui se reconnaissent coupables remercient le Père des bienfaits de la correction ; ceux qui se jugent innocents qu'ils expriment leur joie, car seuls les martyrs du juste peuvent sauver le monde. Les arguments de Paul retenaient l'attention de toute l'assemblée étrange et restreinte. Personne ne chercha à atteindre la porte de sortie et c'est réunis autour de cet inconnu, qui savait si bien parler aux malheureux, que plusieurs parmi eux se sont agenouillés en sanglots se convertissant au Sauveur qu'il annonçait avec bonté et énergie.

À l'aube, une fois la tempête atténuée, le geôlier s'est levé, dérangé par un brouhaha singulier. Voyant les portes ouvertes et craignant pour sa responsabilité, instinctivement, il essaya de se tuer. Mais Paul s'est avancé et l'empêcha de commettre ce geste extrême, lui expliquant ce qui s'était passé. Tous les incarcérés sont retournés humblement à leur cellule. Lucain, le geôlier, se convertit à la nouvelle doctrine. Avant que la clarté diurne n'ait envahi le paysage, plus ému que jamais, il apporta aux apôtres les secours les plus urgents, pensant leurs blessures. Comme il habitait sur les lieux, il conduisit les disciples dans son intérieur domestique, ordonna qu'on leur serve des aliments et du vin réconfortant. Bientôt aux premières heures, les juges de Philippes furent informés des faits. Pleins de crainte, ils ordonnèrent de libérer les prédicateurs ; mais Paul, qui désirait offrir des garanties au service chrétien qui s'initiait dans l'église établie chez Lydie, allégua sa condition de citoyen romain, inspirant plus de respect aux préteurs de Philippes pour les idées du prophète nazaréen. Il refusa l'ordre d'acquittement pour exiger la présence des juges qui comparurent méfiants. L'apôtre leur annonça le Royaume de Dieu et, exhibant ses titres, il les obligea à écouter son discours relatif à Jésus. Ils prenaient ainsi connaissance des travaux évangéliques qui naissaient dans la ville grâce à la coopération de Lydie et il commenta le droit des chrétiens de part le monde. Les préteurs lui présentèrent des excuses, ils garantirent le respect de la paix pour l'église naissante, et, alléguant l'extension de leurs responsabilités devant le peuple, ils demandèrent à Paul et Silas de quitter la ville pour éviter de nouveaux troubles.

L'ex-rabbin était satisfait et une fois de retour à la résidence de la généreuse vendeuse de pourpre, en compagnie de Silas qui reconnaissait sa force sans dissimuler son grand étonnement, il s'est encore attardé quelques jours pour tracer le programme des travaux du nouvel ensemencement de Jésus. Ensuite, il s'est dirigé vers Thessalonique, escaladant tous les coins où il y avait des sites ou des villages dans l'attente de la nouvelle du Sauveur.

Dans ce nouveau centre de débats, ils ont retrouvé Luc et Timothée qui les attendaient inquiets. Les travaux se sont poursuivis très activement. De toute part, les mêmes heurts. Des juifs aux idées préconçues, des hommes de mauvaise foi, des ingrats et des indifférents s'unissaient contre l'ex-docteur de Jérusalem et ses dévoués compagnons.

Paul restait fort et supérieur dans ces moindres affrontements. Des déceptions survenaient, des angoisses sur la place publique, des accusations injustes, des calomnies cruelles, de puissantes menaces tombaient parfois, inopinément, sur le désintérêt divin de leurs oeuvres ; mais le valeureux disciple continuait toujours, serein et ferme à travers les tempêtes, vivant strictement de son travail et obligeant ses amis à en faire autant. Il était indispensable que Jésus triomphe dans les cœurs, là résidait l'essentiel de son programme. Il négligeait tout caprice, faisait passer cette réalité avant tout et la mission se poursuivait entre les douleurs et les terribles obstacles, plus forte et plus victorieuse dans sa divine finalité.

Après d'innombrables combats avec les juifs à Thessalonique, l'ex-rabbin décida de partir pour Bérée. De nouveaux travaux, de nouveaux dévouements et de nouveaux martyres. Les travaux missionnaires, toujours initiés dans la paix, continuaient au prix de luttes extrêmes.

Les juifs rigides de Thessalonique ne manquaient pas dans Bérée. La ville s'agita contre les disciples de l'Évangile, les esprits s'exaltèrent. Luc, Timothée et Silas furent obligés de s'éloigner, déambulant dans les villages avoisinants. Paul fut arrêté et battu. Au prix de grands sacrifices de la part des sympathisants de Jésus, ils lui rendirent sa liberté à condition qu'il se retire dans les plus brefs délais.

L'ex-rabbin a immédiatement accepté. Il savait que derrière lui et à travers ses efforts insensés, il resterait toujours une église domestique qui grandirait à l'infini, encouragée par la miséricorde du Maître afin de proclamer l'excellence de la Bonne Nouvelle.

Il faisait nuit quand ses frères d'idéal réussirent à le transférer de la prison à la voie publique. L'apôtre des gentils voulut savoir comment allaient ses compagnons et fut informé des vicissitudes qui les assaillaient. Il s'est souvenu que Silas et Luc étaient malades, que Timothée devait retrouver sa mère dans le port de Corinthe. Il valait mieux offrir à ses amis une trêve dans le tourbillon des activités rénovatrices. Il ne serait pas juste d'exiger leur coopération quand lui-même ressentait le besoin de se reposer.

Les frères de Bérée insistèrent pour qu'il parte. Ce aérait de la témérité que de provoquer de nouveaux heurts. Ce fut là que Paul décida de mettre en pratique un vieux plan. Il visiterait Athènes satisfaisant un vieil idéal. De nombreuses fois impressionné par la culture hellénique reçue à Tarse, il nourrissait le désir de connaître ses monuments glorieux, ses temples magnifiques, son esprit sage et libre. Quand il était encore très jeune, il avait songé visiter la magnifique ville des anciens dieux, disposé à lui apporter les trésors de sa foi gardés à Jérusalem : il assisterait à des assemblées cultivées et indépendantes et parlerait de Moïse et de sa Loi. Pensant, maintenant, à la réalisation d'un tel projet, il se disait qu'il apporterait une lumière bien plus riche à l'esprit athénien : il annoncerait à la célèbre ville l'Évangile de Jésus. Bien évidemment quand il parlerait sur la place publique, il n'affronterait pas les tumultes si prisés des Israélites. Il savourait déjà le plaisir de parler à la foule sensible aux sujets d'ordre spirituel. Indubitablement, les philosophes attendaient des nouvelles du Christ avec impatience. Ils trouveraient dans ses prêches évangéliques le vrai sens de la vie.

Enthousiasmé par ces espoirs, l'apôtre des gentils se décida à voyager accompagné de quelques amis très fidèles. Arrivés aux portes d'Athènes, ceux-ci prirent le chemin du retour le laissant complètement seul.

Paul pénétra dans la ville pris d'une grande émotion. Athènes exhibait encore de nombreuses beautés extérieures. Les monuments de ses vénérables traditions étaient presque tous debout ; de douces harmonies vibraient au ciel très bleu ; des vallées charmantes étaient tapissées de fleurs et exhalaient des parfums. La grande âme de l'apôtre s'est extasiée à la contemplation de la nature. Il s'est rappelé les nobles philosophes qui avaient respiré ces mêmes airs. Il s'est souvenu des fastes glorieux du passé athénien, se sentant transporté dans un merveilleux sanctuaire. Néanmoins, le passant des rues ne pouvait voir son âme, et de Paul ils ne voyaient à peine que son corps grossier que les privations avaient rendu exotique. Beaucoup de gens le prirent pour un mendiant, un déchet humain perdu dans la grande masse qui arrivait en flux constant de l'Orient déserté. L'émissaire de l'Évangile, dans l'enthousiasme de ses généreuses intentions, ne pouvait percevoir les opinions malencontreuses le concernant. Plein de bonnes intentions, il décida de prêcher sur la place publique, l'après-midi de ce même jour. Il prétendait affronter l'esprit athénien comme il avait déjà affronté les grandeurs matérielles de la ville.

Mais ses efforts furent suivis d'un pénible échec. D'innombrables personnes se sont approchées dans un premier temps ; mais quand ils ont entendu ses références faites à Jésus et à la résurrection, une grande partie des assistants a éclaté d'un rire d'une irritante ironie.

Ce philosophe serait-il un nouveau dieu ? -demanda un passant d'un air moqueur.

Il est bien mal en point pour cela - répondit l'interpellé.

Où a-t-on déjà vu un dieu de la sorte ? - demandait un autre. - Voyez comme ses mains tremblent ! Il semble malade et affaibli. Sa barbe est sauvage et il est plein de cicatrices!...

C'est un fou - s'exclama un ancien avec de grandes présomptions de sagesse. - Ne perdons pas de temps.

Paul a tout entendu, a remarqué la file des désintéressés, indifférents et endurcis qui s'éloignaient, et ressentit un grand froid dans son cœur. Athènes était très loin de ses espoirs. L'assemblée populaire lui avait donné l'impression d'un énorme assemblage de créatures empoisonnées par une fausse culture. Pendant plus d'une semaine, il persévéra à prêcher en public sans résultats appréciables. Personne ne s'intéressait à Jésus et, encore moins, à lui offrir un logement pour une simple question de sympathie. C'était la première fois, depuis qu'il avait initié sa tâche missionnaire qu'il quittait une ville sans avoir fondé une église. Dans les villages les plus rustiques, il apparaissait toujours quelqu'un pour copier les annotations de Lévi, pour commencer le travail évangélique au sein d'un humble foyer. À Athènes personne ne semblait intéressé à la lecture des textes évangéliques. Néanmoins, à force d'insister auprès de quelques personnages importants, il fut conduit à Aréopage pour prendre contact avec les hommes les plus sages et les plus intelligents de l'époque.

Les composants du noble conclave reçurent sa visite avec plus de curiosité que d'intérêt.

L'apôtre pénétrait là grâce à Denys, un homme cultivé et généreux, qui répondait à ses demandes afin d'observer jusqu'où allait son courage dans la présentation de la doctrine inconnue.

Paul commença à impressionner son auditoire aristocratique en faisant allusion au « Dieu inconnu », honoré sur les autels athéniens. Sa parole vibrante présentait de singulières nuances ; les images étaient plus riches et belles que celles enregistrées par l'auteur des Actes. Denys lui-même était admiratif. L'apôtre se révélait très différent de celui qu'il avait vu sur la place publique. Il parlait avec une grande noblesse, avec emphase, les images se revêtaient de couleurs extraordinaires ; mais quand il se mit à parler de la résurrection, il y eut un murmure fort et prolongé. L'assistance riait ouvertement, les moqueries acerbes pleuvaient. L'aristocratie intellectuelle athénienne ne pouvait faire abstraction de ses préjugés scientifiques.

Les plus ironiques quittaient l'enceinte avec des éclats de rire sarcastiques, tandis que les plus modérés, par considération pour Denys, se sont approchés de l'apôtre avec des sourires intraduisibles, déclarant qu'ils l'entendraient volontiers une autre fois quand il ne se permettrait pas de commenter des sujets de fiction.

Paul en fut bien naturellement désolé. À ce moment-là, il ne pouvait en conclure que la fausse culture trouverait toujours, dans la véritable sagesse, une expression des choses imaginaires et sans aucun sens. L'attitude d'Aréopage ne lui permettait pas d'aller jusqu'au bout. Bientôt la somptueuse enceinte était presque silencieuse, l'apôtre se dit qu'il serait préférable d'affronter le tumulte des juifs. Là où il y avait de la lutte, il y aurait toujours des fruits à récolter. Les discussions et les heurts représentaient très souvent l'effervescence de la terre spirituelle pour la semence divine. Alors qu'en ces lieux, il avait trouvé la froideur de la pierre. Le marbre des colonnes magnifiques lui avait immédiatement donné une image de la situation. La culture athénienne était belle et très soignée, elle impressionnait par son aspect extérieur magnifique, mais elle était froide et portait la rigidité de la mort intellectuelle.

Seul Denys, une jeune femme du nom de Damaris et quelques serviteurs du palais étaient restés à ses côtés, extrêmement contrariés, bien qu'enclins à sa cause.

Malgré sa déception, Paul de Tarse faisait son possible pour dissiper le nuage de tristesse qui planait sur tout le monde, en commençant par lui-même. Il a esquissé un sourire de résignation et fit quelques remarques avec bonne-humeur. L'admiration de Denys pour les puissantes qualités spirituelles de cet homme d'une apparence fragile, aussi énergique et soucieux de ses convictions, s'en est encore sentie davantage renforcée.

Avant de se retirer, Paul a parlé de la possibilité de fonder une église, même dans le cadre d'un humble sanctuaire domestique où serait étudié et commenté l'Évangile. Mais ceux qui étaient là n'ont pas été avares d'excuses et de prétextes. Denys a affirmé qu'il déplorait ne pas être en mesure de soutenir un tel engagement, étant donné l'angoisse régnante de l'époque; Damaris a allégué des empêchements domestiques ; les serviteurs d'Aréopage, un à un, ont manifesté des difficultés extrêmes. L'un était très pauvre, l'autre incompris, et Paul reçut tous ces refus en gardant une singulière expression physionomique, comme le semeur qui ne se voit entouré que de pierres et d'épines.

L'apôtre des gentils est reparti avec sérénité. Mais dès qu'il fut seul, il pleura copieusement. À qui attribuer ce pénible échec ? Il ne put comprendre sur le coup qu'Athènes souffrait d'empoisonnements intellectuels séculaires, et, se supposant abandonné par les énergies du plan supérieur, l'ex-rabbin a laissé libre cours à son terrible découragement. Il ne pouvait se résoudre à la froideur générale, d'autant que la nouvelle doctrine ne lui appartenait pas mais était celle du Christ. Quand il ne pleurait pas pour sa propre douleur, il pleurait pour le Maître, se disant que lui, Paul, n'avait pas su correspondre à l'attente du Sauveur.

Pendant plusieurs jours, il ne réussit pas à se défaire du nuage d'inquiétudes qui avait assombri son âme, mais s'en remettait finalement à Jésus et suppliait sa protection pour les grandes tâches de sa vie.

Dans cette nuée d'incertitudes et d'amertumes, l'aide du Maître est apparue à l'apôtre bien-aimé. Timothée est arrivé de Corinthe, chargé de lui apporter de bonnes nouvelles.

LES ÉPÎTRES

Le petit-fils de Loïde apportait à l'ex-rabbin plusieurs nouvelles réconfortantes. Il avait déjà installé les deux femmes en ville et était porteur de quelques ressources. Il lui parla du développement de la doctrine chrétienne dans la vieille capitale de l'Achaïe. Paul lui fut plus particulièrement reconnaissant de l'informer que Timothée avait rencontré Aquiles et Prisca. Deux êtres qui lui furent solidaires lors des difficultés extrêmes vécues dans le désert et qui travaillaient maintenant à Corinthe pour la gloire du Seigneur. Il en était vraiment enchanté. En plus des nombreuses raisons personnelles qui l'appelaient en Achaïe - comme les souvenirs indélébiles de Jeziel et d'Abigail - le désir d'étreindre le couple ami était aussi un motif décisif à son départ immédiat.

Le valeureux prêcheur quittait Athènes plutôt déçu. L'échec dû à la culture grecque obligeait son esprit curieux à des analyses plus désolantes. Il commençait à comprendre pourquoi le Maître avait préféré la Galilée avec ses coopérateurs humbles et simples de cœur ; il appréhendait mieux la raison de la parole franche du Christ sur le salut et s'expliquait sa prédilection naturelle pour les désertés par la chance.

Timothée remarqua sa singulière tristesse et chercha en vain à le convaincre de l'utilité de continuer par la mer car ce serait plus facile par le Pirée. Mais il voulut à tout prix partir à pied et visiter les sites isolés en chemin.

Pourtant. J'ai l'impression que vous êtes malade -objecta le disciple, essayant de l'en dissuader. - Ne serait-il pas plus raisonnable de vous reposer ?

Se rappelant les découragements éprouvés, l'apôtre souligna :

Tant que nous pouvons travailler, nous devons voir dans le travail un élixir à tous les maux. De plus, il est juste de profiter du temps et de l'occasion.

Je pense néanmoins - lui dit son jeune ami - , que vous pourriez repousser un peu...

Repousser pourquoi ? - a répliqué l'ex-rabbin faisant son possible pour se défaire des peines d'Athènes. - J'ai toujours eu la conviction que Dieu est pressé de voir le service bien fait. Si cela est une caractéristique de nos activités mesquines dans les choses de ce monde, comment reporter ou manquer aux devoirs sacrés de notre âme envers le Tout- Puissant ?

Le jeune homme a réfléchi à l'exactitude de ces allégations, puis se tut. Ils ont parcouru ainsi plus de soixante kilomètres en quelques jours de marche qui furent interrompus de prêches. À cette tâche parmi les humbles populations, Paul de Tarse se sentait un peu consolé. Les hommes de la campagne reçurent la Bonne Nouvelle avec une plus grande joie et plus de compréhension et c'est ainsi que de petites églises domestiques furent fondées non loin du golfe de Saron.

Porté par les doux souvenirs d'Abigail, il a traversé l'isthme et a pénétré dans la ville mouvementée et bruyante. Après avoir étreint Loïde et Eunice qui vivaient dans une maisonnette du port de Cenchrées, il voulut voir ses vieux amis de F« oasis de Dan ».

Leurs retrouvailles furent empruntes d'une joie infinie. Aquiles et sa compagne ont longuement parlé des services évangéliques auxquelles ils avaient été appelés pour la miséricorde de Jésus. Les yeux brillants comme s'ils avaient vaincu une grande bataille, ils ont raconté à l'apôtre qu'ils avaient pu réaliser leur souhait de rester à Rome pendant quelques temps. Comme d'humbles tisserands, ils avaient habité une vieille demeure en ruine à Trastevere et avaient d'abord prêché l'Évangile dans l'ambiance même des pompes césariennes. Les juifs avaient vraiment déclaré la guerre aux nouveaux principes. Depuis la première attaque de la Bonne Nouvelle, ils avaient produit de grands tourments dans le « ghetto » du quartier pauvre et abandonné. Prisca raconta comment un groupe d'Israélites violents avaient brusquement envahi sa chambre pendant la nuit avec des instruments de flagellation et de punition. Son mari s'était attardé à l'atelier et n'avait pu l'empêcher de souffrir des impitoyables coups de fouet. Ce ne fut que bien plus tard qu'elle fut secourue par Aquiles qui la trouva baignée de sang. L'apôtre tarsien exultait. Il raconta à son tour les douleurs vécues de toute part au nom de Jésus-Christ. Tels des titres éternels de gloire, ces martyres étaient présentés comme des faveurs offertes à Jésus, car celui qui aime est anxieux de donner quelque chose et ceux qui aiment le Maître se sentent extrêmement heureux de souffrir par dévouement en son nom.

Désireux de retrouver la sérénité de ses réalisations actives et d'oublier la froideur athénienne, Paul évoqua avec Aquiles et sa femme son projet de fonder une église à Corinthe. Immédiatement, ceux-ci se mirent à sa disposition. Acceptant leur offre généreuse et pour s'occuper quotidiennement de cette mission, l'ex-rabbin vint habiter en leur compagnie.

Corinthe était une suggestion permanente de souvenirs chers à son cœur. Sans informer ses amis des réminiscences qui bouillonnaient dans son âme sensible, il voulut revoir les sites auxquels Abigail se rapportait toujours avec enthousiasme. Discrètement, il localisa la région où devait avoir existé le petit site du vieux Jochedeb, maintenant incorporé à l'immense quantité de propriétés des héritiers de Licinius Minucius. Puis, il alla voir la vieille prison d'où sa fiancée avait pu échapper aux criminels qui avalent assassiné son père et asservi son frère. Dans le port de Cenchrées d'où Abigail était partie un jour pour conquérir son cœur sous les desseins supérieurs et immuables de l'Éternel, il médita longuement.

Paul se livra corps et âme aux rudes services. Le labeur actif des mains lui apportait le doux oubli d'Athènes. Comprenant le besoin d'une période de calme, il induit Luc à se reposer à Troas puisque Timothée et Silas y avaient trouvé un travail comme caravaniers.

Mais avant de reprendre les prédications, des émissaires venus de Thessalonique, de Bérée et d'autres points de la Macédoine où avait été fondée leur église bien-aimée arrivèrent à Corinthe. Les communautés avaient des sujets urgents à traiter qui exigeaient de délicates interventions de leur part. Se sentant en difficulté pour répondre à tout le inonde avec la promptitude nécessaire, il dut rappeler Silas et Timothée pour coopérer. Profitant des opportunités liées à leur profession, tous deux pourraient contribuer de manière efficace à la solution des problèmes imprévisibles.

Encouragé par le soutien de ses amis, Paul fit un discours dans la synagogue pour la première fois. Sa parole vibrante eut un succès extraordinaire. Des Juifs et des Grecs parlèrent de Jésus avec enthousiasme. Le tisserand fut invité à poursuivre ses commentaires religieux toutes les semaines. Mais dès qu'il se mit à aborder les relations existantes entre la Loi et l'Évangile, les heurts resurgirent. Les Israélites ne toléraient pas la supériorité de Jésus sur Moïse et s'ils considéraient le Christ comme un prophète de la race, ils ne l'acceptaient pas comme un Sauveur. Paul releva les défis mais ne réussit pas à dissuader des cœurs aussi endurcis. Pendant plusieurs samedis, les discussions se prolongèrent jusqu'au jour où le verbe enflammé et sincère de l'apôtre critiqua les erreurs pharisiennes avec véhémence et l'un des principaux chefs de la synagogue l'intima avec rudesse :

Tais-toi, discoureur impudent ! La synagogue a toléré ton imposture avec une très grande patience, mais au nom de la majorité, j'ordonne que tu t'en ailles pour toujours ! Nous ne voulons rien savoir de ton Sauveur exterminé comme les chiens de la croix !...

En entendant des expressions aussi méprisantes à l'égard du Christ, l'apôtre ressentit les larmes lui monter aux yeux. Il a longuement réfléchi à la situation et a répliqué :

Jusqu'à présent, dans Corinthe, j'ai cherché à dire la vérité au peuple élu de Dieu pour la garantie sacrée de l'unité divine ; mais si vous ne l'acceptez pas aujourd'hui, je chercherai à guérir les gentils !... Les malédictions injustes lancées à Jésus-Christ retomberont sur vous !...

Quelques Israélites plus exaltés voulurent l'agresser, provoquant le tumulte. Mais un Romain de nom Titus Justus présent à l'assemblée et qui, depuis la première prédication, s'était senti fortement attiré par la puissante personnalité de l'apôtre, s'est approché et lui a tendu des bras amicaux. Paul a pu sortir Indemne de l'enceinte, s'acheminant vers la résidence de son bienfaiteur qui mit à sa disposition tous les éléments nécessaires à l'organisation d'une église active.

Le tisserand était radieux. C'était la première conquête pour une fondation définitive.

Avec l'aide de tous les sympathisants de l'Évangile, Tite Justus acquit une maison pour initier les services religieux. Aquiles et Prisca en furent les principaux collaborateurs avec Loïde et Eunice et mirent à exécution les programmes tracés par Paul conformément à la chère organisation d'Antioche.

L'église de Corinthe se mit alors à produire les fruits les plus riches de spiritualité. La ville était célèbre pour sa débauche, mais l'apôtre avait l'habitude de dire que c'est des bourbiers que naissent très souvent, les plus beaux lys ; et comme là où il y a beaucoup de péchés, il y a beaucoup de remords et de souffrances, dans de telles circonstances, la communauté a grandi jour après jour rassemblant les croyants les plus divers qui arrivaient soucieux d'abandonner cette Babylone incendiée par les vices.

Avec la présence de Paul, l'église de Corinthe acquérait une singulière importance et presque quotidiennement arrivaient des émissaires des régions les plus lointaines. C'étaient des porteurs de Galatie qui demandaient de l'aide pour les églises de Pisidie ; des compagnons d'Iconie, de Lystre, de Thessalonique, de Chypre, de Jérusalem. Autour de l'apôtre s'est formé un petit collège de partisans, de travailleurs permanents qui coopéraient avec lui aux moindres activités. Paul, néanmoins, s'inquiétait beaucoup. Les sujets étaient aussi urgents que variés. Il ne pouvait oublier ses objectifs ; il avait assumé de lourds engagements avec les frères de

Corinthe ; il ne devait oublier la collecte destinée à Jérusalem ; il ne pouvait mépriser les communautés précédemment fondées. Peu à peu, il comprit qu'il ne suffisait pas d'envoyer des émissaires. Les demandes pleuvaient de tous les sites par où il avait déambulé portant les bénéfices de la Bonne Nouvelle. Les frères aimants et confiants comptaient sur sa sincérité et son dévouement, l'obligeant à ardemment se battre.

Se sentant incapable de répondre à tous les besoins en même temps et profitant un jour du silence de la nuit alors que l'église était déserte, le dévoué disciple de l'Évangile supplia Jésus, les larmes aux yeux, que les aides nécessaires à l'accomplissement intégral de sa tâche ne lui fassent pas défaut.

Une fois terminée la prière, il se sentit enveloppé d'une douce clarté et eut la claire impression de recevoir la visite du Seigneur. À genoux, éprouvant une indicible émotion, il entendit un avertissement serein et affectueux :

N'aie pas peur - disait la voix -, continue à enseigner la vérité et ne te tais pas car je suis avec toi.

L'apôtre a laissé libre cours aux larmes qui coulaient de son cœur. Cette attention aimante de Jésus, cette exhortation en réponse à son appel pénétrait son âme comme des vagues caressantes. La joie du moment compensait toutes les douleurs et souffrances du chemin. Désireux de profiter de l'inspiration sacrée de ce moment furtif, il réfléchit aux difficultés qu'il avait à répondre aux différentes églises fraternelles. Cela suffit pour que la voix extrêmement douce continue :

Ne t'inquiète pas des besoins du service. Il est bien naturel que tu ne puisses assister personnellement tout le monde en même temps. Mais il est possible de tous les satisfaire, simultanément, par les pouvoirs de l'esprit.

Il voulut découvrir le juste sens de cette phrase mais n'y parvint pas.

Alors la voix continua avec douceur :

Tu pourras résoudre le problème en écrivant à tous les frères en mon nom ; ceux de bonne volonté sauront comprendre parce que la valeur de la tâche n'est pas dans la présence personnelle du missionnaire, mais dans le contenu spirituel de son verbe, de son exemple et de sa vie. Désormais, Etienne restera plus prêt de toi, te transmettant mes pensées, et le travail d'évangélisation pourra s'élargir dans l'intérêt des souffrances et des besoins du monde.

L'ami dévoué des gentils vit que la lumière s'éteignait ; le silence à nouveau régna entre les murs simples de l'église de Corinthe, mais comme s'il avait bu l'eau divine des clartés éternelles, il conservait son Esprit plongé dans une joie intraduisible. Il reprendrait la tâche avec plus de ténacité, enverrait aux communautés les plus lointaines des nouvelles du Christ.

Et effectivement, le lendemain, des porteurs de Thessalonique arrivèrent avec des nouvelles très désagréables. Les juifs avaient réussi à éveiller au sein de l'église d'étranges doutes et de nouveaux conflits. Timothée corroborait ces faits avec des commentaires personnels. Ils demandaient la présence de l'apôtre de toute urgence, mais celui-ci décida de mettre en pratique la suggestion du Maître, et se rappelant que Jésus lui avait promis d'associer Etienne à la divine tâche, il jugea bon ne pas devoir agir seul. Il fit donc appel à Timothée et à Silas pour écrire la première de ses célèbres épîtres.

C'est ainsi que commença la circulation de ces lettres immortelles dont l'essence spirituelle venait de la sphère du Christ à travers la contribution aimante d'Etienne -accompagnateur dévoué et fidèle de celui qui s'était proclamé, dans sa jeunesse, comme le premier persécuteur du christianisme.

Percevant l'esprit élevé de coopération de toutes les oeuvres divines, Paul de Tarse n'aspira jamais à écrire seul. Dans ces moments, il cherchait à s'entourer des compagnons les plus dignes, s'aidait de leurs inspirations, conscient du fait que lorsque le messager de Jésus ne trouvait pas dans ses qualités sentimentales les facultés précises pour transmettre les desseins du Seigneur, il trouverait en ses amis les ressources appropriées.

Dès lors, les lettres aimées et célèbres, véritable trésor de vibrations d'un monde supérieur, étaient copiées et entendues de toute part. Ainsi donc Paul n'a jamais plus cessé d'écrire, ignorant cependant que ces documents sublimes, écrits très souvent à l'heure d'angoisses extrêmes, ne se destinaient pas à une église particulière mais à la chrétienté universelle. Les épîtres eurent rapidement du succès. Pour leur contenu plein de consolations, les frères se les disputaient dans les coins les plus humbles. En recevant les premières copies à Jérusalem, Simon Pierre lui-même réunit la communauté et les lisant, ému, il déclara que les lettres du converti de Damas devaient être interprétées comme des lettres du Christ aux disciples et aux partisans, affirmant encore, qu'elles marquaient une nouvelle période lumineuse dans l'histoire de l'Évangile.

Profondément réconforté, l'ex-docteur de la Loi chercha à enrichir l'église de Corinthe de toutes les expériences acquises à l'institution antiochienne. Les chrétiens de la ville vivaient dans un océan de joies indéfinissables. L'église possédait son service d'assistance à ceux qui avaient besoin de pain, de vêtements ou de remèdes. De vénérables petites vieilles se relayaient à la sainte tâche de s'occuper des plus démunis. Quotidiennement le soir, des réunions avalent lieu pour commenter un passage de la vie du Christ. Puis lors de la prédication principale et selon les manifestations de chacun, le silence se faisait afin de réfléchir à ce qu'ils recevaient du ciel A travers les prédictions faites. Ceux qui n'avalent pas de don de prophéties possédaient des facultés guérisseuses dont profitaient les malades dans une salle toute proche. La médiumnité évangélisée des temps modernes est le prophétisme des églises apostoliques.

Comme cela arrivait parfois à Antioche, des petites discussions surgissaient sur des points d'interprétation plus urdus que Paul s'empressait de calmer, préservant ainsi lu fraternité édifiante.

À la fin des travaux de chaque soir, une prière fervente et sincère désignait l'heure du

repos.

L'institution progressait à vue d'œil. S'alliant à la générosité de Titus Justus, d'autres Romains fortunés se rapprochèrent de l'Évangile enrichissant ainsi l'organisation de nouvelles possibilités. Les pauvres Israélites trouvaient dans l'église un foyer généreux où Dieu se manifestait à eux dans des démonstrations de bonté, à l'inverse des synagogues où, au lieu du pain pour assouvir leur faim vorace, du baume pour apaiser les plaies du corps et de l'âme, us ne trouvaient dans son enceinte que l'âpreté des règles tyranniques sur les lèvres des prêtres sans miséricorde.

Irrités par le succès inégalable de l'entreprise de Paul de Tarse qui se trouvait en ville depuis déjà un an et demi, ayant fondé un abri parfait pour les « fils du Calvaire », les juifs de Corinthe conspirèrent un terrible courant de persécution contre l'apôtre. La synagogue se vidait. Il fallait détruire la cause de son discrédit social. L'ex-rabbin de Jérusalem paierait très cher l'audace de la propagande du Messie nazaréen au détriment de Moïse.

Le proconsul de l'Achaïe dont la résidence se trouvait à Corinthe, un Romain généreux et illustre avait pour habitude d'agir conformément à la justice dans la vie publique. Frère de Sénèque, Junius Gallion était un homme d'une grande bonté et d'une éducation soignée. La procédure initiée contre l'ex-rabbin arriva entre ses mains sans que Paul en ait la moindre connaissance et le nombre des accusations portées par les Israélites était si grand que l'administrateur fut contraint de faire emprisonner l'apôtre pour procéder à l'enquête initiale. Immédiatement, la synagogue sollicita que la tâche de conduire l'accusé au tribunal lui soit déléguée. Loin de connaître les mobiles de cette demande, le proconsul accorda l'autorisation requise, décidant de la comparution des intéressés à l'audience publique du lendemain.

En possession de l'ordre, les Israélites les plus exaltés décidèrent d'arrêter Paul la veille, à un moment où ce fait pouvait scandaliser toute la communauté.

Dans la soirée, à l'heure exacte où l'ex-rabbin pris d'une profonde inspiration commentait l'Évangile, le groupe armé s'est posté devant la porte alors que quelques juifs des plus éminents se sont dirigés à l'intérieur.

Paul a écouté la sentence d'emprisonnement avec une extrême sérénité. Il n'en fut pas de même pour l'assemblée. Il y eut un grand tumulte dans l'enceinte.

Quelques jeunes plus exaltés ont éteint les torches, mais l'apôtre valeureux dans un appel solennel et émouvant s'est écrié :

Frères, voudriez-vous le Christ sans témoignage par hasard ?

La question a résonné dans l'enceinte retenant tous les souffles. Toujours serein, l'ex- rabbin a ordonné que l'on allume la lumière et tendant ses poignets aux juifs stupéfaits, il dit sur un ton inoubliable :

Je suis prêt !...

L'un des membres du groupe dépité par cette supériorité spirituelle s'est avancé et lui a donné un coup de fouet en plein visage.

Quelques chrétiens ont protesté, les porteurs de l'ordre de Gallion ont répondu avec rudesse, mais le prisonnier, sans démontrer la moindre révolte, a clamé à voix haute :

Frères, réjouissons-nous en le Christ Jésus. Restons calmes et joyeux parce que le Seigneur nous a jugé dignes !...

Une grande sérénité se fit alors dans l'assemblée. Plusieurs femmes pleuraient tout bas. Aquiles et sa femme ont adressé à l'apôtre un inoubliable regard et la petite caravane s'est dirigée vers la prison dans l'ombre de la nuit. Jeté au fond d'un cachot humide, Paul fut attaché au tronc du supplice et dut supporter la flagellation des trente-neuf coups de fouet.

Lui-même était surpris. Une paix sublime baignait son cœur de douces consolations. Bien que se sentant seul entouré de cruels persécuteurs, il ressentait une nouvelle confiance en Jésus. Dans ces conditions, les flagellations impitoyables ne lui faisaient pas mal et c'était en vain que les bourreaux cherchaient à torturer son esprit ardent avec des insultes et des railleries. Dans l'épreuve dure et pénible, il comprit joyeusement qu'il avait atteint la région de la paix divine du monde intérieur que Dieu accorde à ses fils après les luttes acerbes et incessantes supportées à la conquête d'eux-mêmes. D'autres fois, l'amour pour la justice l'avait conduit à des situations passionnées, à des désirs mal contenus, à d'âpres polémiques ; mais là, à affronter les coups de fouet qui tombaient sur ses épaules à demi nues, ouvrant des sillons sanglants dans un souvenir plus vif du Christ, il avait l'impression d'arriver à ses bras miséricordieux après des randonnées terribles et amères depuis l'heure où il était tombé aux portes de Damas sous une tempête de larmes et de ténèbres. Plongé dans ces pensées sublimes, Paul de Tarse vécut alors sa première grande extase. Il n'entendait plus les sarcasmes des bourreaux inflexibles, il sentait que son âme se dilatait à l'infini, vivait des émotions sacrées d'un indéfinissable bonheur. Un délicieux sommeil anesthésia son cœur et ce ne fut qu'à l'aube qu'il revint à lui de son doux repos. Le soleil lui rendait visite, joyeux, à travers les barreaux. Le valeureux disciple de l'Évangile s'est relevé frais et dispos, réajusta ses vêtements et attendit patiemment.

Ce ne fut qu'après midi que trois soldats sont descendus au cachot des disciplines judaïques, retirer le prisonnier pour le conduire en présence du proconsul.

Paul a comparu à la barre du tribunal empreint d'une immense sérénité. L'enceinte était pleine d'Israélites exaltés, mais l'apôtre a remarqué que l'assemblée se composait en majorité de Grecs à la physionomie sympathique, beaucoup parmi eux étaient des connaissances personnelles des travaux d'assistance réalisés dans l'église.

Conscient de sa position, Junius Gallion s'est assis sous le regard anxieux des spectateurs pleins d'intérêt.

Conformément à la coutume, le proconmi! devait entendre les parties en litige avant de prononcer tout jugement, en dépit des plaintes et de« accuNtUlon» enregistrées.

L'un des personnages les plus éminents de la synagogue, du nom de Sosthène, s'exprimerait au nom des juifs ; mais comme le représentant de l'église de Corlnlhr n'apparaissait pas pour la défense de l'apôtre, l'autorité demanda l'exécution immédiate de la sentence. Très surpris, Paul de Tarse suppliait intimement Jésus d'être If protecteur de sa cause quand s'est présenté un homme qui était disposé à se prononcer au nom de l'Église. C'était Titus Justus, le généreux Romain qui ne dédaignait pas l'occasion du témoignage. Un fait inattendu survint à cette occasion. Les Grecs de l'assemblée éclatèrent en une tempête d'applaudis sements.

Junius Gallion demanda aux plaignants d'initier les déclarations publiques nécessaires.

Sosthène se mit à parler, soutenu de toute évidence par les juifs présents. Il accusait Paul de blasphémateur, de déserteur de la Loi, de sorcier. Il s'est rudement rapporté à son passé et raconta aussi que ses parents eux-mêmes l'avaient abandonné. Le proconsul écoutait attentif mais ne cessait de conserver une curieuse attitude. Sans prêter attention à la stupéfaction générale, il gardait son index de la main droite comprimé sur son oreille. Ceux qui appartenaient à la synagogue étaient en majorité déconcertés par ce geste. Pour finir son allocution aussi passionnée qu'injuste, Sosthène interrogea l'administrateur d'Achaïe concernant son attitude qui exigeait une clarification, afin de ne pas être prise pour de la déconsidération.

Très calmement, Gallion a répondu avec humour :

Il me semble que je ne suis pas ici pour justifier de mes actes personnels mais pour répondre aux impératifs de la justice. En conséquence, conformément au code de la fraternité humaine, je déclare qu'à mon avis tout administrateur ou juge d'une cause étrangère devra réserver une oreille pour l'accusation et l'autre pour la défense.

Tandis que les juifs fronçaient les sourcils extrêmement déconcertés, les Corinthiens riaient avec plaisir. Paul lui-même trouva particulièrement amusante la confession du proconsul et ne put masquer le sourire bienveillant qui a soudain illuminé son visage.

Une fois l'incident humoristique passé, Titus Justus s'est approché et a parlé succinctement de la mission de l'apôtre. Ses paroles obéissaient au large souffle d'inspiration et étaient d'une grande beauté spirituelle. En entendant l'histoire du converti de Damas des lèvres d'un compatriote, Junius Gallion s'est senti impressionné et ému. De temps en temps, les Grecs éclataient en de frénétiques applaudissements remplis de satisfaction. Les Israélites ont compris qu'ils perdaient petit à petit du terrain.

À la fin des travaux, le chef politique de l'Achaïe a pris la parole pour conclure qu'il ne voyait aucun crime chez le disciple de l'Évangile et avant toute accusation injuste, les juifs devaient examiner l'œuvre généreuse de l'église de Corinthe car à son avis les principes Israélites n'avaient pas été offensés. Il ajouta que la seule controverse des propos ne justifiait pas des violences et conclut à la frivolité des accusations tout en déclarant ne pas désirer assumer la fonction déjuge pour un sujet de cette nature.

Chaque conclusion formulée était bruyamment applaudie par les Corinthiens.

Quand Junius Gallion déclara que Paul pouvait se considérer libre, les acclamations tournèrent au délire. L'autorité recommanda que le retrait des personnes présentes se fasse dans l'ordre, mais les Orées ont attendu la descente de Sosthène et quand est apparue la figure solennelle du « maître » ils l'ont attaqué sans pitié. Un énorme tumulte eut lieu tout le long de l'escalier qui séparait le tribunal de la voie publique. Angoissé, Titus Justus s'est approché du proconsul et lui demanda d'intervenir. Gallion, néanmoins, qui se préparait a rentrer chez lui, adressa à Paul un regard de sympathie et ajouta calmement :

Ne nous inquiétons pas. Les juifs sont habitués à ces tumultes. Si moi en tant que juge, j'ai protégé une oreille, il me semble que Sosthène devrait protéger tout son corps en sa qualité d'accusateur.

Et il s'est dirigé vers l'intérieur du bâtiment dans une attitude impassible. C'est alors que Paul, apparaissant en haut de l'escalier, s'est écrié :

Frères, calmez-vous par amour pour le Christ !...

Cette exhortation est tombée de plein fouet sur la foule nombreuse et arrêta le désordre. L'effet fut immédiat. Les rumeurs et les insultes cessèrent. Les derniers opposants figèrent leurs bras menaçants. Le converti de Damas intervint empressé pour secourir Sosthène dont le visage saignait déjà. Conformément à la demande de Paul, l'accusateur implacable du jour fut reconduit avec grands soins à sa résidence par les chrétiens de Corinthe.

Grandement dépités par cet échec, les Israélites de la ville projetèrent de nouvelles attaques, mais l'apôtre décida de réunir la communauté de l'Évangile et déclara vouloir partir pour l'Asie afin de répondre aux appels insistants de Jean18 et fonder définitivement l'église d'Éphèse.

18 Jean a Initié ses activités dans l'église mixte d'Éphèse très tôt, bien qui ne se détachant pas de Jérusalem. - (Note d'Emmanuel)

Amicalement, les Corinthiens ont protesté cherchant à le retenir, mais l'ex-rabbin a exposé avec fermeté l'utilité de ce voyage et leur dit qu'il prendrait très bientôt le chemin du retour. Tous les coopérateurs de l'église étaient désolés. Principalement Phoebé, une remarquable collaboratrice des efforts apostoliques à Corinthe qui ne réussissait pas à cacher les larmes qui étouffaient son cœur. Le dévoué disciple de Jésus lui fit comprendre que l'église était fondée et qu'elle ne requérait maintenant que l'attention et l'affection des compagnons. Il ne serait pas juste, à son avis, d'affronter à nouveau la colère des Israélites, il lui semblait plus raisonnable d'attendre que l'œuvre du temps se fasse pour les réalisations à venir.

Un mois plus tard, il était parti en direction d'Éphèse, emmenant avec lui Aquiles et son épouse qui étaient disposés à l'accompagner.

En quittant la ville, sa pensée restait tournée vers le passé, vers les espoirs de bonheur terrestre que les années avaient absorbés. Il avait visité les lieux où Abigail et son frère avaient joué dans leur enfance, s'était saturé de souvenirs doux et inoubliables et au port de Cenchrées, se rappelant du départ de sa fiancée bien-aimée, il s'était rasé la tête, renouvelant ainsi ses vœux de fidélité éternelle conformément aux coutumes populaires de l'époque.

Après un voyage difficile, plein d'incidents pénibles, Paul et ses compagnons arrivèrent à destination.

L'église d'Éphèse affrontait de cruels problèmes. Jean combattait sérieusement pour que l'effort évangélique ne dégénère pas en polémiques stériles, et les tisserands dernièrement arrivés de Corinthe lui prêtèrent main forte lui apportant une coopération essentielle.

Alors qu'il affrontait les juifs à la synagogue lors de discussions échauffées, l'ex-rabbin n'oubliait pas certaines réalisations sentimentales qu'il convoitait depuis longtemps. Avec une délicatesse extrême, il rendit visite à la Mère de Jésus dans sa modeste maisonnette qui donnait sur la mer. Il fut fortement impressionné par l'humilité de cette créature simple et aimante qui ressemblait davantage à un ange portant l'habit d'une femme. Paul de Tarse s'est intéressé à ses tendres récits concernant la nuit de la naissance du Maître. Il enregistra au fond de son cœur ses impressions divines et promit de revenir à la première occasion, afin de rassembler les données indispensables à l'Évangile qu'il prétendait écrire pour les générations de chrétiens à venir. Avec joie, Marie se mit à sa disposition.

Toutefois après avoir coopéré pendant quelque temps à la consolidation de l'église et considérant qu'Aquiles et Prisca se trouvaient bien installés et satisfaits, l'apôtre décida de partir vers de nouveaux horizons. En vain ses frères voulurent l'en dissuader, le suppliant de rester en ville un peu plus longtemps. Il promit de revenir dès que les circonstances le lui permettraient et prétexta devoir aller à Jérusalem, porter à Simon Pierre le fruit des collectes rassemblées pendant des années consécutives sur les lieux qu'il avait parcourus. Le fils de Zébédée, qui connaissait son ancien projet, lui donna raison d'entreprendre ce voyage sans plus tarder.

Comme ils se trouvaient à nouveau à ses côtés, Silas et Timothée lui tinrent compagnie lors de cette nouvelle excursion.

Passant par d'énormes difficultés, mais prêchant toujours la Bonne Nouvelle avec un véritable enthousiasme dévotionnel, ils arrivèrent au port de Césarée où ils restèrent quelques jours pour instruire les intéressés à la connaissance de l'Évangile. De là, ils se sont dirigés à pied vers Jérusalem, distribuant des consolations et des guérisons tout le long du chemin. Arrivés à la capitale du judaïsme, l'ex-pêcheur de Capharnaum les reçut avec une immense joie. Simon Pierre présentait une grande fatigue physique vu les luttes terribles et incessantes affrontées pour que l'église supporte les tempêtes acharnées sans trop d'émoi. Ses yeux, malgré tout, gardaient la même sérénité caractéristique aux fidèles disciples.

Paul lui remit joyeusement la petite fortune dont l'application allait assurer une plus grande indépendance à l'institution de Jérusalem pour le juste développement de l'oeuvre du Christ. Ému, Pierre le remercia et l'embrassa les larmes aux yeux. Les pauvres, les orphelins, les vieux abandonnés et les convalescents auraient désormais une école bénie de travail sanctifiant.

Pierre remarqua aussi que l'ex-rabbin semblait las. Très maigre et particulièrement pâle, les cheveux déjà grisonnants, tout en lui dénonçait l'intensité des luttes endurées. Ses mains et son visage étaient pleins de cicatrices.

Face à cela, l'ex-pêcheur lui a parlé avec enthousiasme de ses épîtres qui se répandaient dans toutes les églises et qui étaient lues avec assiduité. Sa grande expérience des problèmes d'ordre spirituel lui donnait la conviction que ces lettres avaient été écrites sous l'inspiration directe du Maître divin. Paul de Tarse reçut ce commentaire avec émotion vu la spontanéité manifestée par son compagnon. De plus - ajouta Simon avec plaisir -, il ne pouvait être d'élément éducatif d'une portée plus élevée que celui-ci. Il connaissait des chrétiens de Palestine qui gardaient de nombreuses copies du message aux Thessaloniciens. Les églises de Joppé et d'Antipatris, par exemple, commentaient les épîtres phrase après phrase.

L'ex-rabbin ressentit un immense réconfort pour continuer sa lutte rédemptrice.

Après quelques jours, il partit pour Antioche avec quelques disciples. Il se reposa un peu auprès de précieux compagnons, mais sa puissante capacité de travail ne lui permettait pas de plus longs arrêts.

À cette époque, il ne passait pas une semaine sans recevoir un émissaire venant de diverses églises qui se trouvaient dans les endroits les plus retirés. Antioche de Pisidie récapitulait ses difficultés ; Iconie demandait de nouvelles visites ; Bérée suppliait des mesures ; Corinthe manquait d'éclaircissements ; Colosse insistait pour recevoir sa présence au plus vite. Profitant des compagnons présents à cette occasion, Paul de Tarse leur envoyait de nouvelles lettres, répondant à tous avec la plus grande affection. Dans de telles circonstances, l'apôtre des gentils ne fut jamais plus seul dans sa tâche évangélisatrice. Toujours assisté par de nombreux disciples, ses épîtres, qui resteraient pour les générations de chrétiens à venir, sont pour la plupart pleines de références personnelles douces et aimantes.

Une fois son séjour à Antioche terminé, il est retourné à sa ville natale pour y parler des vérités éternelles et réussit à éveiller un grand nombre de tarsiens aux réalités de l'Évangile. Ensuite, il s'est à nouveau enfoncé dans les hauteurs du Taurus pour visiter les communautés de toute la Galatie et de la Phrygie, soulevant l'enthousiasme des compagnons de foi, ce à quoi il passait le plus clair de son temps. Dans cet élan infatigable et incessant, il réussit à recruter de nouveaux disciples de Jésus, distribuant de grands bienfaits dans tous les coins illuminés par sa parole édifiante qui s'accompagnait de faits marquants.

De toute part, les luttes sans trêves, les joies et les douleurs, les angoisses et les amertumes du monde n'arrivaient pas à étouffer ses espoirs en la promesse de Jésus. D'un côté, se trouvaient les rigides Israélites, ennemis entêtés et déclarés du Sauveur ; de l'autre, les chrétiens indécis qui oscillaient entre les besoins personnels et les fausses interprétations. Mais le missionnaire tarsien savait que le disciple sincère doit ressentir les sensations de la « porte étroite » à chaque jour qui passe et ne jamais se laisser guider par le découragement. À tout instant, il renouvelait son intention de tout supporter, d'agir, de faire et de construire pour l'Évangile, entièrement consacré à Jésus-Christ.

Une fois qu'il eut triomphé des luttes, il décida de retourner à Éphèse, désireux de se consacrer au service de l'Évangile d'après les souvenirs de Marie.

Mais il n'y trouva pas Aquiles et Prisca retournés à Corinthe en compagnie d'un certain Apollos qui s'était fait remarquer par sa culture parmi les derniers convertis. Bien qu'il ne prétendit avoir que quelques conversations plus prolongées avec la fille inoubliable de Nazareth, il fut obligé d'affronter une lutte particulièrement sérieuse avec les coopérateurs de Jean. La synagogue avait à cette époque un grand ascendant politique sur l'église de la ville qui menaçait de s'effondrer. L'ex-rabbin perçut le danger et releva le défi sans réserves. Pendant trois mois, il alla discuter à la synagogue à toutes les réunions qui se présentaient. La population, qui était passée par de terribles doutes, semblait peu à peu atteindre une compréhension plus élevée et plus riche de lumières. Un beau jour, alors qu'il multipliait les guérisons merveilleuses, une fois qu'il eut imposé ses mains sur quelques malades, Paul fut encerclé par une clarté Indéfinissable du monde spirituel. Les voix sanctifiées, qui s'étaient manifestées à Jérusalem et à Antioche, ont alors parlé sur la place publique. Ce fait eut une énorme répercussion et donna une plus grande autorité aux arguments de l'apôtre, contredisant ainsi les juifs.

À Éphèse, on ne parlait pas d'autre chose. D'un jour à l'autre, l'ex-rabbin était à l'apogée de la considération. Les Israélites perdaient du terrain sur toute la ligne. Le tisserand profita de l'occasion pour enfoncer des racines évangéliques plus profondes dans les cœurs. En secondant l'effort de Jean, il mit en place dans l'église des services d'assistance aux plus démunis. L'institution s'enrichissait de valeurs spirituelles. Comprenant l'importance de l'organisation d'Éphèse sur toute l'Asie, Paul de Tarse décida d'y prolonger son séjour. Des disciples de Macédoine vinrent se joindre à lui. Aquiles et sa femme revinrent de Corinthe ; Timothée, Silas et Tite quant à eux coopéraient activement en visitant les églises chrétiennes déjà fondées. Ainsi vigoureusement assisté, le généreux apôtre multipliait les guérisons et les bienfaits au nom du Seigneur. En œuvrant pour la victoire des principes du Maître, il avait fait en sorte que beaucoup abandonnent des croyances et des superstitions dangereuses pour se livrer aux bras aimants du Christ.

Ce rythme de travail fécond durait déjà depuis plus de deux ans quand survint un événement qui eut de vastes répercussions parmi les Éphésiens.

La ville vouait un culte très spécial à la déesse Diane. De minuscules statues, des images fragmentaires de la divinité mythologique, des décorations étaient partout présentes dans la vie de tous les jours chez ces populations. Toutefois, les prédications de Paul avaient modifié les préférences du peuple. L'acquisition des images de la déesse n'intéressait plus que quelques-uns. Ce culte qui était très lucratif pour les commerces de l'époque était largement dirigé par un artisan du nom de Déméter. Une protestation véhémente s'initia alors devant les autorités compétentes.

Les victimes alléguaient que la campagne de l'apôtre annihilait les plus belles traditions populaires de la ville notable et florissante. Le culte à Diane venait de leurs ancêtres et méritait un plus grand respect ; en outre, toute une classe d'hommes valides se retrouvait sans travail.

Déméter s'activa. Les artisans se réunirent et payèrent des agitateurs. Ils savaient que Paul parlerait au théâtre dans la soirée du lendemain. Payés par les artisans, les malfaiteurs se mirent à répandre des rumeurs chez les plus crédules. Ils insinuaient que l'ex-rabbin se préparait à investir le temple de Diane afin de brûler les objets du culte. Ils ajoutaient que la bande iconoclaste sortirait du théâtre pour exécuter son sinistre projet. Les esprits se sont irrités. Le plan de Déméter touchait profondément l'imagination des plus simples. La nuit venue, une grande masse populaire s'est postée sur la vaste place dans une attitude d'expectative. La nuit était presque tombée et la foule grandissait toujours. À l'allumage des premières lumières dans le théâtre, les artisans croyaient que l'apôtre s'y trouvait. Avec des imprécations et des gestes menaçants, la foule a avancé lançant des cris furieux mais il n'y avait que Gaïus et Aristarque, des frères venus de Macédoine qui se trouvaient là pour préparer l'ambiance des prédications de la nuit. Tous deux furent arrêtés par les fanatiques. Vérifiant l'absence de l'ex-rabbin, la masse inconsciente s'est acheminée vers la tente d'Aquiles et de Prisca. Mais Paul n'était pas là non plus. Le modeste atelier du couple chrétien fut totalement détruit. Les métiers à tisser furent cassés, des pièces de cuir furent jetées furieusement à la rue. Finalement, le couple fut fait prisonnier, sous les huées impitoyables de la foule exacerbée.

La nouvelle se répandit extrêmement rapidement. La colonne révolutionnaire rassemblait des partisans dans toutes les rues, étant donné son caractère festif. En vain, des soldats ont accouru pour contenir la foule. Les plus grands efforts étaient inutiles. De temps en temps, Déméter apparaissait à une tribune improvisée et s'adressait au peuple empoisonnant les esprits.

Se trouvant chez un ami, Paul de Tarse fut informé des faits graves qui se déroulaient. Sa première impulsion fut d'aller immédiatement à la rencontre des compagnons capturés pour les libérer, mais les frères l'empêchèrent de sortir. Cette pénible nuit resterait gravée dans sa mémoire. Au loin, il entendait crier : - « Grande est la Diane d'Éphèse ! Grande est la Diane d'Éphèse ! » Mais l'apôtre, empêché de force par ses compagnons, dut renoncer à éclairer la masse populaire sur la voie publique.

Ce n'est que très tard dans la nuit que le notable de la ville réussit à parler au peuple, l'incitant à porter sa requête en jugement et à abandonner cette folle intention de faire justice de ses propres mains.

Peu avant minuit, l'assemblée s'est dispersée mais Paul ne répondit à la volonté des autorités qu'après avoir vu Gaïus, Aristarque et le couple de tisserands retenus dans un cachot.

Le lendemain, en compagnie de Jean, le généreux apôtre des gentils alla constater les dommages subis par la tente d'Aquiles. Tout était éparpillé en miettes sur la voie publique. Avec une immense peine Paul pensa à ses amis emprisonnés et dit au fils de Zébédée, les yeux pleins de larmes.

Comme tout cela m'attriste ! Dès les premières heures de ma conversion en Jésus, Aquiles et Prisca ont été mes compagnons de lutte. C'est moi qui devrais souffrir pour eux, pour tout l'amour que je leur dois ; aussi, je ne trouve pas raisonnable qu'ils souffrent à cause de moi.

La cause est du Christ ! - a répondu Jean avec justesse.

L'ex-rabbin a semblé se résigner à ce commentaire et a acquiescé :

Oui, le Maître nous consolera.

Et après avoir longuement réfléchi, il a murmuré :

Nous vivons des luttes incessantes en Asie depuis plus de vingt ans... Maintenant, je dois me retirer sans plus tarder de l'Ionie. Les coups sont venus de tous les côtés. Pour le bien que nous leur voulons, ils nous font tout le mal qu'ils peuvent. Pauvres de nous si nous n'apportions pas les marques du Christ Jésus !

Le valeureux prédicateur, si courageux et si résistant en pleurait ! Jean qui contemplait ses cheveux prématurément blancs s'en aperçut et voulut changer de sujet :

Ne t'en va pas pour l'instant - a-t-il dit sur un ton suppliant -, tu es encore utile ici.

Impossible - a-t-il répondu avec tristesse -, l'agitation des feintes continuera. Tous les frères paieraient cher ma compagnie.

Mais tu ne prétends pas écrire l'Évangile d'après les souvenirs de Marie ? - a demandé doucement le fils de Zébédée.

C'est vrai - a confirmé l'ex-rabbin avec une sérénité amère -, néanmoins, il faut partir. Si je ne reviens plus, j'enverrai un compagnon pour recueillir les annotations requises.

Mais tu pourrais rester avec nous.

Le tisserand de Tarse a regardé son compagnon avec tranquillité et humblement lui expliqua :

Peut-être te trompes-tu. Je suis né pour une lutte sans trêve qui devra prévaloir jusqu'à la fin de mes jours. Avant de rencontrer la lumière de l'Évangile, j'ai agi criminellement bien que porté par le désir sincère de servir Dieu. Très tôt, j'ai échoué dans l'espoir de fonder un foyer. J'étais haï de tous jusqu'à ce que le Seigneur ait pitié de ma misérable situation, m'appelant aux portes de Damas. Alors, s'est établi un abîme entre mon âme et mon passé. Abandonné de mes amis d'enfance, j'ai dû partir dans le désert et recommencer ma vie. De la tribune du Sanhédrin, je suis retourné au métier à tisser lourd et rustique. Quand je suis revenu à Jérusalem, le judaïsme me disait malade et me prenait pour un menteur. À Tarse, j'ai vécu l'abandon de mes parents les plus chers. Ensuite, j'ai recommencé à Antioche la tâche qui me conduisait au service de Dieu. Dès lors, j'ai travaillé sans relâche car de nombreux siècles de service ne suffiraient pas pour payer tout ce que je dois au christianisme. Et je suis parti pour prêcher. J'ai parcouru quantité de villes, j'ai visité des centaines de villages, mais de nulle part je ne suis parti sans passer par des luttes amères. Je suis toujours sorti par la porte des prisons sous le coup des lapidations ou celui des fouets. Lors de mes voyages en mer, j'ai fait plusieurs fois naufrage ; pas même dans le gonflement étroit d'un bateau, j'ai pu éviter les combats. Mais Jésus m'a enseigné la sagesse de la paix intérieure en parfaite communion avec son amour.

Ces paroles étaient dites sur un ton d'humilité si sincère que le fils de Zébédée ne réussit pas à cacher son admiration.

Tu es heureux, Paul - a-t-il dit convaincu -, car tu as compris le programme de Jésus te concernant. Ne souffre pas du souvenir des martyres passés car le Maître a été obligé de quitter ce monde sous les tourments de la croix. Réjouissons-nous des emprisonnements et des souffrances. Si le Christ est parti en saignant de blessures si pénibles, nous n'avons pas le droit de l'accompagner sans cicatrices...

L'apôtre des gentils a prêté une grande attention à ces mots réconfortants et a murmuré:

C'est vrai !...

En outre - a ajouté son compagnon ému -, nous devons compter sur de nombreux calvaires. Si l'Agneau immaculé a souffert sur la croix de l'ignominie, de combien de croix aurons-nous besoin pour atteindre la rédemption ? Jésus est venu au monde par immense miséricorde. Il nous a doucement salués en nous convoquant à une vie meilleure... Maintenant, mon ami, avec les ancêtres d'Israël qui sont sortis des prisons d'Egypte aux prix de sacrifices extrêmes, nous devons fuir l'esclavage des péchés en nous efforçant, en disciplinant notre esprit, afin de nous joindre au Maître conformément à son immense bonté.

Paul a hoché sa tête, pensif, et a ajouté :

Depuis que le Seigneur a daigné me convoquer au service de l'Évangile, je n'ai pas réfléchi à autre chose.

À ce rythme cordial, ils ont parlé pendant longtemps encore, jusqu'à ce que l'apôtre des gentils conclue plus réconforté :

Tout ce que je sais c'est que ma tâche en Orient est achevée. L'esprit de service exige que j'aille au-delà... J'ai l'espoir de prêcher l'Évangile du Royaume, à Rome, en Espagne et chez des peuples moins connus...

Son regard était plein de visions glorieuses et Jean a murmuré humblement :

Dieu bénira ta route.

Il s'est encore un peu attardé à Éphèse et fit son possible en faveur des prisonniers. Il réussit à obtenir leur libération et décida de quitter l'Ionie dans les plus brefs délais. Il était, néanmoins, profondément accablé. Il se disait que les dernières luttes avaient beaucoup diminué ses forces. En compagnie de quelques amis, il s'est dirigé vers Troas où il s'est arrêté quelques jours, édifiant les frères dans la foi. Sa fatigue, pourtant, s'accentuait de plus en plus. Les préoccupations l'irritaient. Il ressentait au fond une profonde désolation que l'insomnie aggravait au quotidien. Paul, qui n'avait jamais oublié la tendresse des frères de Philippes, décida alors d'y trouver un refuge, soucieux de se reposer pendant un temps. L'apôtre fut accueilli avec d'évidentes preuves d'affection et de considération. Les enfants de l'institution redoublèrent leurs démonstrations d'affectueuse tendresse. Une autre surprise agréable l'attendait là : Luc se trouvait accidentellement en ville et vint le saluer. Cette rencontre ranima son esprit abattu. À la vue de son ami, le médecin fut alarmé. Paul lui a semblé extrêmement faible et triste, malgré la foi inébranlable qui nourrissait son cœur et débordait de ses lèvres. Celui-ci expliqua qu'il avait été malade, qu'il avait beaucoup souffert des dernières prédications à Éphèse, qu'il était seul à Philippes après le départ de quelques amis qui l'avaient accompagné et que les collaborateurs les plus fidèles étaient partis pour Corinthe où ils l'attendaient.

Très surpris, Luc a tout entendu calmement et lui a demandé :

Quand partiras-tu ?

Je prétends rester ici deux semaines.

Et après avoir balayé de son regard le paysage, il a conclu presque sur un ton d'amertume :

D'ailleurs, mon cher Luc, je pense que c'est la dernière fois que je me repose à Philippes...

Mais, pourquoi ? Il n'y a pas de raisons pour des pressentiments aussi tristes.

Paul a remarqué l'inquiétude de son ami et s'est dépêché d'effacer ses premières impressions :

Je pense partir pour l'Occident - a-t-il dit avec un sourire.

Très bien ! - a répondu Luc ravi. - Je vais finir ce que j'ai à faire ici et je partirai avec toi pour Corinthe.

L'apôtre s'en réjouit. Il était enchanté de la présence d'un compagnon des plus dévoués. Luc aussi était satisfait à l'idée de l'assister dans son voyage. Avec beaucoup d'efforts, il chercha à dissimuler la pénible impression que la santé de l'apôtre lui avait causée. Très maigre, le visage pâle, les yeux profonds, l'ex-rabbin donnait l'impression d'une grande misère organique. Le médecin, néanmoins, fît son possible pour cacher ses fâcheuses conjectures.

Comme d'habitude durant tout le voyage jusqu'à Corinthe, Paul de Tarse a parlé du projet d'arriver à Rome pour apporter à la capitale de l'Empire le message de l'amour du Christ Jésus. La compagnie de Luc, le changement de paysages revigoraient ses forces physiques. Le médecin lui-même était surpris par la réaction naturelle de cet homme d'une puissante volonté.

En chemin, à travers les prédications occasionnelles du long itinéraire, quelques compagnons plus dévoués se sont Joints à eux.

De retour à Corinthe, l'ex-rabbin a ratifié ses épîtres, a réorganisé avec amour le programme des services de l'église et dans le cercle plus restreint on ne parlait pas d'autre chose que du projet grandiose de visiter Rome, afin d'assister les chrétiens déjà présents dans la ville des Césars à fonder des institutions semblables à celles de Jérusalem, d'Antioche, de Corinthe et de bien d'autres centres plus importants de l'Orient. Pendant cet intervalle de temps, il a ainsi pu restaurer les énergies latentes de son organisme affaibli. Il s'affairait à la tâche, coordonnant sans cesse des idées concernant le programme visé dans la métropole impériale. Il prit de nombreuses dispositions. Il voulut préparer son arrivée en la faisant précéder d'une lettre dans laquelle il récapitulait la doctrine réconfortante de l'Évangile et citait, avec des salutations affectueuses, tous les frères de sa connaissance présents dans l'environnement romain. Aquiles et Prisca étaient retournés d'Éphèse à la capitale de l'Empire dans l'intention de recommencer leur vie. Ce seraient des assistants estimés. À ces fins, Paul employa plusieurs jours à la rédaction du célèbre document qu'il termina par de nombreuses salutations personnelles et générales. C'est alors qu'eut lieu un épisode peu connu des partisans du christianisme. Considérant que tous ses frères et prédicateurs étaient des créatures excessivement occupées aux tâches les plus diverses et que Paul aurait du mal à trouver un porteur pour la célèbre lettre, la sœur du nom de Phoebé, grande coopératrice de l'apôtre des gentils au port de Cenchrées, l'informa qu'elle devait se rendre à Rome en visite chez des parents, et s'offrait volontiers à porter le document destiné à illuminer la chrétienté à venir.

Paul exultait de satisfaction, d'ailleurs partagée par toute la confrérie. L'épître fut finie avec beaucoup d'enthousiasme et de joie. Dès que l'héroïque émissaire fut partie, l'ex-rabbin se réunit avec la petite communauté des chers disciples pour asseoir les bases définitives de la grande excursion. Il leur expliqua d'abord que l'hiver allait commencer, mais que dès que reviendrait le temps de la navigation, il embarquerait pour Rome. Après avoir justifié l'excellence du plan puisque l'Évangile était déjà implanté dans les régions les plus importantes de l'Orient, il demanda à ses fidèles amis de lui dire comment et jusqu'à quel point il leur serait possible de le seconder. Timothée allégua qu'actuellement Eunice ne pouvait offrir ses soins, vu le décès de la vénérable Loïde. Il exposa qu'il devait retourner à Thessalonique et Aristarque devait l'aider. Sopater parla de ses difficultés à Bérée. Quant à Gaïus, il prétendait partir pour Derbé le lendemain. Tychique et Trophime ont avancé le besoin urgent d'aller à Éphèse d'où ils prétendaient partir pour Antioche leur ville natale. Presque tous étaient dans l'impossibilité de participer à l'excursion. Seul Silas affirma pouvoir le faire, quoi qu'il en soit. Bientôt, arriva le tour de Luc qui était resté silencieux jusque là. Il les informa qu'il était prêt et décidé à partager les travaux et les joies de la mission de Rome. De toute l'assemblée, deux seulement pourraient l'accompagner. Très satisfait, Paul s'y est résigné. Silas et Luc lui suffiraient, ils étaient habitués à ses méthodes de propagande et étaient porteurs des plus beaux titres de travail et de dévouement à la cause de Jésus.

Tout allait à merveille, le plan élaboré augurait de grands espoirs quand, le lendemain matin, un pèlerin pauvre et triste est apparu dans Corinthe. Débarqué de l'un des derniers bateaux arrivés du Péloponnèse pour rester ancrés tout le long de l'hiver, il venait de Jérusalem. Il frappa à la porte de l'église et désira immédiatement voir Paul afin de lui remettre une lettre confidentielle. Devant ce singulier messager, l'apôtre fut surpris. Il s'agissait du frère Abdias. Jacques l'avait chargé d'apporter ce message à l'ex-rabbin. Celui-ci le prit et le décacheta nerveusement.

Au fur et à mesure qu'il lisait, il devenait do plus en plus pâle.

Il s'agissait d'un document particulier de la plus haute importance. Le fils d'Alphée confiait à l'ex-docteur de la Loi les pénibles événements qui se déroulaient à Jérusalem. Jacques l'informait que l'église souffrait de nouvelles et très violentes persécutions de la part du Sanhédrin. Les rabbins avaient décidé de remettre en pratique les tortures infligées aux chrétiens. Simon Pierre avait été banni de la ville ». Un grand nombre de confrères étalent l'objet de nouvelles persécutions et martyres. L'église avait été investie par des pharisiens sans scrupules et elle n'avait pas souffert de plus grandes déprédations en vertu du respect que le peuple lui consacrait. Grâce à ses attitudes conciliantes, il avait réussi à calmer les esprits les plus fanatiques, mais le Sanhédrin alléguait le besoin d'un accord avec Paul afin d'octroyer des trêves. L'action de l'apôtre des gentils, incessante et active, avait réussi à planter les graines de Jésus de toute part. De tous côtés, le Sanhédrin recevait des consultations, des réclamations, des nouvelles alarmantes. Les synagogues étaient désertées. Une telle situation exigeait des clarifications. Se basant sur de telles excuses, le plus grand tribunal des Israélites avait lancé de dures attaques contre l'organisation chrétienne à Jérusalem. Jacques contait ces événements avec une grande sérénité et suppliait Paul de Tarse de ne pas abandonner l'église en cette heure de luttes acerbes. Lui, Jacques, était vieux et fatigué. Sans la collaboration de Pierre, il craignait de succomber. Il demandait donc au converti de Damas de venir à Jérusalem affronter les persécutions par amour pour Jésus et clarifier la situation devant les docteurs du Sanhédrin et du Temple. Il pensait qu'il ne pourrait lui arriver aucun mal car l'ex- rabbin saurait mieux que quiconque s'adresser aux autorités religieuses pour que la cause trouve une juste issue. Son voyage à Jérusalem aurait un seul et unique objectif : informer le Sanhédrin comme de nécessaire. Jacques considérait son intervention de la plus haute importance pour sauver l'église de la capitale du judaïsme. Après coup, Paul retournerait tranquille et heureux où bon lui semblerait.

Le message était criblé d'exclamations amères et d'appels véhéments.

Paul de Tarse finit sa lecture et se souvint du passé. De quel droit l'apôtre galiléen lui faisait-il une telle demande ? Jacques s'était toujours placé dans une position antagonique. Malgré sa nature impétueuse, franche, implacable, il ne pouvait le haïr ; mais il ne se sentait pas suffisamment à l'aise avec le fils d'Alphée au point de devenir son compagnon adéquat dans un contexte aussi difficile. Il se retira dans un coin solitaire de l'église où il s'assit et se mit à méditer. Il éprouvait une certaine résistance intime à l'idée de renoncer à son départ pour Rome, malgré le projet formulé à Éphèse aux veilles de la révolte de l'artisan de ne visiter la capitale de l'Empire qu'après avoir fait une nouvelle excursion à Jérusalem. Il consulta donc l'Évangile pour vaincre une si grande perplexité. Il déroula les parchemins et les ouvrit au hasard, il lut alors l'avertissement des annotations de Lévi : - « Accorde-toi promptement avec ton adversaire »19.

(19) Matthieu, chapitre 5, verset 25. - (Note d'Emmanuel)

Devant ces mots judicieux, il ne put dissimuler son étonnement et les reçut comme une suggestion divine pour qu'il ne méprise pas l'occasion de créer les vénérables liens de la plus pure fraternité avec l'apôtre galiléen. Il n'était pas juste d'alimenter des caprices personnels dans l'œuvre du Christ. Dans le cas présent, ce n'était pas Jacques l'intéressé par sa présence à Jérusalem : c'était l'église qui était l'institution sacrée devenue tutrice des pauvres et des malheureux. Provoquer la colère pharisienne sur elle, ne serait-ce pas lancer une tempête aux conséquences imprévisibles pour les nécessiteux et les démunis du monde ? Il s'est rappelé sa jeunesse et la longue persécution qu'il avait lancée contre les disciples du Crucifié. Il eut le clair souvenir du jour où il avait envoyé Pierre en prison entre les blessés et les malades qui l'entouraient, en pleurs. Il s'est souvenu que Jésus l'avait appelé au service divin aux portes de Damas et que depuis, il avait souffert et prêché, se sacrifiant lui-même et enseignant les vérités éternelles, organisant des églises aimantes et accueillantes où les « fils du Calvaire » trouvaient la consolation et un abri, conformément aux exhortations d'Abigail. Ainsi il arriva à la conclusion qu'il devait aux souffrants de Jérusalem quelque chose qu'il fallait restituer. En d'autres temps, il avait fomenté la confusion, les avait privés de l'assistance aimante d'Etienne, il avait initié des bannissements impitoyables. Beaucoup de malades furent obligés de renier le Christ en sa présence dans la ville des rabbins. Ne serait-ce pas l'occasion appropriée de racheter cette énorme dette ? Paul de Tarse maintenant illuminé par les plus saintes expériences de la vie avec le Maître aimé, s'est levé et à pas résolus s'est dirigé vers le porteur qui l'attendait dans une humble attitude :

Ami, vient te reposer car tu en as besoin. Tu porteras ma réponse dans quelques

jours.

Irez-vous à Jérusalem ? - a interrogé Abdias avec une certaine anxiété dans la voix comme s'il connaissait l'importance du sujet.

Oui - a répondu l'apôtre.

L'émissaire fut traité avec soins. Paul voulut entendre ses impressions personnelles sur la nouvelle persécution amorcée contre les disciples du Christ ; il cherchait des idées sur ce qu'il aurait à faire, mais ne réussissait pas à éviter certaines préoccupations impérieuses et apparemment insolubles. Comment procéder à Jérusalem ? Quelle espèce de clarifications devait-il apporter aux rabbins du Sanhédrin ? Quel témoignage devait-il donner ?

Très appréhensif, il s'est endormi cette nuit-là, l'esprit envahi de pensées torturantes et exhaustives. Cependant, il se mit à rêver qu'il se trouvait sur une route longue et claire empreinte de merveilleuses lueurs opalines. Il avait à peine fait quelques pas qu'il étreignait deux entités qui l'embrassaient avec une affection indicible, c'étaient Jeziel et Abigail. Extasié, il ne put prononcer un seul mot. Abigail le remercia de la tendresse de ses souvenirs émouvants à Corinthe et lui parla des joies de son cœur, puis conclut jovialement :

Ne t'inquiète pas, Paul. Il faut aller à Jérusalem, ton témoignage est indispensable.

Plongé dans ses réflexions, face à sa noble intention d'enseigner les vérités chrétiennes au siège de l'Empire, l'apôtre reconsidérait son plan d'excursion à Rome. À peine y avait-il pensé que la chère voix d'Abigail se fit entendre à nouveau sur un ton familier :

Sois tranquille car tu iras à Rome accomplir un sublime devoir ; non pas comme tu le veux, mais conformément aux desseins du Très-Haut...

Puis esquissant un sourire angélique :

-Alors, l'heure sera venue de notre union éternelle en Jésus-Christ pour la divine tâche de l'amour et de la vérité i\ la lumière de l'Évangile.

Ces paroles tombèrent dans son âme avec la force d'une profonde révélation. L'apôtre des gentils n'aurait su expliquer ce qui se passait en son for intérieur. Il ressentait, simultanément, de la douleur et du plaisir, de l'inquiétude et de l'espoir. La surprise sembla empêcher la continuation de cette vision inoubliable. Jeziel et sa sœur lui adressèrent des gestes aimants et semblèrent disparaître dans un voile de brume transparente. Il se réveilla en sursaut et se dit dès lors qu'il devait se préparer aux derniers témoignages.

Le lendemain, il convoqua une réunion avec ses amis et compagnons de Corinthe. Il demanda à Abdias d'expliquer de vive voix la situation de Jérusalem et exposa son plan de passer par la capitale du judaïsme avant de se rendre à Rome. Tous ont compris les impératifs sacrés de cette nouvelle résolution. Luc, néanmoins, s'est avancé et a demandé :

Selon ces nouveaux projets, quand prétends-tu partir ?

Dans quelques jours - a-t-il répondu résolu.

Impossible - lui dit le médecin -, nous ne pouvons consentir à ce que tu voyages à pied jusqu'à Jérusalem, d'autant que tu as besoin de te reposer quelques jours après tant de luttes.

L'ex-rabbin a réfléchi un moment et acquiesça :

Tu as raison. Je resterai à Corinthe quelques semaines. Mais je prétends faire le voyage par étapes afin de visiter les communautés chrétiennes car j'ai l'intuition de mon prochain départ pour Rome, et que je ne verrai plus ces chères églises dans ce corps mortel...

Ces paroles furent prononcées sur un ton mélancolique. Luc et ses autres compagnons restèrent silencieux et l'apôtre poursuivit :

Je profiterai de ce temps pour instruire Apollos aux travaux indispensables de l'Évangile dans les diverses régions de l'Achaïe.

Ensuite, voulant effacer la désolante impression de ses affirmations relatives à son voyage à Rome, il donna un nouvel élan à l'auditoire en évoquant des idées optimistes et prometteuses. Il traça un vaste programme pour les disciples et recommanda des activités à la majorité au sein des communautés de toute la Macédoine, ainsi lors de ses adieux tous les frères seraient en poste ; alors que d'autres furent envoyés en Asie avec des instructions identiques.

Au bout de trois mois de séjour à Corinthe, de nouvelles persécutions eurent lieu contre l'institution. La synagogue principale de l'Achaïe avait reçu des injonctions secrètes de Jérusalem qui ordonnaient l'élimination de l'apôtre à tout prix. Paul perçut l'embuscade et fit prudemment ses adieux aux Corinthiens. Il partit à pied en compagnie de Luc et de Silas visiter les églises de Macédoine.

De toute part, il prêcha la parole de l'Évangile, convaincu que c'était la dernière fois qu'il voyait ces paysages.

Ému, il saluait ses amis d'autrefois et faisait des recommandations comme s'il partait pour toujours. Des femmes reconnaissantes, des vieillards et des enfants accouraient pour lui baiser les mains avec tendresse. En arrivant à Philippes dont la communauté fraternelle parlait plus fort à son cœur, sa parole suscita une très forte émotion. L'église aimante qui aspirait à Jésus sur les bords du Gangas, consacrait à l'apôtre des gentils un singulier attachement. Dans une impulsion très humaine, Lydie et ses nombreux assistants voulurent le retenir et insistèrent pour qu'il ne continue pas, se méfiant des persécutions du pharisaïsme. Mais l'apôtre, serein et confiant, leur dit :

- Ne pleurez pas, frères. Je suis convaincu de ma tâche à accomplir et je ne dois pas m'attendre à recevoir des fleurs, ni à vivre des jours heureux. Il m'appartient d'attendre la fin dans la paix du Seigneur Jésus. L'existence humaine est faite de travail incessant et les dernières souffrances sont la couronne du témoignage.

C'étaient sans cesse des exhortations pleines d'espoirs et des joies pour réconforter les plus timides et renouveler la foi des cœurs faibles et souffrants.

Une fois sa tâche terminée aux alentours de Philippes. Paul et ses compagnons naviguèrent en direction de Troas. Dans cette ville, l'apôtre eut un inoubliable succès, la dernière prédication de la septième nuit de son arrivée fut marquée par le célèbre incident avec le jeune Eutyque qui était tombé d'une fenêtre du troisième étage de l'immeuble où se réalisaient les pratiques évangéliques, et qui fut immédiatement secouru par l'ex-rabbin qui le ramassa à demi-mort et le ramena à la vie au nom de Jésus.

À Troas, d'autres confrères se joignirent à la petite caravane. Attentifs à la recommandation de Paul, ils partirent avec Luc et Silas pour Asson afin de louer à prix modique un vieux bateau de pêcheurs, car l'apôtre préférait voyager de cette manière entre les îles et les nombreux ports pour saluer ses amis et ses frères qui travaillaient en ces lieux. Ce fut ainsi que pendant que ses collaborateurs prenaient un bateau confortable, l'ex-rabbin parcourut plus d'une vingtaine de kilomètres, rien que pour le plaisir d'étreindre les humbles continuateurs de sa tâche apostolique grandiose.

Puis à bord d'un bateau très ordinaire, Paul et ses disciples continuèrent leur voyage vers Jérusalem, distribuant des consolations et apportant l'aide spirituelle aux communautés humbles et impénétrables.

Sur toutes les plages, il voyait des gestes émouvants, des adieux poignants. À Éphèse, la scène fut encore plus triste car l'apôtre avait sollicité la présence des anciens et celle de ses amis pour parler plus particulièrement à leur cœur. Il ne désirait pas débarquer pour prévenir de nouveaux conflits qui retarderaient sa marche, mais en témoignage de son amour et de sa reconnaissance, la communauté toute entière alla à sa rencontre, touchant profondément son âme affectueuse.

Marie elle-même, d'un âge avancé, a accouru de loin en compagnie de Jean et de bien d'autres disciples pour apporter une parole d'amour au paladin téméraire de l'Évangile de son Fils. Des anciens le reçurent avec d'ardentes démonstrations d'amitié, les enfants lui offraient des collations et des fleurs.

Extrêmement ému, Paul de Tarse leur fît ses adieux et quand il affirma avoir le pressentiment qu'il ne reviendrait pas là dans son corps mortel, il y eut de grandes explosions de tristesse parmi les Éphésiens.

Comme touchés par la grandeur spirituelle de ce moment, presque tous se sont agenouillés sur le tapis blanc de la plage et ont demandé à Dieu de protéger le dévoué combattant du Christ.

En recevant de si belles manifestations d'affection, l'ex-rabbin les a étreints, un à un, les yeux en larmes. La plupart se jetait en pleurs dans ses bras aimants, baisant ses mains calleuses et vieillies. Finalement étreignant la Très Sainte Mère, Paul a pris sa dextre pour y déposer un baiser d'une tendresse toute filiale.

Le voyage se poursuivit avec les mêmes caractéristiques. Rhodes, Patare, Tyr, Ptolémaïs et, finalement, Césarée. Dans cette ville, ils furent logés chez Philippe qui s'y était installé depuis longtemps. Le vieux compagnon de lutte informa Paul des moindres faits encourus à Jérusalem où tous attendaient beaucoup de son effort personnel pour la pérennité de l'église. Très vieux, le généreux Galiléen parla du paysage spirituel de la ville des rabbins sans cacher les craintes que la situation lui causait. Tout cela contraria beaucoup les missionnaires. Agabus, que Paul avait déjà rencontré à Antioche, était venu de Judée et, en transe médiumnique lors de la première réunion intime chez Philippe, il formula les plus sinistres prédictions. Les perspectives étalent si sombres que Luc lui-même en pleura. Les amis ont supplié Paul de Tarse de ne pas partir. Pour eux, la liberté et la vie au bénéfice de la cause était préférable.

Mais lui, toujours prêt et déterminé, fit allusion à l'Évangile et il commenta le passage où le Maître prédisait les martyres qui l'attendaient sur la croix et conclut à la hâte :

- Pourquoi pleurez-vous pour attendrir mon cœur ? Les partisans du Christ doivent être prêts à tout. Pour ma part, je suis disposé à donner mon témoignage, même si je dois mourir à Jérusalem au nom du Seigneur Jésus !...

L'impression laissée par les présages d'Agabus n'avait pas encore disparu que la maison de Philippe reçut une nouvelle surprise le lendemain. Les chrétiens de Césarée amenèrent à l'ex-rabbin un émissaire de Jacques, du nom de Mnason. L'apôtre galiléen avait appris l'arrivée du converti de Damas au port palestinien et s'empressait de le contacter en lui envoyant un porteur dévoué à la cause commune. Mnason expliqua à l'ex-rabbin la raison de sa présence et l'avertit des dangers qu'il aurait à affronter à Jérusalem où la haine sectaire était en effervescence et atteignait les plus atroces persécutions. Étant donné l'exaltation et la vigilance du judaïsme, Paul ne devait pas immédiatement se rendre à l'église, mais loger chez lui, le messager, où Jacques irait lui parler en privé et décider ainsi ce qui convenait le mieux aux intérêts sacrés du christianisme. Après cela, l'apôtre des gentils serait reçu dans l'institution de Jérusalem pour discuter avec les actuels directeurs du futur de la maison.

Paul trouva que les précautions et les suggestions de Jacques étaient très raisonnables mais préféra suivre les suggestions verbales du porteur.

Des ombres angoissantes planaient dans l'esprit des compagnons du grand apôtre quand la caravane, suivie de Mnason, quitta Césarée pour la capitale du judaïsme. Comme toujours, Paul de Tarse annonça la Bonne Nouvelle dans les bourgs les plus pauvres.

Après quelques jours d'une marche lente se consacrant pleinement aux travaux apostoliques, les disciples de l'Évangile franchirent les portes de la ville des rabbins, pris d'une grande inquiétude.

Vieilli et abattu, l'apôtre des gentils a contemplé les édifices de Jérusalem, attardant son regard sur le paysage aride et triste qui lui rappelait les années de sa jeunesse tumultueuse et morte pour toujours. Il a alors élevé sa pensée à Jésus et lui a demandé de l'inspirer dans l'accomplissement du ministère sacré.

LE MARTYRE A JERUSALEM

Obéissant aux recommandations de Jacques, Paul de Tarse fut hébergé chez Mnason, avant tout accord avec l'église. L'apôtre galiléen avais promis de lui rendre visite le soir même.

Pressentant des événements importants à cette phase de son existence, l'ex-rabbin profita de ce jour pour tracer des plans de travail pour les disciples les plus proches.

Dans la soirée, alors qu'un épais manteau d'ombres enveloppait la ville, Jacques est apparu et salua son compagnon dans une attitude très humble. Lui aussi avait vieilli, il était exténué et malade. À l'inverse des autres fois, le converti de Damas ressentit une grande affection pour lui qui semblait profondément transformé par les revers et les tribulations de la vie.

Une fois qu'ils eurent échangé leurs premières impressions concernant les voyages et les faits évangéliques survenus, le compagnon de Simon Pierre demanda à l'ex-rabbin de choisir un lieu et une heure où ils pourraient parler en privé.

Paul lui répondit qu'ils pouvaient le faire immédiatement et ils se retirèrent dans une pièce où ils se retrouvèrent seuls.

Le fils d'Alphée se mit à lui expliquer le motif de ses graves appréhensions. Il y avait plus d'un an que les rabbins Éliakim et Enoch avaient décidé de reprendre les mesures de persécutions initiées par lui, Paul, à l'époque de sa gestion mouvementée au Sanhédrin. Ils argumentaient que l'ancien docteur était tombé sous le coup des sortilèges et des sorcelleries du parti illégal, compromettant la cause du judaïsme, et il n'était pas normal de continuer à tolérer cette situation rien que parce que le docteur tarsien avait perdu la raison en route vers Damas. Cette initiative avait gagné une énorme popularité dans les cercles religieux de Jérusalem et le plus grand organe législatif de la race - le Sanhédrin - avait approuvé les mesures proposées. Il reconnaissait que l'œuvre évangélisatrice de Paul produisait de merveilleux fruits d'espérance de toute part, conformément aux nouvelles incessantes qui arrivaient de toutes les synagogues des régions qu'il couvrait. En conséquence, le grand tribunal avait décidé de décréter l'emprisonnement de l'apôtre des gentils. De nombreuses mesures de persécution individuelle, à moitié laissées par Paul de Tarse lors de sa conversion inattendue, furent restaurées et, ce qui était le plus grave - quand les coupables étaient décédés, la peine était appliquée aux descendants qui étaient ainsi torturés, humiliés, déshonorés !

Stupéfait, l'ex-rabbin entendait tout silencieusement.

Jacques continuait, expliquant qu'il avait tout fait pour modérer les exigences. Il avait mobilisé les influences politiques à sa portée, réussissant à atténuer plusieurs Jugements iniques. En dépit du bannissement de Pierre, il avait cherché à maintenir les services d'assistance aux démunis, ainsi que l'ensemble des services fondés conformément à l'inspiration du converti de Damas où les convalescents et les désemparés trouvaient le précieux environnement d'une activité rémunérée et pacifique. Après plusieurs accords avec le Sanhédrin grâce à des amis judaïques influents, il eut la satisfaction d'adoucir la rigueur des requêtes à appliquer pour ce qui le concernait lui, Paul. L'ex-docteur de Tarse garderait sa liberté d'agir, il pourrait continuer à préconiser ses convictions intimes ; il devrait, néanmoins, rendre satisfaction publiquement aux préjugés de la race, répondant aux questions que le Sanhédrin lui présenterait par l'intermédiaire de Jacques qui disait être son ami. Le compagnon de Simon Pierre expliquait que les exigences étaient très sévères au début, mais maintenant grâce à d'énormes efforts, elles se limitaient à une moindre obligation.

Paul de Tarse l'écoutait extrêmement sensible. Porteur d'un lumineux potentiel évangélique, il comprenait que le moment de témoigner son dévouement au Maître était venu et il se trouvait que c'était justement à travers le même organe de persécution que son ignorance avait produit en d'autres temps. Pendant ces courtes minutes, la mnémonique devint plus subtile et il se mit à entrevoir les terribles tableaux d'autrefois... Des vieillards torturés, en sa présence pour sentir le plaisir de l'apostasie chrétienne, avaient dû répéter des vœux de fidélité éternelle à Moïse ; des mères de famille arrachées à leur triste foyer furent obligées de jurer sur la Loi Antique et renier le charpentier de Nazareth, abominant la croix de son martyre et d'ignominie. Les pleurs de ces femmes humbles qui abjuraient leur foi parce qu'elles se voyaient blessées dans ce qu'elles possédaient de plus noble, leur instinct maternel, résonnaient en lui maintenant comme des cris d'angoisse, clamant de douloureuses expiations. Toutes les scènes anciennes défilaient devant sa rétine spirituelle sans omettre les détails le plus insignifiants. Des jeunes hommes robustes, soutiens de familles nombreuses, sortaient de prison mutilés ; des jeunes qui ne pensaient qu'à se venger, des enfants qui demandaient leurs parents incarcérés. Affrontant ces évocations agitées, il passa à la scène de l'horrible mort d'Etienne avec les lapidations et les insultes du peuple ; il revit Pierre et Jean accablés et humbles à la barre du tribunal, comme s'ils étaient des malfaiteurs et des criminels. Maintenant, il était là, lui, devant le fils d'Alphée qui ne l'avait jamais vraiment compris, à lui parler au nom du passé et au nom du Christ, comme à l'inciter au rachat de ses dernières dettes accablantes.

Paul de Tarse sentit alors les larmes lui monter aux yeux sans qu'elles ne puissent couler. Quelle espèce de torture lui serait réservée ? Quelles étaient les volontés de l'autorité religieuse à laquelle Jacques se rapportait avec un intérêt évident ?

Dès que le compagnon de Simon fit une pause plus longue, l'ex-rabbin a demandé très

ému :

Que veulent-ils de moi ?

Le fils d'Alphée a fixé dans les siens ses yeux sereins et lui a expliqué :

Après de grandes résistances, les Israélites rassemblés dans notre église vont juste te demander de payer les dépenses de quatre pauvres hommes qui ont fait les vœux naziréens. Il te faudra aussi comparaître avec eux au Temple pendant sept jours consécutifs pour que tout le peuple puisse voir que tu restes un bon juif et le loyal fils d'Abraham... À première vue, la démonstration pourrait sembler puérile ; néanmoins, elle vise à satisfaire la vanité pharisienne, comme tu peux le voir.

L'ex-rabbin fit un geste caractéristique comme quand il était contrarié et répliqua :

Je pensais que le Sanhédrin allait exiger ma mort !...

Jacques a compris combien de répugnance débordait d'un tel commentaire et objecta :

Bien, je sais que cela te répugne, néanmoins, j'insiste pour que tu accèdes à leur requête, non pas pour nous à proprement parlé, mais pour l'église et pour ceux qui à l'avenir auront à nous seconder.

Cela - obtempéra Paul avec un immense désenchantement - n'est d'aucune noblesse. Cette exigence si futile est une ironie profonde et vise à faire de nous des enfants et à être considérés comme tel. Ce n'est pas de la persécution, c'est de l'humiliation ; c'est le désir d'exhiber des hommes conscients comme s'ils étaient des garçons volubiles et ignorants...

Jacques prit alors une attitude chaleureuse que l'ex-rabbin n'avait jamais surprise chez lui, à aucun moment de sa vie, il lui parla avec une extrême tendresse fraternelle, se révélant sous un nouvel angle à son compagnon étonné :

Oui, Paul, je comprends ta juste aversion. Avec cela, le Sanhédrin, prétend narguer nos convictions. Je sais que la torture sur la place publique te ferait moins de mal ; néanmoins, supposerais-tu que cela ne représente pas pour moi une douleur longue de plusieurs années ?... Crois-tu, peut-être, que mes attitudes sont nées d'un fanatisme inconscient et criminel ? Très tôt, dès la première persécution, j'ai compris que la tâche d'harmonisation de l'église avec les juifs se trouvait plus particulièrement entre mes mains. Comme tu le sais, le pharisaïsme a toujours vécu dans une exubérante ostentation d'hypocrisie, mais nous devons aussi convenir que c'est le parti dominant traditionnel de nos autorités religieuses. Depuis le premier jour, j'ai été obligé de parcourir avec les pharisiens de grandes distances pour arriver à maintenir l'église du Christ. Imposture ? Ne le juge pas comme tel. Plusieurs fois le Maître nous a enseigné en Galilée que le meilleur témoignage est de mourir doucement, quotidiennement, pour la victoire de sa cause ; pour cela, il garantissait que Dieu ne désire pas la mort du pécheur car c'est dans l'extinction de nos caprices de chaque jour que nous trouvons l'escalier lumineux pour monter à son amour infini. L'attention que j'ai voué aux juifs est la même que celle que tu consacres aux gentils. À chacun de nous, Jésus a confié une tâche différente dans sa forme, mais identique au fond. Si de nombreuses fois j'ai provoqué de fausses interprétations de par mes attitudes, tout cela désole mon esprit habitué à la simplicité de l'environnement galiléen. À quoi servirait un conflit destructeur quand nous avons des devoirs grandioses à traiter ? Nous devons savoir mourir pour que nos idées se transmettent et fleurissent chez les autres. Les luttes personnelles, au contraire, étiolent les meilleurs espoirs. Créer des séparations et proclamer des préjudices à l'intérieur de l'église du Christ, ne seraient-ce pas exterminer la plante sacrée de l'Évangile de nos propres mains ?

La parole de Jacques résonnait aimantée de bonté et de sagesse et était une réconfortante révélation. Les Galiléens étaient bien plus sages que n'importe lequel des rabbins les plus cultivés de Jérusalem. Lui qui était arrivé au monde religieux grâce à des écoles célèbres, qui avait toujours eu dans sa jeunesse l'inspiration d'un Gamaliel, admirait maintenant ces hommes apparemment frustes, venus des huttes de pêche, qui remportaient à Jérusalem d'inoubliables victoires intellectuelles rien que parce qu'ils savaient se taire au moment opportun, liant leur expérience de vie issue d'une grande bonté et d'une profonde résignation à l'image du divin Maître.

Le converti de Damas entrevit le fils d'Alphée sous un nouvel angle. Ses cheveux grisonnants, son visage pâle et plein de rides parlaient de ses travaux laborieux et incessants. Il percevait maintenant que la vie exige plus de compréhension que de connaissance. Grâce à ses facultés psychologiques, il avait vécu pensant connaître l'apôtre galiléen, mais il se disait que finalement ce n'était qu'à cet instant qu'il appréciait ses véritables qualités.

Puis le compagnon de Simon Pierre marqua une plus longue pause, Paul de Tarse le dévisagea avec une immense affection et lui dit avec émotion :

Je vois que tu as raison, mais l'exigence formulée demande de l'argent. Combien devrais-je payer la sentence ? Loin et coupé du judaïsme, voilà plusieurs années que j'ignore si les cérémonials ont souffert d'altérations appréciables.

Les règles sont les mêmes - a répondu Jacques -, puisque tu seras obligé de te purifier avec eux. Conformément aux traditions, tu débourseras l'achat de quinze moutons, plus les aliments exigés.

C'est absurde ! - objecta l'apôtre des gentils.

Comme tu le sais, l'autorité religieuse exige de chaque naziréen trois animaux pour les services de la consécration.

Dure exigence - a dit Paul irrité.

Néanmoins - a répliqué Jacques avec un sourire -, notre paix vaut bien davantage que cela, de plus, nous ne devons pas compromettre l'avenir du christianisme.

Le converti de Damas reposa son visage sur sa main droite pendant un long moment, laissant percevoir la profondeur de ses réflexions, et finit par dire sur un ton qui trahissait son énorme émotion :

Jacques, comme toi, j'ai atteint aujourd'hui un niveau plus élevé de compréhension de la vie. J'appréhende mieux tes arguments. L'existence humaine est bien une ascension des ténèbres vers la lumière. La jeunesse, la vanité du pouvoir, la centralisation de notre sphère personnelle, causent beaucoup d'illusions qui souillent d'ombres les choses les plus sacrées. Le devoir de me plier aux exigences du judaïsme me revient, conséquence d'une persécution initiée par moi-même en d'autres temps.

Il s'est arrêté, éprouvant de la difficulté à se confesser complètement. Mais prenant une attitude plus humble comme s'il ne trouvait pas d'autre recours, il continua presque timide:

Dans mes luttes, jamais je ne me suis présumé victime, je me suis toujours considéré comme l'antagoniste du mal. Seul Jésus, dans sa pureté et son amour immaculés, pouvait alléguer la condition d'ange victime de notre funeste méchanceté. Quant à moi, même s'ils me lapident et me blessent, je jugerai toujours que c'est très peu par rapport aux souffrances qu'il m'appartient de supporter comme juste témoignage. Mais maintenant, Jacques, je dois te dire qu'un petit obstacle m'inquiète. Comme tu ne l'ignores pas, je n'ai jamais vécu que de mon travail de tisserand et, actuellement, je ne dispose pas d'argent qui puisse pourvoir aux dépenses en perspective... Ce serait la première fois que j'aurais à faire appel à la bourse d'un autre alors que la solution du problème dépend exclusivement de moi...

Ses propos dénonçaient un certain embarras allié à de la tristesse souvent ressentie dans les moments d'humiliation et de malheur. Devant cette expression de résignation, Jacques lui a pris la main dans un mouvement de grande spontanéité et l'a serrée en murmurant :

- Ne t'afflige pas de cela. Nous connaissons à Jérusalem l'extension de tes efforts personnels et il ne serait pas raisonnable que l'église se désintéresse de ces impositions injustifiées... Notre institution paiera toutes les dépenses. C'est déjà beaucoup que tu accepte ce sacrifice.

Pendant longtemps encore, ils ont parlé des problèmes relatifs à la propagande évangélique et, le lendemain, Paul et ses compagnons ont comparu à l'église de Jérusalem où ils furent reçus par Jacques accompagné de tous les anciens juifs sympathisants du Christ et partisans de Moïse réunis pour l'entendre.

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