Chapitre 2 Le Surplomb

Ram Odin avait été élevé pour être pilote de vaisseau spatial. Son nom de famille, emprunté au dieu du ciel de la mythologie nordique, avait été choisi par son père, et c’était son père encore qui s’était assuré de le voir intégrer l’école de pilotes deux ans avant l’âge normal.

La construction des premiers vaisseaux interstellaires de colonisation humaine avait absorbé tout ce que la Terre comptait de ressources inexploitées ; un chantier de quarante ans. Dans l’ombre de la poussière lunaire qui filtrait encore plus du tiers du rayonnement solaire promis à la Terre, le sentiment d’urgence n’avait jamais faibli, malgré la formidable capacité d’adaptation de la race humaine.

Une race humaine qui avait bien failli disparaître de la surface de la Terre, le jour où la comète l’avait frôlée pour aller s’écraser sur la Lune. La pauvre n’avait toujours pas rétabli son orbite. Le choc avait divisé jusqu’à la communauté des astronomes : d’un côté, ceux pour qui une collision avec la Terre était inévitable, de l’autre, ceux qui croyaient en l’imminence d’un nouvel équilibre.

Les survivants des années noires de froid et de famine qui s’ensuivirent s’étaient jetés corps et âme dans la construction de deux vaisseaux identiques. L’un d’eux filerait dans l’espace à un dixième de la vitesse de la lumière. Dans l’enceinte confinée de son écosystème, les colonisateurs y naîtraient, y vivraient et y mourraient, génération après génération.

L’autre, celui de Ram, s’éloignerait de la Terre pendant sept ans avant d’effectuer un bond irréversible vers l’inconnu.

Soit l’espace-temps se contracterait, projetant le vaisseau à quatre-vingt-dix années-lumière de là, et à sept années à peine de sa destination – une planète cousine de la Terre –, soit le vaisseau se désintégrerait… soit il ne se passerait rien et le voyage se poursuivrait neuf siècles durant, jusqu’au Nouveau Monde.

Dans le vaisseau de Ram, les colons atteindraient le point de contraction endormis. Si tout se passait bien, ils le resteraient pendant le saut, ne s’extirpant de leur sommeil qu’à destination. Si rien ne se passait, on les réveillerait. Les cultures seraient alors lancées dans la gigantesque enceinte par la première des trente-cinq générations amenées à se succéder jusqu’à l’arrivée.

Seul Ram resterait éveillé.

Sept années avec les sacrifiables pour seule compagnie. Développés à l’origine pour abattre des tâches qui auraient achevé un irremplaçable être de chair et d’os, les sacrifiables avaient bénéficié de tant d’améliorations qu’aujourd’hui ils surpassaient en longévité et en capacité de travail n’importe quel humain. Leur production coûtait également bien moins que de former un homme à une infime partie de ce dont ils étaient capables.

Seul bémol, ils restaient des machines. Hors de question de remettre entre leurs mains les vies d’hommes et de femmes endormis. En tout cas, ils ressemblaient tant à des humains que Ram ne se sentirait jamais seul en leur compagnie.


* * *

Aussi loin que portaient ses souvenirs, Rigg n’avait jamais eu d’autre foyer que Père. La pension du village de Gué-de-la-Chute pouvait difficilement compter. Nox, la maîtresse de maison, les avait toujours traités comme des voyageurs de passage. Si le lieu affichait complet, elle les installait dans l’étable.

C’est vrai, à un moment, Rigg s’était bien demandé si Nox n’était pas sa mère, et si Père n’avait pas juste oublié de faire d’elle son épouse. Après tout, les deux en avaient passé des heures enfermés ensemble, sans craindre de se faire déranger par Rigg vu la montagne de travail que Père lui refourguait à ces moments-là. Que faisaient-ils, si ce n’était ce qui suscitait les chuchotements des enfants du village, les éclats de rire des plus grands et les commérages des vieilles dames ?

Un jour, Rigg avait osé demander à Père, sans détour. Sa seule réponse avait été un sourire, et une invitation à reposer sa question directement à Nox. Face à elle, Rigg avait bafouillé : « Êtes-vous ma mère ? »

Pendant quelques secondes, elle avait semblé contenir un rire puis, plus sérieuse, lui avait passé la main dans les cheveux : « Si j’avais eu la chance d’être mère, j’aurais aimé être la tienne, tu sais. Mais je suis aussi stérile qu’un caillou, comme mon mari l’a appris à son grand regret avant de nous quitter, le pauvre homme, l’hiver de l’An Zéro, quand tout le monde criait à la fin du monde. » Pour Père, Nox signifiait quelque chose, sinon pourquoi venir la retrouver chaque année, passer toutes ces heures seul avec elle ?

Nox savait qui étaient la mère et la sœur de Rigg. Père le lui avait dit, mais à Rigg, jamais. Combien d’autres secrets lui avait-il confiés ?

Rigg se rappelait ce jour où lui et Père étaient partis poser des collets dans les collines, loin en amont des chutes Stashi. Rigg était revenu par le chemin qui longeait la rive gauche de la rivière et contournait le lac avant de courir sur la crête, un barrage naturel ouvert en son milieu par des chutes. D’un côté, le terrain gagnait en pente douce les eaux glacées du lac, de l’autre, il tombait à pic sur près de cinq cents mètres vers l’immense Forêt des Basses-Eaux, le long d’une falaise : le Surplomb. Une barre rocheuse compacte qui s’étirait à l’est de la rivière sur une centaine de kilomètres, et sur pas loin de deux cents vers l’ouest. L’unique accès vers le bas, pour une charge ou un humain, se situait à droite des chutes.

Ce qui signifiait que toute personne suffisamment folle, comme Rigg, pour être payée à descendre des marchandises depuis les collines, devait traverser la rivière par le chaos de roches qui affleurait au ras des chutes.

Autrefois, un pont les enjambait. Plusieurs, en fait, dont il ne restait que des ruines. Un jour, Père s’en était servi pour mettre la sagacité de Rigg à l’épreuve. « Tu vois comme le plus vieux pont est loin en avant des chutes, et bien plus haut sur la falaise ? Ensuite, plus bas et plus près, apparaît le contrefort d’un ouvrage plus récent. Et le dernier construit n’est qu’à cinq mètres au-dessus de l’eau. Pourquoi, à ton avis ? »

Rigg y avait réfléchi pendant leurs quatre jours passés à parcourir les terres montagneuses dominant le lac, à poser leurs pièges. Il avait alors neuf ans et Père ne l’avait pas encore initié aux secrets de la nature – son apprentissage commençait à peine. Si bien que Rigg ne s’était pas senti peu fier de résoudre l’énigme.

« Autrefois, le lac était plus haut, avait-il fini par déduire. Et les chutes aussi. Et elles débouchaient plus loin en avant de la paroi du Surplomb.

— Et qu’est-ce qui te fait penser cela ? avait demandé Père. Les chutes sont en retrait de plusieurs mètres par rapport à cette paroi ; pourquoi une chute reculerait-elle ainsi ?

— L’eau finit par grignoter la roche et par la déloger de la falaise, avait répondu Rigg.

— L’eau grignote la roche, avait répété Père de sa petite voix étonnée, celle qui signifiait : Dans le mille, mon garçon.

— Et lorsque le vieux rebord de la falaise se détache, avait continué Rigg, tout le volume du lac qui dépasse de la nouvelle lèvre se déverse.

— Ça doit faire un sacré paquet d’eau à chaque fois, dis donc, avait dit Père.

— Une vraie inondation. C’est pour ça que le pied de la falaise n’est pas si encombré que ça de rochers. Parce qu’à chaque inondation, tout est nettoyé.

— Sans oublier qu’en atterrissant au sol les rochers éclatent en petits morceaux, avait ajouté Père.

— Et ceux qu’on utilise pour traverser les chutes sont ainsi parce que l’eau les a grignotés par en dessous. Aujourd’hui, ils sont plus hauts, et au sec. Mais un jour l’eau finira par les avoir aussi, et ils basculeront et dégringoleront au bas de la falaise, et se briseront avant d’être emportés par la rivière. Et le niveau des chutes reculera et descendra. »

Ainsi avait débuté l’enseignement de Père, sur la manière dont le climat, le temps, les plantes et un tas d’autres choses peuvent modeler la nature.

À onze ans, une question avait germé d’elle-même dans l’esprit de Rigg : « Si le vent, la pluie, l’eau, la glace et les plantes peuvent ronger la roche, comment se fait-il que le Surplomb soit resté si raide ? Il aurait dû s’éroder comme les montagnes.

— À toi de me le dire », avait répondu Père sans vraiment répondre, comme souvent.

Cette fois, Rigg avait déjà réfléchi à la question.

« Parce que le Surplomb s’est formé bien après la plupart des collines et des montagnes qui l’entourent.

— Intéressant. Longtemps après tu penses ? Quand, exactement ? »

À sa propre surprise, Rigg avait répondu par une association d’idées surgie de nulle part : « En l’an 11191. »

Père avait éclaté de rire : « Le calendrier ! Tu penses vraiment que notre calendrier date de la formation des falaises du Surplomb ?

— Et pourquoi pas ? avait demandé Rigg. Pourquoi se souvenir de cette date comme de la première de notre Ère sinon ?

— Eh bien, Rigg, avait fait remarquer Père, parce que si le calendrier avait démarré en même temps que ce cataclysme capable de faire naître une falaise, pourquoi ne pas commencer sa numérotation à partir de ce moment précis ? Pourquoi décider de lui attribuer l’année 11191 pour ensuite compter à rebours ?

— Je ne sais pas, avait reconnu Rigg. Pourquoi ?

— À toi de me le dire.

— Parce qu’à la formation des falaises – Rigg n’avait pas l’intention d’abandonner son postulat –, les gens savaient que quelque chose allait se passer onze mille cent quatre-vingt-onze ans plus tard ?

— Tu avais trois ans lorsque nous avons atteint l’An Zéro. Et que s’est-il passé alors ?

— Un tas de choses, avait répondu Rigg. De quoi remplir une pleine année.

— Mais quelque chose qui ait marqué les esprits ? Au point de servir de référence à un calendrier ?

— Ça ne veut rien dire, Père, sauf que les gens qui ont inventé le calendrier se sont trompés sur le temps qu’il faudrait avant que n’arrive la chose qui devait arriver selon eux en l’An Zéro. Les gens se trompent tout le temps. Ça ne veut pas dire que le calendrier n’a pas commencé avec la formation du Surplomb.

— Bien tenté, avait estimé Père, mais, bien évidemment, faux. Et pourquoi t’es-tu trompé ?

— Parce qu’il me manque des informations », avait rétorqué Rigg.

Il lui manquait systématiquement des informations.

« Il y a toujours un petit quelque chose qui nous échappe, lui avait rappelé Père. Voilà la grande tragédie de la connaissance humaine. Même quand on croit tout savoir, l’avenir reste une inconnue. »

Mais dans le ton de Père, quelque chose avait sonné faux. Ou peut-être Rigg n’était-il pas complètement satisfait par la réponse de son père, rien qu’au timbre de sa voix.

« Je pense que tu sais quelque chose, avait hasardé Rigg.

— Encore heureux, un vieux briscard comme moi !

— Je pense que tu sais ce qui était censé marquer l’An Zéro.

— Une catastrophe ! Un fléau ! La fin du monde !

— Non, avait dit Rigg. Cette chose qui a poussé les créateurs du calendrier à le démarrer en 11191.

— Et pourquoi le saurais-je ?

— Non seulement je pense que tu le sais, avait repris Rigg, mais je pense aussi que cette chose est bel et bien arrivée, au jour et à l’heure prévus.

— Une chose si énorme et si importante que personne d’autre que moi n’y aurait prêté la moindre attention, avait continué Père.

— Je pense à quelque chose de scientifique. Un événement cosmique. Quelque chose que les astronomes avaient prédit, comme l’alignement de plusieurs planètes, l’explosion d’une étoile, une collision astrale ou quelque chose dans ce genre, quelque chose que ceux que l’astronomie n’intéresse pas n’auraient pu remarquer.

— Rigg, l’avait interrompu Père, tu es parfois si malin et si bête à la fois que tu me laisses sans voix. »

La discussion s’était arrêtée là. Rigg savait que Père lui cachait quelque chose, et qu’il n’était pas prêt à lui en dire plus.

Nox, elle, savait peut-être ce qui était arrivé en l’An Zéro. Peut-être son père lui avait-il livré tous ses secrets.

Mais, pour rejoindre Nox, encore fallait-il descendre le Surplomb jusqu’à Gué-de-la-Chute. Et avant cela, pousser jusqu’au Chemin de la Falaise, de l’autre côté des chutes. Ce qui signifiait qu’il allait devoir traverser là où le débit était le plus rapide et le courant si fort qu’il en effritait la roche, et rien n’indiquait qu’il n’allait pas justement poser le pied sur l’un de ces rochers branlants prêts à le faire basculer au bas de la falaise vers une mort certaine.

Sa seule consolation, pendant son interminable chute, avant que l’eau, les rochers ou le simple atterrissage ne réduise son corps en charpie, serait de voir une immense vague jaillir du lac pour déferler sur Gué-de-la-Chute et raser le village en quelques secondes ; au moins, il ne mourrait pas seul.

Père avait déjà évoqué une telle éventualité, pour le tester. « Pourquoi les gens choisissent-ils, pour établir leur village, un lieu qu’ils savent pertinemment sous la menace d’une terrible inondation, sans aucune chance de survie ni possibilité d’en réchapper ?

— Parce que les gens oublient, avait répondu Rigg.

— Gagné. Les gens oublient. Mais toi et moi, Rigg, on n’oublie pas, n’est-ce pas ? »

Rigg savait que ce n’était pas entièrement exact. Il ne pouvait prétendre tout retenir.

Par exemple, il connaissait l’itinéraire menant vers l’autre berge à travers les rochers. Mais il se méfiait de sa mémoire. En arrivant au point de départ, à fleur de lac, il revérifiait toujours.

Tout paraissait calme. Et pourtant, Rigg savait que si un caillou tombait là, il filerait droit vers les chutes sans toucher le fond, aussi vite qu’un jet de pierre. S’il venait lui-même à tomber, lui aussi se retrouverait projeté du haut de la falaise en deux petites secondes, non sans avoir violemment heurté six ou sept gros rochers en chemin, et c’est une version sanguinolente, désarticulée, sinon démembrée, de Rigg qui planerait dans les airs.

Debout, le regard porté au loin, il commença à lire – sentir – les innombrables traces des voyageurs.

Rien à voir avec les amas de traces des routes principales, si touffus qu’en isoler une en particulier, et qui plus est la suivre, relevait du miracle.

Elles se comptaient ici par centaines à peine, non par milliers ou millions.

Un nombre peu rassurant d’entre elles n’atteignaient jamais l’autre rive. Elles s’arrêtaient ici ou là avant de plonger brusquement vers le vide, emportées par le courant.

S’y mêlaient les anciennes traces. Leur présence avait permis à Rigg de résoudre l’énigme du recul et de l’abaissement progressif du niveau des chutes, par érosion de la roche. Elles enjambaient en effet le lac par les airs, plusieurs mètres au-dessus et en avant des chutes. Tout comme les traces actuelles, elles dessinaient un itinéraire bondissant, mais le long de roches aujourd’hui disparues, à la surface d’un lac plus haut et plus profond.

En lieu et place des anciens ponts s’étiraient des milliers de vieilles traînées aux couleurs ternes, mollement suspendues dans l’air.

Bien sûr, le terrain avait bougé, l’eau baissé. Quiconque capable de voir la même chose que Rigg en serait arrivé à la même conclusion : les chutes bougeaient année après année.

Mais aujourd’hui, elles étaient bien là, et aucun autre rocher que ceux-ci n’allait le porter de l’autre côté.

Il choisissait toujours une traversée dont tous les voyageurs ou presque étaient sortis vivants, loin du bord de préférence.

Rigg se rappela – ou se rappela Père lui raconter, ce qui revenait presque au même – le jour où Père avait pris conscience pour la première fois de son don, sur cette même traversée. Père s’apprêtait à s’élancer vers un nouveau rocher quand le petit Rigg, accroché dans son dos, l’avait arrêté d’un « Non ! » autoritaire. Du doigt, il avait ensuite pointé un autre rocher avant de dire, comme Père lui apprit plus tard : « Par-là, personne n’est tombé dans l’eau. »

Ce que voyait Rigg aujourd’hui n’était pas très différent : des traces sautillant de roche en roche, à des jours, des années, voire des décennies d’intervalle. Il distinguait, parmi celles des voyageurs tombés, les fraîches des moins fraîches. Il choisit le chemin qui lui parut le plus sec, le plus récent.

Bien entendu, ses propres traces aussi lui apparaissaient.

Et bien entendu, aucune de celles qu’il voyait n’appartenait à Père.

Quelle chose étrange que de pouvoir suivre chaque personne – ou du moins le cheminement de chaque personne – en ce monde, sauf son propre père.

Cette fois, Rigg allait devoir assurer ses sauts plutôt deux fois qu’une, car il se lançait dans la traversée courbé en deux sous une montagne de peaux et de fourrures ficelées en vrac dans son dos. Ce qui n’était qu’une simple formalité avec une gamelle, quelques pièges et un peu de nourriture à la ceinture, exigeait cette fois de lui la plus extrême précision sur des roches devenues subitement minuscules. Une perte d’équilibre et c’était la chute.

Arrivé à trois sauts de la rive, sur une belle plateforme rocailleuse de près de quatre mètres de large, un mouvement attira son œil. Un garçon d’une dizaine d’années entamait la traversée dans l’autre sens. Rigg pensa le reconnaître mais, comme il ne mettait les pieds à Gué-de-la-Chute que quelques fois l’an et n’y croisait pas non plus tout le village, il pouvait s’agir de quelqu’un d’autre. De son petit frère, ou du fils d’une autre famille. Ou même d’un garçon qu’il ne connaissait tout simplement pas.

Il le salua du bras, et le garçon fit de même.

Rigg effectua le saut suivant, mais se retrouva coincé sur un tout petit bout de rocher, sans aucune possibilité de prendre son élan pour le suivant. Il avait atteint l’endroit le plus critique de la traversée, le plus exposé à la chute. Il se maudit de ne pas avoir déposé son chargement sur la dalle précédente pour continuer avec un petit tiers, avant de revenir chercher le reste. Il avait sur le dos plus du double de ce que même Père s’autorisait habituellement.

Trop tard pour faire demi-tour.

Au même moment, il vit le garçon s’élancer à son tour. Bien trop près du bord – et le long d’une trace qui le condamnait à coup sûr.

Rigg agita les bras et fit un signe des deux mains, comme s’il repoussait le garçon en arrière. « Fais demi-tour ! cria-t-il. Trop dangereux ! »

Le garçon l’imita ; il n’avait pas compris. Et bien évidemment, le vacarme assourdissant de l’eau à travers la roche lui ôtait tout espoir d’être entendu.

L’enfant atterrit sur le rocher suivant, de plus en plus mal engagé. Impossible pour lui de faire demi-tour, même en essayant. Et ce petit imbécile semblait déterminé à aller jusqu’au bout.

Rigg n’avait plus une seconde à perdre. S’il rebroussait chemin, il pourrait déposer ses peaux pour se rapprocher de l’enfant via un chemin périlleux, suffisamment pour être entendu, suffisamment pour l’arrêter. Mais le temps de larguer son chargement, le petit casse-cou serait déjà loin.

Il préféra s’élancer vers le rocher qu’il avait déjà en tête. Un saut parfaitement exécuté, suivi d’un deuxième quelques instants plus tard, sur une dalle un peu plus large.

Deux rochers le séparaient désormais de l’enfant.

Le garçon fit de même de son côté, avec moins de réussite. L’eau lui attrapa la pointe d’un pied et la gifla en direction du précipice, le déséquilibrant. Il pivota sur lui-même et se retrouva les deux pieds dans l’eau, les mains accrochées au rocher, le corps implacablement aspiré par le courant.

Le gamin était moins stupide qu’il n’y paraissait. Se sachant condamné à lâcher, il tenta de se retourner vers un rocher plus petit à l’extrême limite des chutes.

Il parvint à l’attraper mais se retrouva immédiatement projeté par le courant, les jambes dans le vide, le corps chahuté des centaines de mètres au-dessus de la rivière en contrebas, ne devant plus sa survie qu’à ses doigts désespérément agrippés au bord sec de la roche.

« Tiens bon ! » lui cria Rigg.

Une saison complète de pièges, et me voilà prêt à tout perdre pour une infime chance de sauver un écervelé qui n’a que ce qu’il mérite.

En quelques secondes, Rigg desserra les lanières de son chargement et le laissa tomber à l’eau d’une secousse des épaules.

Il était désormais si proche du précipice que les fourrures ne rebondirent qu’une fois sur les rochers avant de plonger dans le vide.

Entre-temps, Rigg avait gagné le rocher d’où avait chuté le garçon. « Tiens bon ! » hurla-t-il à nouveau, ne voyant de lui plus que ses doigts.

Impossible de le rejoindre. Il n’y avait pas assez de place et trop de risques de lui écraser les phalanges à l’atterrissage. Il s’agenouilla et commença à se laisser doucement tomber vers l’avant, dans l’espoir de pouvoir saisir le rocher du garçon à deux mains et de former un pont de son corps.

Quelque chose d’inattendu se passa alors. Le temps parut se figer.

Rigg avait déjà connu ces situations de tension extrême. Il connaissait les sensations qui les accompagnaient, le décuplement des perceptions, l’impression de vivre chaque instant comme une éternité. Dans ces moments, le temps semblait suspendu. Mais semblait seulement. Selon Père, tout s’expliquait en fait par la présence de glandes dans le corps humain, qui libéraient des substances capables de vous rendre plus rapide et plus fort en situation de stress.

Mais ici, rien de tout cela. Lors de sa chute en avant, opération qui n’aurait pas dû prendre plus d’une seconde grand maximum, Rigg eut l’impression de sombrer peu à peu dans une masse épaisse. Plus rien ne lui échappait. Ses yeux ne réagissaient pas plus vite qu’avant, son corps non plus, cependant, il pouvait faire basculer son attention d’un point à l’autre de son champ de vision aussi vite qu’il le désirait, de manière à ne rien rater de ce qui s’y trouvait, même aux extrémités.

Une chose bien plus étrange encore attira bientôt son attention. Si le temps ralentissait, les traces suspendues dans les airs aussi. Elles gagnaient en épaisseur. Se solidifiaient.

Elles se transformaient en êtres vivants.

Tous ceux qui avaient parcouru les roches ici même étaient là, d’abord flous mouvants, puis individus solides, traversant les chutes à leur allure. Il suffisait à Rigg de se concentrer sur l’un d’eux pour le voir marcher, sauter, bondir de roche en roche. Dès qu’il détournait son attention sur quelqu’un d’autre, le premier redevenait simple traînée en mouvement.

Il prit conscience à mi-chute qu’un homme pieds nus se tenait au beau milieu du rocher devant lui. L’homme lui tournait le dos ; mais à cette vitesse, Rigg eut tout le loisir de remarquer que le costume qu’il portait était le même que sur ces vieilles statues renversées et ces frises effritées dans les vieilles bâtisses en ruine, là où le plus récent des deux anciens ponts s’enfonçait autrefois dans la falaise.

Rigg se rendit soudain compte que sa tête prenait dangereusement la direction du dos de l’homme. Il ne pouvait tout de même pas être solide, si ? D’accord, Rigg avait un don, étrangement altéré dans ce moment de panique, mais les traces n’avaient jamais eu de consistance.

Et pourtant, tout dans cet homme paraissait réel – les poils et les pores de ses mollets, cette chair boursouflée par une entaille à la cheville, l’ourlet élimé et bâillant de son kilt, la bande de broderie qui en pendouillait, à moitié détachée. La mise autrefois soignée de l’homme n’était plus que guenilles.

Peu importe le mauvais tour qu’avait pu lui jouer le destin, le fait était qu’il barrait à cet instant précis la chute de Rigg. Une pensée lui vint : Ceux dont je détourne mon attention redeviennent de simples formes floues et flottantes. Pense à autre chose et lui aussi se dématérialisera !

Rigg essaya de focaliser son attention sur une femme emportée par le courant après avoir glissé en tentant d’atteindre ce même rocher. Elle prit forme sous ses yeux – son visage était déformé par la peur, dans son regard se lisait l’effroi de la bête qui se sait condamnée. Mais déjà elle était partie, et l’attention de Rigg retourna immédiatement sur l’homme devant lui. S’il avait perdu toute substance un instant, il l’avait vite retrouvée.

Le front de Rigg claqua contre son mollet ; le choc fut violent, et si lent que Rigg ne manqua rien de la texture de la peau de l’homme sur la sienne puis, comme sa tête tournait sous la force du heurt, il sentit les poils de ses jambes lui érafler le visage.

Alors que son nez finissait sa course dans la cheville de l’homme, la jambe de ce dernier se déroba, fauchée par la tête et les épaules de Rigg. Il pivota sur lui-même et commença à tomber à la renverse.

Je pars en sauver un, et j’en tue un autre.

L’homme devait être un soldat ou un athlète car, en pleine chute, il se retourna d’un coup de reins, se détendit de tout son long et attrapa la roche des deux mains.

Sa main gauche recouvrait désormais entièrement la main droite du garçon.

Deux objets solides pouvaient apparemment occuper un même espace en même temps. Enfin, techniquement, pas en même temps, car la présence de l’homme datait de plusieurs centaines d’années. Mais pour Rigg, les deux se confondaient. La main de l’homme était bien tangible. Rigg pouvait la sentir car sa propre main, lancée par réflexe pour se retenir à la suite de la collision, l’avait cognée après avoir glissé le long de la roche.

Sans cela, Rigg aurait poursuivi sa chute en avant et ses genoux auraient fini dans le courant. Le corps de Rigg enjambait désormais les rochers, exactement comme il l’avait prévu. Sans le savoir, l’homme lui avait sauvé la vie.

Rigg ne lui avait pas franchement rendu la pareille. Pour commencer, il l’avait poussé dans le vide d’un bon coup de tête assassin ; ensuite, sa main, en glissant le long de la roche, était venue déloger sans ménagement celle de l’homme.

Ce dernier ne tenait plus que par sa main gauche – celle qui recouvrait entièrement la main droite du garçon happé par le vide.

La main de l’homme n’était absolument pas translucide, mais bien réelle : épaisse, musculeuse, tannée, poilue, calleuse, parsemée de taches de rousseur et parcourue de veines. S’y mêlaient sous le regard de Rigg les doigts crispés, fins et brunis de l’enfant. Ils commençaient à s’ouvrir. Rigg se savait capable de l’aider, de le retenir par le poignet s’il parvenait seulement à l’atteindre. Il avait l’avantage de la taille, et la main ferme. S’il réussissait à refermer ses doigts sur son poignet et à tenir la position, il pourrait ensuite tendre son autre main au malheureux.

Un plan simple, mais impossible à exécuter : l’énorme poignet et l’avant-bras gonflé de l’homme barraient l’accès.

Tu es déjà mort, et depuis des siècles, donc fais-moi le plaisir de dégager de là et de me laisser sauver l’enfant !

Alors que Rigg saisissait son avant-bras en tentant d’atteindre celui de l’enfant, l’homme le sentit et sauta sur l’occasion. Il balança sa main droite vers le poignet de Rigg et l’attrapa d’une poigne au moins aussi ferme et épaisse que l’aurait été celle de Rigg sur le poignet du petit.

Le poids de l’adulte emportait Rigg peu à peu vers le vide.

Son genou droit plongea dans l’eau ; si l’homme ne l’avait pas tenu si fermement, le courant l’aurait déjà emporté. La charge coucha Rigg à plat, sur le côté, le genou ressorti à l’air libre. Son corps formait à nouveau un pont entre les pierres.

Le poids de l’homme continuait à l’entraîner vers le vide. Rigg ne pensait plus du tout au garçon – s’il chutait, il ne sauverait personne.

De sa main libre, Rigg se saisit du petit doigt de l’adulte et commença à le tordre en arrière. Cette opération lui sembla interminable : réfléchir au geste, voir sa main lui obéir, la tendre vers celle de l’homme, empoigner, tordre, pousser.

L’homme lâcha. Rigg vit sa main droite glisser peu à peu sur sa peau avec une lenteur insoutenable. Il se redressa tout aussi lentement pour tenter de porter secours une seconde fois à l’enfant. Mais la main gauche de l’homme ne voulait pas quitter la main droite de celui-ci.

Alors que Rigg cherchait un nouvel accès vers le poignet du jeune garçon par-dessus, par-dessous ou carrément à travers celui de l’homme, il vit les doigts de l’enfant s’ouvrir peu à peu, glisser doucement, tout doucement du rocher… puis lâcher.

De rage, frustré et meurtri par son échec, Rigg leva le poing pour l’écraser sur la main de l’homme. Il ne lui vint pas à l’esprit une seconde qu’il s’apprêtait à commettre un meurtre. Dans sa dimension, l’homme était mort depuis bien longtemps déjà, alors qu’importait qu’il meure à nouveau. Rigg ne voyait qu’une chose : à cause de lui, de son apparition soudaine, là, en chair et en os, l’enfant n’avait pu être sauvé – un enfant du village qu’il connaissait certainement.

Il n’eut pas le temps de mettre sa menace à exécution. Le temps accéléra, retrouva son cours normal, et l’homme s’évapora sans que Rigg puisse dire s’il avait plongé dans le vide ou regrimpé sur le rocher. Son poing ne heurta que du caillou.

Un instant plus tard, un cri déchira le vacarme des chutes. Cela ne pouvait être l’enfant – avant même que le cri ne s’élève, il devait déjà être loin en contrebas. Impossible pour Rigg de l’entendre d’où il était. Et le cri avait duré trop longtemps. Ce n’était pas non plus une voix d’homme – trop aiguë.

Il devait y avoir quelqu’un d’autre sur la berge. Quelqu’un qui avait été témoin de la chute. Et qui pourrait très certainement l’aider à se tirer de ces rochers sain et sauf.

Mais non, inutile d’y compter. C’était de la folie pure. Essayer de sauver cet enfant avait été de la folie pure. Il suffisait de voir où cela avait mené Rigg : le corps étendu entre deux rochers, au ras d’un courant qui menaçait de l’emporter à la moindre flexion des genoux.

Il recula centimètre après centimètre dans une tentative désespérée pour ramener ses genoux à hauteur de ses orteils, les bras et les épaules en feu. Si le temps, en ralentissant, avait pu lui permettre de focaliser son attention sur le moindre de ses gestes, la peur qu’il ressentait actuellement ne l’aidait pas à grand-chose.

Après quelques minutes d’efforts, ses genoux touchaient la roche. Il s’écarta de l’eau d’une lente poussée sur les bras, puis puisa dans ses dernières forces pour, d’une détente sèche, se propulser vers le haut, en arrière, et…

Il vacilla sur ses jambes pendant ce qui lui parut une éternité, sans trop savoir s’il cillait repiquer vers l’avant d’avoir trop peu poussé, ou culbuter en arrière d’avoir poussé trop fort.

Il avait bien dosé l’effort. Il était debout.

À peine s’était-il rétabli qu’une pierre le frappa à l’épaule. Elle le déséquilibra mais il tint bon. Il aperçut en se retournant un garçon de son âge, peut-être plus âgé, debout sur le premier rocher accessible depuis la berge, d’où s’était élancé le gamin disparu. Il s’apprêtait à lancer une pierre de deux fois la taille de la première.

Difficile pour Rigg d’être plus à découvert.

Il ne voyait d’autre parade que de détourner le projectile à mains nues. Comme il le découvrit rapidement à ses dépens, cette technique avait le désavantage de le déséquilibrer au moins aussi sûrement que si le caillou l’avait touché de plein fouet. Il parvint par miracle à se retourner et à profiter du déséquilibre pour bondir in extremis sur un rocher à l’écart des chutes.

« Arrête tout de suite ! » cria-t-il.

Le lanceur de pierres n’entendait rien. Seul son hurlement terrifiant avait réussi à percer le grondement de la cascade.

Rigg le reconnaissait maintenant : c’était Umbo, le petit villageois, le fils du cordonnier. Ils étaient inséparables plus jeunes, à l’époque où Père et Rigg passaient un peu de temps à Gué-de-la-Chute.

Rigg comprenait maintenant pourquoi le garçon qui avait chuté ne lui était pas inconnu. Il s’agissait du jeune frère d’Umbo, Kyokay, un diablotin toujours prêt à faire les quatre cents coups et à jouer les trompe-la-mort. Quand Rigg et Umbo s’étaient connus, le petit se remettait d’une fracture au bras. Malgré son attelle, il continuait à grimper à la cime des arbres et à sauter de plusieurs mètres sur des terrains à se casser les pattes, si bien que son grand frère devait sans arrêt lui courir après pour l’arrêter ou le sauver d’un mauvais pas ou tout simplement pour l’engueuler.

Sauver Kyokay aurait été le plus beau cadeau que je puisse te faire, Umbo. Une suite logique à toutes ces fois où je t’ai aidé à le faire, quand il n’était pas plus haut que trois pommes.

Alors pourquoi Umbo veut-il ma mort en me jetant des pierres ? Croit-il que c’est moi qui ai poussé Kyokay ? J’essayais de le sauver, imbécile ! Et si tu étais sur la berge, pourquoi l’as-tu laissé s’élancer vers les chutes ? Quoi que tu aies vu, pourquoi ne pas chercher la vérité plutôt que de me condamner ainsi ?

« Les gens ne sont jamais justes, même quand ils essaient, répétait souvent Père. Et peu nombreux sont ceux qui essaient. »

Rigg rejoignit le rocher d’où il était parti sauver Kyokay. Si j’étais resté ici, pensa-t-il, à le regarder tenter le diable, et mourir, Kyokay ne serait ni plus ni moins mort que maintenant et, vu ma position, personne n’aurait pu me tenir pour responsable.

Et toutes mes fourrures seraient sauves, et je ne m’apprêterais pas à me lancer à la recherche de ma mère et de ma sœur sans un sou.

Umbo continuait à faire pleuvoir les pierres, mais la plupart tombaient trop court. Et après ce parcours d’équilibriste, Rigg n’avait aucun mal à éviter les autres. Umbo pleurait de rage. Rigg ne pouvait ni entendre ses paroles ni espérer se faire comprendre s’il essayait de lui répondre. Aucun geste capable de traduire : « Je n’ai rien fait de mal, j’ai tout fait pour le sauver » ne lui vint spontanément à l’esprit. En colère et en deuil comme pouvait l’être Umbo, tout haussement d’épaules serait interprété comme de l’indifférence, non de l’impuissance ; une révérence comme du sarcasme, et pas comme une marque de respect envers les morts.

Rigg n’avait d’autre solution que d’attendre qu’Umbo abandonne. Ce qui ne tarda pas. Après une dernière pierre, il regagna les bois à grandes enjambées.

Soit il descend au village par le chemin de la Falaise pour faire part à tous de sa propre version des faits, soit il m’attend à couvert.

Rigg préférait encore la seconde éventualité. Il ne craignait pas Umbo. Sa vie dans les bois l’avait rendu fort et agile et, en outre, Père lui avait appris quelques bottes secrètes qui devraient faire mouche face à un cordonnier. Dans un concours de rivetage de cuir, Umbo l’aurait peut-être battu, mais là… Rigg voulait seulement s’approcher suffisamment de lui pour pouvoir tout lui expliquer, bagarre ou pas.

Finalement, quand il prit pied sur l’autre rive, Rigg vit qu’Umbo avait filé – il percevait sa trace lumineuse et claire dans l’air, qui dévalait la partie la plus raide du Chemin de la Falaise.

Rigg aurait bien emprunté une autre sente, pour éviter une embuscade, mais il n’avait pas le choix. À part celui, toujours possible, de tomber. Le village de Gué-de-la-Chute avait pu se développer en grande partie grâce à cette route. Car à sa base, c’était une route ancienne, sinueuse, aux pavés larges, qui louvoyait le long des pentes raides au pied du Surplomb.

Plus haut, la route de montagne revêtait des allures d’abrupte randonnée : les lacets se rétrécissaient, les pavés laissaient place à de petites roches polies par les ans et les réparations de fortune succédaient aux détours pour masquer les ravages du temps. Mais il était toujours possible de la remonter les bras chargés de marchandises ou, pour un garçon comme Umbo, gonflé par le chagrin et la colère, de la descendre d’une traite.

Avec son fardeau de peaux et de fourrures, Rigg aurait vécu les choses différemment, pressé par l’imminence du retour d’Umbo, qui de son côté aurait eu tout le loisir de descendre au village et d’en revenir accompagné d’hommes aveuglés par son histoire et qui, dans leur rage, n’auraient pas attendu d’entendre la version de Rigg.

En l’état actuel des choses, si Rigg se dépêchait, le temps qu’Umbo revienne, il serait déjà loin. À moins que quelqu’un au village ne dispose des mêmes capacités que lui, personne ne le suivrait. « Un pisteur chevronné est dur à pister », lui avait appris Père, car il sait quelles erreurs un fugitif doit éviter coûte que coûte.

Père ! Le chagrin submergea Rigg aussi violemment qu’à la clairière et il se mit à pleurer. Comment vivre sans toi ? Pourquoi n’avoir pas entendu le grondement de cet arbre, et ne t’être pas écarté à temps ? Toi qui as toujours été si vif, si perceptif – cette négligence ne te ressemble pas.

Ne me laisse pas seul. Sans toi, qui va m’expliquer pourquoi le temps s’est ralenti, pourquoi tous ces gens ont pris forme sous mes yeux, pourquoi cet homme m’a empêché de sauver le garçon ?

Les yeux embués masquent les bonnes pistes. Rigg parvint à contenir son chagrin, à se ressaisir, et continua à travers bois vers la pension de Nox.

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