Chapitre 8 La tour

Ram réfléchit au problème assis, debout, couché, en marchant, les yeux fermés, ouverts, devant un jeu vidéo, un film ou un livre, ou encore immobile, à ne rien faire du tout.

Une idée lui vint enfin à l’esprit, qui apporterait peut-être un début de réponse. « La lumière des étoiles derrière nous – décalage vers le rouge ou vers le bleu ?

— “Derrière nous” par rapport à notre dernière position dans l’espace ? Ou à la poupe du vaisseau ?

— À la poupe du vaisseau, répondit Ram. En direction de la Terre.

— Décalage vers le rouge.

— Si on se rapprochait de la Terre, on devrait observer un décalage vers le bleu.

— Et pourtant nous nous rapprochons de la Terre, mais le décalage se fait vers le rouge, confirma le sacrifiable. Ce n’est pas normal. Les ordinateurs sont complètement perdus avec toutes ces données contradictoires.

— Comparez ce décalage par rapport à celui observé lorsque nous étions dans la même position et en route pour la contraction. »

Le temps pour Ram de cligner les yeux et l’analyse était faite.

« Ils sont identiques.

— C’est donc que nous répétons le même trajet, en conclut Ram. La carcasse de ce vaisseau avance dans l’espace, mais nous qui sommes à l’intérieur revenons dans le temps.

— Dans ce cas, pourquoi ne nous voyons-nous pas tels que nous étions il y a deux jours, avant la contraction ? demanda le sacrifiable.

— Parce que nous existons en deux versions qui se déplacent différemment, répondit Ram.

— Vous auriez presque l’air sérieux en disant cela.

— Si je commençais à hurler et à m’agiter dans tous les sens, vous me prendriez pour un fou.

— C’est déjà le cas, dit le sacrifiable. Mon programme interne me demande de stocker vos dernières déclarations dans une file d’attente, car elles sont incompatibles avec mes données.

— Vous savez trouver les mots, vous, dit Ram. Le vaisseau est toujours le même. Tout ce qui, à l’intérieur, n’a pas besoin de changer est resté exactement comme lors de notre premier trajet. Au même endroit au même moment. Les flux électriques, en revanche, ont changé, tout comme les informations échangées entre ordinateurs, votre cerveau de robot, mon cerveau d’humain et nos déplacements dans l’espace, car notre causalité bouge dans une autre direction. Nous nous déplaçons dans le même espace que nos précédentes versions de nous-mêmes, mais dans un flux temporel différent. Nos deux nous ne peuvent donc pas se voir.

— Cette explication ne tient pas, dit le sacrifiable.

— Vous avez mieux à proposer ? »

La réponse tarda cette fois. Le sacrifiable demeura totalement interdit, tandis que Ram fourrait mécaniquement dans sa bouche, sans vraiment avoir faim, un peu de nourriture avant de mastiquer puis d’avaler.

« Je n’ai pas mieux, finit par admettre le sacrifiable. Je ne raisonne qu’à partir d’informations ayant abouti à des raisonnements fiables.

— D’où votre besoin d’un cerveau humain après le saut, j’imagine, dit Ram.

— Ram, lança le sacrifiable, qu’arrivera-t-il quand le vaisseau atteindra la Terre ?

— Les deux versions du vaisseau se détacheront et exploseront, ou nous nous détacherons du vaisseau et gèlerons instantanément dans l’espace. Ou, dernière hypothèse, nous rentrerons sagement à la maison et continuerons à remonter le temps jusqu’à mourir de vieillesse, conjectura Ram.

— Je ne suis pas conçu pour mourir, dit le sacrifiable, à moins d’une intervention extérieure.

— N’est-ce pas merveilleux ? Un sacrifiable éternel. Vous allez pouvoir retourner dans le passé et découvrir tout ce que vous avez toujours rêvé de savoir sur l’histoire humaine. Voir les pyramides se déconstruire, les ères glaciaires aller et venir à l’envers, les dinosaures renaître après le décollage d’une météorite du golfe du Mexique.

— Je serai inutile. Je n’aurai plus aucun moyen d’aider la race humaine. Mon existence sera vaine après votre mort.

— Maintenant, vous savez ce que les êtres humains ressentent toute leur vie. »


* * *

Ils attendaient sur les quais, leur garde-robe empaquetée à leurs pieds et leurs malles prêtes à être embarquées, lorsque Rigg se retourna instinctivement vers la ville. D’où il se tenait, même les faîtes des bâtiments de pierre blanche au-dessus du désordre de maisons et d’entrepôts des quais échappaient à son regard. Mais en s’éloignant peu à peu d’O sur la rivière, il se souvenait du spectacle auquel il réassisterait bientôt.

« Ce serait un peu idiot de notre part d’avoir passé toutes ces semaines à O sans rendre une petite visite à la tour, non ? commenta Rigg.

— C’est aussi mon avis, abonda Miche. Mais tu semblais déterminé à partir aussitôt l’argent empoché. »

Rigg eut envie de répondre : Pourquoi ne pas me l’avoir conseillé alors ? Mais il ne le fit pas pour deux raisons. La première, c’était que Miche lui avait plus ou moins soufflé l’idée par de subtiles insinuations comme : « Tous ces pèlerins qui vont directement à la tour, sans même passer par la ville » ou : « Certains vivent à O toute leur vie sans jamais voir la tour. » Sauf qu’en matière de conseils Miche ne faisait, en général, pas dans la dentelle. Rigg les avait du coup mal interprétés, les prenant pour de simples moqueries à l’égard des pèlerins et des habitants de la ville.

La seconde touchait exactement à ces petits changements que Rigg s’interdisait de critiquer par peur d’envenimer les choses. Miche se comportait désormais avec lui comme avec un riche client qu’un mauvais coup du sort aurait contraint à passer une nuit dans sa taverne. Avec une déférence confinant à la servilité – qu’il avait pu observer par exemple chez les domestiques de leur luxueuse auberge, mais jamais chez Miche, pas même lorsque Flaque et lui avaient découvert les pierres.

Ils s’étaient bien doutés alors qu’il s’agissait là d’une fortune, mais sans pouvoir la chiffrer ; et sans s’imaginer un seul instant que Rigg puisse la conserver plus de quelques jours. Miche ne les avait-il pas accompagnés justement pour tenir les profiteurs à l’écart ? Il lui avait répété plus d’une fois : « On dirait que tu n’avais pas besoin de moi, finalement, tu as été parfait. » Chaque fois, Rigg essayait de le rassurer. « Sans toi à mes côtés, lui disait-il, personne ne m’aurait pris au sérieux – une main tendue, une menace et je perdais tout. Je ne sais pas me battre, Miche. Toi, si. Il fallait d’abord qu’ils te voient pour penser ensuite à m’écouter. »

Miche ne fut pas très – voire pas du tout – convaincu. La scène de la négociation l’avait laissé admiratif. « Un vrai officier », avait-il déclaré.

Eh bien, si les sergents se montraient aussi flous et indécis dans leurs conseils aux officiers, la guerre n’était pas gagnée !

Rigg évita donc de démarrer une polémique sur le je te l’avais dit sous-entendu de Miche.

« Oui, je crois t’avoir entendu dire qu’elle valait le détour, répondit-il plutôt. Alors, allons-y. »

D’un signe de main, Miche arrêta un cocher. Il n’avait rien perdu de son autorité sur ceux qu’il considérait comme ses égaux, ou moins que ça. Dans la minute, Rigg, Umbo et Miche étaient installés, leurs bagages laissés sous la surveillance du capitaine.

Il leur fallut deux heures pour atteindre la Tour d’O – une première pour s’extirper du kilomètre labyrinthique des ruelles jusqu’à la porte la plus proche, une seconde pour parcourir les sept suivants le long de la route menant au pied de la tour. Celle-ci longeait une zone dégagée tout autour du mur d’enceinte de la ville, qui obligeait les éventuels assaillants à se mettre sous le feu des défenseurs pour gagner le sommet de la colline. Masquée par le mur, la tour jusqu’alors invisible leur apparut soudain au détour d’un virage, les écrasant de sa hauteur. Elle semblait aussi haute que le Surplomb.

« Quand même pas, répondit Umbo à Rigg lorsqu’il lui en fit la remarque. On est à trois kilomètres. Pour que les falaises paraissent de cette taille, il faut être au moins au double.

— Je n’ai jamais rien vu d’aussi grand, affirma Miche.

— Tu devrais venir nous rendre visite plus souvent, lui proposa Umbo. Ça ferait un queuneu de plus.

— Le rêve de ma vie », répliqua Miche.

Ils furent bloqués par les flux de pèlerins entrant et sortant de la tour. « Ici, c’est très bien, lança Miche au cocher. Umbo et moi, on va aller faire notre offre pour trois personnes. Si les gardiens te voient, le prix va tripler. Au minimum.

— Dans ce cas, je vais payer le cocher – assez cher pour qu’il attende notre retour. On reste combien de temps, là-dedans ?

— Jamais assez, répondit Miche.

— Assez pour quoi faire ?

— Pour tout voir, ou comprendre où on est vraiment. »

Miche et Umbo descendirent, le second bondissant vers la tour au moment où le premier libérait de son poids le marchepied. Rigg entra en grande discussion avec le cocher, qui ne cessait de lui répéter : « Je resterai là à vous attendre, jeune maître, juré craché ! », ce à quoi Rigg répondait : « Mais convenons d’abord d’un prix, sinon vous penserez que je vous ai arnaqué », sans ajouter : « Ou l’inverse », à quoi le cocher répliquait : « Oh, le jeune maître est généreux, je l’ai tout de suite vu, j’ai confiance en la générosité du jeune maître. » Rigg s’en arrachait les cheveux. Il jeta un coup d’œil circulaire et repéra Miche et Umbo à une dizaine de mètres, en pleines tractations avec les gardiens de la tour aux uniformes extravagants. Il se demanda s’ils bataillaient autant que lui pour réussir à fixer un prix.

Alors qu’il se tenait là, tranquillement, à observer ses amis, il entendit une voix à ses côtés. Celle d’Umbo. Ses paroles se bousculaient, incompréhensibles.

Rigg se tourna pour lui faire face, puis revint sur l’Umbo qu’il venait de quitter des yeux. Les deux étaient habillés différemment. Celui qui venait d’apparaître semblait bouleversé, apeuré. Son visage était de glace. Rigg n’eut pas besoin d’explications. Une version future d’Umbo avait fini par apprendre comment remonter une trace dans le temps, et suivi celle de Rigg. S’il l’avait fait, c’était pour le prévenir d’un danger imminent.

Umbo ralentit son débit – il peinait à articuler, et pourtant les mots sortaient encore à une vitesse telle que Rigg devait se concentrer pour comprendre.

« Donne les pierres à Miche. Il doit les cacher tout de suite. »

Rigg hocha la tête en signe d’assentiment. Il vit Umbo pousser un gros ouf ! de soulagement, puis disparaître.

Rigg contourna l’attelage pour rejoindre le cocher occupé à abreuver ses chevaux. « J’ai changé d’avis, lui dit-il. Les cochers ne manquent pas par ici, à ce que je vois, je vais donc vous payer le trajet et si nous nous recroisons d’ici notre départ, tant mieux. Mais prenez une autre course entre-temps si elle se présente. »

L’homme donna son prix, la mine déçue. Rigg lui paya le double, même s’il savait le montant annoncé exorbitant, et s’empressa de fuir ses courbettes, flatteries et autres obséquiosités pour rejoindre les deux autres au petit trot, soulagé.

Ils marchèrent à sa rencontre, Miche brandissant un laissez-passer pour trois personnes pour la journée.

Rigg le remercia, puis leur demanda de le suivre à l’écart de la tour.

« Pourquoi, où allons-nous ? s’inquiéta Umbo.

— On ira à la tour bientôt, le rassura Rigg. Mais on doit faire quelque chose, avant.

— Quoi ? demanda Miche.

— Pas ici. La moitié des pèlerins peuvent nous entendre. »

Ils prirent la direction des latrines pour hommes, puis les dépassèrent. Une fois à l’abri derrière, Rigg s’arrêta et se colla à la paroi pour sortir la petite sacoche de son pantalon.

« Qu’est-ce que tu fais ? souffla Miche sèchement. Range ça tout de suite.

— Non, monsieur. C’est toi qui vas les garder.

— Et pourquoi ? Un voleur à la tire ira autant les chercher sur moi que sur toi.

— Du calme, insista Rigg. On m’a mis en garde.

— Qui ? demanda Umbo.

— Toi », répondit Rigg.

Umbo blêmit, se tourna vers Miche puis à nouveau vers Rigg. Il semblait nerveux. « Je n’ai pas quitté Miche, je ne t’ai pas dit un mot.

— L’avertissement venait de toi… dans le futur. Tu étais dans tous tes états. Tu m’as demandé de confier les pierres à Miche, pour qu’il les mette à l’abri immédiatement.

— De quoi tu parles ? demanda Miche. Comment Umbo a-t-il pu te prévenir d’une chose qu’il ignore ?

— Il sait très bien comment, répliqua Rigg. Il t’expliquera plus tard. En attendant, Miche, prends ce sac et cache-le en sécurité pour les jours ou les semaines à venir, peut-être même l’année. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant qu’Umbo ne revienne me prévenir.

— Ça veut dire que j’ai appris comment faire, devina Umbo, puisque c’est moi qui suis venu, et pas toi.

— Si je comprends bien, dit Miche, vous avez complètement perdu la boule tous les deux.

— Crois-nous, c’est tout ce qu’on te demande pour l’instant, dit Rigg. Je te fais confiance pour garder ma fortune, tu peux bien nous faire confiance toi aussi.

— Ça n’a rien à voir, rétorqua Miche en attrapant le petit sac de son énorme paluche. Je la cacherai de mon mieux, mais si quelqu’un me repère ou me tombe dessus par hasard, ce sera toi le responsable, pas moi.

— Ça me va, dit Rigg. Par sécurité, ne nous dis pas où tu la mets. Je ne sais encore rien du danger qui nous attend, mais si on m’a demandé de me débarrasser de ces pierres, ce n’est pas par hasard. Mieux vaut que j’ignore où elles se trouvent. Et c’est plus sûr pour Umbo qu’il ne le sache pas non plus.

— Donc, si je meurs, elles seront perdues à jamais, déclara Miche.

— J’ai déjà plus d’argent qu’il n’en faut, rétorqua Rigg.

— L’argent, ça va, ça vient… tu t’en rendras compte plus tard. » Sur ce, Miche se retourna et disparut dans les bois aux allures de parc qui bordaient la tour, tandis que Rigg et Umbo rejoignaient la procession de pèlerins qui sortaient des latrines.

« On y va, tant qu’on y est ? proposa Umbo.

— Qui sait si la chance se représentera un jour ? Pour que tu sois revenu du futur pour me prévenir, c’est que les choses risquent de vraiment mal tourner. Et vite, sinon tu ne m’aurais pas prévenu dès que tu m’as vu.

— C’était peut-être la première fois que je te trouvais.

— Qui sait ? Il se trame quelque chose de mauvais, et je n’aime pas ça. Ces dernières semaines, j’avais pourtant l’impression de plutôt bien contrôler les événements.

— On croit contrôler et puis non, c’est toujours comme ça, pas vrai ? dit Umbo. Mon frère est mort, ton père est mort. Rien de pire ne peut nous arriver.

— Si, mourir nous-mêmes. Imagine que je tombe du bateau et que je me noie. Hé, mais alors tu m’aurais demandé de remettre les pierres à Miche pour ensuite…

— Je t’aurais surtout prévenu que tu allais te noyer, le coupa Umbo. Et si je voulais vraiment te voler les pierres, je t’aurais aussi dit de me les donner directement.

— Donc, tu y as pensé ? demanda Rigg.

— Regarde un peu où tu vises, tu en mets partout », répondit Umbo.

Le temps qu’ils finissent, Miche était de retour.

« Tu les as mises où ? lui demanda Umbo.

— Tais-toi donc, le rabroua Miche. Et maintenant ? C’est quoi, cette histoire ?

— On ne sait pas, mais Rigg et moi avons décidé que quoi qu’il arrive, il n’y a rien de catastrophique. Je veux dire, quoi qu’il arrive à Rigg. Nous deux, on reste en vie dans tous les cas.

— Je t’ai dit de te taire », dit Miche, plus convaincant cette fois.

Ils montrèrent leur laissez-passer en prenant soin d’éviter les gardes auprès desquels ils avaient négocié leur droit d’entrée, qui risquaient de se sentir lésés d’un pot-de-vin bien mérité en voyant Rigg habillé comme un petit riche. Ils se joignirent ensuite à la foule des pèlerins.

Malgré une enveloppe extérieure entièrement métallique, l’intérieur de la tour était tout en pierre brute. Une rampe interminable grimpait en spirale le long de ses murs. L’endroit était dépourvu de fenêtres mais baignait dans une lumière vive, grâce à des sphères lumineuses suspendues comme par magie dans les airs.

« Cette rampe est drôlement raide, observa Miche.

— Pour un vieux comme toi, répliqua Umbo. Moi, je la monte en courant, si je veux.

— J’attends de voir, le provoqua Miche.

— Non, intervint Rigg. La rampe est étroite. Si un pèlerin s’énerve, un coup d’épaule peut vite partir.

— Mais je ne peux pas mourir, affirma Umbo, puisque je suis revenu du futur te prévenir de je ne sais quoi.

— Tu es peut-être revenu d’entre les morts, dit Rigg.

— Arrête, c’est impossible, se rassura Umbo.

— Revenir du futur aussi est impossible, dit Miche. Si tu peux expliquer l’un, tu peux aussi expliquer l’autre. »

Rigg doutait de pouvoir expliquer quoi que ce fût, qui paraisse plausible aux yeux de Miche du moins. Après tant d’années de silence absolu imposé pair Père, l’exercice ne lui semblait pas des plus simples. Pour Nox et Umbo, c’était différent – elle était déjà au courant et il avait lui-même un don. Mais ne révéler à Miche qu’une partie de la vérité et en occulter une autre revenait à le considérer ouvertement comme indigne de confiance. À ce jeu-là, il risquait de s’attirer sa rancœur et de perdre sa loyauté. Umbo – celui du futur – l’avait désigné comme le gardien le plus sûr pour ses pierres, alors pourquoi ne pas le mettre dans la confidence de leurs pouvoirs secrets ?

Devant comme derrière, tous les autres pèlerins semblaient absorbés dans leurs discussions. Rigg et Umbo en profitèrent pour tout déballer à Miche sur le ton de la conversation, tout ce qu’ils savaient faire, seuls ou à deux.

« Vous avez toujours cette dague ? demanda le tavernier. Elle n’a pas disparu depuis ou je ne sais quoi ?

— Elle est dans mon sac, indiqua Rigg.

— Euh… pas exactement », intervint Umbo.

Rigg soupira. « Quoi, ton toi du futur est revenu te demander de me la piquer pour la mettre dans ton sac ?

— Dans celui de Miche, en fait, dit Umbo.

— Je blaguais, dit Rigg. Tu es en train de nous dire que tu étais déjà au courant pour les visites de courtoisie de ton double ?

— Il, enfin je, me suis réveillé ce matin en me demandant de faire ça, avant de disparaître sans même me laisser le temps de me poser une question. Je crois que mon moi du futur ne maîtrise pas encore bien le truc ; quelques secondes, c’est le maximum qu’il puisse faire. Je n’ai pas osé t’en parler, de peur que tu penses que je voulais juste te la voler. Quand il est venu te prévenir, ça paraissait autrement important. Je veux dire, c’est quand même une sacrée fortune en pierres, et tu l’as confiée sans hésiter à Miche.

— Et s’il t’avait avoué avoir pris ta dague, lui aurais-tu fait confiance pour me remettre les pierres ? demanda Miche.

— Oui, dit Rigg. Je pense. » Il réfléchit une seconde. « Ou peut-être pas.

— Il a fait ce qu’il fallait, trancha Miche. À moins qu’il ne soit vraiment en train de tout voler. Mais là, il faudrait aussi se demander pourquoi il t’a demandé de me donner les pierres et de cacher la dague dans mon sac. Bref, dans tout ça, je n’ai pas intérêt à perdre mes affaires, moi.

— Qu’est-ce que tu crains ? demanda Rigg.

— Que le bateau coule, suggéra Umbo. Miche perdrait tout d’un coup.

— Si le bateau coule, on se noie tous, rappela Miche.

— Je sais nager, dit Umbo. Rigg aussi. Un vrai poisson. Pas toi ?

— Je suis un soldat. Et au combat je portais une armure, j’aurais coulé comme un plomb. Et même, à quoi bon apprendre à nager ?

— Ça peut toujours servir, dit Umbo. Surtout quand on habite au bord d’une rivière, et que les gens s’amusent à se balancer à l’eau.

— La plupart des bateliers ne savent pas nager non plus, contra Miche.

— Ça ne répond pas à la question, reprit Rigg. Tu sais nager ?

— L’idée est de rester sur le bateau, éluda Miche.

— Essaie encore, insista Rigg.

— Si tu laisses croire que tu ne sais pas nager, dit Miche, les gens pensent qu’ils peuvent te tuer en te jetant à l’eau.

— Regardez », les interrompit Umbo.

Leur progression les avait menés au-delà des boules en suspension, dont les rayons illuminaient désormais la moitié supérieure de la tour. Les murs de pierre s’arrêtaient rapidement, coiffés sur toute leur circonférence d’un large porche orienté vers le centre de la tour. L’endroit grouillait de pèlerins.

« Avancez », grommela un homme derrière eux. Ils s’exécutèrent.

Un coup d’œil en l’air dévoila près d’une vingtaine de piliers de pierre, qui s’élevaient depuis la plateforme circulaire, en renfort de l’enveloppe métallique. Rigg se rappela que, vue de l’extérieur, celle-ci semblait partir en double biseau à mi-hauteur de la tour environ. Cela expliquait l’inclinaison des piliers vers l’intérieur, qui épousaient l’acier avant d’être joints à leur extrémité par un anneau de métal et de pierre. Un simple dôme métallique coiffait le tout.

Seul un miracle d’ingénierie pouvait permettre à la pierre de supporter tout ce poids. Rigg imagina l’extrême finesse de l’acier, sans laquelle la structure de pierre n’aurait pas tenu.

Arrivés en haut de la rampe ascendante, ils gagnèrent le centre de la plateforme. La rampe redescendait de l’autre côté. Entre les deux pendait une énorme sphère, sa surface éclairée par les globes lumineux tout autour. Leur flottaison n’avait rien de magique, finalement : ils étaient juste accrochés par un jeu de câbles à l’anneau sommital, tout comme la sphère centrale, très certainement.

Sa surface était peinte d’une manière que Rigg eut du mal à interpréter. Des formes abstraites, des couleurs ternes, presque laides, disparates. Des lignes d’un jaune criard venaient diviser de grandes portions de vert et de marron aux reflets brillants. Elles avaient été disposées en alvéoles chaotiques, comme par des abeilles soûles, sans aucun sens apparent.

« On domine le monde, constata Umbo. Ça, là, c’est le monde. »

Umbo pointait du doigt un point précis du globe. « Vous voyez ? Cette tache rouge, c’est Aressa Sessamo. Et ce point blanc, c’est O. La ligne bleue représente la Stashik. Gué-de-la-Chute doit être par là, pas très loin, un peu plus bas.

— Alors les lignes jaunes doivent représenter le Mur, dit Miche. J’ai patrouillé dessus, on dirait bien que c’est ça. Pour le reste, je ne sais pas.

— Le monde dans sa globalité, suggéra Rigg, qui venait de comprendre. Le monde est un globe, tout rond, comme celui-ci.

— Tout le monde sait ça, dit Miche. Même le plus ignare des queuneux.

— C’est fou, ça ! s’exclama Umbo, feignant d’apprendre quelque chose. Mais on va tous tomber ! »

Rigg se joignit à lui, sur un ton de maître d’école.

« Non, mon petit Umbo, nous sommes attirés par le centre de la terre, c’est ce qui nous retient à la surface. Quand on “tombe”, c’est uniquement vers ce centre.

— Cette carte est impossible, dit Miche. Personne ne sait ce qu’il y a derrière le Mur. Il n’y a pas une seule personne, dans toute l’histoire de la race humaine, qui soit passée de l’autre côté pour voir.

— Mais on peut voir de l’autre côté, non ? suggéra Rigg.

— Pas assez loin pour dresser une carte aussi précise que celle-ci. Et qui n’indique pas que les entremurs voisins, mais tous. Si c’est bien une carte.

— C’en est une, assura Umbo. Ils n’ont pas pu représenter comme ça, par hasard, la rivière, et O d’un point blanc, et la capitale d’un point rouge.

— Et je nous vois mal être les premiers à nous en rendre compte, ajouta Rigg. Mais pourquoi n’en avoir jamais entendu parler ?

— On en a déjà entendu parler, dit Miche. Enfin, moi, du moins. Pourquoi pensez-vous que les pèlerins parlent de la Tour d’O comme d’une “fenêtre sur le monde entier” ?

— Je pensais qu’ils parlaient de la vue qu’on avait du toit, admit Umbo.

— Ils disent aussi : “Le monde entier se trouve à l’intérieur de la tour”, continua Miche.

— Pour moi c’était juste des délires mystiques, dit Rigg. Ou une manière de parler du nombre de pèlerins qui viennent s’entasser ici.

— Bizarre, quand même, cette vision du monde. Ça me perturbe. Pour moi, le monde est ce qui se trouve à l’intérieur du Mur – c’est sa définition même. Comment peut-il y avoir un monde plus étendu que le monde lui-même ? Et comment l’a-t-on découvert ? »

Rigg en avait profité pour compter. « Il y en a dix-neuf – dix-neuf zones délimitées par des lignes jaunes. Et beaucoup d’autres en dehors.

— Donc il y a dix-neuf mondes sur ce même globe ? s’interrogea Miche. C’est ce que la Tour d’O veut nous signifier ?

— Tu m’étonnes que personne n’en parle en sortant, dit Umbo. C’est complètement dingue. Même s’ils se l’imaginent comme ça – et le père de Rigg n’était ni fou ni menteur, donc s’il pensait qu’on vit sur une balle, il avait probablement raison. D’une certaine manière. Même s’ils se l’imaginent comme dix-neuf mondes à la surface d’un globe, comment les croire ? Tout le monde les prendrait pour des fous.

— Moi, je te prends pour un fou, confirma Miche. Sauf que la carte du monde – de notre monde – est plutôt précise. L’armée conserve des cartes comme celle-ci, du monde à l’intérieur des murs, avec toutes les routes et les villes. Mais c’est illégal pour quiconque d’en dessiner. Donc je me demande bien comment tu as su que c’était une carte, Umbo.

— Notre professeur nous en a montré une. Plus petite, mais avec la rivière, Aressa Sessamo à son embouchure et la grande baie. Et la ligne du Mur, aussi.

— C’est interdit de posséder une telle carte, répéta Miche.

— Oh, je crois qu’il l’a dessinée lui-même. Sur un morceau de bois. À la craie. Ensuite… il a disparu.

— Combien de temps après vous l’avoir montrée ? demanda Miche.

— Je ne sais plus. Après. On ne l’a vue qu’une fois. »

Rigg les avait écoutés d’une oreille tout en scrutant les murs. « Dix-neuf piliers de pierre tiennent les murs. Les dix-neuf vertèbres de la tour. La carte indique dix-neuf territoires délimités par des murs. Dix-neuf n’est pas un chiffre très pratique à manipuler en mathématiques. Diviser la tour en dix-neuf arcs de cercle identiques… c’est de la folie, ou alors c’est qu’ils tenaient vraiment à ce nombre.

— Si ce sont vraiment des entremurs que nous voyons là, demanda Umbo, tu crois qu’ils sont habités ?

— Il y a des points rouges et des points blancs, et même des bleus dans chacun d’eux, dit Rigg.

— Mes enfants, intervint Miche, vous n’avez même pas idée des ennuis que nous pouvons nous attirer à parler de ça.

— Tu connais le Mur pour y avoir été, dit Rigg. Il y avait des gens de l’autre côté ?

— Personne ne va jamais jusqu’au Mur, répondit Miche. Plus tu t’en approches, et plus la tristesse et le désespoir t’envahissent. Tout le monde le fuit. Sinon, à la fin, c’est la folie qui te guette. Personne ne s’en approche jamais. Même les animaux se tiennent à l’écart – des deux côtés.

— Tu ne l’as vu que de loin alors ? insista Rigg.

— On ne patrouillait qu’à la limite, là où les criminels, les traîtres et les rebelles aiment se retrouver – suffisamment près du Mur pour n’y croiser personne, et suffisamment loin pour ne pas perdre la raison. Vivre comme ça, dans la crainte, la douleur et le désespoir, c’est déjà une punition en soi. Mais c’était notre boulot de pénétrer dans la zone de souffrance et de les en débusquer. Pour les empêcher de se ravitailler, de lancer des raids ou d’aller recruter à l’extérieur.

— Si c’est pareil de l’autre côté, pensa Rigg à voix haute, alors même si c’est habité, les gens doivent rester à distance du Mur, comme nous. Donc ils ne peuvent voir personne de notre côté, et nous personne du leur. »

Miche les rapprocha de lui en les agrippant d’une main ferme par les épaules. « Vous parlez beaucoup trop fort, tous les deux. Je crois comprendre maintenant pourquoi ton futur toi est revenu nous mettre en garde.

— Non, se défendit Umbo. Si le danger, c’était de se faire arrêter pour avoir trop parlé, j’aurais demandé à Rigg et à moi-même de la fermer.

— Eh bien, moi, je vous le demande, dit Miche. Ton professeur est très certainement venu ici, a réfléchi à ce qu’il voyait et a essayé d’apprendre la carte par cœur. J’en mettrais ma main à couper. N’importe quel soldat, ou du moins n’importe quel sergent ou officier de rang supérieur, saurait immédiatement ce qu’il a sous les yeux en venant ici. Et serait tenté de le mémoriser. Mais il saurait aussi garder cela pour lui. Et jamais de la vie il ne prendrait le risque de le reproduire.

— Et pourquoi pas ? demanda Umbo.

— Parce que, devina Rigg après avoir recollé les morceaux comme Père le lui avait appris, l’armée n’a aucune envie de voir ses ennemis disposer d’une carte aussi précise du monde.

— Exactement, confirma Miche. D’ailleurs, partons avant que notre intérêt pour le globe attire les soupçons. »

Mais Rigg ne voulait pas partir, pas maintenant. Il était absorbé par les cartes des dix-huit autres entremurs, se projetait dans leurs villes. Dans l’entremur au nord du leur, les cités flottaient au beau milieu d’une étendue bleutée, qui devait pourtant représenter des mers et les rivières qui s’y jetaient. Rigg s’étonnait d’ailleurs d’en voir autant, même si Père lui avait appris que le monde se composait de plus d’océans et de mers que de terres. Il n’avait jamais songé à se demander comment Père pouvait le savoir. Pour lui, Père savait tout, point final. Mais une question se posait alors : comment le savait-il, si personne n’avait jamais franchi le Mur ?

Père était forcément passé de l’autre côté.

Non, se ravisa-t-il. Il est simplement venu ici et en a tiré les mêmes conclusions que nous.

Mais quelqu’un avait bien dû passer de l’autre côté, sinon cette carte n’existerait pas.

Rigg ne s’était jamais posé de questions sur le Mur, jusqu’à présent. Il était là, tout le monde le savait, et ensuite ? Il marquait la limite de l’entremur, et donc le bout du monde. Très bien. Mais maintenant, à cet instant précis, sachant que dix-huit autres entremurs existaient, tous entourés d’un Mur invisible, Rigg regrettait déjà de ne pas être dans l’un d’eux, à découvrir à quoi ressemblaient ses habitants.

Tout ça à cause d’un Mur invisible qui rendait soi-disant fou quiconque s’en approchait ? Rien n’empêchait d’aller voir au-delà. Il devait bien y avoir un moyen de le traverser.

Miche finit par l’arracher à ses rêveries. Ils commencèrent à descendre. « Je vais aller au Mur, annonça Rigg à voix basse.

— Je ne crois pas, non, dit Miche. À moins que tu ne sois un criminel ou un rebelle, auquel cas quelqu’un comme moi qui sera payé pour ça se lancera à ta poursuite et te tuera.

— Je vais aller là-bas pour voir si je trouve des traces qui le traversent, continua Rigg. Et si je t’ai à mes côtés, Umbo, on remontera le temps et on leur demandera comment ils comptent s’y prendre. Comment on fait. Juste avant qu’ils traversent, je poserai la question.

— À moins qu’ils soient comme ton père, dit Umbo, et qu’ils ne laissent pas de traces.

— C’est vrai. Si Père traversait, je n’aurais aucun moyen de le savoir.

— Ou si quelqu’un comme ton père traversait.

— Il n’y en a pas deux comme lui, affirma Rigg.

— Que tu crois, rectifia Umbo. S’il y en a eu avant lui qui n’ont pas laissé de traces, comment le saurais-tu ?

— Pas terrible pour un pisteur ça, Rigg, dit Miche. C’est comme si on annonçait avant une attaque : “Nos espions ont repéré tous nos ennemis… enfin, tous, sauf ceux qu’ils n’ont pas pu voir.” Va dire ça à un sergent, tu verras comme il va bien dormir.

— Des gens comme ton père, il peut y en avoir des centaines, renchérit Umbo.

— Père n’était pas invisible, répondit Rigg. Si on était tombé sur quelqu’un comme lui, je l’aurais su tout de suite.

— Et combien de personnes avez-vous rencontrées ? demanda Umbo. Vous ne connaissiez que les bois, passiez parfois par Gué-de-la-Chute, mais combien d’autres villages avez-vous visités ?

— Quelques-uns. Des tout petits, là-haut, sur les plateaux, dit Rigg.

— Autant dire aucun, résuma Umbo. Donc il peut exister des centaines de gens comme ton père, tu ne le saurais pas.

— Il me l’aurait dit.

— Sauf s’il préférait te le cacher », rétorqua Umbo.

Rigg était forcé de l’admettre, son ami disait vrai.

Ils finirent par atteindre le pied de la tour et par regagner la sortie dans la lumière éblouissante de la mi-journée. Il leur avait fallu une bonne heure pour monter, et pas moins pour redescendre, mais malgré toutes leurs discussions et leur pause au sommet, ils n’avaient pas perdu de temps.

« On dirait qu’ils contrôlent les pèlerins », nota Rigg, alerté par les nombreuses traces des gardes qui convergeaient à l’écart du flot continu des visiteurs. Celui-ci formait désormais un entonnoir ; ils se dirigeaient droit vers le goulot. L’imminence du danger annoncé par Umbo commença à rendre Rigg nerveux. « Ils cherchent quelqu’un, comprit-il.

— D’où les contrôles, déduisit Miche.

— Éloigne-toi de nous, lui conseilla Rigg.

— Non, refusa Miche.

— Les gardes sont trop nombreux, tu ne pourras pas te battre contre tous. On a besoin de toi libre. Tu ne vois pas que c’est pour ça qu’Umbo nous a dit de tout te donner ? Éloigne-toi de nous. Remonte la foule sans te faire remarquer, pas de mouvement brusque dans la mauvaise direction.

— Je sais comment faire, jeune homme, mais merci », dit Miche. Il commença à forcer l’allure tout doucement, les distançant peu à peu. En route, il retira sa veste et la plia sur son bras, chapeau en dessous.

Rigg fut flatté de voir qu’il aurait d’instinct adopté l’attitude du vieux briscard.

Mais à peine quelques secondes plus tard, Miche se laissait rattraper. « C’est Tonnelier, le banquier, leur annonça-t-il. Il va me reconnaître.

— Tonnelier ? s’étonna Rigg.

— Accompagné de deux officiers de l’Armée du Peuple qui arrêtent tout le monde pour lui. L’un d’eux est un haut gradé, un général, je crois.

— Je croyais qu’il n’y avait pas de grades dans l’Armée du Peuple ? s’étonna Umbo.

— Pas de galons sur les uniformes, corrigea Miche en faisant court. Mais un général reste un général. Écoute, Rigg, si Tonnelier n’était pas tant focalisé sur les visages plus proches de lui, il m’aurait repéré tout de suite – j’étais juste en face.

— Peut-être qu’il cherche quelqu’un d’autre », dit Umbo.

Rigg savait que Tonnelier les avait trahis, à défaut de savoir pourquoi. « Retourne dans la tour et restes-y quelques heures.

— Tonnelier va leur demander de me chercher à l’intérieur, contra Miche.

— Non, affirma Rigg. On va leur dire que tu es parti il y a longtemps déjà, que tu étais fatigué et que tu ne voulais pas monter. Tu as l’argent ?

— Oui, presque tout. Mais ils vont quand même fouiller mes bagages, craignit Miche.

— Je vais me débrouiller pour qu’ils relâchent Umbo, dit Rigg. C’est moi que Tonnelier veut.

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

— Parce que l’argent est le mien, dit Rigg. Je savais bien que c’était trop beau pour être vrai. »

Umbo prit la parole, le rouge aux joues. « Miche, je n’ai pas mis la dague dans tes bagages.

— Pourquoi ? demanda Rigg.

— Et tu l’as mise où ? s’enquit Miche à son tour.

— Dans la cuisine du bateau, derrière une barrique de porc salé, avoua Umbo.

— Compris », dit Miche. Il se laissa lentement dériver vers la file de pèlerins, fit mine d’avoir perdu quelque chose puis la remonta à contre-courant, l’air préoccupé par ses recherches.

« Pourquoi avoir menti à propos de la dague ? demanda Rigg alors qu’Umbo et lui se rapprochaient du barrage.

— Pour que tu ne croies pas que j’essayais de la voler. Tu as dit toi-même que tu ne me ferais plus confiance si c’était le cas.

— Umbo, reprit Rigg, si j’ai dit ça, j’ai menti. Je te confierais ma vie. »

Umbo resta muet.

Rigg essaya de maintenir une certaine distance entre Tonnelier et eux, le temps pour Miche de regagner la tour.

« Père m’a toujours accusé des pires choses, dit Umbo. Au moindre truc, c’était ma faute, je l’avais fait exprès. Je suis juste… habitué à ça.

— On est amis, Umbo, lui rappela Rigg. Maintenant, à toi de jouer, fais-nous le garçon un peu neuneu et perdu.

— Ça va pas être dur, dit Umbo.

— Je vais te sortir de là », assura Rigg.

La foule avança d’un coup. Rigg fixa Tonnelier dans les yeux.

« Le voilà, annonça le banquier triomphalement. Voilà le garçon qui prétend être prince. »

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