8

Dès la première sonnerie du téléphone, Malko sauta de son lit. Enervé par l’attente, il ne dormait d’ailleurs que d’un œil. Il atteignit le téléphone de la bibliothèque en un temps record et décrocha.

— Allô, le Prince Malko ?

C’était bien la voix rocailleuse de Stéphane Grelsky.

— Oui.

A l’autre bout du fil, il y eut une sorte de soupir désespéré. Comme le souffle d’un animal en train de mourir. Puis le Polonais articula lentement :

— Je me trouverai dans trois heures en face du Restaurant Pataky dans Seilgasse. Venez seul. Dites à vos patrons que c’est moi qui ai la marchandise qu’ils veulent retrouver. Personne d’autre ne l’a vue. Je suis prêt à un échange. Ne faites pas de fantaisies. S’il m’arrivait quoi que ce soit, elle se retrouverait sur le bureau d’Alexandre Chélépine dans les vingt-quatre heures. Guten morgen.

Il avait raccroché.

Malko remonta s’habiller comme s’il y avait le feu. Le moment n’était plus à la réflexion. En un quart d’heure il était prêt. Il prit rapidement son petit déjeuner dans la bibliothèque. Cette histoire l’agaçait prodigieusement. Il sentait qu’on lui cachait quelque chose. Krisantem arriva silencieusement comme d’habitude. Malko le mit au courant du rendez-vous, au cas où…

— Ne bougez pas d’ici, dit-il. J’aurai peut-être besoin de vous. Et si vous apercevez Janos Ferenczi, tirez à vue. L’O.N.U. vous donnera une prime.

Avant de partir, il alla réveiller Marisa. Elle était toujours dans le lit du Turc. En voyant Malko, elle ouvrit de grands yeux pleins de panique.

— Ne craignez rien, dit Malko. Je vous laisse sous la garde de Krisantem. Mais je voudrais savoir une chose : avant de venir ici, connaissiez-vous Stéphane Grelsky ou sa femme ? Elle secoua la tête.

— Jamais vus.

— Saviez-vous ce que Serge Goldman transportait dans sa serviette ?

— Quelle serviette ?

— Bon. Ce serait trop long à vous expliquer.

Un peu rassurée, la rousse esquissa un sourire. Malko la mettait en confiance.

Il lui baisa la main et s’esquiva : la Jaguar chauffait dans la cour. Cinq minutes plus tard, il roulait sur la route de Vienne. Le froid était toujours aussi vif et la route s’allongeait entre deux talus de neige, comme une piste de bobsleigh.

Apparemment, on trahissait beaucoup dans cette histoire : Goldman, Grelsky. Et Malko ne connaissait qu’une raison pour que ce genre d’homme prenne des risques : la perspective de gagner beaucoup, beaucoup d’argent.

Il arriva à Vienne une heure plus tard et se rendit directement à l’Ambassade. William Coby n’était pas arrivé. Sa secrétaire installa Malko dans la salle des télétypes. Immédiatement, il établit la liaison avec Washington. Il voulait parler à David Wise. Cela prit vingt minutes environ. Un téléphone sonna : c’était le directeur adjoint de la Division des Plans mal réveillé. Grâce au système codeur-décodeur, ils pouvaient parler en toute tranquillité. David Wise était chez lui, car il était trois heures du matin à Washington. Malko résuma la situation, parla de son rendez-vous avec le Polonais. L’autre écoutait sans faire de commentaires. Malko suggéra :

— Ce serait peut-être intéressant de prendre Stéphane Grelsky avec nous ? Il sait beaucoup de choses sur les organisations communistes en Europe.

A sa grande surprise, David Wise ne montra pas un enthousiasme débordant. Pourtant on avait souvent dépensé des trésors d’ingéniosité et des monceaux de dollars pour récupérer des traîtres bien plus minables.

— Nous verrons plus tard. Pour l’instant, il faut reprendre ce qu’il a.

— Combien puis-je offrir ?

Il y eut un court silence, puis David Wise annonça d’une voix égale :

— Vous pouvez aller jusqu’à 500.000 dollars. S’il demande plus vous me contacterez.

Malko en resta sans voix. La C.I.A. avait beau avoir un budget annuel de 700 millions de dollars, elle ne les lâchait pas si facilement.

— Dans l’intérêt de ma mission, demanda Malko, puis-je savoir de quoi il s’agit ?

— Non.

C’était net et définitif. Pour adoucir sa réponse, Wise expliqua :

— Cela ne pourrait vous aider en rien. Et c’est un secret d’Etat. Je suis d’ailleurs obligé de vous laisser agir seul car je veux éviter que cette malheureuse affaire s’ébruite.

Malko s’inclina. Il promit de rappeler Wise dans la journée. Celui-ci ajouta :

— Je vais donner des ordres pour que notre agent local, Kurt von Hasel, s’occupe de votre protection et de celle de Stéphane Grelsky. Ce serait une catastrophe s’il tombait entre les mains de notre adversaire. William Coby, plus gravure de mode que jamais, arrivait quand Malko quitta l’Ambassade. Ils se saluèrent froidement. Malko le mit au courant de son rendez-vous et lui parla du rôle de Kurt von Hasel.

— Je vais entrer immédiatement en contact avec lui, promit William Coby.


* * *

Le Pataky était dans une rue peu fréquentée du centre de Vienne. Les gens venaient surtout le soir écouter l’orchestre tzigane et quand Malko s’arrêta devant, il n’y avait à l’intérieur qu’un garçon occupé à nettoyer les tables.

Malko était en avance d’une demi-heure. Il gara la Jaguar un peu en avant du restaurant, alluma sa radio et attendit.

Il vit la Mercédès tourner le coin de Spielgasse à 11 heures pile. Ce n’était plus la grosse 600 mais une 250 grise. Elle s’arrêta derrière la Jaguar. Stéphane Grelsky était seul au volant.

Malko attendit une minute, puis voyant que le Polonais ne bougeait pas, il descendit et s’avança jusqu’à la Mercédès, pataugeant dans la neige fraîche. La portière de droite fut poussée de l’intérieur.

— Montez, fit la voix rocailleuse de Grelsky.

Le siège, pourtant large, semblait minuscule. L’homme débordait tant que Malko eut du mal à se caser. Stéphane Grelsky avait bien changé en deux jours : son lourd menton et ses énormes sourcils dégageaient toujours une impression de force brutale, mais sa peau était grisâtre et de grands cernes bistres soulignaient ses yeux. Il portait un manteau gris avec un col de vison. Un parabellum était placé entre les deux sièges, à portée de ses grosses pattes. Grelsky jeta un regard las à Malko.

— Vous êtes vraiment seul ?

— Oui.

Il se racla la gorge, ce qui produisit un bruit de râpe métallique.

— J’ai une proposition à vous faire. Vous savez ce que j’ai. Si je passais à l’Est on me donnerait un poste élevé et des avantages matériels considérables.

Malko attendait le chiffre. Il bougea sur son siège. Aussitôt il y eut un feulement derrière lui. Un souffle chaud frôla sa nuque. Il sursauta.

— C’est Taky, dit Grelsky. Mon seul ami.

Il y avait une étrange tendresse dans sa voix. Il siffla très doucement. Malko tourna la tête et se trouva nez à nez avec un énorme berger allemand qui contemplait sa gorge d’un air gourmand. Brusquement, il ouvrit la gueule et Malko faillit éclater de rire : toutes ses canines étaient en or.

— C’est un chien de luxe que vous avez, remarqua-t-il.

— Couché, Taky, ordonna le Polonais. Il a eu un accident il y a trois ans, il est tombé de vingt mètres. Je lui ai fait mettre un bridge mais je ne vous conseille pas d’essayer ses crocs, même en or.

Malko n’en avait aucune envie :

— Ne perdons pas de temps, dit-il. Combien voulez-vous ?

Le Polonais le regarda, une expression indéfinissable dans ses petits yeux noirs.

— Vous ne pouvez peut-être pas me donner ce que je demande.

— Je crois que notre organisme est prêt à faire un gros effort, dit Malko prudemment.

Grelsky éclata d’un rire énorme qui secoua la Mercédès. Derrière, Taky se dressa. Mais le rire du Polonais n’avait rien de gai. Il posa son énorme patte sur le bras de Malko.

— Si vous m’ameniez ce soir à l’Ambassade d’U.R.S.S., on vous décorerait de l’ordre de Lénine. Et vous seriez fait citoyen d’honneur de l’U.R.S.S. Alors, vos efforts…

Sa voix se durcit :

— Ecoutez, s’ils n’avaient pas tué ma Grete, jamais vous n’auriez revu votre document. Vous m’entendez. Ach, si j’avais su !

— Je croyais que vous étiez plutôt spécialiste du cobalt, dit Malko. Une lueur nostalgique passa dans le petit œil noir.

— Ya, ya. Mais les Russes se sont brouillés avec les Chinois. Mon cobalt ne passait plus. Cette affaire, c’était une chance inespérée de gagner autant qu’avec dix tonnes de cobalt.

— Alors, combien voulez-vous maintenant ? coupa Malko. Stéphane Grelsky le regarda bien en face.

— Pas un sou.

Il martela sa réponse.

— Je veux que vous m’apportiez une boîte de cent ampoules d’un produit dont je vais vous donner le nom. On ne le trouve pas ici. C’est une sorte d’insuline synthétique. Je suis un homme très malade, Prince Malko, le diabète. Il me faut une piqûre tous les jours. Autrement, c’est le coma. Ici, je n’ai aucune chance d’en trouver. C’est eux qui me fournissaient. J’ai encore deux ampoules. Le reste est encore chez moi. Il faut faire vite. Ferenczi me cherche. Vous connaissez Janos Ferenczi ? Si vous avez l’occasion de le tuer un jour, faites-le. C’est lui qui a liquidé tous les membres de l’organisation « Nesyom Tiranam Smert », en Allemagne. Il les suivait jusque sur leur palier, et puis pftt… Avec son petit pistolet. Méfiez-vous de son étui à cigarettes… De toute façon, ils le liquideront quand ils sauront que c’est à cause de sa stupidité…

Epuisé par cette longue tirade Stéphane Grelsky s’appuya à son siège. Puis il tira un papier de la poche de son pardessus et le tendit à Malko.

— Voilà ce qu’il me faut. Vite. Et que les boîtes soient cachetées par le fabricant. Je connais vos spécialistes à la C.I.A.

Malko était surpris par la décomposition de Grelsky. Il avait l’air si équilibré et si dangereux, à leur première rencontre. Le sang-froid avec lequel il avait assassiné Goldman était celui d’un tueur professionnel. Dire qu’il suffisait de manquer de quelques gouttes d’un liquide pour en faire un mort-vivant.

— O.K., conclut Grelsky. Demain je vous téléphonerai à votre château entre six heures et huit heures. Si vous n’avez pas de réponse je chercherai quelqu’un d’autre pour traiter. Même Ferenczi. J’ai envie de vivre.

— Où est le document ? demanda Malko.

— Plus tard. Quand vous aurez la contrepartie. Je ne l’ai pas avec moi.

Le Polonais était en sueur, en dépit du froid. Il respirait difficilement, soufflant à petits coups, comme si son énorme poitrine ne fonctionnait plus. Il se pencha et ouvrit la portière de Malko.

— Partez le premier.

Malko regagna la Jaguar et démarra. La Mercédès n’avait pas bougé. En dépit du meurtre horrible de Goldman, Malko ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine admiration pour le Polonais. Il faisait face comme un animal traqué. Avec son chien cela faisait un couple redoutable. Malko ne le plaignait pas, mais cet homme seul et son chien avaient quelque chose de poignant.


* * *

Kurt von Hasel avait l’air d’un perroquet distingué. C’était la faute de son nez busqué et de son expression hautaine. Fumant un cigarillo, assis sur le bras d’un fauteuil, il écoutait le récit de Malko. Derrière son bureau, William Coby contemplait avec un mépris évident ces deux fleurons de la guerre clandestine. Lui ne se servait que d’ordinateurs électroniques.

— Vous me préviendrez du prochain rendez-vous, dit von Hasel d’une voix trop douce de demi-pédéraste. Avant, je ne peux rien faire. En cherchant ce Grelsky, je risque de mettre Ferenczi sur sa trace. Je crois qu’il est assez grand pour se défendre. De toute façon, on doit me transmettre des ordres directement.

Il eut un drôle de regard pour Malko :

— Au revoir et à bientôt. Vous avez mon téléphone. Vous pouvez toujours me joindre, il est dans ma voiture.

Dès qu’il fut sorti du bureau, Malko alla dans la salle des télétypes et rédigea un message pour David Wise. Pourvu qu’il puisse se procurer de l’insuline synthétique. Cela ne devait pas courir les rues. Il refusa une molle invitation à déjeuner de William Coby et quitta l’Ambassade. Le ciel s’était dégagé et un beau soleil commençait à faire fondre la neige. En longeant les gigantesques statues noires du Ring, l’avenue circulaire qui entoure le centre de la ville, Malko eut brusquement envie de se laver le cerveau. Il tourna devant le Burgtheater et gara sa voiture le long du jardin public et partit à pied. Le café Havelka où il allait était dans une petite rue, près du Théâtre. C’était un des endroits qu’il préférait à Vienne, peut-être le seul qui avait gardé le charme un peu désuet de la capitale de la musique et de la nonchalance.

Tenu par un vieux couple qui semblait immuable, le Café Havelka était le rendez-vous des étudiants de l’Université voisine, des intellectuels et de beaucoup de jolies filles, cover-girls ou étudiantes. Les murs étaient en boiseries brunes, aussi vieilles que les propriétaires et le bois des banquettes poli par des millions de frottements. Malko poussa la porte et chercha une place. La patronne inclina aimablement son chignon. Ici on saluait même les inconnus, on faisait crédit à tout le monde. On pouvait rester toute la journée devant un thé sans que le garçon vienne vous relancer.

Malko réussit à se glisser entre deux barbus en train de refaire le monde et une fille qui avait une tête de Japonaise, des bottes blanches et une robe de même couleur qui aurait donné un infarctus à l’archevêque de Canterbury. En dépit de jambes que n’aurait pas reniées Jazy, elle était assez attirante. Quand Malko s’assit, elle lui jeta un coup d’œil en coin, faussement indifférent. Il commanda un schnaps pour se réchauffer.

Elle n’était pas parfumée mais exhalait une senteur saine et fraîche. Pas plus de vingt ans. Malko saisit son regard en coin et sentit qu’elle n’était pas indifférente à ses yeux dorés. Cela lui donna le cafard. Il aurait voulu l’emmener déjeuner au Lindtmayer, le restaurant de poissons au bord du Danube, oublier tous ces gens qui s’entretuaient. Si elle avait su sa véritable occupation, elle se serait enfuie en hurlant… Brusquement, il se sentit idiot au milieu de ces jeunes sans vrais problèmes, simplement préoccupés de trouver un partenaire pour faire l’amour le soir. Il pensa à Marisa. Qu’allait-il en faire ? Il ne pouvait pas la garder indéfiniment.

Il resta une demi-heure à regarder entrer et sortir les gens. A côté de lui, la fille n’avait pas bougé. Peut-être n’attendait-elle personne. Malko maudit son brusque accès de timidité. Il se jura que si, à 1 heure, personne n’était venu la chercher, il lui parlerait. A 1h moins dix, elle se leva et prit son sac. Debout elle était nettement mieux avec une poitrine haute, des reins cambrés, une taille élancée.

Instinctivement, Malko se leva aussi, laissant un billet de dix schillings sur la table. A côté de lui, un des barbus ricana :

— Schöne Pulzl !{Belle pépée.}

Malko et la fille se heurtèrent presque en sortant. Elle se retourna et le regarda droit dans les yeux. Malko sourit et dit :

— J’ai été idiot, nous aurions pu bavarder à l’intérieur. Elle haussa les épaules et dit en mauvais allemand.

— Ici, il fait froid.

— J’ai une voiture. Allons déjeuner au « Czardas Furstin ». Elle ouvrit de grands yeux.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Vous n’êtes pas de Vienne ?

— Non. De Stockholm.

De Stockholm ! Il aurait plutôt cherché entre Bangkok et Hong-Kong.

— Bien, continua-t-il, c’est un très bon restaurant, je vous emmène, si vous voulez.

Il la prit par le bras et l’entraîna. Elle siffla en voyant la grosse Jaguar.

— Vous êtes riche, dites donc.

Malko fit le tour et lui ouvrit la portière. Elle s’assit en croisant les jambes encore plus haut que chez Havelka. Heureusement qu’elle portait un collant…

Dès qu’il fut sorti de ses manœuvres, Malko posa doucement une main sur sa cuisse. Pour voir. Elle regardait droit devant elle et décroisa doucement les jambes.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il.

— Vivelka…

Le reste était imprononçable. Il n’y avait que des consonnes. Il avait brutalement envie de cette fille dont il savait tout juste le nom, mais qu’il sentait si consentante.

Il arrivait au croisement du Ring. Pour rejoindre le Danube, il fallait prendre à droite, par le pont Kaizer Friedrich. Il mit son clignotant et jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.

La voiture noire qui le suivait n’eut pas le temps de se dissimuler derrière une autre. Au volant, il reconnut le front dégarni de Janos Ferenczi. Un autre homme était assis à côté de lui. Une rage noire envahit Malko. C’était foutu. Instinctivement sa main serra la cuisse de la fille. Timidement, elle posa la sienne sur le genou de Malko, prenant son geste pour une invite.

Malko tourna à droite. L’autre voiture suivit. Le visage de Ferenczi était nettement reconnaissable à travers le pare-brise.

— Où allons-nous ? demanda Vivelka.

Sans répondre, Malko ralentit et rangea la voiture le long du trottoir, près d’un arrêt de tram où attendaient déjà plusieurs personnes.

— Nulle part, dit Malko. Vous descendez là.

— Pourquoi ?

Elle était stupéfaite. Il soupira.

— Je ne peux pas vous expliquer. Descendez et attendez un tram. Restez avec des gens. Et ne m’en veuillez pas.

Elle ne comprenait pas. Tournant son étrange visage asiatique vers Malko elle proposa d’une voix égale :

— N’allons pas déjeuner tout de suite…

Elle avait déjà eu le temps de prendre les habitudes des Viennoises. Elles ont horreur de faire l’amour après avoir mangé. La voiture de Ferenczi s’était arrêtée derrière la Jaguar. Aucun des deux hommes n’avait bougé. Malko se pencha et ouvrit la portière.

— Peut-être à un de ces jours, chez Havelka.

Il l’enveloppa d’un regard destiné à lui faire comprendre qu’elle n’avait rien fait pour mériter cette disgrâce. Puis il détourna les yeux. Il n’avait pas le droit de mettre cette fille en danger de mort pour le plaisir de coucher avec elle.

— Faites attention, répéta Malko. Restez à l’arrêt du tram, même si ce n’est pas votre direction. Et si quelqu’un vous approche, criez.

— Qui êtes-vous ? murmura-t-elle.

Elle avait déjà les jambes hors de la voiture. Il ne sut jamais si elle l’avait fait exprès, mais sa robe se releva jusqu’en haut de ses cuisses et elle ne fit rien pour les cacher. L’instant d’après, elle était dehors. Elle ferma la portière sans la claquer. Malko suivit sa silhouette blanche. Elle se retourna et esquissa un sourire. Résignée, elle prit la file à l’arrêt du tram. Heureusement que ce n’était pas une Méditerranéenne. Ça ce serait terminé dans les cris et les coups de griffes. Malko hésita. Si Ferenczi se montrait aussi ouvertement, c’est qu’il cherchait le contact. Donc, il n’avait pas encore trouvé Grelsky. A quoi bon accepter le contact ? Le Hongrois était dangereux et ne lui apprendrait rien.

Il démarra brusquement. Surpris, Ferenczi perdit quelques précieuses secondes. Un peu plus loin, il y avait un feu rouge. Malko passa de justesse à l’orange. Ferenczi arrivait, décidé à passer. Le flic du carrefour, paisiblement, fit un pas en avant et se plaça carrément devant la voiture. A Vienne, on ne plaisante pas avec le règlement. Quand le Hongrois put redémarrer, Malko était loin. Il roulait déjà sur la route de Presbourg.

Janos Ferenczi se tourna vers son compagnon et dit en hongrois.

— Ça ne fait rien. De toute façon, il n’aurait pas accepté. Il faut laisser tomber le rendez-vous et agir après.

L’autre hocha la tête :

— C’est dangereux, camarade colonel. Il prendra ses précautions. Ferenczi frappa le volant du plat de la main.

— Il faut trouver Grelsky et le faire parler, imbécile. C’est votre travail. Nous n’avons plus beaucoup de temps.

— Je l’avais trouvé déjà, camarade colonel, mais il a pu filer, protestât-il faiblement. Nous avons eu sa femme.

— Qu’est-ce que vous voulez que je foute de cette grosse truie, fit le Hongrois ? Si nous prenons Stéphane, je sais comment le faire parler. L’autre ricana, entendu. Du beau monde.

— Mais, fit Ferenczi, agacé, avec les méthodes classiques cela prendrait des semaines. C’est un buffle. Seulement j’ai découvert quelque chose dans son dossier. Il est très malade. Il a besoin d’un certain médicament. Deux fois par jour. Sinon ce sont des souffrances comme nous ne pourrions même pas lui en infliger.

— Je vois, camarade colonel, fit l’avorton, fendu d’un large sourire.

— Alors, trouvez-le, conclut Ferenczi menaçant.

Il arrêta la voiture devant un immeuble moderne et descendit.

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