9

C’était une soirée paisible au coin du feu, comme on en voit sur les vieux calendriers. Les flammes craquaient joyeusement, se reflétant sur les boiseries sombres, faisant danser des ombres chinoises, Malko et Marisa enfoncés dans leurs fauteuils. Mais Marisa se demandait quand Malko serait obligé de la liquider et celui-ci s’attendait à la visite de Janos Ferenczi. Quant à Elko Krisantem, une carabine Remington 44/45 au creux du bras, il surveillait l’entrée d’une fenêtre du premier étage.

Il ne manquait que Serge Goldman, tout froid dans son fauteuil à bascule. Lui n’avait plus rien à craindre.

Le carillon de l’entrée sonna 9 heures. David Wise avait fait vite. Une heure avant, Malko avait reçu un message de sa part. La firme pharmaceutique Parke-Davis avait mis dans un avion spécial prêté par l’Air Force, un container avec le médicament réclamé par Stéphane Grelsky. Toutes les questions de douane avaient été réglées en un temps record. Trois autres laboratoires avaient dû donner tous leurs stocks pour arriver à la quantité voulue. Le produit n’était encore fabriqué qu’à l’échelon du laboratoire. Il arriverait le lendemain à Vienne.

Malko attendait que le Polonais téléphone. Si Ferenczi ne l’avait pas déjà retrouvé. Soudain, il sentit le regard de Marisa posé sur lui si intensément qu’il leva la tête.

— Vous allez me zigouiller comme Toto, après ? Malko sursauta :

— Ne dites pas de bêtises.

Elle haussa les épaules, fataliste.

— Si ce n’est pas vous, ce sera un autre. Je ne suis pas folle. Vous n’avez pas connu Jada la strip-teaseuse qui travaillait au cabaret de Jack Ruby, à Dallas ? C’était une de mes copines. Après l’histoire, elle s’était tirée à New York. Elle avait tellement peur qu’elle avait laissé sa chouette Cadillac blanche avec toutes ses valises dedans, dans un parking à Dallas. Eh ben, trois mois après, on l’a retrouvée asphyxiée dans son appartement ! On a dit qu’elle avait voulu faire la cuisine et qu’elle avait mal refermé le truc. Tu parles, elle était pas capable de se faire chauffer du café. Elle avait horreur de foutre les pieds dans une cuisine.

Malko ne répondit pas. Il savait que Marisa avait raison. Il y avait quelque chose d’implacable dans la façon dont les protagonistes de cette histoire disparaissaient les uns après les autres. Il se leva et vint s’asseoir sur le bras de son fauteuil, posa la main sur son épaule.

— Je vous l’ai déjà dit, tant que vous serez ici vous ne risquez rien, je vous en donne ma parole.

Marisa frissonna et se pressa contre Malko. Elle portait une blouse en dentelle ajourée qui dévoilait son soutien-gorge noir et le haut de ses seins ronds. Même en ce moment, elle incarnait le désir. Le téléphone sonna. Malko décrocha.

Cette fois c’était Stéphane Grelsky. La voix était encore plus rocailleuse et plus cassée.

— Alors ? fit-il.

— Votre médicament est en route.

Le Polonais poussa une sorte de croassement triste. Sa voix, encore déformée par le téléphone, déchirait les oreilles de Malko.

— Combien cela peut-il valoir, au prix de gros ? 40, 50 dollars ? J’aurais pu vous demander un million de dollars, vous me l’auriez donné.

— Et votre partie du contrat, êtes-vous en mesure de la remplir ?

— Ne vous tracassez pas, fit le Polonais. Je n’ai qu’une parole. Après, vous allez essayer de me liquider, continua Grelsky indifférent. Quand vous serez sûr que je ne vous ai pas roulé. A moins que cette ordure de Ferenczi, ne me retrouve avant. Ça serait un sale coup pour vous ? Bon. Vous aurez la marchandise demain à 6 heures.

— J’espère.

— Vous savez où est Neuwaldegg, le parc de sports ?

— Oui.

— Je vous attendrai à l’angle du chemin qui conduit au Schloss Schwarzenberg. Venez seul, bien entendu. D’accord ?

— D’accord.

Le Polonais avait déjà raccroché. Marisa leva deux grands yeux anxieux vers Malko.

— J’ai reconnu sa voix, dit-elle craintivement. C’est lui qui a tué Serge. Il me fait peur. Il va venir ?

— Il ne reviendra jamais, dit Malko. Et je ne sais même pas s’il vivra longtemps.

Elle parut encore plus effrayée. Pas une fois encore, elle n’avait posé de questions à Malko sur le pourquoi de ces événements bizarres. Malko lui dit gentiment :

— Allez vous coucher. Je dois téléphoner.

Docilement, Marisa sortit. Malko décrocha et appela Kurt von Hasel. Tous les détails furent réglés. Malko passerait à l’Ambassade récupérer les médicaments avant d’aller au rendez-vous.

— Et s’il nous tend un piège ? suggéra Kurt.

— Je ne crois pas, dit Malko. Il est acculé et en veut terriblement à ses anciens patrons. Et puis c’est un risque à courir. Après tout, cela ne coûte pas bien cher… Ne vous montrez surtout pas avant la transaction.

— Bon, fit Kurt à contrecœur. A demain.

Malko raccrocha. Kurt von Hasel lui faisait une impression curieuse. Cet Autrichien, un peu Playboy, qui se disait décorateur ne lui inspirait aucune confiance. Il aurait préféré être protégé par ses deux gorilles habituels, Chris Jones et Milton Brabeck{Voir Rendez-vous à San Francisco et S.A.S. à Istanbul.}. Pour dissiper cette impression fâcheuse, il tenta d’appeler Alexandra. Mais la sonnerie retentit sans réponse. Pourtant il était sûr qu’elle était là.

Déçu et amer, il monta se coucher.

Marisa l’attendait dans son lit, les couvertures remontées jusqu’au menton. Elle ne dit rien mais l’enlaça quand il entra dans le lit. Ils firent l’amour presque avec tendresse. Après, elle parla longuement, allongée sur le dos dans le noir, de ses débuts comme strip-teaseuse dans le New Jersey, dans des boîtes minables à vingt dollars la soirée. Et toujours des imprésarios plus ou moins bidons…

— C’était toujours tellement le même truc, soupira-t-elle, que chaque fois que j’allais à une interview, je mettais mon slip dans mon sac. Un gimmick qui leur faisait plaisir. J’ai vivoté avec la Télé, comme ça. Il y avait toujours un petit rôle pour moi.

Puis elle s’endormit sur l’épaule de Malko, le bras en travers de son ventre. Sa peau de rousse, très lisse, parsemée de taches de rousseur, exhalait une légère odeur d’amande. Elle parla et bougea ensuite. Lui eut du mal à trouver le sommeil. Si Marisa avait été moins jolie, elle serait une mère de famille bien tranquille et mariée à un ingénieur d’Atlantic City.

Malko finit par fermer les yeux à près de trois heures du matin. Marisa dormait sur le ventre. Il rêva à Alexandra et à ses longs cheveux blonds. Ce qui était bien injuste.


* * *

La Neuwaldegger Strasse était glissante comme une patinoire. En plus cela montait. Depuis deux cents mètres il n’y avait plus que des maisons clairsemées, c’était la sortie de Vienne. Malko arriva à la courbe de Dornbach. Le chemin de Schwarzenberg Schloss prenait là, repérable à un gros transformateur. En face de l’embranchement, il y avait un pavillon sans lumière. Malko le dépassa et revint en arrière jusqu’au chemin. Il s’y gara, le capot dépassant légèrement sur la route, surveillant ainsi les trois directions. La nuit n’était pas complètement tombée. Les trams ne montaient pas jusque-là, mais toutes les dix minutes un autobus lourdement chargé passait, venant de la ville. Malko laissa tourner le moteur de la Jaguar pour conserver le chauffage. Il faisait moins dix dehors.

Six heures et quart et Grelsky n’était pas là. Sale truc. Un vilain pressentiment tourmentait Malko. Machinalement il vérifia que le paquet était toujours sur la banquette arrière.

Une voiture apparut en haut de la longue ligne droite qui montait au terrain de sports. Les phares blancs descendirent vers Malko. C’était une vieille Ford Taunus conduite par un pépère en casquette. Malko regarda sa montre : 6 h 20. Il était arrivé quelque chose à Stéphane Grelsky. Ce rendez-vous était trop important pour qu’il risque de le manquer.

Un autobus passa devant la Jaguar, laissant une traînée de gas-oil qui salissait la neige. Il montait péniblement la côte. Soudain, une voiture le croisa, venant vers Malko. C’était une Mercédès grise. Elle zigzaguait un peu et roulait très lentement. Quand elle ne fut plus qu’à cinquante mètres, Malko reconnut le numéro du Polonais. La Mercédès coupa la route et freina trop brusquement, se mettant en travers. Malko vit le visage crispé de Grelsky à travers le pare-brise. Il donna un violent coup de volant et gara la Mercédès derrière la Jaguar. Malko regarda si aucune voiture ne suivait. Mais à l’exception de l’autobus, il n’y avait rien en vue.

Il sortit les mains enfoncées dans les poches de son pardessus de cachemire bleu.

Le Polonais était affalé sur son siège, le front sur le volant. Pour la première fois, Malko remarqua les mèches grises qui parsemaient sa tignasse noire. Quand la portière s’ouvrit il leva la tête. Ses petits yeux vifs étaient injectés de sang et son visage crayeux. Malko s’assit sur la banquette à côté de lui.

— Vous êtes blessé ? Le Polonais grogna.

— Ferenczi. Ils m’ont retrouvé. Idiots.

Il se rejeta en arrière et grogna plus fort. D’un geste furieux, il ouvrit son pardessus et sa veste. La chemise n’était qu’une plaque de sang. Grelsky envoya ses gros doigts et se gratta furieusement.

— J’ai mal, gémit-il. Un trou comme une soucoupe dans le poumon. Vous avez mon insuline ?

— Pourquoi ont-ils tenté de vous tuer ? Ce n’est pas leur intérêt.

Il grogna et cracha du sang, à ses pieds.

— Ach ! Une erreur. Le petit con a eu peur de Taky. Il a tiré.

— Où est-il ?

— Là derrière. Je ne pouvais pas le laisser à ceux qui m’hébergeaient. Ils ne sont pas équipés.

— Et Taky ? demanda Malko, presque malgré lui.

— Il est là aussi. Il n’était pas mort, alors je l’ai emmené. Il n’a même pas aboyé. C’était un chien formidable.

Soudain, sa voix se cassa et son front se couvrit de sueur. Sa bouche s’ouvrit, cherchant de l’air. Il fit signe à Malko qui ouvrit précipitamment la glace. L’autre était mourant, cela se voyait. Il y eut un long silence rompu par Grelsky.

— Je vais crever, dit-il avec simplicité.

— Mais non, dit Malko, une blessure cela se soigne.

Le Polonais devina sa pensée, retrouvant tout son mordant.

— Sale truc, si je crevais maintenant, hein ? Après tout, je n’ai plus tellement besoin d’insuline. Demain je serai mort. Et si je changeais d’avis ?

Sans laisser le temps à Malko de répondre, il continua.

— C’est difficile de faire chanter un type qui va crever… Il fit « gloup », et une tache de sang apparut sur sa cravate. Il dit :

— Vous avez l’insuline ?

Malko alla dans la Jaguar et ramena le carton scellé à la cire qu’il posa par terre dans la voiture. Le Polonais n’essaya même pas de l’ouvrir. L’œil vitreux, il cherchait son souffle. « C’est trop tard, maintenant », murmura-t-il. Malko ne sut jamais de quoi il parlait.

A grand-peine, Grelsky tira son portefeuille et le posa sur ses genoux. Ses gros doigts poissés de sang en tirèrent ce qui semblait être un billet marron plié. Malko reconnut la moitié d’un billet tchécoslovaque de dix couronnes.

— Prenez. On vous remettra la serviette contre cette moitié. La personne à qui je l’ai confiée possède l’autre moitié.

La voix était presque imperceptible.

— Qui est-ce ?

— Donnez-moi… pour écrire.

Malko tendit son stylo et son carnet. Laborieusement, Grelsky écrivit s’arrêtant à chaque mot, et tendit la feuille à Malko. Celui-ci déchiffra les trois lignes et sursauta :

— Quoi, c’est à Bratislava ?

Stéphane Grelsky esquissa un sourire ironique.

— Korrekt, mein lieber Kamerad. Il fallait bien que je le mette à l’abri. Si Ferenczi le savait, il en crèverait. C’est le seul endroit où j’avais une amie sûre. Vous savez qu’on va facilement à Bratislava, en touriste. Espérons qu’on ne vous reconnaîtra pas. Mais qui soupçonnerait un agent de la C.I.A. d’aller se perdre en Tchécoslovaquie ? Si vous passez jusqu’à Prague, vous irez dire bonjour à nos amis chinois.

— Mais comment l’avez-vous passé ?

— Dans une caisse d’aliments pour bébés. C’est la seule chose qu’ils ne fouillent pas. Ils en ont trop besoin.

Ce long effort l’avait épuisé. Il s’appuya au volant, déclencha accidentellement le klaxon et sursauta. De larges poches grises marquaient ses yeux. N’importe qui de moins robuste serait déjà mort.

— Si ce petit avorton m’a retrouvé, grinça-t-il, les autres ne vont pas tarder. Il faut nous quitter, mon cher. Je ne vous souhaite pas bon voyage, nicht wahr ?

Malko ne releva pas l’ironie.

Il avait déjà la main sur la poignée de la porte quand Grelsky ajouta :

— Avant de partir, aidez-moi. Je ne veux pas aller en ville avec le corps de cette ordure.

Malko jeta un coup d’œil à l’arrière. Une forme humaine en pardessus à carreaux était tassée sur le plancher, face contre terre. Et, sur la banquette, Taky, le chien-loup ne bougeait pas, la gueule ouverte, les yeux glauques.

Stéphane Grelsky descendit péniblement et ouvrit la portière. Avec un « han » de bûcheron, il tira à lui, la moitié du corps de l’inconnu sortit mais il resta coincé.

— Aidez-moi, fit-il crachant et soufflant.

Malko fit le tour en surmontant son dégoût. Il prit l’inconnu par les épaules et le retourna.

Il avait un visage de gamin souffreteux, mais des rides. Du sang avait coulé sur son visage d’une blessure dans le haut du cou. Il était encore souple.

— Je vous présente le camarade Navotny, dit « punaise rouge », eut la force de dire Grelsky. Cet avorton avait juré d’avoir de l’avancement. Il en a.

Il tira violemment sur le pardessus du mort. Le tissu se déchira jusqu’à la poche et un petit objet métallique tomba par terre, glissant sous la voiture. Malko s’accroupit aussitôt et parvint à le ramener au bout des doigts. Il le prit dans le creux de la main et le porta à son oreille : un très léger bourdonnement sortait du cube d’acier. Comme si une mouche avait été enfermée à l’intérieur. C’était un poste radio émetteur-récepteur miniaturisé.

— Regardez ce qu’il avait sur lui, dit Malko.

Grelsky se retourna vivement et prit l’appareil entre ses énormes doigts. Il se mit à jurer effroyablement. En polonais et en allemand. Jetant l’émetteur à terre, il le piétina et envoya les débris sous la voiture.

Ses yeux injectés de sang étaient pleins d’une haine animale. Sa bouche se tordit en un rictus :

— Eh bien, voilà une seconde surprise ! Etaient-ils à l’écoute ou non ? Malko ne répondit pas. Il regardait le cadavre étendu par terre. C’était un homme petit et malingre, mort de surcroît. Il avait quand même réussi à nuire, même mort. La transmission de pensée, cela doit exister parce qu’au même moment Grelsky envoya un coup de pied dans le cadavre. Puis il remonta péniblement dans la voiture, soufflant de plus en plus fort. Malko s’approcha de la vitre.

— Où allez-vous ?

— Crever tranquille dans un coin. Je sens mon sang qui coule à l’intérieur de moi.

Un hoquet le secoua. Il tourna vers Malko ses petits yeux noirs injectés de sang qui n’avaient presque plus de vivacité.

— A Bratislava. Faites attention, Ferenczi est très fort. Il veut ces documents, à tout prix. Bientôt vous me rejoindrez.

— Ferenczi n’était peut-être pas à l’écoute, dit Malko.

— Il n’y a pas que Ferenczi.

Il mit en route et passa la marche arrière. La voiture tressauta sur les jambes du mort. Grelsky conduisait, à demi inconscient. Il n’eut pas un signe pour Malko.

La Mercédès tourna à droite, vers la ville et disparut derrière la courbe. Presque aussitôt, une petite voiture surgit les phares éteints. Malko donna un coup de phares à code quand elle passa devant lui. C’était une Austin 1100 noire avec une grande antenne à l’arrière. Il y avait quatre hommes à l’intérieur.

Il se fit la réflexion qu’elle ressemblait à un petit corbillard. C’étaient les hommes de Kurt. Ils ne perdaient pas de temps. Décidément, Stéphane Grelsky n’était pas l’affaire du siècle, pour une assurance sur la vie.

Il démarra à son tour. Il voulait assister à l’hallali. A cause de Goldman. En trois minutes il eut rattrapé les deux voitures. Le Polonais roulait très lentement. Il allait vers le centre de la ville. La circulation était déjà beaucoup plus dense et la Mercédès frôla plusieurs fois d’autres voitures. Malko se rapprocha. Au croisement avec la Hernalser, le feu passa au rouge.

Comme si de rien n’était, la Mercédès passa. Il y eut un bruit de freins, des coups de klaxon furieux. Un camion de lait l’avait évitée de justesse. La petite Austin se glissa aussi.

Malko doubla en troisième position et démarra le premier au vert. En une minute, il eut rejoint la Mercédès. Grelsky, affalé sur son volant, enfilait Alsenstrasse. Le croisement avec le Schottenring, l’artère la plus fréquentée de Vienne, approchait. Comme un corbeau, l’Austin suivait à bonne distance.

La Mercédès fila comme un bolide à travers le carrefour. Le conducteur du tramway « 11 » fit sonner son timbre comme un fou et freina. Des gens hurlèrent. Les deux tonnes de la Mercédès percutèrent la porte avant droite du tram. Dans un épouvantable bruit de ferraille, il se renversa, emprisonnant les passagers. La Mercédès rebondit et s’immobilisa sur le côté.

Malko arrêta la Jaguar sur la contre-allée et courut vers le lieu de l’accident. Deux policiers, surgis on ne sait d’où, s’étaient déjà précipités. L’un était penché sur la Mercédès, Malko s’approcha. La main de Stéphane Grelsky pendait par la portière. Son visage était écrasé contre le volant et il ne bougeait plus. Le cadavre de son chien lui faisait maintenant une sorte de tour de cou sombre. Un des policiers, rougeaud et grêlé, interrogea Malko :

— Vous le connaissiez ?

— Non.

— Il est mort. A dû avoir un arrêt du cœur.

Malko s’éloigna de la foule qui s’attroupait. Des blessés hurlaient dans le tram. La sirène d’une ambulance s’approcha et une petite Volkswagen de la police, avec son feu tournant jetant une lueur bleue sinistre, stoppa près de l’accident.

L’Austin avait stoppé aussi. Aucun de ses occupants ne descendit. Stéphane Grelsky aussi avait fait un mauvais marché. Malko remonta dans la Jaguar et démarra. Il n’était pas superstitieux mais une chose le frappait : ce qu’on se repassait ressemblait furieusement à une concession au cimetière : Goldman, Grete Grelsky, et maintenant son mari. Normalement il était le suivant sur la liste, avec comme perspective charmante l’expédition à Bratislava. Et encore, il ne savait pas tout !

Si Ferenczi n’avait pas été à l’écoute de son émetteur miniaturisé, c’était déjà une mission dangereuse. S’il avait saisi leur conversation, c’était le genre d’expédition pour laquelle on vous décore. A titre posthume.

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