Tyrion

Longtemps, il demeura immobile, étendu sans bouger sur la pile de vieux sacs qui lui servait de lit, à écouter le vent dans les haubans, le lapement du fleuve contre la coque.

Une pleine lune flottait au-dessus du mât. Elle me suit au fil du courant, elle me surveille comme un grand œil. Malgré la chaleur des peaux moisies qui le recouvraient, un frisson traversa le petit homme. J’ai besoin d’une coupe de vin. Ou d’une douzaine. Mais la lune clignerait avant que ce fils de pute de Griff ne le laisse étancher sa soif. Et il buvait de l’eau, condamné à des jours et des nuits d’insomnie, à transpirer et grelotter.

Le nain se remit sur son séant, prenant sa tête entre ses mains. Est-ce que j’ai rêvé ? Tout souvenir du rêve avait fui. Les nuits n’avaient jamais été tendres envers Tyrion Lannister. Il dormait mal, même dans de douillets lits de plume. Sur la Farouche Pucelle, il disposait sa couche sur le toit de la cabine, avec un rouleau de câble de chanvre comme oreiller. Il préférait être ici que dans la cale confinée du bateau. L’air y était plus frais, et la rumeur du fleuve plus mélodieuse que les ronflements de Canard. Il y avait un prix à acquitter pour de telles joies, cependant : le pont était dur et Tyrion se réveillait raide et courbaturé, les jambes percluses de crampes.

Elles palpitaient, en ce moment, ses mollets devenus aussi durs que du bois. Il les pétrit de ses doigts, essayant par un massage de chasser la douleur ; mais quand il se mit debout, la souffrance suffit encore à le faire grimacer. J’ai besoin d’un bon bain. Sa défroque de garçonnet puait, et lui tout autant. Les autres se baignaient dans le fleuve, mais jusqu’ici il ne s’était pas joint à eux. Certaines des tortues qu’il avait aperçues dans les hauts-fonds paraissaient assez grosses pour le couper en deux d’un coup de mâchoire. Des brise-l’os, comme les appelait Canard. Au surplus, il ne voulait pas que Lemore le voie nu.

Une échelle en bois descendait du toit du rouf. Tyrion enfila ses bottes et descendit sur l’arrière-pont, où était assis Griff, enveloppé d’une cape en peau de loup, près d’un brasero en fer. L’épée-louée montait la garde tout seul, la nuit, se levant lorsque le reste du groupe allait au lit et prenant congé au lever du soleil.

Tyrion s’accroupit en face de lui et réchauffa ses mains aux charbons ardents. De l’autre côté du cours d’eau, des rossignols chantaient. « Bientôt le jour, dit-il à Griff.

— Pas trop tôt. Nous devons nous mettre en route. » Si Griff avait eu les mains libres, la Farouche Pucelle aurait continué sa progression vers l’amont de jour comme de nuit ; mais Yandry et Ysilla refusaient de risquer leur barge dans le noir. La Haute-Rhoyne pullulait d’écueils et de souches submergées, dont chacun pouvait crever la coque de la Farouche Pucelle. Griff ne voulait rien entendre. Son seul désir, c’était Volantis.

Les yeux du mercenaire étaient sans cesse en mouvement, scrutant la nuit à la recherche de… De quoi ? Des pirates ? Des hommes de pierre ? Des esclavagistes ? Le fleuve avait ses menaces, Tyrion le savait, mais Griff lui donnait l’impression d’être plus dangereux que n’importe laquelle d’entre elles. Au nain, il rappelait Bronn, bien que Bronn ait eu l’humour noir des épées-louées, dont Griff était totalement dénué.

« Je tuerais pour une coupe de vin », bougonna Tyrion.

Griff ne répondit rien. Tu crèveras, avant que de boire, semblèrent promettre ses yeux pâles. Tyrion avait bu jusqu’à se rendre ivre mort, lors de sa première nuit à bord de la Pucelle. À son réveil, le lendemain, des dragons livraient bataille sous son crâne. Griff lui avait jeté un coup d’œil pendant qu’il vomissait par-dessus le plat-bord de la barge, et avait décrété : « Tu as fini de boire.

— Le vin m’aide à dormir », avait protesté Tyrion. Le vin noie mes rêves, aurait-il pu expliquer.

« Alors, reste éveillé », avait riposté Griff, implacable.

À l’est, la première lueur pâle du jour imbibait le ciel au-dessus du fleuve. Les eaux de la Rhoyne évoluèrent lentement du noir au bleu, pour s’accorder aux cheveux et à la barbe du reître. Griff se remit debout. « Les autres ne devraient pas tarder à s’éveiller. Je te laisse le pont. » Au fur et à mesure que les rossignols se taisaient, les alouettes du fleuve reprenaient leur chant. Des aigrettes s’ébattaient dans les roseaux et laissaient leurs empreintes sur les bancs de sable. Dans le ciel, les nuages rayonnaient : rose et mauve, bordeaux et or, perle et safran. L’un d’eux évoquait un dragon. Une fois qu’un homme aura vu un dragon en vol, qu’il reste chez lui et s’occupe de son jardin en tout contentement, avait écrit quelqu’un, un jour, car ce vaste monde ne contient pas plus grande merveille. Tyrion gratta sa cicatrice et essaya de se remémorer le nom de l’auteur. Les dragons avaient considérablement occupé ses pensées, ces derniers temps.

« Bien le bonjour, Hugor. » La septa Lemore venait d’émerger dans ses robes blanches, serrées à la taille par une ceinture tissée de sept couleurs. Ses cheveux cascadaient librement sur ses épaules. « Comment as-tu dormi ?

— Par à-coups, bonne dame. J’ai encore rêvé de vous. » Un rêve éveillé. Il ne pouvait pas dormir, aussi s’était-il passé la main entre les jambes en imaginant la septa montée sur lui, ses seins bondissant.

« Un méchant rêve, sans aucun doute. Tu es un méchant homme. Veux-tu prier avec moi et demander la rémission de tes péchés ? »

Uniquement si nous prions à la mode des îles d’Été. « Non, mais donnez à la Pucelle un long et doux baiser pour moi. »

En riant, la septa gagna la proue du bateau. Elle avait coutume chaque matin de se baigner dans le fleuve. « À l’évidence, le bateau n’a pas été nommé en votre honneur », lança Tyrion tandis qu’elle se dévêtait.

« La Mère et le Père nous ont faits à leur image, Hugor. Nous devrions tirer gloire de nos corps, car ils sont l’œuvre des dieux. »

Les dieux devaient être ivres quand mon tour est venu. Le nain regarda Lemore glisser dans l’eau. Cette vue lui donnait toujours une érection. Il y avait quelque chose de merveilleusement vicieux dans l’idée de dépouiller la septa de ces chastes robes blanches pour lui écarter les cuisses. Le viol de l’innocence, songea-t-il… Bien que Lemore fût loin d’être aussi innocente qu’elle le paraissait. Elle portait sur le ventre des vergetures qui ne pouvaient venir que d’un enfantement.

Yandry et Ysilla s’étaient levés avec le soleil et vaquaient à leurs tâches. Tout en inspectant les haubans, Yandry jetait de temps en temps un coup d’œil subreptice à la septa Lemore. Sa petite épouse noiraude, Ysilla, n’y prêta aucune attention. Elle alimenta de quelques bouts de bois le brasero sur l’arrière-pont, tisonna les braises avec une lame noircie et entreprit de pétrir la pâte des biscuits du matin.

Quand Lemore remonta sur le pont, Tyrion savoura la vue de l’eau qui ruisselait entre ses seins, de sa peau lisse aux reflets dorés dans la lumière du matin. Elle avait dépassé quarante ans, séduisante plus que jolie, mais toujours plaisante à l’œil. Il n’est rien de mieux au monde que d’être excité, sinon d’être soûl, décida-t-il. Il y puisait la sensation d’être toujours en vie. « Tu as vu la tortue, Hugor ? lui demanda la septa, en se tordant les cheveux pour les sécher. La grosse dos-crêté ? »

Le petit matin était le meilleur moment pour apercevoir des tortues. Durant la journée, elles nageaient en eau profonde ou se dissimulaient dans des retraits le long de la berge, mais lorsque le soleil venait de se lever, elles montaient à la surface. Certaines aimaient nager de conserve avec le bateau. Tyrion en avait aperçu une douzaine d’espèces différentes : grosses et petites, vertes ou noires, griffues et cornues, des tortues dont les carapaces hérissées de crêtes ou ornementées étaient couvertes de spirales or, jade et crème. Certaines étaient si grosses qu’elles auraient pu porter un homme sur leur dos. Yandry jurait que les princes rhoynars les chevauchaient pour traverser le fleuve. Sa femme et lui étaient natifs de la Sang-vert, deux orphelins dorniens rentrés chez eux auprès de leur Mère la Rhoyne.

« J’ai manqué la dos-crêté. » Je regardais la femme nue.

« J’en suis désolée pour toi. » Lemore passa sa robe par-dessus sa tête. « Je sais que tu ne te lèves tôt que dans l’espoir de voir des tortues.

— J’aime aussi regarder le soleil se lever. » C’était comme d’admirer une donzelle qui émergeait toute nue de son bain. Il en était de plus esthétiques que d’autres, mais à chaque occasion son lot de promesses. « Les tortues ont du charme, je vous le concède. Rien ne me ravit davantage que la vision d’une jolie paire bien ferme de… carapaces. »

La septa Lemore rit. Comme chacun à bord de la Pucelle, elle avait ses secrets. Grand bien lui fasse. Je ne cherche pas à la connaître, fai juste envie de la baiser. Et elle le savait également. En accrochant son cristal de septa autour de son cou pour le loger dans la vallée entre ses seins, elle l’aguicha d’un sourire.

Yandry leva l’ancre, tira une des longues perches du toit du rouf et poussa pour les dégager. Deux des hérons redressèrent la tête pour observer tandis que la Farouche Pucelle s’écartait de la berge et entrait dans le courant. Lentement, le bateau commença à suivre le flot. Yandry gagna la barre. Ysilla retournait les biscuits. Elle posa une poêle en fer sur le brasero et y déposa la tranche de bacon. Certains jours, elle préparait des biscuits et du bacon ; d’autres, du bacon et des biscuits. Une fois tous les quinze jours, un poisson pouvait figurer au menu ; pas aujourd’hui.

Quand Ysilla tourna le dos, Tyrion chipa un biscuit sur le brasero, se retirant juste à temps pour esquiver un coup de sa redoutable cuillère en bois. Ils étaient meilleurs brûlants, dégoulinant de miel et de beurre. L’odeur du bacon en train de fristiller ne tarda pas à faire monter Canard de la cale. Il vint humer le brasero, récolta un coup de cuillère d’Ysilla et s’en fut pisser à la proue, comme chaque matin.

En se dandinant, Tyrion vint le rejoindre. « Voilà un spectacle qui n’est pas banal, plaisanta-t-il tandis qu’ils soulageaient leurs vessies. Un nain et un canard, contribuant à accroître le débit de la puissante Rhoyne. »

Yandry poussa un ricanement de dérision. « Notre Mère la Rhoyne a que faire de tes eaux, Yollo. C’est le plus grand fleuve du monde. »

Tyrion secoua pour faire choir les dernières gouttes. « Assez grand pour noyer un nain, je te l’accorde. Mais la Mander est aussi large. De même que le Trident, à son embouchure. Le cours de la Néra est plus profond.

— Tu connais pas le fleuve. Attends donc, tu verras. »

Le bacon devint croustillant, les biscuits brun doré. Griff le Jeune monta sur le pont d’un pas incertain, avec un bâillement. « Bien le bonjour, tous. » Le jeune homme était plus petit que Canard, mais sa carrure dégingandée suggérait qu’il n’avait pas encore terminé sa croissance. Ce gamin sans poil au menton pourrait avoir toutes les pucelles des Sept Couronnes, avec ou sans cheveux bleus. Ses yeux les feraient fondre. Comme son père, Griff le Jeune avait les yeux bleus, mais, si les prunelles du père étaient pâles, celles du fils étaient sombres. À la lueur de la lampe, elles viraient au noir et paraissaient mauves aux feux du couchant. Il avait des cils aussi longs que ceux d’une femme.

« Je sens l’odeur du bacon, annonça le jeune homme en enfilant ses bottes.

— Du bon bacon, affirma Ysilla. Assis. »

Elle les servit sur l’arrière-pont, insistant pour que Griff le Jeune prenne des biscuits au miel et flanquant un coup de cuillère sur la main de Canard chaque fois qu’il tentait de saisir un supplément de bacon. Tyrion fendit deux biscuits, les garnit de bacon et en apporta un à Yandry au gouvernail. Puis il aida Canard à déployer la grande voile latine de la Pucelle. Yandry les amena jusqu’au milieu du fleuve, où le courant était le plus fort. La Farouche Pucelle était un bon bateau. Son tirant d’eau très bas lui permettait de remonter jusqu’aux plus petits affluents et de négocier des bancs de sable où se seraient échoués des bâtiments plus gros ; pourtant, voile levée et portée par un bon courant, elle pouvait atteindre une certaine vitesse. Sur le cours supérieur de la Rhoyne, cela pouvait représenter toute la différence entre la vie et la mort, affirmait Yandry. « Il n’y a pas de loi, en amont des Chagrins, plus depuis mille ans.

— Ni d’habitants, à ce que je vois. » Tyrion avait entr’aperçu des ruines sur les berges, des amas de maçonnerie enfouis sous les lianes, la mousse et les fleurs, mais aucun autre signe d’habitation humaine.

« Tu connais pas le fleuve, Yollo. Un pirate peut être tapi sur n’importe quel affluent, et des esclaves en fuite se cachent souvent dans les ruines. Les esclavagistes remontent rarement si loin au nord.

— Les esclavagistes, ça nous changerait agréablement des tortues. » N’étant pas un esclave en fuite, Tyrion ne craignait pas qu’on le capture. Et aucun pirate ne risquait de s’en prendre à une barge qui descendait le courant. Les marchandises de valeur remontaient le fleuve, à partir de Volantis.

Quand il n’y eut plus de bacon, Canard flanqua un coup de poing dans l’épaule de Griff le Jeune. « Il est temps de se faire quelques bleus. Les épées, aujourd’hui, j’ pense.

— Les épées ? » Griff le Jeune sourit largement. « Excellent, les épées. »

Tyrion l’aida à s’équiper pour la rencontre, avec de lourds houseaux, un gambison matelassé et une armure cabossée en vieille plate d’acier. Ser Rolly endossa sa maille et son cuir bouilli. Tous deux se coiffèrent de casques et choisirent de longues épées émoussées dans le contenu du coffre des armes. Ils s’installèrent sur l’arrière-pont, échangeant de solides coups sous les yeux du reste de la compagnie du matin.

Quand ils combattaient avec la masse d’armes ou la hache émoussée, la supériorité de taille et de force de ser Rolly venait rapidement à bout de son élève ; à l’épée, les rencontres étaient plus équilibrées. Aucun des deux n’avait pris de bouclier ce matin-là, aussi le jeu se bornait-il à frapper d’estoc et parer, en allant et venant sur le pont. Le fleuve résonnait du fracas de leur combat. Griff le Jeune assenait plus de coups, mais ceux de Canard frappaient plus durement. Au bout d’un moment, le plus grand des deux commença à se fatiguer. Ses coups de taille arrivaient plus lentement, plus bas. Griff le Jeune les détourna tous et lança une furieuse attaque qui força ser Rolly en arrière. Quand ils atteignirent la poupe, le jeune homme ferrailla pour verrouiller leurs lames, et percuta Canard de l’épaule. Le gaillard bascula dans le fleuve.

Il remonta en crachant et en jurant, beuglant pour qu’on le repêche avant qu’une brise-l’os lui happe les génitoires. Tyrion lui lança une drisse. « Un canard devrait savoir mieux nager que ça », commenta-t-il tandis qu’avec Yandry ils halaient le chevalier à bord de la Farouche Pucelle.

Ser Rolly empoigna Tyrion au collet. « Voyons comment nagent les nains », repartit-il en le précipitant tête la première dans la Rhoyne.

Ce fut le nain qui rit le dernier ; il barbotait de passable façon, et le démontra… jusqu’à ce que des crampes lui saisissent les jambes. Griff le Jeune lui tendit une perche. « Tu n’es pas le premier à vouloir me noyer, lança Tyrion à Canard en vidant l’eau de sa botte. Mon père m’a jeté au fond d’un puits, le jour où je suis né, mais j’étais si laid que la sorcière des eaux qui habitait au fond m’a recraché. » Il retira l’autre botte, puis exécuta une roue sur le pont, les éclaboussant tous.

Griff le Jeune éclata de rire. « Où as-tu appris ça ?

— Auprès de bateleurs, mentit-il. J’étais l’enfant préféré de ma mère, parce que j’étais si petit. Elle m’a donné le sein jusqu’à mes sept ans. Ce qui a excité la jalousie de mes frères, si bien qu’ils m’ont fourré dans un sac et vendu à une troupe de bateleurs. Lorsque j’ai tenté de m’enfuir, le maître de la troupe m’a coupé la moitié du nez, si bien que je n’ai eu d’autre choix que de les suivre et d’apprendre à divertir. »

La vérité différait quelque peu. Son oncle lui avait appris quelques cabrioles quand il avait six ou sept ans. Tyrion y avait fort pris goût. Pendant une moitié d’an, il avait circulé dans tout Castral Roc en faisant la roue, amenant un sourire sur le visage des septons et des écuyers, autant que des serviteurs. Même Cersei avait ri de le voir, une fois ou deux.

Tout cela avait abruptement cessé le jour où son père était rentré d’un séjour à Port-Réal. Ce soir-là au repas, Tyrion surprit son géniteur en parcourant tout le haut bout de la table sur les mains. Cela n’eut pas l’heur de plaire à lord Tywin. « Les dieux t’avaient fait nain. Faut-il que tu sois également idiot ? Tu es né lion, et non singe. »

Et vous voilà cadavre, Père, aussi donc gambaderai-je à ma guise.

« Tu as le don de faire sourire les hommes, déclara la septa Lemore à Tyrion tandis qu’il s’essuyait les orteils. Tu devrais en remercier le Père d’En-Haut. Il attribue des dons à tous ses enfants.

— Certes », acquiesça-t-il sur un ton aimable. Et quand je mourrai, de grâce, faites en sorte de m’enterrer avec une arbalète, que je puisse remercier le Père d’En-Haut de ses dons, de la même façon que j’ai remercié le père d’ici-bas.

Ses vêtements, ruisselant encore après sa baignade forcée, lui collaient désagréablement aux bras et aux jambes. Tandis que Griff le Jeune partait avec la septa Lemore se faire instruire des mystères de la Foi, Tyrion se dépouilla de sa tenue mouillée pour en enfiler une sèche. Lorsqu’il remonta sur le pont, Canard s’esclaffa bruyamment. Le nain ne pouvait lui en tenir rigueur. Vêtu comme il l’était, il présentait un tableau cocasse. Il portait un pourpoint mi-parti : le côté gauche, de velours mauve avec des boutons en bronze ; le droit, en laine jaune brodée de motifs floraux verts. Ses chausses étaient divisées de même, la jambe droite en vert uni, la gauche rayée de blanc et de rouge. Un des coffres d’Illyrio était bourré de vêtements d’enfant, fleurant bon le moisi, mais de bonne coupe. La septa Lemore avait partagé en deux chacun des ensembles, puis les avait recousus, appariant la moitié d’un et la moitié d’un autre pour composer une rudimentaire tenue mi-partie. Griff avait même insisté pour que Tyrion l’aide à retailler et à coudre. Nul doute qu’il voulait que la tâche le rende plus humble, mais Tyrion apprécia le jeu d’aiguille. Lemore était toujours d’agréable compagnie, malgré sa tendance à le gourmander chaque fois qu’il usait de propos grossiers vis-à-vis des dieux. Si Griff tient à m’attribuer le rôle du bouffon, je vais jouer le jeu. Quelque part, il le savait, lord Tywin Lannister était horrifié, et cela rendait l’affaire bien douce.

Son autre emploi n’avait rien de bouffon. Canard a son épée, j’ai ma plume et mon parchemin. Griff lui avait donné ordre de coucher par écrit tout ce qu’il savait des dragons. C’était une entreprise formidable, mais le nain s’y consacrait chaque jour, griffonnant de son mieux, assis en tailleur sur le rouf.

Au fil des ans, Tyrion avait lu tant et plus, sur les dragons. La plus grande part de ces chroniques consistait en racontars et l’on ne pouvait s’y fier, et les livres qu’Illyrio leur avait fournis n’étaient pas ceux qu’il aurait souhaités. Ce qu’il voulait vraiment, c’était le texte complet des Feux des Possessions, l’histoire de Valyria, par Galendro. Toutefois, on n’en connaissait à Westeros aucun exemplaire complet ; même à la Citadelle, il en manquait vingt-sept rouleaux. Ils ont une bibliothèque dans l’antique Volantis, assurément. Je pourrai y trouver un meilleur exemplaire, si j’arrive à pénétrer à l’intérieur des Murs noirs jusqu’au cœur de la cité.

Il était moins optimiste vis-à-vis du Dragons, veurs et vouivres : leur surnaturelle histoire du septon Barth. Barth avait été un fils de forgeron, élevé à la charge de Main du Roi durant le règne de Jaehaerys le Conciliateur. Ses ennemis avaient toujours soutenu qu’il était plus sorcier que septon. En accédant au Trône de Fer, Baelor le Bienheureux avait ordonné la destruction de tous les écrits de Barth. Dix ans plus tôt, Tyrion avait lu un fragment de la Surnaturelle histoire qui avait échappé au bienheureux Baelor, mais il doutait que la moindre parcelle de l’œuvre de Barth ait réussi à traverser le détroit. Et bien entendu, il y avait encore moins de chances de tomber sur l’opuscule fragmentaire, anonyme et sanglant qu’on appelait tantôt Sang et Feu et tantôt La Mort des dragons, dont l’unique exemplaire subsistant était caché, disait-on, dans une crypte verrouillée sous la Citadelle.

Lorsque le Demi-Mestre parut sur le pont en bâillant, le nain rédigeait ce dont il se souvenait des us des dragons en matière d’accouplement, sujet sur lequel Barth, Munkun et Thomax défendaient des opinions significativement divergentes. Haldon gagna la poupe d’un pas résolu pour pisser dans le soleil scintillant sur les flots, qui se brisaient à chaque souffle de vent. « Nous devrions atteindre le confluent avec la Noyne avant ce soir, Yollo », lança le Demi-Mestre.

Tyrion leva les yeux de sa composition. « Mon nom est Hugor. Yollo se cache dans mes chausses. Dois-je le laisser sortir jouer ?

— Mieux vaut éviter. Tu pourrais effrayer les tortues. » Le sourire d’Haldon était aussi tranchant qu’une lame de couteau. « Quel nom m’as-tu dit que portait la rue de Port-Lannis où tu es né, Yollo ?

— C’était une ruelle. Elle n’avait pas de nom. » Tyrion prenait un malin plaisir à inventer les détails de la vie colorée d’Hugor Colline, également connu sous le nom de Yollo, bâtard de Port-Lannis. Les meilleurs mensonges s’assaisonnent d’une pincée de vérité. Le nain savait qu’il avait un accent ouestrien, et de haute naissance en plus, si bien qu’Hugor se devait d’être le bâtard de quelque nobliau. Né à Port-Lannis, parce qu’il connaissait mieux l’endroit que Villevieille ou Port-Réal, et que c’était en ville qu’aboutissaient les nains, même ceux que mettait au monde une pécore de sage-femme dans un carré de navets. Les campagnes ne possédaient ni parade de grotesques, ni spectacle de bateleurs… Mais elles abondaient en puits, pour mieux avaler les chatons superflus, les veaux à trois têtes et les bébés de sa sorte.

« Je vois que tu continues à salir du bon parchemin, Yollo. » Haldon laça ses chausses.

« Nous ne pouvons tous être une moitié de mestre. » Tyrion commençait à se sentir des crampes à la main. Il déposa sa plume et fléchit ses doigts courtauds. « Envie d’une nouvelle partie de cyvosse ? » Le Demi-Mestre le vainquait toujours, mais c’était une façon de passer le temps.

« Ce soir. Vas-tu te joindre à nous pour la leçon de Griff le Jeune ?

— Pourquoi pas ? Il faut bien que quelqu’un rectifie tes erreurs. »

La Farouche Pucelle comportait quatre cabines. Yandry et Ysilla en partageaient une, Griff et Griff le Jeune une autre. La septa Lemore disposait d’une cabine pour elle seule, de même qu’Haldon. Le Demi-Mestre occupait la plus grande des quatre. Une cloison était couverte d’étagères pour les livres et de réceptacles débordant de vieux rouleaux et parchemins ; une autre supportait des râteliers à onguents, des herbes et des potions. Une lumière dorée traversait à l’oblique le verre jaune et dépoli du hublot rond. Le mobilier comprenait une couchette, une écritoire, une chaise, un tabouret et la table de cyvosse du Demi-Mestre, semée de figures en bois sculpté.

Le cours commença par les langues. Griff le Jeune parlait la Langue Commune comme si c’était son idiome maternel et pratiquait couramment le haut valyrien, les bas dialectes de Pentos, Tyrosh, Myr et Lys, et l’argot de commerce des marins. Le dialecte volantain lui était aussi nouveau qu’à Tyrion, aussi apprenaient-ils chaque jour quelques mots supplémentaires, tandis qu’Haldon corrigeait leurs erreurs. Le meereenien était plus difficile ; ses racines étaient également valyriennes, mais l’arbre avait été greffé sur la langue rude et désagréable de la Ghis ancienne. « Il faut avoir une abeille dans le nez pour parler correctement le ghiscari », se plaignit Tyrion. Griff le Jeune en rit, mais le Demi-Mestre se contenta de dire : « Recommencez. » Le jeune homme obéit, mais cette fois-ci, en grasseyant ses zzz, il leva les yeux au ciel. Il a plus d’oreille que moi, fut obligé de reconnaître Tyrion, bien que j’aie quand même la langue plus agile, je parierais.

La géométrie suivit les langues. Là-dessus, le jeune homme excellait moins, mais Haldon était un précepteur patient, et Tyrion réussit à se rendre utile. Il avait appris les mystères des carrés, des cercles et des triangles des mestres de son père, à Castral Roc, et ils lui revinrent en mémoire plus vite qu’il ne l’aurait cru.

Le temps qu’ils en arrivent à l’histoire, Griff le Jeune commençait à ne plus tenir en place. « Nous discutions l’histoire de Volantis, lui dit Haldon. Peux-tu expliquer à Yollo la différence entre un tigre et un éléphant ?

— Volantis est la plus ancienne des neuf Cités libres, première fille de Valyria, avait répondu le jeune homme sur un ton lassé. Après le Fléau, les Volantains se plurent à se considérer comme les héritiers des Possessions et les légitimes gouverneurs du monde, mais ils étaient divisés quant à la façon d’exercer au mieux leur empire. L’Ancien Sang en tenait pour l’épée, tandis que marchands et prêteurs plaidaient en faveur du commerce. Durant leur affrontement pour gouverner la cité, ces factions furent dénommées tigres et éléphants, respectivement.

« Les tigres dominèrent presque un siècle, après le Fléau de Valyria. Pendant un temps, ils connurent le succès. Une flotte volantaine s’empara de Lys, une armée volantaine de Myr, et pour deux générations, les trois cités furent dirigées de l’intérieur des Murs noirs. Cela prit fin quand les tigres essayèrent de dévorer Tyrosh. Pentos entra en guerre dans le camp tyroshi, en même temps que le roi de l’Orage ouestrien. Braavos fournit à un exilé lysien une centaine de vaisseaux de guerre, Aegon Targaryen prit son essor de Peyredragon sur la Terreur noire, et Myr et Lys se soulevèrent en rébellion. La guerre laissa les Terres Disputées à l’état de désolation, et libéra Lys et Myr de leur joug. Les tigres subirent par ailleurs d’autres revers. La flotte qu’ils expédièrent pour revendiquer Valyria disparut en mer Fumeuse. Qohor et Norvos brisèrent leur emprise sur la Rhoyne lors de la bataille des galères sur le lac de la Dague. D’orient arrivèrent les Dothrakis, chassant le petit peuple de ses tanières et les nobles de leurs domaines, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’herbes et que ruines entre la forêt de Qohor et les sources de la Selhoru. Au bout d’un siècle de conflits, Volantis se retrouva brisée, ruinée et dépeuplée. C’est alors que les éléphants prirent l’ascendant. Ils exercent depuis lors le pouvoir. Certaines années, les tigres font élire un triarque, et d’autres, aucun, mais jamais plus d’un, si bien que les éléphants gouvernent la cité depuis trois cents ans.

— Exact, commenta Haldon. Et les triarques actuels ?

— Malaquo est un tigre, Nyessos et Doniphos des éléphants.

— Et quelle leçon pouvons-nous tirer de l’histoire de Volantis ?

— Si l’on veut conquérir le monde, on a intérêt à avoir des dragons. »

Tyrion ne put se retenir de rire.

Plus tard, quand Griff le Jeune monta sur le pont aider Yandry avec les voiles et les perches, Haldon installa sa table de cyvosse pour leur partie. Tyrion l’observa avec ses yeux vairons et commenta : « Le petit est intelligent. Tu l’as bien formé. La moitié des seigneurs de Westeros ne sont pas si instruits, c’est triste à dire. Les langues, l’histoire, les chansons, le calcul… Capiteux ragoût pour un fils d’épée-louée.

— Un livre peut être aussi dangereux qu’une épée, placé entre de bonnes mains, répondit Haldon. Essaie de me livrer un meilleur combat, cette fois-ci, Yollo. Tu joues aussi mal au cyvosse que tu cabrioles.

— Je tente d’induire en toi un sentiment de confiance factice, répondit Tyrion tandis qu’ils disposaient leurs pièces de part et d’autre d’un écran en bois sculpté. Tu crois m’avoir appris à jouer, mais les apparences sont souvent trompeuses. Et si j’avais appris le jeu avec le marchand de fromages, y as-tu réfléchi ?

— Illyrio ne joue pas au cyvosse. »

Non, admit le nain. Il joue au jeu des trônes, et toi, Griff et Canard n’êtes que des pièces, qu’il déplace à sa guise et sacrifie au besoin, tout comme il a sacrifié Viserys. « Alors, le blâme t’en incombe, en ce cas. Si je joue mal, c’est de ta faute. »

Le Demi-Mestre gloussa. « Yollo, tu me manqueras, quand les pirates t’auront tranché la gorge.

— Où sont-ils, ces fameux pirates ? Je commence à croire qu’Illyrio et toi, vous les avez entièrement inventés.

— Ils fréquentent davantage la partie du fleuve qui s’étend entre Ar Noy et les Chagrins. Au-dessus des ruines d’Ar Noy, les Qohoriks dominent le fleuve et plus bas, les galères de Volantis font régner l’ordre, mais aucune des deux cités ne revendique les eaux entre ces deux points, si bien que les pirates se les sont appropriées. Le lac de la Dague abonde en îles où ils sont tapis dans des grottes secrètes et des forteresses cachées. Tu es prêt ?

— Pour toi ? Sans aucun doute. Pour les pirates ? Moins. »

Haldon retira l’écran. Chacun d’eux examina la disposition d’ouverture de l’autre. « Tu apprends », commenta le Demi-Mestre.

Tyrion faillit s’emparer de sa dragonne mais se ravisa. Lors de la dernière partie, il l’avait fait intervenir trop tôt et l’avait perdue face à un trébuchet. « Si nous rencontrons ces légendaires pirates pour de bon, il n’est pas exclu que je me joigne à eux. Je leur raconterai que je m’appelle Hugor Demi-Mestre. » Il avança sa cavalerie légère vers les montagnes d’Haldon.

Haldon riposta avec un éléphant. « Hugor Demi-Cervelle te siérait mieux.

— Je n’ai besoin que d’une moitié de cervelle pour être ton égal. » Tyrion avança sa cavalerie lourde pour soutenir la légère. « Peut-être aimerais-tu parier sur l’issue ? »

Le Demi-Mestre arqua un sourcil. « Combien ?

— Je n’ai pas d’argent. Jouons pour des secrets.

— Griff me trancherait la langue.

— Tu as peur, hein ? Moi aussi, à ta place.

— Le jour où tu me vaincras au cyvosse, des tortues me sortiront du cul. » Le Demi-Mestre déplaça ses lanciers. « Ton pari est tenu, petit homme. »

Tyrion tendit la main vers son dragon.

Trois heures s’étaient écoulées quand le petit homme monta enfin sur le pont soulager sa vessie. Canard aidait Yandry à affaler la voile, tandis qu’Ysilla tenait la barre. Le soleil était en suspens, bas au-dessus des lits de roseaux qui bordaient la rive ouest, tandis que le vent commençait à forcir et à souffler par rafales. J’ai besoin d’une outre de vin, songea le nain. Il avait des crampes aux jambes à force d’être accroupi sur ce tabouret, et la tête si légère qu’il eut de la chance de ne pas basculer dans le fleuve.

« Yollo, appela Canard. Où est Haldon ?

— Il est allé se coucher, avec une légère indisposition. Il a des tortues qui lui sortent du cul. » Il laissa le chevalier décrypter ces paroles et grimpa péniblement à l’échelle jusqu’au toit du rouf. Du côté du levant, l’ombre s’amassait derrière une île rocheuse.

La septa Lemore le rejoignit. « Sentez-vous les orages dans l’air, Hugor Colline ? Le lac de la Dague s’étend devant nous, le territoire des pirates. Et au-delà se trouvent les Chagrins. »

Mais point les miens. Mes propres chagrins, je les emporte avec moi partout où je vais. Il songea à Tysha et se demanda où vont les putes. Pourquoi pas à Volantis ? Peut-être la retrouverai-je là-bas ? L’on doit s’accrocher à ses espoirs. Il s’interrogea sur ce qu’il lui dirait. Je regrette de les avoir laissés te violer, ma mie. Je te prenais pour une catin. Ton cœur peut-il m’accorder le pardon ? Je veux rentrer dans notre chaumière, revenir à la vie que nous avions quand nous étions mari et femme.

L’île disparut derrière eux. Tyrion vit des ruines s’élever sur la rive est : des murs penchés et des tours abattues, des dômes crevés et des rangées de colonnes de bois pourri, des rues étouffées par la vase et couvertes de mousse mauve. Encore une cité morte, dix fois plus grande que Ghoyan Drohe. Des tortues vivaient là, désormais, de grosses brise-l’os. Le nain les voyait se dorer au soleil, des monticules noirs et bruns portant des crêtes acérées au centre de leurs carapaces. Quelques-unes repérèrent la Farouche Pucelle et se glissèrent dans l’eau, laissant des rides dans leur sillage. L’endroit ne serait pas propice à la baignade.

Puis, à travers les arbres tors et à demi submergés et les larges artères inondées, il aperçut le reflet argenté du soleil sur les eaux. Une autre rivière, comprit-il tout de suite, qui se rue vers la Rhoyne. Les ruines prirent de la hauteur tandis que le paysage s’encaissait, jusqu’à ce que la cité s’achève sur un promontoire de terre où se dressaient les vestiges d’un colossal palais de marbre rose et vert, ses coupoles effondrées et ses aiguilles brisées dominant de leur masse une rangée d’arches. Tyrion vit d’autres brise-l’os qui dormaient sur les embarcadères où cinquante vaisseaux auraient jadis pu s’amarrer. Il sut alors où il se trouvait. C’était le palais de Nymeria, et voilà tout ce qui reste de Ny Sar, sa ville.

« Yollo, lui cria Yandry tandis que la Farouche Pucelle croisait le promontoire, parle-moi encore de ces fleuves ouestriens aussi vastes que la Mère Rhoyne.

— Je ne savais pas, lui cria-t-il en retour. Aucun fleuve des Sept Couronnes n’est à moitié aussi large. » Le nouveau fleuve qui les avait rejoints était un proche jumeau de celui sur lequel ils voguaient, un bras qui rivalisait déjà presque avec la Mander ou le Trident.

« Voici Ny Sar, où la Mère recueille sa Fille Turbulente, la Noyne, dit Yandry, mais elle n’atteindra pas son cours le plus large avant de rencontrer ses autres filles. Au lac de la Dague, c’est la Qhoyne qui se précipite avec fougue, la Fille Sombre, charriant l’or et l’ambre de la Hache, et les cônes de pin de la forêt de Qohor. Plus au sud, la Mère rencontre la Lhorulu, sa Fille Souriante venue des Champs dorés. Leur confluent se situe à l’ancien emplacement de Chroyane, la Cité des fêtes, où les rues étaient couvertes d’eau et les maisons d’or. Ensuite, à nouveau, direction le sud-est de longues lieues durant, jusqu’à ce qu’arrive enfin à petits pas la Selhoru, la Fille Timide qui serpente et dissimule son cours sous les roseaux. Là, la Mère Rhoyne enfle tellement qu’un homme en bateau au centre de son cours n’aperçoit plus la rive d’aucun côté. Tu verras ça, mon petit ami. »

Je verrai, se dit le nain, quand il nota une ridule à moins de six pas du bateau. Il allait la signaler à Lemore quand elle émergea en déplaçant un sillage d’eau qui fit rouler la Farouche Pucelle d’un bord sur l’autre.

C’était une autre tortue, cornue, celle-là, et de taille gigantesque, sa carapace vert sombre mouchetée de brun et tapissée de mousses d’eau et d’une croûte de noires bernaches d’eau douce. Elle leva la tête pour beugler, un mugissement vibrant et grave, plus sonore que toutes les trompes de guerre que Tyrion avait jamais pu entendre. « Nous sommes bénis », criait Ysilla à pleins poumons, tandis que des larmes roulaient sur son visage. « Nous sommes bénis, nous sommes bénis. »

Canard lançait des cris de joie, imité par Griff le Jeune. Haldon sortit sur le pont pour découvrir la raison de cette agitation… mais trop tard. La tortue géante avait de nouveau disparu sous les flots. « Qu’est-ce qui cause un tel chahut ? demanda le Demi-Mestre.

— Une tortue, répondit Tyrion. Une tortue plus grande que le bateau.

— C’était lui, s’exclama Yandry. Le Vieil Homme du Fleuve. »

Et pourquoi pas ? se dit Tyrion avec un large sourire. Les dieux et les merveilles se manifestent toujours, pour assister à la naissance des rois.

Загрузка...