42 L’Escapade du Putois

Le bourdonnement de la cité couvrit très vite le rire de Zarine – s’il s’agissait bien de ça. Comme à Caemlyn et Cairhien, deux autres mégalopoles, le vacarme était hors du commun. Ici, les sons résonnaient un peu différemment, avec plus d’écho peut-être, mais ça restait le même concert de crissements de bottes, de grincements de roues et de martèlement de sabots sur les pavés irréguliers des rues. Bien sûr, il fallait aussi compter avec les échos de musiques et de rires qui montaient des auberges et des tavernes. Une grande ville pleine de vie, rien de plus ni de moins…

Filtrant d’une ruelle latérale, le bruit d’un marteau sur une enclume arriva aux oreilles de Perrin qui ne put s’empêcher de tourner la tête. Il se languissait de tenir entre ses mains une masse et des pinces, de voir le métal prendre forme sous ses coups, chacun envoyant danser dans l’air une gerbe d’étincelles.

Mais ce bruit divin fut bientôt noyé sous l’incessant cortège des autres, ce mélange de cliquetis et de claquements ponctués de quelques trilles cristallins d’une voix de femme ou d’enfant…

Sous les odeurs que Perrin avait senties dans toutes les cités – feux de cuisson, cheminées, sueur des humains et puanteur des animaux – il captait les omniprésentes senteurs salines du marais.

La première fois qu’un pont se dressa devant les cavaliers – une arche qui traversait un cours d’eau à peine large de dix pas – Perrin ne cacha pas sa surprise. À la troisième structure identique, il comprit qu’Illian était sillonnée de canaux presque autant que de rues, et qu’on s’y déplaçait aussi volontiers en barge qu’en calèche ou en chariot.

Des chaises à porteurs allaient et venaient cependant dans les rues, parfois dépassées par le carrosse d’une maison noble dont l’emblème – c’était semblait-il la coutume – s’affichait sur toutes les portières.

Ici, la plupart des hommes portaient un bouc sans moustache qui leur donnait un air étrange. Les femmes arboraient volontiers un chapeau à larges bords, et presque toutes avaient un foulard attaché autour du cou.

La petite colonne traversa une grande place carrée entourée d’immenses colonnes de marbre blanc de quarante bons pieds de haut. D’un diamètre d’au moins six pieds, ces pièces d’architecture ne soutenaient absolument rien, à part l’entrelacs de branches d’olivier qui les couronnait d’une manière somme toute fort élégante. Aux deux extrémités de cette place se dressait un palais blanc à la façade ornée de colonnades, aux flèches élancées et au toit de brique rouge. Chaque bâtiment était l’exact reflet de l’autre. Cependant, Perrin nota que l’un d’eux était un tout petit peu plus petit – des « rognures » presque imperceptibles, mais bien réelles sur toutes ses dimensions.

— Le palais du roi, annonça Zarine, et le grand hall du Conseil… D’après ce qu’on raconte, le premier roi d’Illian déclara que le Conseil des Neuf pouvait se faire bâtir le palais de son choix, à une seule condition : il ne devait pas être plus grand que le fief du souverain. Le Conseil copia donc trait pour trait la demeure royale, mais en diminuant chaque cote de deux pieds très précisément. Depuis, Illian continue sur cette lancée. Le roi et le Conseil se querellent et l’Assemblée ferraille avec les deux. Pendant que ses chefs se disputent, le peuple vit comme il l’entend, sans que quiconque vienne l’ennuyer plus que de raison. Tant qu’à être citadin, ce n’est pas une mauvaise façon de vivre, non ?

» Forgeron, tu aimeras peut-être savoir que nous sommes sur la place de Tammaz, où j’ai prêté mon serment de Quêteuse. Si je continue à te cultiver comme ça, les gens finiront par ne plus remarquer la paille, dans tes cheveux…

Perrin ravala de justesse une repartie cinglante. Il décida aussi de ne plus ouvrir des grands yeux émerveillés, comme le premier péquenot venu.

Ici, personne ne semblait faire grand cas de Loial. Quelques badauds l’avaient regardé avec un peu d’insistance, et une poignée d’enfants avaient couru à côté de son cheval, mais les Ogiers, à Illian, n’étaient pas des objets de curiosité.

Les passants, d’autre part, semblaient ne pas souffrir de la chaleur et de l’humidité poisseuse.

Loial ne parut pas très heureux de passer inaperçu. Ses longs cils étaient en berne et ses oreilles frémissaient, deux indices qui d’habitude ne trompaient pas.

— Tu as peur qu’il y ait d’autres Ogiers ici ? demanda Perrin à son ami.

Il sentit Zarine s’agiter dans son dos et se maudit de ne pas avoir tourné sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Si ça ne tenait qu’à lui, elle en saurait encore moins que ce qu’avait prévu Moiraine. Comme ça, à force de s’ennuyer, elle pouvait finir par décider d’aller se faire pendre ailleurs.

Si Moiraine la laisse faire… Bon sang ! je ne veux pas de ce faucon perché sur mon épaule, même si cette oiselle-là est plutôt jolie.

— Nos maçons viennent parfois ici, répondit Loial – d’un filet de voix, pas seulement pour un Ogier, mais pour n’importe qui, si bien que Perrin dut tendre l’oreille afin de comprendre. Des maçons du Sanctuaire Shangtai, je veux dire… Ce sont des artisans de mon Sanctuaire qui ont bâti certaines parties de la ville : le palais de l’Assemblée, le grand hall du Conseil et quelques autres. Quand des réparations s’imposent, les Illianiens les envoient chercher… Perrin, si nous croisons des Ogiers, ils me forceront à rentrer chez moi. J’aurais dû y penser plus tôt… C’est pour ça que je suis si mal à l’aise.

Perrin fit accélérer Trotteur, rattrapa Loial et lui tapota l’épaule. Pour réussir cet exploit, il dut tendre le bras au maximum, tant son ami était grand.

Conscient de la présence d’une espionne dans son dos, il choisit soigneusement ses mots :

— Loial, je pense que Moiraine ne les laisserait pas faire. Tu es avec nous depuis longtemps, et elle semble tenir à ta présence. Elle prendrait ta défense, ne t’inquiète pas !

Est-ce si sûr que ça ? Elle me garde parce qu’elle me croit important par rapport à Rand. Et peut-être pour que je n’aille pas raconter n’importe quoi aux huit coins du monde. Au fond, c’est peut-être aussi pour ça qu’elle tient à la présence de Loial…

— Bien sûr qu’elle les empêcherait ! dit Loial d’une voix un peu plus assurée. Après tout, je lui suis très utile. Si elle veut de nouveau emprunter les Chemins, elle aura besoin de moi.

Zarine s’agita de plus belle. Perrin tenta de croiser le regard de Loial, et il secoua frénétiquement la tête. Mais l’Ogier ne capta aucun des deux messages. Comme s’il mesurait la portée de ce qu’il venait de dire, il semblait plus dépité qu’avant.

— J’espère que ce n’est pas pour ça, Perrin… (Loial regarda la ville, tout autour de lui, et ses oreilles se mirent à leur tour en berne.) Mon ami, je n’aime pas cet endroit…

Comme toujours, Moiraine chevauchait à côté de Lan et lui parlait à voix basse. Mais Perrin comprit sa dernière phrase :

— Quelque chose ne va pas dans cette ville…

Le Champion acquiesça gravement.

Perrin eut une étrange sensation entre les omoplates. L’Aes Sedai semblait bien sinistre…

Loial d’abord, et elle ensuite ? Que voient-ils que je ne remarque pas ?

Perrin regarda de nouveau autour de lui. Avec leurs murs blancs et leur toit de tuile, les deux palais semblaient être des endroits accueillants où il faisait agréablement frais. Toutes les maisons donnaient cette impression, à vrai dire. Une cité claire et brillante, avec des habitants…

Des habitants ? La réponse n’était-elle pas là ?

Au début, Perrin ne remarqua rien qui sortît de l’ordinaire. Les hommes et les femmes vaquaient à leurs occupations, comme dans toutes les villes du monde, mais avec plus d’indolence que dans les contrées nordiques. Sans doute à cause de la chaleur et de ce soleil qui tapait dur…

Avisant un garçon boulanger qui portait sur la tête un grand panier d’osier rempli de miches, Perrin l’étudia de plus près et vit qu’il arborait une grimace très proche d’un rictus. Campée devant l’échoppe d’un tisserand, une femme semblait vouloir mordre l’innocent commerçant qui s’échinait à lui présenter des rouleaux de tissu. Au coin d’une rue, un jongleur, les dents serrées, foudroyait du regard les badauds qui jetaient pourtant des pièces dans son chapeau renversé sur le sol. Tous les Illianiens n’avaient pas cet air mauvais, mais un sur cinq, au minimum, semblait fou de haine ou de colère. Et ils ne paraissaient pas en être conscients, aurait juré Perrin.

— Que se passe-t-il ? demanda Zarine. Tu es très tendu. J’ai l’impression de m’accrocher à un rocher.

— Quelque chose ne va pas… Je ne sais pas quoi, mais il y a un problème.

Loial approuva mélancoliquement. Puis il recommença à se lamenter sur son retour forcé au Sanctuaire.

Les cavaliers traversèrent une enfilade de ponts. Dans ce secteur de la ville, le décor changea. Les tours et les palais disparurent, et les façades, toujours en pierre claire, se révélèrent plus souvent brutes que polies. Dans ce quartier où on trouvait abondance d’auberges et d’entrepôts, les hommes et une partie des femmes avaient la démarche chaloupée caractéristique des marins – et comme ceux-ci, ils allaient le plus souvent pieds nus. Une odeur d’étoupe et de chanvre planait dans l’air, se mêlant à celle du bois récemment coupé et séché. Mais les relents de pourri dominaient tout. Les odeurs du canal elles-mêmes avaient changé, retournant l’estomac de Perrin.

Des pots de chambre et des latrines publiques…

Le jeune homme se demanda s’il n’allait pas vomir.

— Le Pont aux Fleurs, annonça Lan alors que la colonne s’engageait sur une nouvelle arche. Nous voilà dans le Quartier des Parfums. Les Illianiens sont très poètes…

Dans le dos de Perrin, Zarine ricana.

Comme si le rythme nonchalant du Sud l’agaçait soudain, le Champion accéléra, remontant à toute allure les rues pour finir par s’arrêter devant une auberge au toit de tuile verte et aux murs de pierre également veinée de vert. Le crépuscule approchant, il faisait un peu moins chaud, mais les cavaliers restaient en nage. Des garçons d’écurie assis devant l’auberge – sur d’ingénieux escaliers de pierre destinés à aider les cavaliers à monter en selle – se levèrent sans hâte excessive pour venir prendre en charge les chevaux. Un gamin aux cheveux noirs demanda à Loial s’il était un Ogier. Lorsque le géant eut répondu par l’affirmative, son interlocuteur lança un : « Je l’avais bien dit ! » plein de jubilation.

Tout en jonglant avec la pièce de cuivre que lui avait remise Loial, il s’éloigna en tirant le cheval géant par la bride.

Perrin fut plus qu’intrigué par l’enseigne de l’établissement. Debout sur les pattes de derrière, un grand putois aux rayures blanches dansait avec ce qui semblait être une pelle en argent. La raison sociale de l’auberge – L’Escapade du Putois – n’éclaira pas davantage la lanterne du jeune homme.

Ce doit être une référence à une histoire que je ne connais pas…

Dans la salle commune au sol couvert de sciure, une bonne odeur de tabac emplissait l’air. Perrin capta aussi un arôme de vin, des senteurs de cuisson – du poisson – et un capiteux parfum de fleur. Au plafond, les poutres exposées noircies par l’âge indiquaient que ces lieux ne dataient pas d’hier…

Si tôt dans la soirée, à peine un quart des bancs et des tabourets étaient occupés – par des gens du peuple en habits très ordinaires, certains ayant les pieds nus à la manière des marins. Tous ces braves gens étaient massés autour d’une table qui servait d’estrade à une jeune artiste aux beaux yeux noirs – l’explication du parfum capiteux – qui dansait et chantait en s’accompagnant sur une guitare à douze cordes. Non sans remarquer la profondeur du décolleté de la belle, Perrin reconnut également sa chanson. La fille qui danse… Mais les paroles n’étaient pas celles qu’il avait l’habitude d’entendre sur cet air.

Une fille de Lugard,

Une fille de Lugard

Venue voir ce qu’on peut voir

Ce qu’on peut voir à Lugard.

D’un clin d’œil et d’un sourire,

D’un clin d’œil et d’un sourire

Elle parvint à séduire

Deux ou trois très jeunes sires.

La peau blanche et l’air mutin

La peau blanche et l’air mutin

Dansant pour un armateur

Elle lui ravit son cœur.

Puis s’en alla en riant

Puis s’en alla en riant

Voir ce qu’elle pourrait voir

Dans les bas-fonds de Lugard.

La chanteuse passa au couplet suivant. Quand elle exposa ce que son héroïne avait pu voir en d’autres lieux que Lugard, Perrin sentit ses oreilles chauffer. Après avoir vu danser des Zingara, il pensait que plus rien ne pouvait le choquer. Mais ce que les belles nomades suggéraient, la fille aux yeux noirs le disait, et sans y aller par quatre chemins.

Zarine hochait la tête en cadence, sa façon de battre la mesure. Déjà souriante, elle s’épanouit lorsqu’elle vit que Perrin était rouge comme une pivoine.

— Allons, paysan, je n’aurais pas cru qu’un homme de ton âge pouvait rosir comme une pucelle !

Perrin foudroya Zarine du regard et s’empêcha de justesse de lancer une repartie qui serait tombée à plat, il le savait.

Cette fichue donzelle ne me laisse même pas le temps de réfléchir. Par la Lumière ! elle croit que je n’ai jamais embrassé une fille, je parie !

Le jeune homme s’efforça de ne plus écouter la chanson. S’il ne reprenait pas très vite ses couleurs naturelles, Zarine lui en parlerait encore dans un siècle !

Au moment où elle avait aperçu ses nouveaux clients, l’aubergiste n’avait pas pu dissimuler sa surprise. En bonne commerçante, cette femme plus que ronde au chignon sévère – et à l’odeur de savonnette bon marché – se ressaisit très vite et vint accueillir Moiraine.

— Maîtresse Mari, dit-elle, si je m’attendais à vous voir aujourd’hui !

L’aubergiste jeta un rapide coup d’œil à Zarine et à Perrin, s’intéressa un peu plus longtemps à Loial, mais se concentra de nouveau très vite sur la femme qu’elle appelait « maîtresse Mari ».

— Mes pigeons ne sont-ils pas arrivés à bon port ? demanda-t-elle.

La présence de Lan ne semblait pas la gêner, comme s’il avait été une « dépendance » de l’Aes Sedai.

— Je suis sûre que si, Nieda, répondit Moiraine. J’étais absente, mais je suis certaine qu’Adine a bien enregistré toutes les informations que tu lui communiquais.

Moiraine regarda la chanteuse sans exprimer une once de désapprobation – ni d’un autre sentiment, convient-il de préciser.

— Oui, maîtresse Mari, j’espère bien qu’elle l’a fait… Mais on dirait que les malotrus poussent comme le chiendent, et qu’ils ont résisté au mauvais temps… Je n’avais pas eu une rixe en dix ans, et depuis la fin de ce fichu hiver… (Nieda désigna l’homme qui se tenait près de la chanteuse, les bras croisés sur une poitrine encore plus musclée que celle de Perrin.) Bili lui-même avait du mal à tenir nos clients, alors j’ai engagé la chanteuse, puisqu’on dit que la musique adoucit les mœurs. Elle vient de quelque part en Altara, cette brave fille… (Elle inclina la tête, tendant l’oreille.) Une jolie voix, mais je chantais mieux qu’elle, à son âge. Et surtout, j’étais meilleure danseuse.

Imaginant cette plus que solide femme debout sur une table, Perrin en resta un moment bouche bée. D’autant plus que les paroles ne s’arrangeaient pas :

Sans chemisier ni jupe,

Sans chemisier ni jupe

Et sans souliers non plus…

Zarine flanqua un coup de coude dans les côtes de Perrin, qui émit un grognement rauque.

Nieda se tourna vers l’apprenti forgeron.

— Je vais te faire un mélange de miel et de camphre, mon garçon, pour t’adoucir la gorge. Tu ne vas pas t’enrhumer alors que les beaux jours arriveront bientôt, surtout avec une si jolie fille à ton bras.

D’un regard, Moiraine fit comprendre à Perrin qu’il devait se faire oublier, parce qu’il la dérangeait.

— Je trouve étrange que tu aies eu des bagarres, dit l’Aes Sedai. Je me souviens que ton neveu n’avait aucun mal à rétablir le calme. Quelque chose rend les gens plus irritables ?

Nieda prit le temps de réfléchir.

— C’est bien possible… Mais difficile à dire… Les jeunes seigneurs viennent toujours ici, dans le quartier du port, pour trouver des bouteilles à vider et des filles à trousser. Dans les beaux quartiers, ils auraient du mal, vous comprenez ? Ils viennent peut-être plus souvent depuis le milieu de l’hiver… Et les autres clients se cherchent plus facilement querelle, eux aussi. L’hiver a été très rude, et ça met les hommes de mauvaise humeur – les femmes aussi, d’ailleurs. Toute cette pluie, ce froid… Par exemple, deux matins de suite, l’eau était gelée dans la cuvette de ma chambre. L’hiver dernier était encore pire, mais des saisons comme celle-là, il y en a une tous les mille ans. J’ai failli croire aux histoires de glace tombant du ciel que racontent les voyageurs, c’est tout dire !

Nieda gloussa pour indiquer qu’elle n’était quand même pas allée jusque-là. Perrin trouva étrange qu’un son si cristallin puisse sortir d’un si gros corps.

Elle ne croit pas en l’existence de la neige ?

Voilà qui semblait impensable. Mais s’il faisait plutôt frais en ce moment, selon elle – puisque les beaux jours arriveraient bientôt –, ça expliquait bien des choses…

Moiraine baissa la tête, le visage noyé dans les ombres de sa capuche, et réfléchit.

La chanteuse venait d’entamer un nouveau couplet. Malgré lui, Perrin se surprit à tendre l’oreille. De sa vie, il n’avait jamais entendu parler d’une femme s’adonnant aux activités que décrivait la chanson, mais il ne demandait qu’à découvrir de nouveaux horizons. Voyant que Zarine l’avait surpris en flagrant délit d’audition, il fit mine de s’intéresser à tout autre chose.

— Qu’est-il arrivé d’extraordinaire à Illian, ces derniers temps ? demanda Moiraine.

— Eh bien, le seigneur Brend est entré au Conseil des Neuf, et on peut considérer que ce n’est pas ordinaire… Que la bonne Fortune m’emporte, je ne me souviens pas d’avoir entendu son nom avant cet hiver ! Mais il est arrivé en ville, venant de la frontière avec le Murandy, paraît-il, et une semaine plus tard, voilà qu’il recevait l’honneur suprême… On dit que c’est un homme de bien, et le plus puissant des Neuf – d’ailleurs, les autres lui obéissent, bien qu’il soit le dernier venu – mais parfois, je fais d’étranges rêves à son sujet.

Moiraine ouvrit la bouche – pour faire remarquer à Nieda que ses cauchemars ne pouvaient pas remonter à bien longtemps, aurait parié Perrin – mais elle hésita, puis finit par demander :

— Quels rêves étranges, Nieda ?

— Des absurdités, maîtresse Mari ! Vraiment… Vous voulez savoir, sans blague ? Je vois le seigneur Brend dans des endroits étranges, par exemple sur des ponts qui flottent dans l’air. Des rêves assez flous, vous voyez ? Mais qui reviennent toutes les nuits, en réalité. Vous avez déjà entendu parler d’une chose pareille ? C’est bizarre et même très bizarre… Surtout que Bili fait les mêmes songes. Je crois qu’il entend les miens et qu’il les copie. De temps en temps, il n’est guère futé, vous savez…

— Vous êtes peut-être injuste avec lui…, souffla Moiraine.

Perrin tenta de sonder la capuche obscure de l’Aes Sedai. Elle venait de réagir comme si elle était secouée – peut-être plus que lorsqu’elle avait cru qu’un nouveau faux Dragon était apparu au Ghealdan. Même s’il ne sentait pas sa peur, Moiraine était effrayée. Et c’était encore plus angoissant que de la savoir en colère. Qu’elle éprouve de la colère était envisageable. De la peur, en revanche…

— Mais je jacasse, je jacasse, dit Nieda en réajustant son chignon, comme si mes rêves idiots étaient pour de bon importants. (Elle gloussa, mais avec moins de conviction, car ce n’était pas aussi aberrant que de croire à l’existence de la neige.) Maîtresse Mari, vous semblez épuisée. Je vais à tous vous montrer vos chambres. Ensuite, un bon repas à base de rayures-rouges fraîchement capturés.

Des rayures-rouges ?

Perrin supposa qu’il devait s’agir d’un poisson. C’était d’autant plus possible qu’il avait senti une odeur de friture en entrant.

— Nos chambres ? répéta Moiraine. Oui, nous allons en prendre… En revanche, le repas attendra. Nieda, quels bateaux sont en partance pour Tear ? Le plus tôt possible demain matin. Ce soir, j’ai quelque chose à faire…

Lan regarda son Aes Sedai et fronça très légèrement les sourcils.

— Des bateaux pour Tear ? répéta l’aubergiste. Ni tôt ni tard, maîtresse Mari ! Depuis un mois, le Conseil des Neuf interdit qu’un navire parte d’ici pour Tear. Et les bateaux de Tear n’ont plus le droit d’accoster chez nous. À mon avis, le Peuple de la Mer ne respecte pas cette interdiction, mais bon… Il y a dans le port des navires lui appartenant… C’est bizarre, non… Je veux dire, cet ordre des Neuf et le roi qui ne dit rien… D’habitude, il donne de la voix dès que le Conseil agit sans son aval. Mais ce n’est peut-être pas si grave qu’on le dit… On parle d’une guerre contre Tear, mais les marins et les conducteurs de chariot qui livrent des équipements à l’armée sont formels : les soldats regardent tous vers le nord. Le Murandy…

— Les voies des Ténèbres sont sinueuses, dit Moiraine. Nous ferons ce qui s’imposera. Montre-nous les chambres, Nieda. Et ensuite, nous mangerons, tu as raison…

Étant donné l’état général de l’auberge, la chambre de Perrin se révéla plus confortable qu’il l’aurait cru. Le lit était large, le matelas moelleux, et les fenêtres donnaient sur le port – l’assurance de bénéficier des bienfaits de la brise lorsqu’on les ouvrait. La porte ayant des volets d’aération, on pouvait même faire un courant d’air…

Bien sûr, il y avait les remugles du canal, mais on ne pouvait pas tout demander, pas vrai ?

Perrin accrocha sa cape à un portemanteau, avec son carquois et sa hache, et jeta son arc dans un coin. Il laissa ses affaires dans ses sacoches de selle et ne déroula pas sa couverture. La nuit risquant d’être mouvementée, mieux valait ne pas trop s’installer.

S’il avait déjà vu Moiraine inquiète, voire apeurée, ce n’était rien comparé à la panique qui l’étreignait lorsqu’elle avait déclaré avoir « quelque chose à faire ce soir ». Un instant, il avait eu l’impression qu’elle venait d’annoncer son intention de glisser les mains dans un nid d’abeilles, puis de l’écraser sans mettre de gants.

Par la Lumière ! que mijote-t-elle ? Si elle a peur, moi, je devrais être mort de trouille…

Mais ce n’était pas le cas, constata Perrin, non sans surprise. Il se sentait… en éveil. Prêt à ce qu’il arrive quelque chose, et presque pressé que ça commence. Sa détermination l’étonna, puis il comprit d’où elle venait. Les loups éprouvaient la même chose, juste avant de se battre.

Que la Lumière me brûle ! je préférerais avoir peur !


À part Loial, Perrin fut le premier à retourner dans la salle commune. Pour ses invités d’honneur, Nieda avait dressé une fort jolie table, des chaises à haut dossier remplaçant les bancs. L’aubergiste avait même trouvé un siège à la taille de Loial.

À l’autre bout de la salle, toujours perchée sur sa chaise, la fille chantait une ballade sur les malheurs d’un riche marchand. Ayant perdu son attelage dans des circonstances saugrenues, l’homme avait décidé de tirer lui-même son carrosse. Les clients massés autour de l’artiste étaient pliés en deux de rire.

Dehors, la nuit tombait bien plus vite que prévu, annonçant un orage pas piqué des hannetons.

— Il y a dans cet établissement une chambre d’Ogier, annonça Loial tandis que Perrin s’asseyait. Apparemment, chaque auberge d’Illian en a une, histoire d’attirer la clientèle ogier, quand nos artisans viennent travailler sur les bâtiments. Selon Nieda, avoir un Ogier sous son toit porte bonheur. Je doute que ça lui arrive souvent, parce que les artisans restent groupés lorsqu’ils vont travailler à l’Extérieur. Les humains sont impulsifs, et nos Anciens ont toujours peur que les situations dégénèrent…

Loial jeta un coup d’œil aux admirateurs de la chanteuse, comme s’il redoutait un dérapage de ce genre.

Le pauvre marchand étant sur le point de perdre son carrosse, à présent, les rires redoublèrent.

— As-tu découvert s’il y a ici des Ogiers de ton Sanctuaire ?

— Ils sont partis pendant l’hiver, m’a dit Nieda. Sans avoir fini leur travail. Des maçons ogiers n’agiraient pas ainsi, sauf si on ne les payait pas. Mais toujours selon Nieda, ce n’était pas le cas. Un matin, ils n’étaient plus là, voilà tout. Quelqu’un dit les avoir vus descendre la chaussée Maredo en pleine nuit, en direction d’une île, mais… Perrin, je n’aime pas cette ville. Je ne sais pas pourquoi, mais elle me met mal à l’aise.

— Les Ogiers sont très réceptifs à certaines choses, dit Moiraine en approchant de la table.

Elle avait toujours le visage dans les ombres, mais Nieda avait dû envoyer quelqu’un lui acheter une cape plus légère.

L’odeur de peur avait disparu, mais pas la nervosité. Et tandis qu’il tenait sa chaise à l’Aes Sedai, Lan ne faisait rien pour masquer son inquiétude.

Zarine descendit la dernière, les cheveux encore mouillés. La senteur d’herbe était encore plus forte, nota Perrin.

Posant les yeux sur le plateau que Nieda venait d’apporter, la Quêteuse lâcha froidement :

— J’ai horreur du poisson.

La grosse aubergiste avait livré le dîner sur un petit chariot à plusieurs étagères. L’équipement « de luxe » était encore poussiéreux, comme si on l’avait sorti d’une remise en l’honneur de Moiraine. Bien qu’ébréchées, les assiettes étaient en porcelaine – une spécialité du Peuple de la Mer.

— Mange, dit Moiraine en foudroyant Zarine du regard. Chaque repas pourrait bien être ton dernier, n’oublie surtout pas ça. Tu as choisi de nous accompagner ? Du coup, tu mangeras du poisson. Et demain, tu quitteras peut-être ce monde.

Perrin n’avait jamais vu les petits poissons presque ronds rayés de rouge, mais ils sentaient très bon. Il en déposa deux dans son assiette, en utilisant la fourchette de service, puis sourit à Zarine tout en savourant sa première bouchée. La chair de ces poissons, légèrement épicée, était délicieuse.

Mange ton méchant poisson, faucon !

Perrin eut l’impression que Zarine aurait préféré le mordre, si elle avait eu le choix.

— Maîtresse Mari, demanda Nieda, vous voulez que je fasse taire la chanteuse ? Pour que vous puissiez manger tranquilles ?

L’aubergiste était en train de disposer sur la table des saladiers de petits pois et de ce qui semblait être des champignons jaunes.

Les yeux baissés sur son assiette, Moiraine parut ne pas avoir entendu la question.

Lan écouta un moment la chanson. Après avoir perdu son carrosse, le marchand s’était retrouvé privé de ses bottes, de sa veste, de tout son or, puis de ses sous-vêtements. Pour finir, il devait disputer son repas à un cochon.

Le Champion secoua la tête.

— Elle ne nous dérange pas, dit-il avec sur les lèvres quelque chose qui ressemblait à un sourire.

Puis il regarda de nouveau Moiraine et se rembrunit.

— Qu’est-ce qui cloche ? demanda Zarine. (Elle n’avait pas touché au poisson.) Depuis que je te connais, Champion, je ne t’ai jamais vu si expressif.

— Pas de questions ! rappela Moiraine. Tu sauras ce que je veux bien te dire, et rien de plus.

— Et qu’allez-vous me dire ?

L’Aes Sedai eut un petit sourire.

— De manger ton poisson.

Le reste du repas se déroula en silence, permettant aux convives de bien entendre les chansons. L’une d’elles parlait d’un type très riche que sa femme et sa fille roulaient dans la farine en permanence, sans qu’il cesse pour autant d’avoir la grosse tête. Une autre évoquait les aventures d’une fille qui décidait d’aller se promener toute nue. Une troisième décrivait un maréchal-ferrant maladroit qui essayait de ferrer un cheval et se retrouvait avec les fers aux pieds.

Zarine faillit s’étouffer de rire – s’oubliant au point de grignoter un peu de poisson, une distraction qui lui arracha une grimace, comme si elle venait de manger de la boue.

Je ne vais pas me moquer d’elle, décida Perrin. Même si elle a l’air ridicule, je vais lui apprendre les bonnes manières.

— Exquis ces poissons, non ? se contenta de demander le jeune homme.

Zarine le foudroya du regard et Moiraine plissa le front, agacée qu’on l’arrache à ses pensées.

Après ça, plus personne ne dit un mot.

Nieda était en train de débarrasser la table, tout en apportant le fromage, lorsqu’une odeur pestilentielle souleva le cœur de Perrin, lui hérissant tous les poils. C’était la troisième fois qu’il captait cette puanteur. Mal à l’aise, il balaya du regard la salle commune.

La chanteuse régalait toujours son petit groupe d’admirateurs, quelques clients venaient d’entrer et approchaient lentement, et Bili, toujours adossé à son mur, tapait du pied pour battre la cadence. Tapotant son chignon, Nieda jeta elle aussi un rapide regard dans la salle, puis elle se détourna afin de pousser son chariot.

Perrin regarda ses compagnons. Comme de juste, Loial avait sorti un livre de la poche géante de sa veste et il semblait avoir oublié où il était. Jouant distraitement avec un morceau de fromage, Zarine épiait alternativement Perrin et Moiraine. Elle essayait d’être discrète, mais ce n’était pas vraiment réussi…

L’apprenti forgeron s’intéressait surtout à Lan et à Moiraine, parce qu’ils étaient capables de sentir un Myrddraal, un Trolloc ou une autre Créature des Ténèbres à quelques centaines de pas de distance. Mais l’Aes Sedai, pensive, regardait dans le vide, et le Champion se coupait un morceau de fromage tout en la regardant.

Pourtant, l’odeur maléfique était là, comme à Jarra et à la lisière de Remen, et cette fois, elle ne se dissipait pas. Et elle semblait venir de la salle commune, directement.

Perrin observa de nouveau les lieux. Bili contre son mur, quelques clients en train d’avancer, la fille perchée sur la table et son auditoire hilare.

Des clients en train d’avancer ?

Perrin plissa les yeux. Six types tout ce qu’il y avait d’ordinaire, se dirigeant vers lui. Rien à signaler. Des citoyens lambda.

Le jeune homme allait s’intéresser de nouveau au public de la chanteuse quand il s’avisa que l’odeur venait des six hommes.

Comme s’ils se savaient démasqués, ils dégainèrent chacun un couteau.

— Ils sont armés ! cria Perrin.

Puis il expédia le plateau de fromage sur les six agresseurs.

L’enfer se déchaîna dans la salle commune. La chanteuse hurla, ses auditeurs crièrent, Nieda appela Bili… et tout se passa en même temps.

Lan se leva d’un bond alors qu’un éclair jaillissait de la main de Moiraine. Loial s’empara d’une chaise, la maniant comme une massue, et Zarine s’écarta souplement en lâchant un juron. Perrin vit du coin de l’œil qu’elle avait elle aussi dégainé une lame, mais il fut vite trop occupé pour s’intéresser à ce que faisaient les autres. Les six tueurs se dirigeaient vers lui, et sa hache pendait à un portemanteau, à l’étage.

Saisissant une chaise, il lui arracha un pied, jeta le reste sur les tueurs et leur fit face avec sa très longue massue. Comme si Lan et les autres étaient des obstacles négligeables, les six hommes tentaient de l’atteindre – lui et lui seul. Contraint de se défendre en décrivant de grands arcs avec son arme, Perrin menaçait autant ses trois amis que ses adversaires. Du coin de l’œil, il vit que Moiraine observait la scène, folle de frustration. Les combattants étaient trop près les uns des autres pour qu’elle puisse intervenir sans blesser ou tuer tout le monde.

L’Aes Sedai n’étant pas placée entre eux et Perrin, aucun des tueurs ne lui accordait un regard.

Oubliant tout, Perrin s’engagea à corps perdu dans la bataille. Après ce qui lui parut une éternité, il baissa les yeux sur le cadavre du dernier agresseur, le crâne proprement fendu par le pied de chaise. Si on lui avait dit que le combat avait duré un quart d’heure, il l’aurait cru. Mais Bili venait de s’immobiliser, les bras battant l’air, devant les dépouilles des six types. À l’évidence, il n’avait pas eu le temps d’arriver avant la fin des hostilités.

L’air encore plus sinistre que d’habitude, Lan s’accroupit et entreprit de fouiller les cadavres – avec soin, mais très vite, comme si ce contact le dégoûtait. La chaise toujours brandie, Loial sursauta, puis il la reposa, l’air vaguement embarrassé.

Moiraine regardait Perrin. Zarine aussi, tout en retirant sa lame du cœur d’un des tueurs.

La puanteur avait disparu.

— Des Hommes Gris…, dit Moiraine. Et ils en avaient après toi.

— Des Hommes Gris ? lança Nieda avec un rire nerveux. Maîtresse Mari, encore un effort, et vous allez dire que vous croyez aux monstres de toutes sortes, aux Traqueurs et au Vieux Malin qui chevauche avec les molosses noirs au cœur de la Horde Sauvage !

Certains admirateurs de la chanteuse rirent aussi, non sans regarder Moiraine et les cadavres avec un malaise grandissant. L’artiste aussi fixait l’Aes Sedai, les yeux écarquillés.

Perrin se souvint de l’éclair, au début de la bataille. Un des Hommes Gris semblait un peu… carbonisé… et une odeur de brûlé en montait.

Moiraine se tourna vers l’aubergiste.

— Un homme peut marcher dans les Ténèbres sans en être une Créature…

— Les Suppôts ? Oui, oui, je sais… (Nieda plaqua les poings sur ses hanches généreuses et observa les cadavres.) Des voleurs, plutôt, même si je n’ai jamais entendu parler de brigands assez courageux pour faire irruption dans une auberge. C’est la première tuerie qui se déroule à L’Escapade, en tout cas. Bili, jette ces charognes dans un canal, puis verse de la sciure fraîche sur le sol. Passe par la porte de derrière, bien entendu. Pas question que la garde municipale fourre son nez dans mon établissement.

Bili hocha frénétiquement la tête, comme s’il était content de pouvoir se rendre utile. Soulevant un mort par la ceinture, puis un autre par le dos de sa veste, il se dirigea vers la sortie dérobée.

— Aes Sedai, dit la chanteuse, je ne voulais pas vous offenser avec mes chansons populaires… (Soudain pudique, elle tentait de dissimuler son décolleté, mais ses mains, trop petites, n’y suffisaient pas.) Si vous préférez, je peux en chanter d’autres…

— Chante ce que tu veux, mon enfant…, dit Moiraine. La Tour Blanche n’est pas coupée du monde, contrairement à ce que tu penses, et j’ai entendu bien pire que ça.

Cela dit, Moiraine ne semblait pas ravie que tout le monde sache qui elle était. Jetant un coup d’œil à Lan, elle resserra sur son torse les pans de sa cape et avança vers la porte.

Le Champion vint l’intercepter, et ils parlèrent à voix basse, comme à leur habitude. Mais c’était compter sans l’ouïe de Perrin.

— Tu as l’intention d’y aller sans moi, Moiraine ? J’ai juré de te protéger, lorsque nous avons conclu notre pacte…

— Tu sais depuis toujours que certains dangers te dépassent, mon Gaidin. Je dois y aller seule.

— Moiraine…

— Lan, écoute-moi ! Si j’échoue, tu le sentiras et tu seras obligé de retourner à la Tour Blanche. Même si j’en avais le temps, je ne changerais pas cette… prédestination. Je ne veux pas que tu meures en essayant en vain de me venger. Surtout, emmène Perrin avec toi. Grâce aux Ténèbres, je sais à présent qu’il est essentiel pour la Trame, même si les détails m’échappent. J’ai été stupide ! Rand est un ta’veren si puissant que je n’ai pas vu l’évidence : les deux autres qui sont à ses côtés ont aussi un rôle essentiel à jouer ! Avec Mat et Perrin, la Chaire d’Amyrlin gardera une chance d’influencer le cours des événements. Rand étant perdu dans la nature, elle devra s’en contenter. Mon Gaidin, dis-lui ce qui s’est passé.

— Tu parles comme si tu étais déjà morte…

— La Roue tisse comme elle l’entend, et les Ténèbres s’abattent sur le monde. Écoute-moi, Lan, et obéis, comme tu as juré de le faire.

Sur ces mots, l’Aes Sedai sortit.

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