6 La poursuite commence

Perrin ne comptait pas dormir, mais un estomac bourré de ragoût froid – sa résolution concernant les racines avait tenu jusqu’à ce que parvienne à son nez l’arôme des restes du dîner – et l’épuisement le clouèrent sur son lit. S’il rêva, il ne s’en souvint pas. Il se réveilla parce que Lan le secouait par l’épaule, la clarté de l’aube qui envahissait l’ouverture de la porte transformant le Lige en ombre environnée d’un halo de lumière.

« Rand a disparu », fut tout ce que Lan dit avant de repartir en courant, mais c’était plus que suffisant.

Perrin se mit debout tant bien que mal en bâillant et s’habilla avec prestesse dans le froid matinal. Au-dehors, il ne vit qu’une poignée de guerriers du Shienar qui utilisaient leurs chevaux à traîner les cadavres de Trollocs dans les bois, et la façon de se mouvoir de la plupart d’entre eux dénotait qu’ils auraient dû plutôt rester étendus sur une couche de convalescent. Le corps a besoin de temps pour reconstituer les forces que nécessite la guérison.

L’estomac de Perrin lui adressa des protestations et son nez flaira le vent avec l’espoir que quelqu’un avait déjà commencé à préparer le repas. Il était prêt à manger ces racines du genre navet, crues s’il le fallait. Ne subsistaient dans l’air qu’un relent de puanteur de Myrddraals abattus, les odeurs de Trollocs morts, d’humains morts et vifs, de chevaux et des arbres. Et de loups morts.

Le chalet de Moiraine, dans les hauteurs du versant opposé de la vallée en forme de cuvette, était apparemment un centre d’activité. Min y entra précipitamment et, peu après, Masema en sortit, puis Uno. Le borgne disparut à longues enjambées au milieu des arbres, en direction de la paroi rocheuse verticale derrière le chalet, tandis que Masema descendait la pente en boitant.

Perrin se mit en route vers le chalet. Comme il franchissait le torrent peu profond dans des giclées d’eau, il croisa Masema. Ce dernier avait le visage décomposé, la cicatrice sur sa joue saillante et ses yeux encore plus creux que d’ordinaire. Au milieu du ruisseau, il releva soudain la tête et saisit Perrin par la manche.

« Vous êtes de son village, dit-il d’une voix enrouée. Vous devez savoir. Pourquoi le Seigneur Dragon nous abandonne-t-il ? Quel péché avons-nous commis ?

— Un péché ? Qu’est-ce que vous racontez ? Quelle que soit la raison pour laquelle Rand s’en est allé, elle n’a aucun rapport avec ce que vous avez fait ou pas fait. » Masema n’en parut pas apaisé ; il continua à agripper la manche de Perrin, scrutant sa figure comme si des réponses s’y trouvaient. De l’eau glacée commença à s’infiltrer dans la botte gauche de Perrin. « Masema, ajouta-t-il en pesant ses mots, quelque parti qu’a choisi le Dragon, cela correspond à ses projets. Le Seigneur Dragon ne voudrait pas nous abandonner. » Ou bien le voudrait-il ? À sa place, le voudrais-je ?

Masema hocha lentement la tête. « Oui, Oui, je comprends, maintenant. Il s’en est allé seul pour annoncer son arrivée. Nous devons aussi répandre la nouvelle. Oui. » Il reprit de sa démarche claudicante la traversée du ruisseau en parlant entre ses dents.

Avec un gargouillement dans sa botte tous les deux pas, Perrin grimpa jusqu’au chalet de Moiraine et frappa. Il n’obtint pas de réponse. Après un instant d’hésitation, il entra.

La pièce de devant où couchait Lan était aussi dépouillée et simple que la propre hutte de Perrin, avec un lit rudimentaire appuyé contre une paroi, quelques chevilles pour suspendre des affaires et une unique étagère. Peu de clarté passait par l’ouverture de la porte et le seul autre éclairage provenait de lampes sommaires posées sur cette étagère : des éclats de bois résineux insérés dans les fentes de morceaux de roc. Ils émettaient de minces banderoles de fumée qui formaient une couche brumeuse sous le toit. Le nez de Perrin se plissa à l’odeur.

Le toit bas était à peine un peu au-dessus de sa tête. Celle de Loial l’effleurait carrément, même assis comme il l’était à une extrémité du lit de Lan, avec ses genoux ramenés contre lui pour tenir le moins de place possible. Les oreilles de l’Ogier, terminées par une huppe, étaient agitées de petits mouvements spasmodiques témoignant de son malaise. Min était assise en tailleur sur le sol en terre battue à côté de la porte donnant sur la chambre de Moiraine, que l’Aes Sedai arpentait de long en large, absorbée dans ses réflexions. Des réflexions sombres, à coup sûr. Trois pas dans chaque sens étaient toute la latitude qu’elle avait, mais elle utilisait cet espace avec vigueur, le calme de son expression démenti par la rapidité de sa démarche.

« Je crois que Masema est en train de devenir fou », annonça Perrin.

Min eut un reniflement ironique. « Avec lui, comment s’en rendre compte ? »

Moiraine pinça les lèvres et s’en prit soudain à Perrin. Sa voix était douce. Trop douce. « Masema est-il ce qu’il y a de plus important pour toi ce matin, Perrin Aybara ?

— Non. J’aimerais savoir quand Rand est parti, et pourquoi. Quelqu’un l’a-t-il vu s’en aller ? Quelqu’un connaît-il sa destination ? » Il se força à regarder Moiraine droit dans les yeux, d’un regard aussi ferme et soutenu que le sien. Ce n’était pas facile. Il la dominait par la taille, mais elle était une Aes Sedai. « En êtes-vous responsable, Moiraine ? L’avez-vous tenu en bride si serré que fou d’impatience il s’en est allé n’importe où, faire n’importe quoi, rien que pour ne plus rester les bras croisés ? » Les oreilles de Loial se raidirent et il leva une main aux doigts massifs dans un geste qui se voulait un avertissement furtif.

La tête inclinée de côté, Moiraine dévisagea Perrin et ce dernier dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas baisser les yeux. « Je n’en suis pas responsable, répliqua-t-elle. Il est parti au cours de la nuit. Quand, comment, pourquoi, j’en suis encore à espérer l’apprendre. »

Les épaules de Loial se soulevèrent dans un silencieux soupir de soulagement. Silencieux pour un Ogier, ce soupir résonna comme la vapeur fusant du bac où est plongé un fer rouge. « Ne mettez jamais en colère une Aes Sedai, dit-il dans un chuchotement manifestement destiné à lui-même mais audible par tous. Mieux vaut étreindre le soleil qu’irriter une Aes Sedai. »

Min allongea le bras juste assez pour tendre à Perrin une feuille de parchemin pliée. « Loial est passé le voir après que nous l’avons mis au lit, hier soir, et Rand a demandé à emprunter une plume, de l’encre et du parchemin. »

Les oreilles de l’Ogier tressautèrent et il plissa le front avec tant d’anxiété que ses longs sourcils descendirent le long de ses joues. « J’ignorais ce qu’il projetait. Franchement.

— Nous le savons, dit Min. Personne ne vous accuse, Loial. »

Moiraine regarda le billet d’un air désapprobateur, mais elle ne tenta pas d’empêcher Perrin de le lire. L’écriture était celle de Rand.

Ce que je fais, je le fais parce que je n’ai pas d’autre solution. Il me pourchasse de nouveau et, cette fois, l’un de nous doit mourir, je pense. Inutile que ceux qui m’entourent meurent aussi. Trop de gens sont déjà morts pour moi. Je ne tiens pas non plus à mourir et je ne mourrai pas si je peux l’éviter. Il y a des mensonges dans les rêves et la mort, mais les rêves contiennent aussi des vérités.

Rien de plus, et pas de signature. Perrin n’avait pas besoin de se demander qui Rand entendait par ce « il ». Pour Rand, pour eux tous, il ne pouvait y avoir qu’un nom résonnant en écho derrière ce « il ». Ba’alzamon.

« Il a laissé ça glissé sous la porte là-bas, expliqua Min d’une voix étranglée. Il a pris quelque vieux habits que les gens du Shienar avaient suspendus au-dehors pour qu’ils sèchent, sa flûte et un cheval. Rien d’autre à part un peu de nourriture, pour autant que nous le sachions. Aucune sentinelle n’a remarqué son départ et, la nuit dernière, elles auraient repéré le passage d’une souris.

— Qu’elles le voient aurait été de quelle utilité ? commenta Moiraine avec calme. Qui aurait arrêté le Seigneur Dragon ou l’aurait même interpellé ? Quelques-uns – Masema, pour n’en citer qu’un – se couperaient la gorge si le Seigneur Dragon l’ordonnait. »

Ce fut au tour de Perrin de fixer Moiraine droit dans les yeux. « Vous attendiez-vous à autre chose ? Ils ont juré de le suivre. Que la Lumière m’assiste, Moiraine, jamais il ne se serait proclamé Dragon si ce n’est à cause de vous. Qu’attendiez-vous d’eux ? » Elle ne répondit rien et il poursuivit d’un ton plus pondéré : « Le croyez-vous, Moiraine, qu’il est vraiment le Dragon Réincarné ? Ou pensez-vous seulement qu’il est quelqu’un à utiliser avant que le Pouvoir Unique le tue ou le rende fou ?

— Du calme, Perrin, intervint Loial. Pas tant de mauvaise humeur.

— Je me calmerai quand elle m’aura répondu. Eh bien, Moiraine ?

— Il est ce qu’il est, répliqua-t-elle sèchement.

— Vous avez dit que le Dessin finirait par le pousser vers le bon chemin. Est-ce cela qui se passe ou bien Rand essaie-t-il simplement de vous échapper ? » Pendant un instant, il eut l’impression d’être allé trop loin – les yeux noirs de Moiraine étincelaient de colère –, mais il se refusa à battre en retraite. « Eh bien ? »

Moiraine prit une profonde aspiration. « Il se pourrait que ce soit ce qu’a choisi le Dessin, toutefois je ne voulais pas qu’il parte seul. En dépit de toute sa puissance, il est à de nombreux points de vue aussi désarmé qu’un enfant au maillot, et aussi ignorant du train du monde. Il canalise, mais il ne maîtrise pas la venue du Pouvoir Unique quand il désire l’atteindre et guère plus ce qu’il accomplit avec le Pouvoir quand celui-ci répond à son appel. Le Pouvoir lui-même le tuera avant qu’il coure le risque de devenir fou s’il n’apprend pas cette maîtrise. Il a tant à apprendre encore. Il veut courir avant de savoir marcher.

— Vous coupez les cheveux en quatre et tracez de fausses pistes, Moiraine, rétorqua ironiquement Perrin. S’il est ce que vous dites qu’il est, ne vous êtes-vous jamais avisée qu’il sait peut-être mieux que vous ce qu’il a à faire ?

— Il est ce qu’il est, répéta Moiraine d’un ton ferme, mais il faut que je le maintienne en vie s’il doit réussir quoi que ce soit. Mort, il n’accomplira aucune prophétie et, même en admettant qu’il parvienne à éviter les Amis du Ténébreux et les Engeances de l’Ombre, mille autres mains sont prêtes à le massacrer. Une allusion à la centième partie de ce qu’il est suffirait. Pourtant n’aurait-il que cela à affronter, je serais moitié moins inquiète que maintenant. Il y a les Réprouvés à prendre en compte. »

Perrin sursauta ; dans son coin, Loial émit un gémissement. « Le Ténébreux et tous les Réprouvés sont enchaînés dans le Shayol Ghul », commença mécaniquement Perrin, mais Moiraine ne lui laissa pas le temps de finir.

« Les sceaux faiblissent, Perrin. Quelques-uns sont rompus, bien que le monde l’ignore. Et doive l’ignorer. Le Père des Mensonges n’est pas libre. Pas encore. Néanmoins, comme les sceaux deviennent de plus en plus fragiles, quels Réprouvés se sont déjà échappés ? Lanfear ? Sammael ? Asmodée ou Be’lal ou Rahvin ? Ishamael lui-même, le Traître à l’Espoir ? Ils étaient treize en tout, Perrin, et enfermés sous scellés, mais pas dans la prison qui détient le Ténébreux. Treize des Aes Sedai les plus puissants de l’Ère des Légendes, le moins efficace d’entre eux supérieur aux dix Aes Sedai les plus fortes qui existent aujourd’hui, le plus ignorant possédant toute la force de l’Ère des Légendes. Et chacun d’eux, homme et femme, a renié la Lumière et voué son âme à l’Ombre. Que va-t-il se passer s’ils sont libres et guettent Rand ? Je ne veux pas les laisser s’emparer de lui. »

Perrin frissonna, en partie à cause de la volonté d’acier qui résonnait dans ces dernières paroles et en partie à la pensée des Réprouvés. Il regimbait à l’idée que même un seul des Réprouvés soit lâché en liberté sur terre. Sa mère avait utilisé leurs noms comme épouvantails quand il était tout jeune. Ishamael s’empare des petits garçons qui ne disent pas la vérité à leur mère. Lanfear guette dans la nuit les garçons qui ne vont pas se coucher quand ils sont censés se mettre au lit. Avoir grandi ne servait à rien, pas maintenant qu’il les savait tous réels. Pas maintenant que Moiraine annonçait qu’ils étaient peut-être libres.

« Enfermés dans le Shayol Ghul », murmura-t-il et il aurait aimé y croire encore. Troublé, il étudia de nouveau la lettre de Rand. « Des rêves. Il parlait aussi de rêves, hier soir. »

Moiraine se rapprocha et leva les yeux pour examiner son visage. « Des rêves ? » Lan et Uno entrèrent à ce moment, mais, d’un geste, elle leur intima de se taire. La petite pièce était maintenant bondée avec cinq personnes en plus de l’Ogier. « Quels rêves as-tu faits, toi, ces jours-ci, Perrin ? » Elle ne tint pas compte de sa protestation que ses rêves n’avaient rien d’anormal. « Raconte, insista Moiraine. Quel rêve as-tu eu qui n’était pas ordinaire ? Vas-y. » Son regard le gardait captif comme des tenailles de forge, lui imposant de parler.

Il jeta un coup d’œil aux autres – ils l’observaient sans désemparer, même Min – puis, d’une voix hésitante, il raconta le seul rêve qui lui paraissait inhabituel, le rêve qui se reproduisait chaque nuit. Le rêve de l’épée qu’il ne parvenait pas à toucher. Il ne mentionna pas le loup qui était apparu dans le dernier.

« Callandor », dit Lan dans un souffle quand il eut fini. En dépit de ses traits apparemment taillés dans le roc, il avait l’air suffoqué.

« Oui, répliqua Moiraine, mais nous devons en avoir une absolue certitude. Interroge les autres. » Comme Lan sortait précipitamment, elle se tourna vers Uno. « Et vos rêves à vous ? Avez-vous aussi rêvé d’une épée ? »

Le guerrier passa d’un pied sur l’autre. L’œil rouge peint sur son cache fixait Moiraine, mais son vrai œil cillait et se dérobait de-ci de-là. « Je rêve de fich… heu, d’épées constamment, Moiraine Sedai, dit-il d’un ton guindé. Je suppose que j’ai rêvé d’une épée, ces nuits-ci. Je ne me rappelle pas mes rêves comme le Seigneur Perrin ici s’en souvient. » Moiraine questionna. « Loial ? – Mes rêves sont toujours les mêmes, Moiraine Sedai. Les bosquets, les Grands Arbres et le stedding. Nous autres les Ogiers, nous rêvons toujours des steddings quand nous en sommes éloignés. » L’Aes Sedai se retourna vers Perrin. « Ce n’était qu’un rêve, déclara-t-il. Rien qu’un rêve.

— J’en doute, rétorqua Moiraine. Tu as décrit la salle appelée le Cœur de la Pierre, dans la forteresse appelée la Pierre de Tear, comme si tu y étais entré. Et l’épée brillante est Callandor, l’Épée qui n’est pas une épée, l’Épée-qui-ne-peut-pas-être-touchée. »

Loial redressa brusquement le buste, se cognant le crâne contre le toit. Il ne sembla pas s’en apercevoir. « Les Prophéties du Dragon affirment que la Pierre de Tear ne capitulera jamais avant que Callandor soit brandie par la main du Dragon. La chute de la Pierre de Tear sera un des signes majeurs de la Renaissance du Dragon. Si Rand détient Callandor, le monde entier doit le reconnaître comme étant le Dragon.

— Peut-être. » Le mot sortit des lèvres de l’Aes Sedai comme un fragment de glace flottant sur l’eau tranquille.

« Peut-être ? répéta Perrin. Peut-être ? Je croyais que c’était la preuve ultime, la dernière étape de l’accomplissement de vos Prophéties.

— Ni la première ni la dernière, dit Moiraine. Callandor ne sera qu’un accomplissement du Cycle de Karaethon comme sa naissance sur les pentes du Mont-Dragon était le premier. Rand a encore à dompter les nations ou à bouleverser le monde. Même les érudits qui ont passé leur vie à étudier les Prophéties ne savent pas les interpréter toutes. Que signifie qu’il tuera les siens avec l’épée de paix et les détruira avec la feuille ? Que signifie qu’il asservira les neuf lunes pour son usage ? Cependant, ces prophéties-là sont considérées comme du même poids que Callandor dans le Cycle. Il y en a d’autres. Quelles blessures de folie et suppression d’espoir a-t-il guéries ? Quelles chaînes a-t-il brisées et qui a-t-il enchaîné ? Et certaines sont tellement obscures qu’il pourrait bien les avoir accomplies, ces Prophéties, sans que je m’en sois aperçue. En tout cas, non. Callandor est loin d’être la phase finale. »

Perrin haussa les épaules avec malaise. Il ne connaissait que des bribes éparses des Prophéties ; il aimait les entendre moins encore depuis que Rand avait laissé Moiraine lui mettre cette bannière entre les mains. Non, même avant cela. Depuis qu’un voyage par une Pierre Porte l’avait convaincu que sa vie était liée à celle de Rand.

Moiraine poursuivait : « Si vous croyez qu’il a simplement à tendre la main, Loial fils d’Arent fils de Halan, vous êtes stupide, autant que lui s’il le pense. Même s’il reste vivant jusqu’à Tear, il risque fort de ne jamais arriver à la Pierre.

« Les Tairens n’aiment pas le Pouvoir Unique et éprouvent moins encore de sympathie pour quiconque prétend être le Dragon. Canaliser est interdit et, au mieux, les Aes Sedai sont tolérées à condition qu’elles ne canalisent pas. Réciter les Prophéties du Dragon ou même en posséder un exemplaire suffit à vous envoyer en prison dans la ville de Tear. Et nul ne pénètre dans la Pierre de Tear sans l’autorisation des Grands Seigneurs ; nul autre que les Puissants Seigneurs eux-mêmes ne pénètre dans le Cœur de la Pierre. Rand n’est pas préparé à cela. Pas prêt. »

Perrin gémit tout bas. La Pierre ne tomberait que lorsque le Dragon tiendrait Callandor. Comment, au nom de la Lumière, est-il censé la prendre – à l’intérieur d’une sacrée forteresse ! – avant que la forteresse ne se soit rendue ? C’est fou !

« Pourquoi restons-nous assis là les bras croisés ? s’exclama Min. Si Rand se rend à Tear, pourquoi ne le suivons-nous pas ? Il pourrait être tué ou… ou… Pourquoi attendons-nous là ? »

Moiraine posa la main sur la tête de Min. « Parce qu’il me faut une certitude, dit-elle avec douceur. Ce n’est pas une situation confortable que d’être choisi par la Roue pour être grand ou approcher la grandeur. L’élu de la Roue ne peut qu’accepter ce qui lui échoit.

— Je suis lasse de subir ce qui me tombe dessus. » Min se passa vigoureusement la main sur les yeux. Perrin pensa voir des larmes. « Rand pourrait être mort pendant que nous sommes là à attendre. » Moiraine caressa les cheveux de Min ; le visage de l’Aes Sedai reflétait une expression ressemblant presque à de la pitié.

Perrin s’assit sur le lit de Lan, à l’extrémité opposée de celle où était installé Loial. Dans la pièce régnait une pesante odeur d’humanité – d’êtres humains, d’inquiétude et de peur ; de Loial émanait aussi la senteur de livres et d’arbres autant que d’inquiétude. Perrin avait la sensation d’être enfermé dans un piège, avec ces murs qui les enserraient et eux tous quasiment les uns sur les autres. Les éclats de bois résineux empestaient. « Comment mes rêves peuvent-ils indiquer où va Rand ? questionna-t-il. Ce sont mes rêves à moi.

— Ceux qui ont la faculté de canaliser le Pouvoir Unique, répliqua Moiraine à mi-voix, ceux qui possèdent une Force Spirituelle particulière sont capables parfois d’imposer leurs rêves à d’autres. » Elle n’avait pas cessé ses caresses apaisantes sur la tête de Min. « Principalement sur ceux qui sont… réceptifs. Je ne crois pas que Rand ait agi volontairement, mais les rêves de ceux qui sont en contact avec la Vraie Source sont quelquefois puissants. Pour quelqu’un d’aussi fort que Rand, ses rêves s’imposeraient à un village entier ou peut-être même à une ville. Il ne sait pas très bien ce qu’il fait et sait encore moins le maîtriser.

— Alors pourquoi n’avez-vous pas rêvé aussi ? s’insurgea Perrin. Ou Lan ? » Uno regarda droit dans le vide, avec l’air d’avoir envie d’être ailleurs, et les oreilles de Loial s’affaissèrent. Perrin était trop fatigué et trop affamé pour se soucier de témoigner le respect convenable dû à une Aes Sedai. Et trop irrité aussi, il s’en rendit compte. « Pourquoi ? »

Moiraine lui répondit avec calme. « Les Aes Sedai apprennent à protéger leurs rêves. Je protège mes rêves sans y penser. Les Liges reçoivent à peu près la même possibilité quand ils prêtent le serment d’allégeance. Les Gaidins ne seraient pas aptes à accomplir ce dont ils sont chargés si l’Ombre pouvait s’introduire subrepticement dans leurs rêves. Nous sommes tous vulnérables quand nous dormons et l’Ombre est forte pendant la nuit.

— On apprend toujours du nouveau avec vous, commenta Perrin avec agacement. Ne pouvez-vous nous dire de temps en temps à quoi nous attendre, au lieu de donner des explications une fois que c’est arrivé ? »

À voir Uno, il cherchait un prétexte pour s’esquiver.

Moiraine décocha à Perrin un regard sévère. « Tu veux que je partage avec toi en un seul après-midi une vie entière de connaissances ? Je te dirai ceci. Prends garde aux rêves, Perrin Aybara. Prends-y bien garde. »

Perrin détourna les yeux. « J’y veille, murmura-t-il. J’y veille. »

Après quoi, ce fut le silence, un silence que personne ne paraissait désirer rompre. Min contemplait ses chevilles croisées, mais tirait apparemment un certain réconfort de la présence de Moiraine. Uno était appuyé à la paroi, ne regardant personne. Loial s’oublia au point d’extirper un livre de sa poche de tunique et s’efforça de lire dans la clarté diffuse. L’attente fut longue et loin d’être plaisante pour Perrin. Ce n’est pas l’Ombre que je crains dans mes rêves. Ce sont les loups. Je ne veux pas les laisser y pénétrer. Je m’y refuse !

Lan revint et Moiraine se redressa d’un mouvement vif. Le Lige répondit à la question qu’il lisait dans ses yeux. « La moitié d’entre eux se rappellent avoir rêvé d’épées ces quatre dernières nuits. Quelques-uns se souviennent d’une salle avec de grandes colonnes et cinq précisent que l’épée était en cristal ou en verre. Masema dit avoir vu Rand la tenir, la nuit dernière.

— De la part de celui-là, cela n’a rien d’étonnant », commenta Moiraine. Elle se frotta les mains avec entrain ; elle semblait soudain bouillonner d’énergie. « J’ai maintenant la confirmation qu’il me fallait. Toutefois, j’aimerais aussi savoir comment il est parti d’ici sans être vu. S’il a redécouvert un Talent de l’Ère des Légendes… »

Lan tourna la tête vers Uno et le borgne eut un haussement d’épaules contrit. « Bigre, j’avais oublié avec toutes ces sacrées histoires de fichus… » Il s’éclaircit la gorge, en jetant un coup d’œil à Moiraine. Elle lui adressa en retour un regard interrogateur et il reprit : « Je veux dire… heu… voilà, j’ai suivi la piste du Seigneur Dragon. À présent, une autre voie existe pour pénétrer dans cette vallée close. Le… la paroi du fond s’est effondrée quand la terre a tremblé. La pente est raide, mais l’escalader avec un cheval n’est pas impossible. J’ai découvert d’autres empreintes au sommet et, à partir de là-haut, il y a une piste facile pour contourner la montagne. » Il poussa un long soupir quand il eut fini.

« Bien, conclut Moiraine. Au moins n’a-t-il pas redécouvert comment voler, se rendre invisible ou quelque méthode appartenant à la légende. Il faut que nous le suivions sans délai. Uno, je vais vous donner assez d’or pour voyager, vous et les vôtres jusqu’à Jehannah, ainsi que le nom de quelqu’un là-bas qui veillera à vous en fournir davantage. Les gens du Ghealdan se méfient des étrangers mais, si vous restez entre vous, ils vous laisseront tranquilles. Attendez là-bas que je vous envoie un message.

— Mais nous voulons vous accompagner, protesta Uno. Nous avons tous juré de suivre le Dragon Réincarné. Je ne vois pas comment le peu que nous sommes peut s’emparer d’une forteresse qui n’a jamais été conquise, mais, avec l’aide du Seigneur Dragon, nous ferons ce qui doit être fait.

— Alors nous voilà désormais le Peuple du Dragon. » Perrin eut un rire sans joie. « La Pierre de Tear ne tombera que lorsque surviendra le Peuple du Dragon. Nous avez-vous donné un nouveau nom, Moiraine ?

— Surveille ta langue, forgeron », grommela Lan, tout glace et pierre.

Moiraine leur adressa à chacun un regard sévère, et ils se turent. « Pardonnez-moi, Uno, dit-elle, mais nous devons voyager rapidement si nous voulons avoir un espoir de rattraper Rand. Vous êtes le seul du Shienar en assez bonne forme pour une rude chevauchée et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les journées dont les autres auront besoin pour récupérer complètement leurs forces. Je vous enverrai chercher dès que je pourrai. »

Uno eut une grimace de contrariété, mais s’inclina en signe d’obéissance. Ainsi congédié, il redressa les épaules et sortit avertir ses compagnons.

« En tout cas, je viens aussi, quoi que vous disiez, déclara Min d’un ton ferme.

— Vous partez pour Tar Valon, lui dit Moiraine.

— Absolument pas ! »

L’Aes Sedai continua avec aisance comme si la jeune femme n’avait rien dit. « Le Siège de l’Amyrlin doit être informé de ce qui s’est passé et je ne peux pas compter découvrir une personne de confiance qui possède des pigeons voyageurs. Ni que l’Amyrlin voie un message que j’enverrais par pigeon. C’est un long trajet et un trajet pénible. Je ne vous enverrais pas seule s’il y avait quelqu’un pour vous accompagner, mais je veillerai à ce que vous ayez de l’argent et des lettres qui pourront vous être utiles en cours de route.

Il faut que vous marchiez bon train, toutefois. Quand votre cheval sera fatigué, achetez-en un autre… ou volez-en un s’il le faut, mais pressez l’allure.

— Qu’Uno emporte votre message. Il est en bonne forme, vous l’avez dit. Je m’en vais retrouver Rand.

— Uno a ses obligations personnelles, Min. Et croyez-vous qu’un homme n’ait qu’à s’avancer jusqu’aux portes de la Tour Blanche et demander une audience au Siège de l’Amyrlin ? Même un roi serait obligé d’attendre des journées entières s’il se présentait sans être annoncé et les Shienariens quels qu’ils soient seraient obligés de faire le pied de grue pendant des semaines sinon éternellement, j’en ai peur. Sans compter qu’une circonstance aussi inhabituelle serait connue dans Tar Valon avant le premier coucher du soleil. Peu de femmes sollicitent d’être reçues par l’Amyrlin en personne, mais cela arrive et ne donnerait pas lieu à une foule de commentaires. Personne ne doit même apprendre que l’Amyrlin a reçu de moi un message. Il pourrait y aller de sa vie – et de la nôtre. Il n’y a que vous en mesure de vous rendre là-bas. »

Min resta assise à ouvrir et fermer la bouche, visiblement à la recherche d’un autre argument, tandis que Moiraine continuait déjà : « Lan, je crains fort de voir davantage de traces de son passage que je ne l’aimerais, mais je me repose sur ton talent de traqueur. » Le Lige inclina la tête. « Perrin, Loial ? Voulez-vous venir avec moi chercher Rand ? »

De sa place, adossée au mur, Min émit une exclamation d’indignation étranglée, mais l’Aes Sedai n’en tint pas compte.

« Je viendrai, répondit sans hésiter Loial. Rand est mon ami. Et, j’en conviens volontiers, je ne voudrais pas manquer cela. Pour mon livre, vous comprenez. » Perrin fut plus lent à réagir. Rand était son ami, quel qu’il soit devenu dans la forge de la destinée. Sans oublier cette quasi-certitude que leurs avenirs étaient liés, bien qu’il eût préféré éviter cela s’il l’avait pu. « Il le faut, n’est-ce pas ? finit-il par dire. Je viendrai.

— Bien. » Moiraine se frotta de nouveau les mains, avec l’air de quelqu’un qui se met au travail. Préparez-vous tous, immédiatement. Rand a des heures d’avance sur nous. Je veux être sur sa piste avant midi. »

Si frêle qu’elle fût physiquement, la force de sa personnalité les fit se diriger en troupe vers la porte sauf Lan, Loial marchant courbé jusqu’à ce qu’il en eût franchi le seuil. Perrin songea à une fermière poussant des oies devant elle.

Une fois dehors, Min s’attarda une minute pour s’adresser à Lan avec un sourire perfidement charmeur. « Y a-t-il un message que vous voulez transmettre ? À Nynaeve, par exemple ? »

Le Lige cligna des paupières comme pris par surprise, tel un cheval sur trois pieds. « Est-ce que tout le monde est au courant… » Il reconquit son sang-froid presque aussitôt. « S’il y a quelque chose d’autre qu’elle a besoin d’apprendre, je le lui dirai moi-même. » Il lui claqua pratiquement la porte au nez.

« Ah ! les hommes ! marmotta Min à l’adresse du battant. Trop aveugles pour voir ce que verrait une pierre, et trop entêtés pour que l’on puisse s’attendre à ce qu’ils usent leur cervelle pour réfléchir. »

Perrin respira à fond. De faibles odeurs de mort subsistaient dans l’air du vallon, mais cela valait mieux que l’atmosphère confinée à l’intérieur du chalet. Un peu mieux.

« De l’air frais, dit Loial dans un soupir. La fumée commençait à me gêner. »

Ils se mirent à descendre la pente ensemble. Au-dessous d’eux, à côté du ruisseau, les guerriers capables de se tenir debout étaient groupés autour d’Uno. D’après sa façon de gesticuler, le borgne compensait le temps perdu à se retenir de jurer.

« Comment êtes-vous devenus privilégiés, vous deux ? questionna Min avec brusquerie. Elle vous a demandé. Elle ne m’a pas accordé la politesse de me poser la question. »

Loial secoua la tête. « Je pense qu’elle a demandé parce qu’elle savait ce que nous répondrions, Min. Moiraine a l’air en mesure de lire en moi et en Perrin ; elle sait comment nous réagirons. Par contre, pour elle, vous êtes tel un livre fermé. »

Min n’en parut que très légèrement radoucie. Elle leva les yeux vers ses compagnons, d’un côté Perrin qui la dominait de la tête et des épaules et de l’autre Loial qui était encore plus grand. « Cela me fait une belle jambe. Je me rends tout de même où elle le veut avec autant de docilité que vous deux petits agneaux. Tu t’es bien défendu pendant un moment, Perrin. Tu lui as tenu tête comme si elle t’avait vendu un bliaud qui craque aux coutures.

— Ainsi je lui ai tenu tête, hein ? » répéta Perrin avec étonnement. Il ne s’en était pas vraiment rendu compte. « Cela n’a pas été aussi difficile que je l’aurais cru.

— Vous avez eu de la chance, déclara Loial de sa voix de basse. Irriter une Aes Sedai, c’est se fourrer la tête dans un nid de frelons.

— Loial, dit Min, j’ai besoin de parler à Perrin. Seule à seul. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

— Oh ! certes non. » Il allongea le pas à son allure normale et les distança rapidement, tirant sa pipe et sa blague à tabac d’une poche de sa tunique.

Perrin observa Min d’un œil soupçonneux. Elle se mordait la lèvre, soupesant apparemment ce qu’elle s’apprêtait à dire. « As-tu déjà vu des choses pour lui ? » questionna-t-il en désignant l’Ogier d’un mouvement de menton.

Elle secoua la tête. « Je crois que cela ne s’applique qu’aux humains. Par contre, j’ai vu des choses autour de toi qu’il faut que tu connaisses.

— Je te répète…

— Ne sois pas plus entêté que nécessaire, Perrin. Là-haut, juste après que tu as annoncé que tu accompagnerais Moiraine. Elles n’y étaient pas avant. Elles doivent avoir un rapport avec ce voyage. Ou du moins avec ta décision de partir. »

Au bout d’un instant, il demanda à regret : « Qu’est-ce que tu as vu ?

— Un Aiel dans une cage, répondit-elle aussitôt. Un Tuatha’an avec une épée. Un faucon et un épervier, perchés sur tes épaules. Deux femelles, je pense. Et tout le reste, naturellement. Ce qu’il y a toujours. Des ténèbres qui tourbillonnent autour de toi et…

— Ne me parle pas de ça ! » s’exclama-t-il vivement. Quand il fut sûr qu’elle garderait le silence, il se gratta la tête en réfléchissant. Rien n’avait de sens à ses yeux. « As-tu une idée de ce que cela signifie ? Les choses nouvelles, j’entends.

— Non, mais elles sont importantes. Ce que je vois est toujours important. » Elle hésita une seconde en lui jetant un coup d’œil. « Une chose encore, reprit-elle avec lenteur. Si tu te trouves en face d’une femme… la plus belle que tu aies jamais rencontrée… prends tes jambes à ton cou. »

Perrin cligna des paupières. « Tu as aperçu une jolie femme ? Pourquoi devrais-je fuir une jolie femme ?

— Ne peux-tu suivre un conseil sans discuter ? » répliqua-t-elle avec irritation. Elle lança un coup de pied à un caillou et le regarda dévaler la pente.

Perrin répugnait à juger à la légère – c’est une des raisons pour lesquelles d’aucuns le taxaient de lenteur d’esprit –, mais il additionna un certain nombre de propos que Min avait tenus ces jours derniers et aboutit à une conclusion surprenante. Il s’arrêta net, cherchant ses mots. « Heu… Min, tu sais que je t’aime bien. Je t’aime mais… Heu… je n’ai jamais eu de sœur mais, si j’en avais eu une, je… je veux dire, toi… » Le flot de paroles chaotique s’interrompit comme elle levait la tête pour le regarder en haussant les sourcils. Elle arborait un petit sourire.

« Voyons, Perrin, tu dois savoir que je t’aime aussi. » Elle regarda s’agiter les lèvres de Perrin, puis ajouta avec lenteur et circonspection : « Comme un frère, espèce de grand dadais à la tête de bois ! La prétention des hommes ne cessera jamais de me stupéfier. Tant que vous êtes, vous croyez que tout se rapporte à vous et que toutes les femmes obligatoirement vous désirent. »

Perrin se sentit rougir. « Je n’ai jamais… je ne… » Il s’éclaircit la voix. « Qu’est-ce que tu as vu à propos d’une femme ?

— Tiens seulement compte de mon conseil, répliqua Min qui se remit à descendre vers le ruisseau, d’un pas rapide. Oublie le reste si tu veux, lança-t-elle par-dessus son épaule, mais souviens-toi de ça ! »

Il fronça les sourcils en la suivant des yeux – pour une fois, ses pensées s’ordonnèrent rapidement – puis la rejoignit en deux enjambées. « C’est Rand, n’est-ce pas ? »

Min émit un son étouffé dans sa gorge et lui jeta un coup d’œil de côté. Néanmoins, elle ne ralentit pas l’allure. « Peut-être n’es-tu pas tellement stupide, finalement », marmonna-t-elle. Peu après, elle commenta comme pour elle-même : « Je suis reliée à lui aussi sûrement qu’une douve l’est au tonneau. N’empêche que je suis incapable de deviner s’il m’aimera jamais en retour. Et je ne suis pas la seule.

— Est-ce qu’Egwene est au courant ? » demanda-t-il. Rand et Egwene étaient pratiquement promis l’un à l’autre depuis l’enfance. À ceci près qu’ils ne s’étaient pas agenouillés devant le Cercle des Femmes du village pour prononcer l’engagement des fiançailles. Il n’était pas sûr que les choses aient beaucoup changé entre eux sur ce point, si même elles avaient changé.

« Oui, elle est au courant, répliqua Min d’un ton bref. Cela nous avance bien toutes les deux.

— Et Rand ? Il est au courant aussi ?

— Oh, certes, dit-elle amèrement. Je le lui ai annoncé, évidemment. Rand, j’ai eu une vision à ton sujet et je dois, semble-t-il, tomber amoureuse de toi. Il faut aussi que je te partage et cela ne me plaît guère, mais c’est comme ça. En fin de compte, tu es un vrai prodige d’idiotie, Perrin Aybara. » D’un geste vif, elle se passa avec humeur la main sur les yeux. « Serais-je auprès de lui, j’arriverais à l’aider, j’en suis sûre. D’une manière ou d’une autre. La Lumière m’assiste, s’il meurt, je ne jurerai pas que je serai capable de le supporter. »

Perrin remua les épaules, gêné. « Écoute, Min, je lui prêterai assistance au mieux de mes possibilités. » Pour ce que cela vaut. « Je te le promets. Franchement, aller à Tar Valon est la meilleure solution pour toi. Tu y seras en sécurité.

— En sécurité ? » Elle prononça le mot comme si elle se demandait ce qu’il signifiait. « Tu penses que Tar Valon est un lieu sûr ?

— S’il n’y a pas de sécurité à Tar Valon, il n’y en a nulle part. »

Elle eut un reniflement dédaigneux et, sans plus parler, ils se remirent en marche pour rejoindre ceux qui se préparaient à partir.

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