Chapitre XIV

Son visage se crispa et, silencieusement, il se mit à pleurer.

Un silence pesant se prolongea plusieurs secondes. Georges Bear semblait avoir vieilli de vingt ans en dix minutes. Pamela Balzer, dépassée, croisait et décroisait les jambes comme une sauterelle folle. Elle était venue dans cette chambre pour harponner définitivement un fiancé grâce à une séance sexuelle comme elle savait en programmer et elle se retrouvait en pleine politique-fiction, avec des gens parlant de sujets qu’elle ne comprenait pas. Elle avait beaucoup de peine à imaginer que ce petit bonhomme falot qui faisait l’amour comme un lapin puisse bouleverser l’équilibre du monde.

Quant aux Juifs, c’était une notion quasi inconnue pour elle. Les journaux et la télé ne l’intéressaient pas, à part les reportages sur les princesses et les milliardaires.

— Donnez-moi des détails, demanda Georges Bear. Je n’arrive pas à vous croire.

Malko lui communiqua toutes les précisions dont il disposait. L’ingénieur canadien l’écoutait attentivement, posait parfois une question, fumant avec nervosité.

Chris Jones et Pamela Balzer commençaient à trouver le temps long. Malko sentait que son interlocuteur était ébranlé. Il assena le coup final en mentionnant le réseau anti-missiles d’Israël et ses lacunes. Les traits de Georges Bear se défirent un peu plus : il se retrouvait en terrain connu.

— Vous êtes certain que les Irakiens vont disposer très vite de l’arme nucléaire ? demanda-t-il.

— D’après les meilleurs experts, dit Malko, il ne leur manquait guère que des krytrons. Selon les informations en possession de la CIA, ils ont développé leur technologie nucléaire dans trois centres : Azbel, Mossoul et Tuwartha. Ils peuvent maintenant, en moins de trois mois, assembler plusieurs « têtes » nucléaires susceptibles d’être utilisées par votre super-canon. À propos, cela ne vous gênait pas de participer au massacre de centaines de milliers d’iraniens en les bombarbant d’obus chimiques ?

Georges Bear eut un geste désabusé.

— Ce n’est pas moi qui ai construit des usines d’obus chimiques en Irak. Ce sont les Anglais. Mon métier, c’est de fabriquer des canons ; ce qu’on met dedans ne me regarde pas.

Évidemment, Werner Von Braun, avant d’expédier une fusée dans la lune pour le compte des Américains et de la NASA avait fabriqué pour le compte du régime nazi des VI et V2 pour bombarder Londres. C’était inutile d’engager ce genre de discussion. Malko changea son fusil d’épaule.

— Êtes-vous aussi d’accord pour la destruction d’Israël ? demanda-t-il.

Georges Bear secoua lentement la tête.

— Non, je vous le jure, je ne veux pas être l’homme qui porterait cette responsabilité.

— Et pourtant, martela Malko, c’est ce qui va se produire… Vos réticences ne pèseront pas lourd en face de Saddam Hussein et les Irakiens ont maintenant tout à pied d’œuvre. Je suppose que les ingénieurs irakiens n’ont plus besoin de vous pour mettre en service vos super-canons ?

— Non, pas vraiment, reconnut l’ingénieur canadien. Mais ce n’est pas aussi simple.

Malko crut avoir mal compris.

— Ils ne peuvent donc pas se passer de vous ?

— Si, si, corrigea Bear. Mais toutes les parties du canon n’ont pas été livrées. Avec ce qu’ils ont déjà, ils ne peuvent pas faire fonctionner mes canons.


* * *

Georges Bear semblait faire un effort surhumain sur lui-même pour parler d’une voix calme. Il enchaîna devant le regard interrogateur de Malko.

— C’est vrai que le plus gros est déjà monté. Les pièces les plus encombrantes ont été forgées en Grande-Bretagne et en Italie. Ce qui constitue les tubes et les affûts. Mais il manque le principal : le mécanisme hydraulique de recul et les culasses. C’est moins encombrant, mais sans cela les canons ne peuvent pas tirer…

Malko n’en croyait pas ses oreilles. Voilà pourquoi Georges Bear était toujours en Europe.

— Où est ce matériel ? demanda-t-il.

L’ingénieur canadien le fixa sans aménité.

— Ne me prenez pas pour un imbécile ! Je ne suis pas encore certain que vous me disiez la vérité. Je travaille avec les Irakiens depuis deux ans, ils se sont toujours avérés des partenaires corrects. Aussi, je dois vérifier ce que vous prétendez savoir.

— Ce sera très difficile, objecta Malko, c’est un secret que les Irakiens gardent jalousement. Même pour vous.

La réponse ne se fit pas attendre.

Alors, comment l’avez-vous su ?

Par recoupements, expliqua Malko. L’affaire des krytrons est encore secrète. Mais l’incident de Roissy est public : il y a eu trois policiers tués. Nous savons maintenant que votre ami Tarik Hamadi avait rendez-vous à Berchtesgaden avec l’homme qui lui a procuré les krytrons, un certain Farid Badr. Un Libanais.

Je ne l’ai jamais rencontré.

— Il est mort aussi, assassiné par les hommes de main de Tarik Hamadi. Ce dernier tenait à supprimer toute trace menant à l’Irak. Il y est parfaitement parvenu. Sans Pamela Balzer, vos canons seraient braqués sur Israël dans quelques mois et l’apocalypse nucléaire menacerait. Alors, supposez que vous arriviez à être certain que je vous dis la vérité, que pouvez-vous faire ? Ils n’hésiteront pas à vous supprimer. Vous ne leur êtes plus absolument indispensable, n’est-ce pas ?

L’ingénieur canadien ne répondit pas immédiatement, plongé dans une profonde méditation. Il releva la tête pour dire d’une voix changée.

— Si j’arrive à être certain de ce que vous avancez, je vous dirai comment récupérer ces pièces essentielles avant qu’elles n’atteignent l’Irak. De façon à ce que mes canons ne puissent jamais être utilisés.

Il s’arrachait visiblement un bras. Malko éprouvait une satisfaction profonde. Sa longue traque l’avait enfin mené au cœur du problème.

Mais il était maintenant entre les mains de Georges Bear. Le kidnapper pour le torturer était contraire à son éthique et, de plus, les Irakiens réagiraient immédiatement en accélérant leur processus. Il était obligé de lui faire confiance. Même si cela représentait un risque énorme.

— Que me proposez-vous ? demanda-t-il.

Georges Bear, en train de fixer Pamela, sursauta, puis retomba sur terre.

— De me laisser ici maintenant, dit-il. Il ne me faut pas longtemps pour savoir si vous mentez. Si ce n’est pas le cas, je vous attendrai chez moi, demain, à la même heure et je vous permettrai de neutraliser mon œuvre.

Il en avait les larmes aux yeux.

— Si je fais cela, ajouta-t-il, les Irakiens ne me le pardonneront jamais. Je veux que vous me protégiez, ainsi que Miss Balzer.

— Vous serez mis dans un avion militaire américain avec elle, aussitôt le problème réglé, s’engagea Malko. On vous assurera tout ce qui est nécessaire pour commencer une nouvelle vie, y compris sur le plan financier.

L’ingénieur canadien balaya le problème.

— J’ai assez d’argent pour vivre tranquillement.

Malko se leva et lui tendit la main.

— À demain. Appelez ce numéro une heure avant. Demandez quand votre voiture peut être révisée. Votre ligne est sûrement sur écoutes.

L’ingénieur canadien lui ouvrit la porte de la chambre. Visiblement, il trépignait d’impatience à l’idée de se retrouver seul avec Pamela Balzer.

Une fois dans le couloir, Chris Jones, rembruni, émit un gros soupir.

— Vous prenez un sacré risque… lança-t-il.

— C’est parfois indispensable, dit Malko. Je crois qu’il est sincère. Et puis, je n’ai pas tellement le choix.

Il restait à mettre la CIA au courant de ce retournement inespéré. Et à prier Dieu pour que Georges Bear tienne sa promesse.


* * *

À peine furent-ils seuls que Georges Bear se précipita sur Pamela Balzer et la serra dans ses bras.

— Ah ! je n’en pouvais plus ! soupira-t-il. J’ai très peu de temps.

Ses mains parcouraient déjà avidement le corps de la jeune femme. Il finit par relever sa jupe, découvrant un porte-jarretelles bleu nuit, qui maintenait des bas gris arachnéens arrêtés très haut sur les cuisses fuselées. Le contact de la chair chaude au-dessus du nylon arracha un jappement de plaisir à l’ingénieur canadien. Pour l’instant, rien n’existait au monde que cette sensation. Il introduisit ses doigts sous le slip, atteignit son contenu, le caressa maladroitement.

Pamela Balzer gémit poliment et lui rendit la politesse. Il l’arrêta d’un cri.

Non ! J’ai trop envie.

Elle réussit avec des précautions inouïes à sortir son sexe de son pantalon, mais dès qu’elle l’effleurait, il se dérobait. Il dégagea ses seins, fit sauter leurs pointes hors du soutien-gorge, les embrassa, arrachant enfin un vrai gémissement à Pamela qui appréciait cette caresse légère. Elle aussi commençait à s’animer. Ce sexe modeste ne la dégoûtait pas. Georges Bear gémit.

Je te veux ! Je te veux !

Il arracha le slip minuscule qui ne gênait en rien, mais ça l’excitait de voir la petite boule de dentelle noire à ses pieds. Ils titubaient au milieu de la chambre et Pamela Balzer tenta de l’entraîner vers le lit. Il la fit seulement basculer sur le canapé, le dos tourné vers lui. Il lui semblait que son sexe avait doublé de volume. Elle se laissa faire, amusée par cette furie.

Le pantalon sur les chevilles, échevelé, haletant, Georges Bear lui remonta la jupe jusqu’aux hanches, découvrant le haut des cuisses et les fesses pleines. Il s’agenouilla derrière elle, la ramenant vers lui en la tirant par les hanches.

Je veux te prendre comme l’autre jour, dit-il.

À la fois impérieux et implorant.

Pamela gloussa, sans répondre. Après la défection de Kurt de Wittenberg, elle n’avait pas tellement le choix.

À genoux sur les coussins trop mous, Georges Bear se guida vers l’entrée de ses reins et s’y enfonça d’un coup, sans même avoir essayé son sexe. Surpris de la facilité avec laquelle il avait pénétré l’étroit orifice, il commença un lent va et vient, jouissant de chaque seconde. Pamela se cambra pour l’aider à mieux la pénétrer. Prudemment, elle s’était massée avec une huile aromatisée avant de venir retrouver son amant.

Comme la première fois, Georges Bear explosa très vite, bramant comme un cerf, expérimentant une volupté comme il n’en avait jamais connue…

Quand il se dégagea, Pamela lui sourit. Amoureusement.

Tu fais bien l’amour, dit-elle.

Il aurait grimpé aux rideaux… Maintenant, il fallait affronter les vraies difficultés. Pour la première fois, il réalisa que sa vie était en jeu.


* * *

Morton Baxter avait écouté le récit de Malko, bouche bée, affichant une incrédulité croissante. Il finit par dire, d’une voix pleine de scepticisme :

— Ce n’est pas possible ! Ce Georges Bear travaille pour les Irakiens depuis des années. Il n’a pas pu se laisser mener en bateau de cette façon… Il sait qu’ils vomissent les Israéliens.

— C’est un savant, plaida Malko. Il se moque de l’utilisation pratique de ses découvertes. Je crois qu’il dit la vérité.

Une secrétaire entra, tenant à la main une épaisse liasse de documents. Les analystes continuaient à évaluer l’étendue des dégâts. L’Américain parcourut ce qu’on venait de lui apporter et hocha la tête.

— Les « Cousins »[19] se sont sûrement sucrés dans cette affaire. Ils prétendent n’avoir rien vu. Alors que la plupart des grosses pièces ont été usinées en Grande-Bretagne. Eux aussi ont besoin d’argent pour leurs petites affaires secrètes.

— Vous avez pu vérifier si Georges Bear dit la vérité en ce qui concerne le matériel livré ?

L’Américain regarda encore les documents avant de répondre.

Je crois que c’est vrai. Nous avons pu pointer tout ce qui est déjà arrivé en Irak. Cela représente 80 % du total. Le reste est dans la nature, mais a déjà été livré par les différentes usines, emporté par des camions. Nous en possédons une liste partielle, mais inutilisable. Il y a des Roumains, des Bulgares, des Britanniques, des Grecs. Tout cela a dû être transbordé sur des navires depuis.

— Et le mécanisme de recul ?

L’Américain fouilla longuement dans son dossier avant d’annoncer :

— Voilà. Commandé à Eagle Trust pour 55 000 livres sterling. Livré et emporté sur un camion roumain il y a quinze jours.

— Donc, avec nos moyens, il n’y a aucune chance d’empêcher les Irakiens de mener à bien Osirak ? insista Malko.

— Nous ne pouvons pas fouiller toute l’Europe.

— Georges Bear, s’il change de camp, est donc le seul à pouvoir nous aider, conclut Malko.

— Exact, reconnut Morton Baxter de mauvaise grâce. Mais je n’y crois guère.

— Attendons demain, dit Malko. Je retourne à l’Amigo.

Il avait hâte de retrouver Pamela Balzer saine et sauve. De nouveau, c’était son meilleur atout. Il avait laissé les deux « gorilles » dans le hall du Hilton en protection rapprochée, avec mission de ne pas la lâcher d’une semelle. Les Irakiens n’avaient sûrement pas renoncé à la liquider.


* * *

Tarik Hamadi dissimula sa rage sous un sourire mielleux.

— Où étiez-vous ? Vous avez semé mes hommes.

Georges Bear soutint son regard sans faiblir.

— Je voulais revoir Pamela Balzer. Elle est d’accord pour venir avec moi en Irak. Quand partons-nous ?

L’Irakien réussit à dire d’une voix presque calme :

— Je vous avais dit de ne pas revoir cette fille. Nous partirons demain dès que le chargement sera terminé. Nous assurerons votre sécurité jusqu’à l’embarquement. Mais il faut se méfier des Américains, ils vont sûrement tenter de vous retenir. Et encore plus des Israéliens…

Georges Bear fit comme s’il n’avait pas entendu.

— Pourquoi avez-vous tenté de faire assassiner Pamela Balzer ? demanda-t-il d’une voix calme.

Tarik Hamadi ne s’attendait pas à cette question. Il masqua son embarras d’un sourire.

— Qui vous a dit cela ?

— Elle, avec des détails qui prouvent qu’elle dit la vérité. Vous avez même fait sauter son appartement, à Vienne.

L’Irakien lui jeta un regard de commisération.

— Georges, dit-il, vous rendez des services immenses à notre pays et, nous, Irakiens, vous en serons toujours reconnaissants. Jusqu’ici, personne ne connaissait nos liens. J’ai eu l’imprudence de vous présenter Pamela Balzer sans savoir qu’elle travaillait pour les Services américains et israéliens. Une informatrice. Dans son métier, cela arrive souvent. Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai tout fait pour vous protéger. Pour cela, il n’y avait qu’une chose à faire : cisailler le lien entre vous et nous. J’ai agi dans votre intérêt.

Georges Bear ne répliqua pas : il connaissait les règles féroces des opérations clandestines. L’Irakien lui disait au moins une partie de la vérité. C’est vrai que l’Irak avait beaucoup d’ennemis. Édifié sur ce point, il reprit son interrogatoire.

— Vous ne m’aviez pas dit que vous aviez l’intention d’utiliser mon canon pour lancer des charges nucléaires sur le territoire israélien, lança-t-il d’une voix ferme.

Tarik Hamadi crut que le ciel lui tombait sur la tête. Maudissant intérieurement la CIA et cette salope de Pamela Balzer. Celle-là, il lui arracherait les yeux de ses propres mains. Le regard de Georges Bear fixé sur lui comme un laser l’embarrassait. Il se jeta à l’eau, pour crever l’abcès.

— Je ne devrais même pas vous parler de cela, dit-il. C’est un secret d’État. Mais, comme toujours, les Sionistes ont altéré la vérité. Celle-ci est simple. Nous sommes leur pire ennemi. Nous savons qu’à un moment donné, ils vont être obligés de vitrifier leurs ennemis arabes, parce qu’ils sont débordés. Ni la Syrie, ni la Jordanie, ni même la Libye ne disposent d’armes pour leur répliquer. Grâce à vous et à d’autres amis – Allah leur vienne en aide –, nous sommes en train de mettre au point une dissuasion nucléaire qui maintiendra la paix dans la région. Vous y avez, sans le savoir, apporté votre contribution.

Georges Bear ne dit rien, plongé dans ses pensées. Donc l’agent de la CIA n’avait pas menti.

— Pourquoi ne m’avoir rien dit ? demanda-t-il.

Tarik Hamadi eut un geste d’impuissance désolée.

— Seul notre Président pouvait vous en parler. J’aurais encouru une lourde sanction en vous mentionnant ce projet. Il s’agit d’une affaire encore plus « fermée » que la vôtre. Mais je crois savoir que le Président avait l’intention de vous mettre au courant dès votre retour à Bagdad.

Le silence retomba. Georges Bear passa la main dans ses cheveux, il semblait convaincu par les explications de l’Irakien et ce dernier en éprouva un soulagement indicible. Pour détourner la conversation, il demanda :

— Vous désirez donc emmener Pamela Balzer avec vous ?

— Absolument.

Tarek Hamadi demeura impassible : l’homme en face de lui était le protégé personnel de son Président.

Très bien, dit-il. Je vais prendre les dispositions nécessaires pour qu’elle ne manque de rien. Le voyage risque d’être long.

Il se leva, mettant fin à l’entretien. Le jour commençait à tomber et les voitures klaxonnaient dans l’avenue de Floride.

— Vous avez votre voiture ? demanda-t-il.

— Absolument.

— Un véhicule de chez nous va vous escorter jusqu’au garage, cela vaut mieux. Ne bougez plus de votre appartement jusqu’au départ. Les Américains ou les Israéliens pourraient vouloir vous enlever.

Il regarda l’ingénieur canadien monter dans l’ascenseur et rentra en toute hâte dans son bureau pour envoyer un télex codé à Bagdad. Il fallait modifier les plans. Plus question maintenant d’attendre le moment propice pour frapper Israël. Les Sionistes allaient réagir, tenter de détruire les canons. Heureusement, c’était presque impossible, car ils étaient profondément enterrés dans des emplacements hyper-secrets.

Il y avait le risque qu’Israël les vitrifie : mais Shamir ne pouvait pas prendre ce risque moral vis-à-vis de la communauté internationale… L’Irak avait besoin encore de trois mois pour les dernières mises au point. La Mauritanie avait accepté, moyennant une somme d’argent considérable, de prêter son territoire désertique pour des essais nucléaires. Les krytrons étaient maintenant hors de portée des Américains. Il restait le maillon faible : Georges Bear. Impossible d’évaluer exactement ses « adhérences » avec les Services adverses. Mais, dans quelques heures, il ne pourrait plus nuire. Tarik Hamadi alluma un gros cigare pour chasser de son esprit une pensée sournoise autant qu’horrible. Et si l’ingénieur canadien avait retourné sa veste pour des raisons morales ? S’il se préparait à les trahir ? Il était en possession d’une information susceptible de faire capoter tout le plan Osirak. L’Irakien demeura le regard dans le vide, contemplant les frondaisons du parc en face. Son instinct lui disait qu’il fallait liquider Georges Bear pour éviter tout risque.

Seulement, c’était impossible. Jamais le Président Saddam Hussein ne donnerait son feu vert. Et pourtant l’ingénieur canadien ne leur était plus indispensable. Il appela le standard et demanda à entrer en contact avec le Président de l’Irak.


* * *

Georges Bear surveillait dans le rétroviseur la Mercedes de ses « baby-sitters » irakiens. Pare-chocs contre pare-chocs. Impossible de les semer. Sa conversation avec Tarik Hamadi l’avait édifié. Il en bouillait encore d’indignation. Toutes les informations en sa possession se recoupaient. Heureusement qu’il avait rencontré Pamela Balzer. Grâce à elle, il allait retrouver le bonheur et éviter une catastrophe nucléaire.

Au lieu de se rendre chez lui, il remonta l’avenue Louise, contourna le Palais Royal pour gagner la rue de la Régence et descendit vers la place du Grand-Sablon. Il tenait absolument à prévenir tout de suite l’agent de la CIA qu’il le croyait. Et Pamela qu’ils allaient partir ensemble. Son téléphone étant écouté par les Irakiens et peut-être maintenant par les Services belges, il fallait trouver quelque chose.

Place du Grand-Sablon, il bifurqua à droite, s’arrêta et pénétra chez Wittemer, le plus grand chocolatier de Bruxelles. La Mercedes s’arrêta devant, un peu plus loin.

Georges Bear ressortit avec une grosse boîte de chocolat, son péché mignon, et aperçut un fleuriste deux boutiques plus loin. Il y alla à pied, commanda une superbe gerbe composée et demanda une carte et une enveloppe. Sur celle-ci il écrivit le nom de Pamela, le numéro de sa chambre et l’adresse de l’Amigo. Sur la carte : « Demain nous partons pour Rotterdam. Préviens ton ami. »

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