Chapitre XIII

Georges Bear contemplait, accablé, le coffre éventré de son bureau. Tarik Hamadi dissimulait sa fureur en tiraillant sa grosse moustache, luttant contre une furieuse envie d’étrangler l’ingénieur canadien. Son imprudence était la cause de cet enchaînement de catastrophes. Tout un édifice si soigneusement protégé jusque-là, des mois de tractations secrètes ! Même les Services britanniques, qui avaient flairé une partie de la vérité, avaient décidé de ne pas s’y intéresser pour se venger des Iraniens et, aussi, parce que l’Irak était un important partenaire commercial. C’était une firme britannique qui avait aidé les Irakiens à créer leur première usine de gaz binaires mortels, dont on avait vu les effets sur les Kurdes…

— Qu’y avait-il dans ce coffre ? demanda-t-il, se raccrochant à un minuscule espoir.

— Tout, avoua Georges Bear. Vous m’avez affirmé que c’était l’endroit le plus sûr.

Tarik Hamadi sentit le sang se retirer de son visage. C’était maintenant une question d’heures. Dieu merci, la catastrophe survenait assez tard, mais leurs adversaires pouvaient encore leur nuire considérablement.

— Il n’est pas question que vous restiez à Bruxelles, dit-il à Georges Bear. Il faut vous exfiltrer immédiatement, par la voie prévue.

— Je n’ai pas terminé ici, protesta l’ingénieur canadien. Il y a encore beaucoup de choses à vérifier dans les livraisons, il faut que je sélectionne les programmes informatiques que j’emporte.

L’Irakien balaya ses objections d’un geste tranchant.

— Dès qu’ils auront analysé le contenu de ce coffre, l’enfer va se déchaîner. Il ne faut pas que vous soyez ici.

» Quant aux livraisons, les derniers éléments arriveront après-demain au plus tard. Ils sont déjà en route. Cela m’étonnerait qu’ils parviennent à les intercepter. Prenez vos dispositions.

Pour la première fois, Georges Bear affronta le regard de l’Irakien.

— Si je pars, annonça-t-il, je veux emmener Pamela Balzer.

Tarik Hamadi eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Ainsi, tout ce qu’il avait dit n’avait servi à rien ! Son regard s’assombrit, mais il parvint à se maîtriser pour dire d’une voix presque calme.

— Vous êtes fou ! Après ce que je vous ai dit ! Cette fille est passée du côté des Américains. C’est devenu notre pire ennemie.

— Je crois que vous vous trompez, insista l’ingénieur. De toute façon, si elle vient avec nous, elle ne pourra plus trahir. Une fois en Irak, comment communiquerait-elle ? Vous y veillerez…

C’était un argument de poids. Tarik Hamadi se dit qu’il était tellement dans la merde qu’il ne fallait pas en rajouter. Georges Bear était fou de la call-girl. Il serait toujours temps de liquider celle-ci discrètement en Irak. Ce n’étaient pas les moyens qui manquaient.

— Très bien, admit-il, conciliant. À une seule condition. Ne lui dites rien d’avance. Simplement, vous lui donnez rendez-vous et vous l’emmenez à Rotterdam. Une fois sur le bateau, elle ne sera plus dangereuse.

— Parfait, accepta Georges Bear. Je m’en occupe. Avant, je dois tout vérifier sur les chargements.


* * *

— Ce projet est d’une gravité exceptionnelle !

L’ingénieur de l’armement Richard Wolleger, attaché au quartier général de l’OTAN et convoqué d’urgence à l’ambassade américaine de Bruxelles releva la tête, après avoir pris connaissance d’une flopée de documents saisis dans le coffre de la CTC. La table de conférence du chef de station disparaissait sous les papiers. Tous les agents de la station disposant d’une habilitation avaient été mobilisés pour les décrypter, les trier, les analyser. Dans une pièce voisine, d’autres agents, renforcés de membres de la Military Intelligence, téléphonaient dans tous les azimuts, vérifiant point par point ce que les documents révélaient.

Installé à son bureau, Morton Baxter, le chef de station, rédigeait des câbles à destination de Langley aussi vite qu’il pouvait écrire. Un de ses adjoints pénétra dans le bureau et annonça d’une voix découragée.

— Je viens d’avoir les Forges Walter Somers, à Birmingham. Ils ont déjà livré quarante-huit des cinquante-deux éléments constituant la commande de la CTC. Il s’agit d’éléments de tuyaux d’acier de 480 mm de diamètre et de cinq mètres de long. Ce contrat avait été signé il y a deux ans pour 1,6 millions de livres sterling[18]. Ils pensaient qu’il s’agissait d’éléments de pipe-line.

Richard Wolleger haussa les épaules.

— Ce sont des imbéciles ou des menteurs ! On n’a jamais vu des éléments de « pipe-line » coulés dans cette qualité d’acier. Elle permet des mouvements latéraux de 60°. On n’a jamais vu ça pour un pipe ! En plus, ces tubes peuvent résister à des pressions énormes, qui n’ont rien à voir avec les véritables pipe-lines.

Accablé, Morton Baxter se mit à rédiger un télégramme de plus. Depuis l’aube, cela n’arrêtait pas. Le dépouillement avait commencé tout de suite, au retour du « cambriolage », Malko n’avait guère dormi plus de deux heures et avait hâte de retourner prendre une douche à l’Amigo et voir ce qu’il advenait de Pamela Balzer, toujours sous la garde des « gorilles » et d’Elko Krisantem. Il faudrait une opération de guerre pour atteindre la jeune call-girl. Mais après les découvertes de la nuit, son rôle devenait nettement moins important.

— Avez-vous fait le point ? demanda Malko à Morton Baxter ?

Le chef de station leva sur lui un visage accablé, aux traits tirés par la fatigue.

— Oui. D’après l’analyse des documents dont vous vous êtes emparé, il apparaît que Georges Bear a conçu pour l’Irak un super-canon, auprès duquel les canons de Navarone ne sont qu’une aimable plaisanterie. Un engin capable de tirer des missiles à des distances supérieures à 400 kilomètres, avec une vitesse initiale qui en fait des projectiles balistiques impossibles à intercepter par le système anti-missile des Israéliens.

— À quel stade en est la construction de cette arme ?

— Au stade final. C’est une opération qui dure depuis près de deux ans, au nez et à la barbe de tous les grands Services de renseignements. C’est Georges Bear, qui l’a conçu, puis qui a commandé à travers toute l’Europe les différentes pièces de ce sinistre puzzle. Sous divers paravents. Matériel de forage, pipe-line, pièces de machines-outils.

— Mais enfin, personne ne s’est douté de rien ? s’insurgea Malko.

L’Américain frotta son pouce contre son index en un geste éloquent.

— Des centaines de millions de dollars ont été investis dans ce projet, totalement au profit de diverses firmes européennes, souvent aux abois. Ils ont préféré ne pas se poser trop de questions.

— Et les Israéliens ?

— Eux non plus n’ont rien vu, ils ne pénètrent pas beaucoup le milieu industriel et il ne s’agissait pas à proprement parler de trafic de matériel de guerre puisque, théoriquement, tous les morceaux de ces canons avaient des destinations civiles.

— Vous dites ces canons ?

— Oui. D’après les documents, trois sont prévus. Les tubes sont déjà en place à des emplacements complètement secrets, non loin de la frontière jordanienne, braqués sur Israël. Ils sont d’abord testés à Karbala, où les Irakiens ont un énorme complexe industriel de fabrication de missiles. Le projet 395.

» C’est là aussi qu’est testé le combustible solide destiné à propulser le projectile du super-canon. Les morceaux de tubes qui n’ont pas encore été livrés sont seulement des éléments de rechange…

Les Irakiens avaient bien joué… Malko repensa à l’élément le plus important de cette histoire terrifiante.

— Et les krytrons ?

— C’était l’élément qui manquait apparemment aux Irakiens pour fabriquer des projectiles nucléaires destinés au super-canon de Georges Bear. Mais cette partie n’est pas mentionnée dans ces documents. Nous en sommes réduits aux hypothèses. Hélas, plus que vraisemblables. Avec la combinaison de l’invention de Bear et de têtes nucléaires, l’Irak pourra détruire Israël avec une seule volée de ces canons d’enfer. C’est un tout petit pays. Il n’y a pas quarante kilomètres entre Tel-Aviv et Jérusalem…

L’exemple de la guerre chimique menée contre les Kurdes était là pour rappeler que Saddam Hussein ne reculait devant rien. Maintenant toute l’affaire était lumineuse. L’Irak avait réussi à se procurer les éléments d’une bombe atomique et le vecteur pour la transporter.

— Les Israéliens ne se laisseront pas faire, objecta Malko. Même s’ils sont atteints par des projectiles nucléaires, ils riposteront et rayeront l’Irak de la carte… fit observer Malko.

Le chef de station de la CIA eut un geste d’impuissance.

— Au Moyen-Orient, nous sommes dans un univers irrationnel. L’Irak est une dictature féroce, menée par un seul homme, Saddam Hussein, qui veut le leadership de cette partie du monde. Même si cela doit lui coûter quelques centaines de milliers de morts. Le prix à payer pour apparaître comme un héros dans l’imagerie populaire arabe.

Malko ne répliqua pas, sachant que l’Américain avait raison. L’Irak avait bien mené une guerre idiote contre l’Iran, par haine pure, qui lui avait coûté un million de morts. Alors, contre Israël… Il n’arrivait pas à comprendre comment un projet aussi explosif avait pu être mené à bien sans que les Services occidentaux soient au courant. Morton Baxter dut deviner sa pensée, car il continua.

— Dans les documents que vous avez ramenés, nous avons découvert une imbrication avec une importante firme belge d’explosifs. Eux ne se sont pas fait d’illusions, mais ils avaient besoin de cette commande pour ne pas faire faillite. Il y en a sûrement d’autres dans le même cas.

Décourageant.

— Que nous reste-t-il à faire, dans ce cas ? interrogea Malko. Puisqu’il est trop tard.

— Pas grand-chose, je le crains, avoua Morton Baxter. Les krytrons sont dans la nature et il semble bien que pratiquement tout le matériel commandé ait déjà été livré à l’Irak. Il ne reste plus que les pressions diplomatiques dont ils se moquent comme de leur première djellaba.

— Si c’était le cas, dit Malko, pourquoi se sont-ils donné tant de mal pour nous empêcher de parvenir à Georges Bear ?

— Ils voulaient conserver le secret le plus longtemps possible. Frapper Israël par surprise. Maintenant, nous nous trouvons devant une situation potentiellement explosive. Il est impossible de dissimuler aux Israéliens nos dernières découvertes. Avec un homme comme Shamir au pouvoir, il risque de se livrer à une attaque préventive.

— Ils l’ont déjà fait il y a quelques années, fit remarquer Malko. En bombardant le réacteur nucléaire de Tammouz.

— Exact, mais cette fois, cela ne suffirait pas. La seule prévention serait de vitrifier l’Irak…

Un ange passa, ployant sous le poids des bombes atomiques accrochées à ses ailes. Évidemment, cela ne ferait pas de peine à beaucoup de monde. En tout cas, pas aux Iraniens et aux Syriens… Mais quel risque d’escalade ! Si les Israéliens ne détruisaient pas les canons de Georges Bear, le Moyen-Orient tout entier risquait de connaître l’apocalypse nucléaire.

L’Américain se leva. Visiblement épuisé.

— J’ai besoin de quelques heures de plus pour une évaluation précise de la situation. Revenez me voir ce soir. Nous vérifions ce qui a déjà été acheminé. Cela prend un temps fou. Quarante personnes ne s’occupent plus que de cela dans plusieurs pays. Nous centralisons tout sur l’ordinateur principal de Langley.


* * *

Pamela Balzer tournait comme un lion en cage sous la surveillance d’Elko Krisantem qui portait une longue estafilade sur la joue gauche. À peine Malko pénétra-t-il dans la chambre que la call-girl se rua sur lui.

— Ce salaud de Turc m’empêche de sortir !

Elko lui jeta un œil noir. Encore une candidate pour son lacet. Sans le respect dû à Malko, il l’aurait transformée en pulpe et elle n’aurait plus eu envie de sortir…

— Où voulez-vous aller ? demanda-t-il.

— Georges Bear m’a appelée. Il veut me voir. Il a des problèmes. Il pense que les Irakiens veulent le kidnapper. Il a réussi à leur fausser compagnie.

— Où est-il ?

— Cela ne vous regarde pas.

Malko haussa les épaules et s’assit sur le lit.

— Dans ce cas, vous ne bougez pas…

Pamela Balzer vint se planter devant lui. Flamboyante de fureur.

— Vous ne m’avez pas encore assez emmerdée ? Ce type est dingue de moi. Il veut m’arracher à toute cette merde. C’est ma dernière chance, puisque votre salope de copine m’a piqué mon fiancé.

Elle semblait sincère, mais pouvait aussi se faire manipuler.

— D’accord, fit Malko, allez le voir, mais je viens avec vous. Je veux lui parler.

Pamela Balzer ricana.

— Comme vous avez parlé aux deux types du château… Vous allez le tuer, oui !

— Je ne suis pas un assassin, protesta Malko. De plus j’ai une proposition à lui faire qui vous intéresse aussi.

— Laquelle ?

— Une façon de vous sortir tous les deux d’affaire. Alors ?

Elle regarda sa montre puis lâcha à regret.

— Il m’attend dans une chambre de l’hôtel Hilton.

Ce n’était pas uniquement pour parler.

— Je vous y emmène, dit Malko. Mais ne me tendez pas de piège, cela serait à ses dépens et aux vôtres. Quand je lui aurai parlé, je vous laisserai avec lui.

Étant donné l’évolution des événements, il ignorait ce qu’il pouvait tirer de Georges Bear, mais cela valait la peine d’essayer.

Il changea de chambre pour retrouver Chris Jones en train de démonter son Beretta 92 automatique. Milton Brabeck jouait aux fléchettes en parcourant un Penthouse d’un œil lubrique.

— Remontez vos jouets, dit Malko. Nous allons nous promener.

Chris Jones déplia ses cent quatre-vingt-douze centimètres avec un sourire gourmand.

— On règle nos comptes ?

— Non, seulement « baby-sitting ». Avec la dame que vous aimez tellement.

Ils rougirent comme des enfants de chœur et Malko se demanda soudain si Pamela Balzer n’avait pas commencé à les corrompre à sa façon…


* * *

Les couloirs du Hilton étaient aussi déserts que silencieux. À cette heure, les clients étaient dehors. Milton Brabeck demeura près de l’ascenseur pour éviter une surprise et Malko accompagna Pamela Balzer, flanquée de Chris Jones. La jeune femme s’arrêta devant la porte de la chambre 645 et frappa trois coups.

Une voix mal assurée demanda, au bout de quelques instants :

— Pamela ?

— Oui, c’est moi.

— Tu es seule ?

— Oui.

Bruits de serrure, la porte s’entrebâilla. Malko eut le temps d’apercevoir le crâne déplumé de Georges Bear avant que la masse musculeuse de Chris Jones ne repousse le battant comme une tornade.

L’ingénieur canadien qui se trouvait derrière fut repoussé si violemment qu’il culbuta sur la moquette, arrêté par un canapé. Le temps de se remettre sur ses pieds, il plongeait la main dans une serviette de cuir et la ressortait armée d’un Herstall et pressait la détente !

La balle frôla Malko et pulvérisa un sous-verre. Pamela Balzer poussa un hurlement et tenta de s’enfuir, stoppée net par un croc-en-jambe de Chris Jones qui la fit se retrouver à plat ventre sur la moquette… Le second coup ne partit jamais. Le « gorille » d’un revers puissant avait arraché l’arme de la main de Georges Bear. Le Herstall atterrit dans un coin de la pièce, hors de portée de son propriétaire.

Ses rares cheveux en bataille, les yeux hors de la tête, l’ingénieur canadien se rua vers la porte, ceinturé aussitôt par Malko.

— Appelle la police ! cria-t-il à-Pamela. Ils vont nous tuer.

D’un geste précis, Chris Jones arracha aussitôt le fil du téléphone… Malko glissa à l’oreille de Georges Bear.

— Monsieur Bear, nous ne voulons pas vous tuer, mais simplement bavarder avec vous… Nous ne sommes pas des Israéliens.

L’autre tourna la tête et Malko croisa son regard surpris. Il relâcha un peu sa prise et finit par le laisser libre. Pamela Balzer, remise debout, le visage mauvais, remontait ses bas. Malko se tourna vers elle.

— Dites-lui qui nous sommes. Et ce que nous avons fait pour vous… Au château d’Amboise et à Vienne.

De mauvaise grâce, la call-girl lança à son amant.

— Ils ont empêché les autres de me zigouiller !

— Les autres ? Quels autres ? interrogea Georges Bear.

— Vos amis irakiens, répondit Malko. Ils ont tenté de tuer Pamela Balzer à deux reprises.

Un bref éclair passa dans le regard de l’ingénieur canadien.

— Ils ont réalisé que par elle on pourrait remonter jusqu’à vous ?

— Exact.

Pour la première fois depuis le début de cette histoire de fous, Malko commençait à avoir une vision globale des choses, qui avait le mérite de tout expliquer. Il fallait encore pouvoir la vérifier.

On frappa à la porte et une voix de femme inquiète demanda à travers le battant.

— Tout va bien ? Nous avons entendu du bruit.

Malko alla ouvrit la porte et se heurta à une femme de chambre qu’il accueillit avec un sourire désarmant.

— Tout va très bien, dit-il. Pourquoi ?

— Oh, rien ! J’avais cru entendre une explosion, s’excusa la femme de chambre.

— Ce n’était pas ici, assura Malko en refermant le battant.

Georges Bear s’était calmé. De toute évidence, choqué par ce qu’il venait d’apprendre, il dévorait Pamela Balzer des yeux.

La jeune femme, installée sur le divan, les jambes croisées assez haut pour révéler la majeure partie de ses interminables jambes, gardait son visage fermé, ne s’adoucissant que lorsque l’ingénieur posait les yeux sur elle.

Elle avait trouvé un fiancé de rechange…

— Mr Bear, dit-il, j’appartiens à la Central Intelligence Agency et vous n’êtes pas forcé de me croire, mais Miss Balzer est au courant d’un certain nombre de faits facilement vérifiables. C’est nous qui avons cambriolé vos bureaux. Ce qui nous a permis de découvrir les plans de votre super-canon. Vous aviez déjà travaillé pour les Irakiens et cela ne m’étonne pas.

Georges Bear l’interrompit d’une voix amère.

— Si les gens de Washington avaient été moins obtus, je travaillerais toujours pour mon pays.

Malko le calma d’un geste apaisant.

— Pas de polémique. Je veux simplement m’assurer que vous êtes conscient d’être sur le point de déclencher un conflit majeur au Proche-Orient, un conflit nucléaire.

Il avait appuyé sur le dernier mot. Georges Bear le fixa avec une expression de totale incompréhension.

— De quoi parlez-vous ? Les Irakiens m’ont demandé de leur construire des armes à longue portée leur permettant de frapper Téhéran avec des obus chimiques si l’Iran les attaquait de nouveau avec de puissantes forces blindées pour prendre Bagdad. Leurs informations indiquent que les Iraniens renforcent sans cesse leur potentiel militaire pour une attaque surprise.

L’ingénieur canadien semblait parfaitement sincère. Indigné, même. Malko commençait à entrevoir la vérité, le mécanisme secret de cette histoire en apparence décousue.

— Parfait, dit-il. Savez-vous que les Irakiens viennent de se procurer les derniers éléments qui leur manquaient pour construire des charges nucléaires. Il s’agit de krytrons, volés aux USA et de centrifugeuses spéciales, fournies par la Chine.

Georges Bear secoua lentement la tête.

— Non, mais je ne connais rien au nucléaire. Mes amis irakiens me disent au contraire qu’ils sont très loin d’avoir l’arme atomique.

Malko chercha le regard de l’ingénieur canadien et le fixa avec force.

— Mr Bear, dit-il, vos amis irakiens vous mentent. Ils vous ont de surcroît, manipulé. Ils ne veulent pas se défendre contre l’Iran, mais attaquer Israël. Très exactement, détruire tout ou une partie du territoire de l’État hébreu. Cela en combinant les canons que vous avez inventés et leurs armes nucléaires.

Le silence retomba. Malko pouvait voir les idées cheminer sous le crâne déplumé de Georges Bear. Le sang se retirait peu à peu de son visage, comme s’il était en train de s’éteindre. Son regard se voilait. Il serra ses mains l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler.

— Vous êtes certain de ce que vous dites ? demanda-t-il d’une voix blanche.

— Certain.

My God !

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