CHAPITRE XIV

— Grand Regency ! lança « Wild Harry » au chauffeur.

Dix minutes plus tard, le taxi stoppait sous l’auvent du Grand Regency, le plus moderne de Nairobi. Ils descendirent tous les trois et « Wild Harry » échangea quelques mots avec le Noir qui se dirigea vers le lobby de l’hôtel, loin devant eux.

La réception se trouvait tout de suite à droite, avant un escalier monumental menant à l’atrium de vingt étages, desservi par des ascenseurs transparents. Ils aperçurent le jeune Noir, son paquet à la main, qui discutait avec un employé de la réception. Il se dirigea ensuite vers les ascenseurs. « Wild Harry » et Malko sur ses talons.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Malko.

— Je lui ai acheté de la maraa, expliqua l’Américain. Il a dit au concierge qu’il venait la livrer à Ahmed Mohammed Omar. C’est courant. Donc, il lui a donné le numéro de sa chambre...

Ils sortirent de l’ascenseur tous les trois au septième étage. Laissant le « livreur » prendre quelques mètres d’avance. Ce dernier frappa à la porte du 722. Il parlementa quelques instants à travers le battant puis recula, l’air penaud, revenant vers les deux Blancs, avec son paquet.

— Il n’a pas voulu ouvrir ! fit-il. Il dit qu’il n’a rien commandé...

— C’est bon ! assura « Wild Harry ». Tu peux la garder.

Ravi, le Noir fila vers les ascenseurs, tandis que les deux hommes s’approchaient de la porte du 722. « Wild Harry » dépassa la chambre et s’arrêta devant le 726 dont la porte était ouverte, une femme de ménage étant en train de faire la chambre.

« Wild Harry » passa la tête dans la porte entrebâillée et lança avec un grand sourire.

Jambo ! J’ai oublié ma clef. Je suis au 722. Vous pouvez m’ouvrir ?

Hakuna matata, Bwana ! accepta aussitôt la femme de chambre, avec un grand sourire.

Elle les accompagna et glissa son passe magnétique dans la fente. Aussitôt, un voyant vert s’alluma, avec un léger claquement. La serrure était déverrouillée.

« Wild Harry » fit un clin d’oeil à Malko.

— On y va !


* * *

L’honorable membre du Parlement somalien Ahmed Mohammed Omar, allongé sur son lit, la tête bien calée sur des oreillers, contemplait avec une satisfaction non dissimulée son « bâton » de plus de vingt centimètres disparaître partiellement dans la bouche distendue d’une très jeune Noire qui n’avait gardé que son slip et une capeline rose...

C’est cette capeline qui avait excité l’honorable membre du parlement somalien. Il adorait le rose. D’ailleurs, après avoir levé la jeune pute dans le hall du Grand Regency, il ne s’était même pas déshabillé, gardant sa chemise et sa cravate rose, ouvrant simplement son pantalon. La fille s’était aussitôt mise au travail et faisait de son mieux. Pas assez pour l’honorable Ahmed Mohammed Omar. Se penchant en avant, 0 posa sa grande main sur la capeline, appuyant de toutes ses forces.

Suck me off ! lança-t-il.

Son membre imposant coincé au fond de son gosier, la jeune pute eut un sursaut et faillit vomir. Des larmes plein les yeux, elle s’interrompit quelques secondes pour lâcher d’une voix plaintive.

Bwana, tu es trop debout !

Elle fit cependant un effort, parvenant à avaler presque entièrement l’énorme bâton noir.

L’honorable Ahmed Mohammed Omar en ferma les yeux de bonheur. Ce séjour prolongé à Nairobi était quand même agréable. Il continuait à toucher ses indemnités parlementaires versées par les Nations-Unies et les activités qu’il avait exercées pour le compte de la CIA lui avaient permis d’amasser un joli pécule. En dollars, dans une banque dubaiote.

Revers de la médaille : quelques malfaisants auraient bien aimé le découper en morceaux. Son ultime coup d’éclat avait été d’attirer là où l’attendaient des membres des « Spécial Forces » américaines, un des dirigeants des tribunaux islamistes, lié à Al Qaida, recherché pour le meurtre de trois humanitaires américains.

Ce Somalien avait donc été transporté gratuitement par un hélicoptère Ils de la Ve Flotte sur l’USS Shamrock où un « spécial agent » du FBI lui avait lu ses droits, qui se résumaient à pas grand-chose, avant de lui plonger la tête dans une baignoire dont l’eau, selon le code militaire US, devait avoir au moins 20°.

Au-dessus, c’était de la torture.

Le lendemain de cette exfiltration réussie, Ahmed Mohammed Omar s’envolait pour Nairobi en compagnie du président du Gouvernement Transitoire Somalien, Abdelhalli Youssouf Ahmed. Financé par les Nations-Unies et les États-Unis, cette entité ne servait strictement à rien, sauf à entériner l’occupation éthiopienne de la Somalie destinée, en principe, à en faire revenir l’ordre dans ce no man’s land féroce.

Plus tard, le président Youssouf était retourné à Mogadiscio, mais Ahmed Mohammed Omar s’était installé à Nairobi, où il changeait souvent de résidence, afin d’allonger son espérance de vie. N’ayant aucune obligation, il se partageait entre la maraa et les innombrables putes de Nairobi, pour la plupart somaliennes, ce qui facilitait le dialogue. Soudain, le balancement de la croupe cambrée de sa fellatrice lui donna des idées.

Fouillant dans sa poche, il en sortit un préservatif roulé qu’il jeta à la fille.

— Arrête ! Je vais te casser le cabinet ! lança-t-il.

L’idée de sodomiser cette jeune croupe avec son membre imposant le mettait en transe.

Alors que la fille avait commencé à enfiler le préservatif sur son membre dressé à la verticale, il entendit un léger clic venant de la porte.

Son pouls grimpa comme une fusée et, inversement, son membre triomphant s’affaissa un peu.

— Eh, Bwana, je t’ai fait mal ? demanda la jeune pute, inquiète.

Ahmed Mohammed Omar ne répondit pas. Fixant la porte, sa main droite refermée autour de la crosse du vieux Colt 11,43 qui ne le quittait jamais, une balle dans le canon. Il se garda bien de dire à sa fellatrice de s’écarter. Disposée comme elle l’était, elle ferait un excellent bouclier, au cas où...


* * *

« Wild Harry » pesa sur la porte de la chambre 722, qui s’écarta de quelques centimètres, retenue par une chaîne. Sans hésiter, l’Américain prit son élan et projeta ses quatre-vingt-dix kilos sur le battant.

La porte se rabattit avec fracas, exposant l’intérieur de la chambre.

Au premier plan, une Noire gracile, agenouillée sur le lit, de trois quarts, devant un grand Noir qui braquait un gros pistolet automatique sur les intrus.

La détonation assourdissante fit trembler l’air. Le Noir venait de tirer, ratant « Wild Harry ». Ce dernier s’immobilisa, levant les mains au-dessus de sa tête et lança.

— Ahmed ! Tu ne reconnais plus tes amis ?

L’honorable Ahmed Mohammed Omar reposa son pistolet sans le lâcher, les yeux plissés de fureur, et de frustration.

— Qu’est-ce que vous foutez là ? gronda le Somalien.

— Surprise ! lança d’un ton volontairement léger « Wild Harry ». Je voulais prendre de tes nouvelles.

Malko se dit que l’honorable membre du parlement somalien avait vraiment une sale tête. Le front bosselé, comme frappé à coups de marteau, le nez comme une pomme de terre, une expression pleine de méchanceté sous des cheveux crépus très courts.

Le téléphone de la chambre sonna et le Somalien décrocha. Bredouillant quelques mots rassurants. La réception s’inquiétait du coup de feu.

— Tu as terminé avec Mademoiselle ? demanda « Wild Harry » d’un ton exquis. Je voudrais te parler.

Go away ! lança le Somalien à la jeune pute déjà en train de se rhabiller. Terrifiée. Avant qu’elle n’atteigne la porte, « Wild Harry » lui glissa un billet de 1000 shilings dans la main, avec un sourire complice.

Elle n’aurait pas tout perdu.

Ahmed Mohammed Omar se reculotta, gardant quand même son Colt à portée de la main. Il avait tellement trahi au cours de son existence, qu’il se méfiait toujours, même des vieux amis. Surtout des vieux amis...

— Tu n’as rien à boire ? demanda « Wild Harry ». Le Somalien secoua la tête.

— Non.

— On va au bar ?

— Non. Je ne sors pas. Comment vous m’avez trouvé ?

« Wild Harry » eut un geste évasif.

On retrouve toujours ses amis. Il y a longtemps que tu es à Nairobi ?

— Quelques semaines.

— Tu retournes à Mogadiscio ?

— Pas pour le moment.

Le Somalien l’observait, le regard minéral, tendu comme un fauve. « Wild Harry » se pencha vers lui.

— Ahmed, je ne suis pas venu te causer des ennuis. Au contraire, je peux te faire gagner de l’argent.

Le Somalien le regarda par en-dessous, méfiant.

— Comment ? Ça fait un moment que vous avez décroché.

« Wild Harry » éclata d’un rire joyeux.

— Ils ne pouvaient plus se passer de moi. J’ai repris du service. Et j’ai besoin de toi.

— Pourquoi faire ?

— Mon ami ici présent doit aller à Mogadiscio. Il a besoin d’une protection.

Le Somalien secoua la tête.

— Vous savez bien que je n’ai plus personne là-bas. Ce salaud de président Youssouf m’a forcé à démanteler ma milice.

— Je sais, mais tu as encore des relations. Mon ami doit pouvoir se déplacer sans trop de risques dans la ville.

— Qu’est-ce qu’il va faire ?

— Rencontrer quelqu’un.

— Je peux lui donner des contacts...

« Wild Harry » secoua lentement la tête.

— Ahmed, tu sais bien qu’on ne règle pas ce genre de truc au téléphone. Je veux que tu sois là-bas, quand il arrive, que tu l’accueilles et que tu le mettes en bonnes mains.

Le Somalien secoua la tête, le regard fuyant, buté.

No way. Mogadiscio, c’est trop dangereux.

— Même pour cent mille dollars ?

— Même pour un million de dollars.

« Wild Harry » se leva du lit avec un soupir à fendre l’âme.

— O.K., Ahmed, je n’insiste pas, mais tu devrais déménager d’ici. Vite.

— Pourquoi ?

« Wild Harry », avec un sourire angélique, enchaîna :

— Parce que je vais te balancer, Ahmed ! Je suis sûr que certaines personnes ignorent que tu te trouves ici, bien au chaud. Tu as fait courir le bruit que tu étais parti aux États-Unis. Tu te souviens de « Atto » Abu Ayub ?

— Cet enculé !

— Je ne connais pas ses mœurs sexuelles, mais tu m’as aidé, dans une autre vie, à envoyer ses deux frères à Guantanamo. Lui est toujours en liberté, quelque part à Mogadiscio. Je suis sûr qu’il aimerait bien te retrouver. Même si c’est en plusieurs morceaux...

L’Honorable Ahmed Mohammed Omar ne dit rien, mais sa grosse main noire saisit son Coït posé sur le lit et le braqua sur « Wild Harry ». Malko vit son pouce relever le chien.

— Salope ! siffla entre ses dents le Somalien.

« Wild Harry » ne broncha pas, mais remarqua d’une voix douce.

— Ahmed, je t’ai dit que je travaillais de nouveau pour la Maison. On sait que je te cherche. Tu aurais de gros ennuis si tu te laissais aller à tes mauvais instincts.

Pendant d’interminables secondes, l’arme resta braquée sur les deux hommes. Malko se dit que « Wild Harry » jouait à la roulette russe et qu’à ce jeu, on perdait quelquefois. Le Somalien était un tueur.

Lentement, celui-ci baissa son arme et lâcha entre ses dents.

— O.K., tu m’as dit 100000. Je commence à réfléchir quand j’en ai 50000.

— Voilà le langage de la raison, reconnut « Wild Harry » d’un ton conciliant. Je reviens te voir avant la fin de la journée. Maintenant que je connais le numéro de ta chambre. J’étais sûr que je pourrais compter sur toi.

Il se dirigea vers la porte et fit sortir Malko le premier. Le Somalien les regarda partir, tenant toujours son pistolet.

Dans le couloir, « Wild Harry » éclata de rire.

— Ce vieux voyou n’a pas changé ! Il ne peut pas résister à l’odeur du pognon. Pourtant, Mogadiscio, pour lui, ça craint... O.K., on va à l’ambassade. Que je vous montre à quoi ressemble Amin Osman Said.

Ma « source ».


* * *

« Wild Harry » cliqua pour imprimer la photo apparue sur l’ordinateur. Celle d’un homme jeune, très maigre, longiligne, les cheveux courts, des lunettes noires, vêtu d’une chemise flottante et d’un pantalon de toile.

Dès que le cliché fut sorti de l’imprimante, l’Américain le tendit à Malko.

— Voilà. Avec ça, je vais vous donner une adresse — celle de sa maison — et les numéros de ses anciens portables.

— Où habitait-il ?

— Son bureau était au marché de Bakara, et lui demeurait un peu plus au nord, sur la Via Lénine, en face de l’hôpital Médina, juste avant un embranchement où il y a une station-service. Si, en deux, trois jours, vous ne le trouvez pas, il faudra démonter. Trop de gens sauront que vous êtes là et ça peut devenir très dangereux. Même avec les amis d’Ahmed.

— Qui tient Mogadiscio maintenant ?

« Wild Harry » sourit.

— Tout le monde. Plusieurs groupes de Shebabs, des milices travaillant avec les gens du marché de Bakara, quelques restes des warlords. Les Éthiopiens, les hommes du président, mais juste autour de la villa Somalia. Ça bouge tout le temps. Même avec la protection d’Ahmed, c’est comme si je vous envoyais en enfer sans combinaison ignifugée.

— Ça vous est vraiment impossible de venir ?

« Wild Harry » demeura impassible.

— Je suis connu comme le loup blanc... On saura que j’arrive avant même que l’avion se soit posé. Et, pour moi, ils feront des efforts exceptionnels. Vous, vous êtes neutre. Un bon petit Blanc inconnu. Et si on veut savoir ce qui se trame entre les Shebabs et les pirates, il n’y a que Amin Osman Said qui puisse le découvrir. Mais ne rêvez pas, c’est un « long shot ».

Vous reviendrez peut-être les mains vides. Si vous revenez.

Après ce trait d’humour douteux, il sourit à Malko.

-On va aller dîner dans un petit resto que je connais. Entre-temps, j’aurai revu Ahmed et je saurai quand vous partez.

Загрузка...