— Oui, c'est même une femme.

Il lut dans ses yeux la même surprise que celle qui l'avait lui-même saisi la première fois qu'il avait entendu cette affirmation. Seule l'étude de la symbolique du Graal lui avait permis de comprendre son aspect féminin.

Teabing semblait avoir lui aussi constaté l'incrédulité de la jeune femme.

— Mon cher Robert, je crois que c'est maintenant à vous d'éclairer notre jeune novice.

Il se dirigeait vers une petite table, d'où il rapporta une feuille de papier qu'il déposa en face de son ami. Langdon sortit son stylo de sa poche.

— Dites-moi, Sophie, commença-t-il, vous connaissez sans doute les icônes modernes du masculin et du féminin ?

Il dessina les deux symboles : ♂ et ♀

— Oui, bien sûr.

— On pense souvent à tort que le symbole de l'homme représente un bouclier et une lance, et celui de la femme un miroir reflétant la beauté. Mais ils proviennent en fait de symboles astronomiques très anciens : ceux du dieu/planète Mars et de la déesse/planète Vénus, qui avaient autrefois une forme beaucoup plus simple.

Il traça un autre dessin sur le papier :

^

— Voici l'icône originale du masculin, une sorte de phallus stylisé.

— Quel réalisme !... dit Sophie.

— Si on veut..., fit Teabing.

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Langdon reprit :

— On l'appelle la Lame. Elle représente l'agression et la virilité. Ce symbole phallique est encore utilisé comme insigne des grades militaires.

— Évidemment..., persifla Teabing, plus on a un grade élevé, plus on a un gros pénis. Les hommes seront toujours les hommes...

Langdon fit une grimace.

— Et comme on pouvait s'y attendre, l'icône de la féminité est son exact opposé. On l'appelle le Calice : V


Sophie leva vers lui un regard étonné. Elle avait compris.

— Le calice ressemble à une coupe, ou à un vase. Plus significatif, il symbolise l'utérus, emblème de féminité et de fécondité.

Il la regarda droit dans les yeux.

— Si la légende raconte que le Graal est un calice, c'est en fait une allégorie destinée à protéger sa véritable nature.

— C'est une femme..., conclut Sophie.

— Exactement. Le Graal est littéralement l'ancien symbole féminin, le Féminin sacré, la déesse, cette dimension religieuse perdue, éradiquée par l'Église. Les anciennes images sacrées du pouvoir procréateur de la femme représentaient une menace pour la puissance naissante d'une Église à prédominance masculine. Le Féminin sacré a donc été diabolisé, considéré comme impur. C'est l'homme, et non pas Dieu, qui a inventé le péché d'Eve, celle qui a croqué la pomme et provoqué la chute de l'humanité. La femme, autrefois donneuse de vie, est ainsi devenue l'ennemie de la foi.

— Je me permettrai d'ajouter, interrompit Teabing, que le concept de la femme comme source de vie était fondamental dans les religions anciennes ; Mais la philosophie chrétienne a détourné cette puissance créatrice au profit de l'homme, en occultant une réalité biologique. La Genèse nous dit qu'Eve a été créée à partir d'une côte d'Adam, rabaissant ainsi la femme au

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rang de « sous-produit » de l'homme et, qui plus est, pécheresse. L'Ancien Testament sonne la fin du règne de la déesse.

— Le Graal, renchérit Langdon, symbolise la déesse perdue.

Les traditions païennes n'ont pas

disparu si rapidement avec la montée du christianisme. La quête du Graal perdu symbolise la recherche de l'ancien Féminin sacré. Le prétendu calice était pour les chevaliers du Graal un symbole-écran, un moyen de se protéger d'une Église qui avait banni la déesse, asservi la femme, brûlé les païens et les hérétiques.

— Mais je croyais que le Graal était un être humain ayant existé.

— C'en est un, ou plutôt une ! répliqua Langdon.

— Et pas n'importe laquelle ! lâcha Teabing en relevant péniblement de son fauteuil. Une femme détentrice d'un secret tellement grave que sa révélation menaçait de détruire les fondements de la chrétienté.

— Mais a-t-elle laissé une trace dans l'Histoire ? demanda Sophie, éberluée.

— Et comment ! s'exclama Teabing. Et maintenant, chers amis, si vous voulez bien me suivre dans mon bureau, je me ferai un honneur de vous montrer le portrait qu'en a fait Leonardo Da Vinci.

Il ramassa ses béquilles et se dirigea vers le hall d'entrée.

À quelques mètres de là, dans sa cuisine, Rémy Legaludec regardait à la télévision une chaîne d'informations qui diffusait les photos d'un homme et d'une femme... ceux-là mêmes auxquels il venait de servir le thé.

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L'inspecteur Collet faisait le planton devant la Zurichoise de Dépôt, se demandant pourquoi le commissaire Fache tardait tant à arriver avec le mandat de perquisition. Les employés de la banque cachaient de toute évidence quelque chose. Ils prétendaient que Robert Langdon et Sophie Neveu s'étaient effectivement présentés à l'accueil au début de la nuit, mais n'avaient pas pu y entrer, faute des éléments d'identification nécessaires.

Dans ce cas, pourquoi refusent-ils de nous laisser entrer ?

La sonnerie de son portable retentit enfin. C'était un des policiers restés au PC du Louvre.

— Est-ce qu'on a le mandat de perquisition? demanda Collet.

— Vous pouvez laisser tomber la banque. On vient d'avoir un tuyau sur l'endroit où se trouvent Langdon et Neveu.

Collet tomba assis de tout son poids sur le capot de sa voiture.

— Vous plaisantez ?

— J'ai une adresse en banlieue. Quelque part près de Versailles.

— Est-ce que le commissaire Fache est au courant ?

— Je n'ai pas encore réussi à le joindre. Sa ligne est occupée.

— Donnez-moi l'adresse. Je file là-bas. Dites à Fache de m'appeler dès qu'il le pourra.

Il nota les coordonnées et sauta dans sa voiture. Il avait déjà démarré quand il s'aperçut qu'il n'avait même pas demandé comment on avait obtenu l'information. Peu lui importait, d'ailleurs. Il avait enfin une chance de rattraper ses gaffes précédentes en effectuant la plus belle arrestation de sa carrière.

Il envoya un message radio aux cinq véhicules qui le suivaient.

— Pas de sirènes, les gars. On ne va quand même pas les prévenir de notre arrivée...


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À quarante kilomètres de là, une Audi noire se garait au bord d'un champ, en contrebas d'une petite route départementale. Silas sortit de la voiture et contempla derrière la clôture le vaste parc au fond duquel un château luisait dans le clair de lune.

Toutes les lumières du rez-de-chaussée étaient allumées.

Inhabituel à cette heure, se dit-il avec un sourire. Les indications que lui avait données le Maître s'étaient avérées d'une parfaite exactitude. Je ne quitterai pas cette maison sans la clé de voûte, se jura-t-il. Le Maître et Mgr Aringarosa peuvent compter sur moi.

Il vérifia le chargeur de son Heckler & Koch à treize coups avant de le lancer par-dessus la clôture. Puis, prenant appui sur ses deux bras, il enjamba la barrière, sans prêter attention aux éraflures que le cilice creusait dans sa cuisse. Il ramassa son arme et commença à remonter la pelouse.

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Le « cabinet de travail » de Teabing ne ressemblait à aucun des bureaux, même les plus luxueux, que Sophie avait jamais vus. Six à sept fois plus vaste, cette immense pièce tenait à la fois du laboratoire scientifique, du service d'archives, de la bibliothèque et de la boutique de brocanteur. Elle était éclairée par trois grands lustres au plafond, le sol pavé encombré de tables qui disparaissaient sous les livres, les objets d'art, et une quantité impressionnante de matériel électronique -

ordinateurs, projecteurs, microscopes, imprimantes, photocopieurs et, scanners.

— J'ai récupéré la salle de bal, bougonna-t-il. Je n'ai pas souvent l'occasion de danser...

Sophie avait décidément l'impression que cette nuit était une sorte de quatrième dimension à mi-chemin de la réalité et de la fiction.

— Vous vous servez de tout cela pour votre travail ?

s'enquit-elle.

— La seule chose qui m'intéresse dans la vie, c'est la poursuite de la vérité. Et le Saint-Graal est ma maîtresse favorite.

Le Saint-Graal est une femme, se répétait Sophie, en tentant de trier un peu cette foule d'informations qui n'avaient toujours pas de sens pour elle.

— Et vous dites que vous allez me montrer un tableau représentant cette femme que vous prétendez être le Saint-Graal ?

— Ce n'est pas moi qui le prétends. C'est Jésus-Çhrist lui-même qui l'a proclamé le dernier.

— Duquel de tous ces tableaux s'agit-il? demanda Sophie en balayant les murs du regard.

— Voyons, voyons, fit Teabing en simulant un trou de mémoire. Le Saint-Graal... Le Sang réal... Le Calice.

Soudain, il pivota pour se tourner vers le mur du fond, où s'étalait, sur près de trois mètres de large, une reproduction de la Cène de Milan.

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— La voilà !

— C'est la fresque que vous venez de me montrer dans le livre...

— Bien sûr, mais les grands formats sont tellement plus excitants, vous ne trouvez pas ?

— Je suis complètement perdue..., dit Sophie en se tournant vers Langdon, qui lui répondit en souriant:

— C'est vrai, le Saint-Graal figure dans la fresque de Milan.

Et en très bonne place.

— Mais vous m'avez dit que c'était une femme, alors que dans la Cène, il n'y a que des hommes !

— Venez voir de plus près, dit Teabing.

Ils s'approchèrent du mur tous les trois. Sophie parcourut attentivement des yeux la grande photo. Il y avait bien treize personnages : Jésus au centre, six disciples à sa gauche et six à sa droite.

— C'est bien cela ! s'exclama-t-elle. Treize hommes : Jésus et ses douze apôtres.

— Regardez bien la personne qui est assise à la place d'honneur, à droite du Seigneur, insista Teabing.

Le plus près possible, elle observa le visage et le buste qui dépassaient de la table. Les longs cheveux, les petites mains fines, la poitrine légèrement arrondie, la courbe gracieuse du cou, l'expression retenue... Sophie n'en croyait pas ses yeux.

— C'est une femme ! s'écria-t-elle. Teabing riait de toutes ses dents.

— Surprise, surprise ! Et croyez-moi, ce n'est pas une erreur. Léonard était tout à fait capable de marquer les différences entre les deux sexes...

Sophie ne pouvait détacher ses yeux de cette jolie jeune femme. La Cène est censée représenter treize hommes. Qui est donc cette femme ? Elle avait admiré de nombreuses fois cette fresque, sans jamais y remarquer la moindre fausse note.

— Il est très rare que l'on s'en aperçoive, enchaîna Teabing.

La notion préconçue que l'on a du tableau l'emporte sur nos capacités d'observation et empêche notre cerveau de remarquer ce qui ne cadre pas avec elle.

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— C'est un phénomène visuel qu'on appelle scotome, ajouta Langdon, une sorte de « lacune » dans le champ visuel.

— Une autre explication, c'est que la plupart des reproductions de la Cène datent d'avant sa restauration, qui n'a été achevée qu'en 1954. On a dû retirer, millimètre par millimètre, les couches de crasse et de peinture rajoutée au XVIII e siècle par des mains maladroites, pour rendre à nouveau visible l'œuvre de Leonardo Da Vinci, telle qu'il l'avait conçue et réalisée. Et voilà !

Sophie se rapprocha de la reproduction. La femme assise à droite de Jésus était jeune, elle avait l'air sage et modeste, de superbes cheveux roux, les mains modestement posées sur la table. Et c'est cette femme qui, à elle seule, avait le pouvoir de faire s'effondrer l'Église ?

— Mais qui est-ce ? demanda Sophie.

— C'est Marie Madeleine.

— La prostituée ?

Teabing inspira longuement, comme s'il avait été personnellement blessé.

— Elle n'était pas ce qu'on a dit. Ce mensonge est le résultat de la campagne de diffamation menée par la jeune Église romaine. Il s'agissait d'entacher la réputation de Marie Madeleine pour maquiller le dangereux secret qu' elle aurait pu révéler - à savoir rôle dans le Saint-Graal.

— Son rôle ?

— Rome voulait convaincre le monde que le prophète Jésus était un être divin. On a donc rejeté de la Bible tous les récits de sa vie qui évoquaient ses aspects humains. Malheureusement pour les rédacteurs du Nouveau Testament, il y avait un thème récurrent dans tous les évangiles, celui du mariage de Jésus avec Marie Madeleine.

— Pardon ? s'exclama Sophie, interloquée.

— Vous avez bien entendu. Il s'agit d'une déduction historique. Et Leonardo Da Vinci était persuadé de la véracité de cette union. Sa Cène la proclame littéralement. Notez la correspondance entre leurs vêtements : robe rouge et cape bleue pour Jésus - robe bleue et cape rouge pour Marie Madeleine.

Yin et Yang, complémentarité entre le masculin et le féminin.

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— Et maintenant, pour nous aventurer plus avant dans l'étrange, vous remarquerez que Jésus et son épouse s'écartent l'un de l'autre, comme s'ils avaient été unis à hauteur de la taille avant d'être disjoints. Un espace vide les sépare...

Avant qu'il ait terminé sa phrase, Sophie avait remarqué la forme indiscutable creusée entre les deux bustes : V


Le symbole du Calice, le principe féminin.

— Pour terminer, reprit Teabing, si vous considérez Jésus et Marie Madeleine comme des éléments de la composition du tableau et non plus comme des personnages, vous allez percevoir une autre forme, qui va vous sauter aux yeux. Une lettre de l'alphabet.

Sophie recula de deux ou trois pas et plissa les yeux pour détacher son regard des visages. Et elle ne vit plus que cela : Les lignes de force du centre de la fresque dessinaient un M énorme, impeccablement tracé.

— C'est trop parfait pour être le fruit d'une pure coïncidence, vous en conviendrez...

— Mais pourquoi ce M ? demanda Sophie.

— Les fanas de conspiration vous diront que c'est le M de mariage, ou de Marie Madeleine. Pour être honnête, personne n'en sait rien. La seule certitude, c'est la composition en M. On retrouve cette lettre dans un très grand nombre d'œuvres d'art liées au Graal, en filigrane ou sous cette forme de composition.

La plus flagrante est celle qui a été gravée à Londres, sur l'autel de Notre-Dame de Paris, par Jean Cocteau, lui-même ex-Grand Maître du Prieuré de Sion.

— Tout cela est certes très étrange, objecta Sophie, mais je ne pense pas qu'on puisse pour autant en déduire que le Christ était marié avec Marie Madeleine...

— On ne peut certes pas le prouver, répliqua Teabing en se dirigeant vers une table encombrée de livres. Comme je vous l'ai dit, il s'agit d'une déduction historique. (Il se mit à feuilleter un

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gros volume). Un Jésus marié est beaucoup plus vraisemblable qu'un Jésus célibataire.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il était juif, dit Langdon, et que la société juive de son époque proscrivait, dans les faits, le célibat. Il était condamné par la coutume et tout père juif se devait de trouver une femme qui convienne à son fils. Si Jésus n'avait pas été marié, on en trouverait mention au moins dans l'un des quatre Évangiles, accompagnée d'une explication de son statut si peu conventionnel.

Teabing avait choisi un gros volume folio relié plein cuir, intitulé LES ÉVANGILES GNOSTIQUES, qu'il ouvrit sur la table. Sophie et Langdon l'y rejoignirent. On y voyait sur la page de gauche des agrandissements de manuscrits anciens, de très vieux papyrus, dans un alphabet que Sophie ne pouvait identifier, avec leur traduction anglaise sur la page de droite.

— Ce sont des reproductions des papyrus coptes de Nag Hammadi et des manuscrits araméens de la mer Morte. Les premiers textes chrétiens. Ils présentent des divergences troublantes avec les Évangiles de la Bible canonique que nous connaissons.

Il désigna du doigt un passage.

— Il est toujours intéressant de commencer par l'évangile de Philippe.

Sophie lut à voix haute :

«Et le Sauveur avait pour compagne Marie Madeleine. Elle était la préférée du Christ, qui l'embrassait souvent sur la bouche. Les autres apôtres en étaient offensés et ils exprimaient souvent leur désaccord. Ils disaient à Jésus :

"Pourquoi l'aimes-tu plus que nous ?" »

Ce texte était certes surprenant, mais il ne prouvait rien.

— On n'y parle pas de mariage, dit Sophie.

— Au contraire. Comme vous le confirmeront tous les spécialistes, en araméen, le mot compagne signifiait épouse.

Langdon acquiesça.

Sophie relut la première ligne :

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« Et le Sauveur avait pour compagne Marie Madeleine. »

Teabing feuilleta à nouveau son gros livre et fit lire à Sophie plusieurs autres passages qui suggéraient clairement la relation amoureuse entre Jésus et Marie Madeleine. En parcourant les textes, elle se rappela soudain une anecdote datant de son adolescence. Un prêtre avait un jour sonné à la porte de l'appartement et c'est elle qui était allée ouvrir.

— C'est bien ici qu'habite Jacques Saunière? avait rugi l'homme en soutane en brandissant un journal. Je voudrais lui dire deux mots sur l'article qu'il vient de publier.

Sophie était partie chercher son grand-père et les deux hommes s'étaient enfermés dans le bureau.

Elle s'était alors précipitée dans la cuisine pour éplucher le quotidien en question, et y avait trouvé la signature de Jacques Saunière, en bas d'un article en deuxième page. Il y critiquait la décision prise par les autorités françaises d'interdire la projection du film La Dernière Tentation du Christ, de Martin Scorsese, lequel évoquait les relations sexuelles entre Jésus et Marie Madeleine. Jacques Saunière accusait le gouvernement d'avoir cédé aux pressions de l'épiscopat français, qu'il qualifiait d'arrogantes et de « bêtement prudes et obscurantistes ».

Rien d'étonnant à ce que ce curé soit aussi furieux.

Le prêtre était sorti du bureau de son grand-père en criant :

— C'est de la pornographie pure et simple ! Un véritable sacrilège ! Comment pouvez-vous décemment défendre un tel film ? Martin Scorsese est un blasphémateur, et l'Église ne le laissera pas diffuser sa propagande en France !

Il avait quitté l'appartement en claquant la porte. Saunière avait découvert sa petite-fille dans la cuisine, penchée sur le journal.

— Je vois que tu n'as pas perdu de temps...

— Tu crois que Jésus-Christ a fait l'amour avec Marie Madeleine ?

— Je n'ai pas dit cela. J'ai seulement écrit que l'Église n'est pas autorisée à nous imposer ses croyances.

— Mais à ton avis, Jésus avait une maîtresse ?

— Si c'était vrai, où serait le mal ?

Elle avait réfléchi pendant quelques secondes.

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— Cela ne me gênerait pas, avait-elle conclu en haussant les épaules.

Sir Leigh Teabing poursuivait son exposé :

— Je ne vais pas vous accabler avec les innombrables références à cette union, mais je voudrais vous faire lire cet extrait de l'évangile de Marie Madeleine.

Parce qu'elle a aussi écrit un évangile ?

Sophie n'en était plus à une surprise près. Elle se pencha sur la page ouverte :

Alors Pierre dit : « Est-il possible que le maître se soit entretenu ainsi avec une femme sur des secrets que nous, nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes, et tous écouter cette femme ? L'a-t-il vraiment choisie et préférée à nous ? »...

Et Lévi répondit : « Pierre, tu as toujours été un emporté.

Je te vois maintenant acharné contre la femme, comme le sont nos adversaires. Pourtant, si le Maître l'a agréée, qui es-tu pour la rejeter ? Assurément le Maître la connaît très bien. Il l'a aimée plus que nous. »

— La femme dont parle l'apôtre Pierre est Marie Madeleine.

Pierre était jaloux d'elle.

— Parce que Jésus lui préférait sa femme ?

— Pas seulement. Les enjeux dépassaient de loin la question affective. À ce point du récit, Jésus, sachant que sa fin est proche, vient de donner à Marie Madeleine ses instructions sur la façon de conduire son Église après sa mort. Et Pierre est furieux d'apprendre qu'il va devoir jouer les seconds rôles sous les ordres d'une femme. C'était probablement un sexiste forcené

! — Mais vous parlez de saint Pierre, la pierre sur laquelle Jésus a bâti son Église !

— Lui-même, à un mensonge près. Si l'on en croit ces évangiles - qui n'ont jamais été remaniés - ce n'est pas à lui que Jésus avait confié ce rôle, mais à Marie Madeleine.

— La première communauté chrétienne aurait dû être dirigée par une femme ?

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— Exactement. Jésus fut le premier féministe de l'histoire.

Il voulait confier l'avenir de son Église à une femme.

— Ce que Pierre trouvait fort peu à son goût, ajouta Langdon en montrant la grande reproduction de la Cène.

Regardez, il est là. Il est très clair que Leonardo Da Vinci avait compris ses sentiments envers Marie Madeleine...

Sophie était à nouveau sans voix. Un personnage barbu et grisonnant se penchait vers la jeune femme, tendant devant son cou une main menaçante, comme la lame d'un couteau. Le même geste que celui de la Vierge aux rochers...

— Et regardez par ici, continua Langdon. C'est inquiétant aussi, ne trouvez-vous pas ?

Entre les deux apôtres assis à la droite de Pierre, une main surgissait.

— Il y a une main qui tend un poignard ! s'exclama Sophie.

— Exact. Et le plus étrange, c'est que, si vous comptez les bras, elle ne semble appartenir... à personne. C'est une main sans corps, anonyme.

— Excusez-moi, dit Sophie qui se sentait totalement dépassée. Je ne vois toujours pas ce qui vous permet d'identifier Marie Madeleine au Graal.

— Ah ! Ah ! s'esclaffa Teabing. Nous voici au cœur du problème ! Peu de gens savent qu'avant de devenir le bras droit de Jésus, Marie Madeleine était déjà une femme puissante.

Il les entraîna vers une autre table et déroula devant eux un document qui ressemblait à une généalogie. En haut du rouleau, un grand titre :


LA TRIBU DE BENJAMIN

— Marie Madeleine est ici, dit Teabing en indiquant du doigt le haut de l'arbre.

— Elle appartenait à la tribu de Benjamin ? demanda Sophie avec étonnement.

— En effet. Elle était de descendance royale.

— Mais je croyais qu'elle était pauvre...

— On a fait d'elle une prostituée pour effacer les preuves de ses origines.

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Sophie se tourna de nouveau vers Langdon, qui hocha encore une fois la tête,

— Mais qu'est-ce que cela pouvait bien faire à l'Église de Rome qu'elle soit de sang royal ?

— Ma chère enfant, ce ne sont pas tant ses origines qui les gênaient, c'est qu'elle ait pu être mariée à Jésus qui, lui aussi, était de sang royal. Vous savez peut-être que l'Évangile de Matthieu précise que Jésus appartenait à la maison de David, descendant de Salomon, roi des Juifs. Le mariage de Jésus avec une héritière de la puissante maison de Benjamin réunissait deux lignées de sang royal. Ce qui en faisait une sérieuse menace de restauration de la dynastie royale, avec le pouvoir qui était le sien du temps de Salomon.

Sophie sentait que Teabing approchait de la révélation finale. Il avait les joues rouges d'excitation.

— La légende du Saint-Graal est celle du sang royal - le Sang réal. Lorsqu'on y parle du « Calice qui contient le sang du Christ », c'est pour évoquer Marie Madeleine, qui portait en elle la lignée royale de Jésus.

Ses paroles résonnèrent dans le vaste espace de la salle de bal avant que Sophie ait eu le temps de les assimiler. Elle portait en elle la lignée royale du Christ... ?

— Mais comment le Christ pouvait-il?... à moins que...

Elle s'interrompit

— À moins qu'ils n'aient eu un enfant, termina Langdon avec un sourire.

Sophie était muette de stupéfaction.

— Et voilà, clama Teabing, comment l'Église a réussi la plus grande opération de désinformation de toute l'histoire de l'humanité. Jésus n'était pas seulement marié, il était père !

Marie Madeleine était véritablement le Vase sacré, porteuse du fruit d'une union royale ! Elle était dépositaire de la lignée.

Sophie avait la chair de poule.

— Mais comment cette conspiration du silence a-t-elle pu réussir pendant si longtemps ?

— Du silence ? Grand Dieu ! Le secret n'a cessé de transpirer ! L'histoire de Marie Madeleine et de la descendance du Christ a été criée sur tous les toits pendant des siècles, mais

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sous forme de métaphores et de légendes. Le Graal nous saute aux yeux et aux oreilles dès qu'on commence à y prêter un tant soit peu d'attention.

— Et les documents du Saint-Graal sont censés renfermer la preuve de la descendance royale de Jésus ? suggéra Sophie.

— Exactement.

— Donc, toute la légende du Graal se rapporte à cette descendance royale ?

— Littéralement. Le mot Sangréal est dérivé de San Graal

- ou Saint-Graal. Mais, sous sa forme la plus ancienne, le mot était coupé d'une autre façon.

Teabing griffonna deux mots sur une feuille de papier, qu'il tendit à Sophie.

Sang Real

Elle comprit instantanément.

Sang réal signifiait Sang royal.

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Le standardiste du siège new-yorkais de l'Opus Dei fut surpris d'entendre la voix de Mgr Aringarosa au téléphone:

— Bonsoir, monseigneur.

— Est-ce que j'ai des messages téléphoniques ? demanda l'évêque d'une voix curieusement angoissée.

— Oui, monseigneur. Je suis bien heureux de vous entendre, car je n'ai pas réussi à vous joindre à votre appartement. Vous avez eu un appel urgent il y a une demi-heure.

Aringarosa sembla soulagé.

— Ah oui ? La personne a-t-elle laisse son nom ?

— Non, monseigneur, seulement un numéro à rappeler. Je vous le donne.

Il dicta le numéro.

— L'indicatif trente-trois, c'est bien la France ?

— En effet, monseigneur. La personne appelait de Paris.

Elle a demandé que vous la rappeliez le plus tôt possible.

— Je vous remercie. J'attendais cet appel. Et il raccrocha rapidement.

Le réceptionniste ne comprenait pas pourquoi la communication avait été aussi mauvaise. D'après le calendrier qu'il avait sous les yeux, Mgr Aringarosa aurait dû se trouver à New York ce week-end. Il haussa les épaules. L'évêque avait un curieux comportement depuis quelques mois.

C'est mon portable qui ne captait pas, pensa Aringarosa. La voiture avait pris la sortie de l'aéroport de Ciampino, près de Rome, réservé aux vols charter. Le Maître a essayé de m'appeler. Bien que regrettant de l'avoir manqué, l'évêque se sentait rassuré de savoir que le Maître n'avait pas hésité à l'appeler au siège new-yorkais de l'Opus Dei.

Les choses ont dû se passer comme prévu à Paris.

Il composa le numéro, heureux de la perspective d'arriver bientôt à Paris. J'aurai atterri avant l'aube. Un petit avion

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d'affaires l'attendait à l'aéroport, un vol commercial n'étant pas recommandé avec la mallette qu'il transportait.

La sonnerie retentit deux fois.

— Direction centrale de la police judiciaire, fit une voix féminine.

Déconcerté, il hésita une seconde et se ressaisit :

— J'ai reçu un message me demandant d'appeler ce numéro...

Qui êtes-vous ? Votre nom, s'il vous plaît ?

L'évêque hésitait à révéler son identité. La police judiciaire ?

— Quel est votre nom ? insista la standardiste.

— Mgr Manuel Aringarosa.

— Un instant, je vous prie.

Plusieurs secondes d'attente, le clic d'une connexion, et une voix masculine dans le combiné, soucieuse et bourrue :

— Ah ! Monseigneur. Je suis soulagé d'avoir enfin réussi à vous joindre. Nous avons beaucoup de choses à nous dire...

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60


Sangréal... Sang real... San Greal... Sang royal... Saint-Graal.

Une chaîne de mots intimement liés.

Le Saint-Graal, c 'est Marie Madeleine... la mère qui portait la lignée royale de Jésus.

Encore abasourdie, Sophie regardait fixement Robert Langdon. Plus Teabing et lui avaient accumulé de révélations, plus les pièces du puzzle lui paraissaient difficiles à assembler.

Teabing se dirigea en claudiquant vers une étagère.

— Comme vous allez le constater, ma chère enfant, Leonardo Da Vinci n'a pas été le seul à proclamer la vérité sur le Saint-Graal. La lignée royale de Jésus a fait l'objet d'innombrables chroniques publiées par un grand nombre d'historiens.

Il passa un doigt sur le dos d'une dizaine de volumes alignés. Sophie se tordit le cou pour en lire les titres : LA RÉVÉLATION DES TEMPLIERS

Les Gardiens secrets de la véritable identité du Christ LA FEMME AU VISAGE D'ALBÂTRE

Marie Madeleine et le Saint-Graal

LA DÉESSE DES ÉVANGILES

La Reconquête du Féminin sacré


— Celui-ci est peut-être le plus célèbre, ajouta-t-il en prenant sur l'étagère un vieux livre relié qu'il lui tendit : SANG SACRÉ ET SAINT-GRAAL

Le best-seller international


— Un best-seller? s'étonna Sophie. Je n'en ai jamais entendu parler.

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— Vous étiez trop jeune, mais cet ouvrage a fait de sérieux remous dans les années quatre-vingt. Je trouve personnellement que ses auteurs ont mêlé quelques éléments douteux à leurs analyses, mais le fond est parfaitement sérieux.

Et ils sont les premiers à avoir exposé la vraie nature du Graal au grand public.

— Et comment le Vatican a-t-il réagi ?

— Ils ont crié au scandale, comme on pouvait s'y attendre.

Cela faisait plus de seize siècles qu'ils s'ingéniaient à enterrer le secret ! Les croisades, par exemple, résultent pour une part de cette campagne de désinformation. Elles avaient pour but de retrouver les documents et de les détruire. Marie Madeleine représentait une terrible menace pour l'Église des premiers âges. Non seulement c'était à elle que Jésus avait confié la construction de son Église mais, pis encore, elle apportait la preuve physique que le Fils de Dieu inventé par l'Église avait engendré une descendance humaine. C'est pour se défendre du pouvoir de Marie Madeleine que Rome a propagé son image de prostituée, et a dissimulé les preuves de son mariage avec Jésus.

On désamorçait ainsi toute revendication de descendance christique, ce qui permettait d'attester sa divinité.

Sophie guetta l'approbation de Langdon, qui ajouta :

— Il existe pour tout cela des preuves historiques substantielles.

— Je reconnais, reprit Teabing, que ce sont là de terribles allégations. Mais il faut comprendre la position de l'Église à l'époque : elle n'aurait jamais pu survivre à la révélation que Jésus avait eu un enfant. Pour pouvoir se déclarer la seule et unique voie de la rédemption et de la vie éternelle, elle avait absolument besoin d'affirmer la divinité du Christ.

Sophie contemplait la couverture du livre que l'Anglais avait dans les mains.

— Il y a une rose à cinq pétales, remarqua-t-elle. Le même dessin que sur le couvercle du coffret.

— Elle a l'esprit d'observation, cette petite, fit Teabing en se tournant vers Langdon. C'est en effet le symbole qu'a choisi le Prieuré de Sion pour évoquer le Graal - Marie Madeleine, dont le nom était proscrit par l'Église. Elle a été évoquée sous de

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nombreux pseudonymes : le Calice, le Saint-Graal, et la Rose.

Les cinq pétales sont une référence au pentacle de Vénus, et à la rose des vents. C'est, de plus, une appellation commune à l'anglais, au français, à l'allemand et à beaucoup d'autres langues.

— Le mot rose, ajouta Langdon, est aussi l'anagramme d'Éros, le dieu grec de l'amour physique.

Sophie le dévisagea d'un air étonné et Teabing reprit son exposé :

— La rose a toujours été le symbole par excellence de la sexualité féminine. Dans les cultes primitifs de la déesse mère, les cinq pétales représentaient les cinq étapes de la vie de la femme : la naissance, la fécondité, la maternité, la ménopause et la mort. A l'époque moderne, cette symbolique est devenue plus imagée. Mais nous allons demander au spécialiste des symboles de nous expliquer cela.

Langdon hésita. Un instant de trop.

— Allons Robert, laissez tomber votre pudibonderie américaine ! Ce qui embarrasse notre ami, ma chère enfant, c'est le fait que la rose épanouie symbolise le sexe féminin, la fleur sublime par qui tout homme vient au monde. Si vous connaissez les tableaux de Georgia O'Keefe, vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire.

— L'important, fit Langdon en désignant la bibliothèque, c'est que tous ces livres soutiennent la même thèse historique.

— Celle de la paternité de Jésus..., suggéra Sophie.

— Précisément, déclara Teabing. Et que Marie Madeleine portait en son sein sa descendance. Et les membres du Prieuré de Sion vénèrent encore Marie Madeleine comme la déesse, le Saint-Graal, la Rose, et la mère divine.

Sophie revit en un éclair l'étrange rituel dans le sous-sol de la maison de son grand-père.

— Selon le Prieuré, continua Teabing, Marie Madeleine était enceinte lorsque Jésus a été crucifié. Pour protéger son enfant, elle a été contrainte de fuir la Terre sainte. Avec l'aide de Joseph d'Arimathie, elle est partie clandestinement pour la France - la Gaule à l'époque - où elle a trouvé refuge auprès de la communauté juive. C'est là qu'elle a mis au monde une fille,

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du nom de Sarah.

— On connaît même le prénom de l'enfant? s'écria Sophie.

— Et bien plus. Les vies de Marie Madeleine et de sa fille ont fait l'objet de chroniques détaillées de la part de leurs protecteurs juifs - n'oubliez pas que l'enfant était de sang royal, celui de David et de Salomon. Marie Madeleine était pour eux la génitrice d'une lignée de rois juifs. De nombreux lettrés de cette époque ont raconté la chronique de son séjour en Gaule, la naissance de Sarah, et l'arbre généalogique qui a suivi.

— Parce qu'il existe un arbre généalogique du Christ?

— Bien sûr. Ce serait même l’une des pierres angulaires des documents du Graal. Une généalogie complète des premiers descendants de Jésus.

— Mais il n'aurait aucune valeur ! s'exclama Sophie. Un arbre généalogique n'est pas une preuve... Aucun historien ne peut en confirmer l'authenticité !

— Pas plus que celle des textes de la Bible, grinça Teabing.

— Ce qui signifie ?

— Que l'Histoire est toujours écrite par les gagnants.

Lorsque deux cultures s'affrontent, c'est toujours celle des perdants qui disparaît. Et les vainqueurs rédigent les livres d'histoire - à la gloire de leur propre cause, en dénigrant celle des vaincus. Comme l'a dit Napoléon : « Qu'est-ce que l'Histoire, sinon une fable sur laquelle tout le monde est d'accord ? » C'est la nature même de l'Histoire que d'être un compte rendu partial des choses.

Sophie n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle.

— Les textes du Saint-Graal, enchaîna Teabing, ne font que raconter l'autre aspect de l'histoire de Jésus. Et finalement, que l'on choisisse de croire à l'un ou à l'autre relève de la foi, ou de recherches personnelles. L'essentiel est que les informations contradictoires aient pu survivre. Les documents du Graal comportent des dizaines de milliers de pages de renseignements. Des témoins racontent qu'ils étaient transportés dans quatre énormes malles. Parmi eux se trouvent les « documents puristes » - des dizaines de milliers de pages de textes non retouchés datant d'avant Constantin, écrits par les premiers fidèles de Jésus, qui vénèrent en lui un maître et un

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prophète totalement humain. On pense que le Graal conserve également la légendaire Source Q - un manuscrit dont le Vatican lui-même reconnaît l'existence. Il s'agirait d'un document rassemblant les enseignements de Jésus, qui pourraient être écrits de sa propre main.

— Que le Christ lui-même... ?

— Pourquoi Jésus n'aurait-il pas rédigé la chronique de son ministère ? C'était une pratique courante à son époque. Un autre texte explosif serait Les Carnets de Marie Madeleine, où elle évoquerait sa relation avec le Christ, la crucifixion et son propre séjour en France.

Après un long silence, Sophie demanda :

— Et ce sont ces quatre caisses de manuscrits que les Templiers auraient découvertes sous le temple de Salomon ?

— Exactement. C'est ce qui les a rendus si puissants. Ils ont fait l'objet d'innombrables quêtes du Graal tout au long de l'histoire.

— Mais vous disiez que le Graal, c'est Marie Madeleine en personne. Pourquoi donc appeler quête du Graal la recherche de documents ?

Teabing fixa Sophie dans les yeux et parla d'une voix douce :

— Parce que le trésor du Graal renferme aussi un sarcophage. Littéralement, la fameuse quête du Graal n'est rien d'autre que le désir de s'agenouiller devant les reliques de Marie Madeleine. Le voyage qui conduit à se recueillir devant celle qui a été rejetée, devant le Féminin sacré.

Sophie se sentit envahie par un sentiment de merveilleux inattendu.

— La cachette du Graal serait... un tombeau ? Le regard de Teabing, visiblement ému, s'embua.

— C'est cela. Un tombeau qui conserve les reliques de Marie Madeleine et les documents relatant sa véritable histoire.

La quête du Graal, c'est la quête de la reine spoliée, qui est enterrée avec la preuve des droits auxquels pouvait prétendre sa descendance...

Sophie attendit qu'il se ressaisisse. Toutes ces informations sur les convictions de son grand-père n'avaient toujours pas de sens pour elle.

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— Les membres du Prieuré de Sion..., demanda-t-elle enfin, pendant toutes ces années, étaient chargés de protéger les documents du Sang réal et le tombeau de Marie Madeleine ?

— Oui, mais ils avaient aussi une autre mission, plus importante : la protection de la descendance de Jésus, gui était perpétuellement menacée. La nouvelle Eglise catholique craignait que, si la lignée du Christ se perpétuait, le secret concernant Jésus et Marie Madeleine ne finisse par faire surface, défiant ainsi le fondement de la doctrine - celle d'un Messie divin, qui n'a jamais été lié sur cette terre à aucune femme. Mais la descendance de Jésus s'est perpétuée en France, dans le silence. Elle s'est même enrichie, au V e siècle, en se mêlant avec un autre sang royal, pour créer la lignée mérovingienne.

— Les Mérovingiens... les fondateurs de Paris, récita Sophie, qui se rappelait les cours d'histoire de l'école.

— Eux-mêmes. Ce qui explique pourquoi la légende du Graal est si riche en France. Nombre des « quêtes du Graal »

ordonnées par le Vatican étaient en fait des missions secrètes destinées à supprimer les membres de la lignée royale. Vous vous souvenez du roi Dagobert ?

Sophie se rappelait vaguement un détail macabre.

— Le roi mérovingien ? Qui a été tué dans son sommeil d'un coup de poignard dans l'œil ?

— Exactement. Il a été assassiné par le Vatican, qui s'était assuré les services de Pépin de Herstal. Avec sa mort, la lignée mérovingienne était pratiquement exterminée. Heureusement, son fils Sigisbert a réussi à échapper aux assaillants et a prolongé la descendance, qui conduisit plus tard à Godefroy de Bouillon - le fondateur du Prieuré de Sion.

Langdon ajouta :

— Et qui a également confié aux Templiers la mission d'exhumer le Sang réal des ruines du temple de Salomon, pour procurer à la lignée mérovingienne les preuves de ses liens avec Jésus. Teabing hocha la tête en poussant un long soupir.

— La mission du Prieuré est extrêmement lourde. Elle est en fait triple. En plus de la protection des documents du Sang réal et de la tombe de Marie Madeleine, ils doivent assurer

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la pérennité de la lignée de Jésus, ces rares descendants des Mérovingiens qui subsistent encore aujourd'hui, et la protéger.

Sophie se sentit traversée par une sorte de vibration, comme si une vérité cherchait à se faire jour en elle. Les descendants de Jésus. La voix de son grand-père murmurait à son oreille.

« Princesse, il faut que je te dise la vérité sur ta famille. »

Elle frémit.

Sang royal.

C'était inimaginable.

« Princesse Sophie. »

— Sir Leigh?

La voix du domestique grésilla dans l'interphone fixé sur un mur. Sophie sursauta.

— Si Monsieur pouvait venir me rejoindre à la cuisine un instant...

Teabing se renfrogna et alla appuyer sur le bouton.

— Comme vous le savez, Rémy, je suis occupé avec mes visiteurs. Allez donc vous recoucher. Si nous avons besoin de quelque chose dans la cuisine, nous irons le chercher nous-mêmes. Merci et bonne nuit.

— Il faut absolument que je parle à Monsieur..,

— Alors allez-y, et dépêchez-vous !

— Il s'agit d'une affaire domestique, qui n'intéresse pas les visiteurs de Monsieur.

Teabing ouvrit des yeux incrédules.

— Et cela ne peut pas attendre demain matin ?

— Non, Monsieur. Mais je n'en aurai que pour une minute.

Teabing leva les yeux au ciel avant de se tourner vers ses hôtes.

— Je me demande parfois si ce n'est pas moi qui suis à son service...

Il appuya à nouveau sur le bouton de l'interphone.

— OK, j'arrive. Puis-je vous apporter quelque chose, mon cher Rémy ?

— À part l'émancipation de l'esclavage, je ne vois pas, Monsieur.

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— Mon cher Rémy, vous savez que, si je vous garde à mon service, c'est uniquement à cause de votre steak au poivre ?

— Je sais, Monsieur me le rappelle assez souvent...

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Princesse Sophie.

Sophie se sentait engourdie. En écoutant s'éloigner les béquilles de Teabing, elle tourna vers Langdon un regard interrogateur. Il secouait déjà la tête, comme s'il avait lu dans ses pensées.

— Non, Sophie, murmura-t-il en cherchant à la rassurer, je ne crois pas. J'ai eu la même idée que vous en apprenant que votre grand-père faisait partie du Prieuré et qu'il voulait vous confier un secret sur vos parents. Mais c'est impossible, Saunière n'est pas un nom mérovingien.

Sophie ne savait si elle devait se sentir déçue ou soulagée.

Langdon lui avait tout à l'heure demandé, en passant, quel était le nom de sa mère. Chauvel.

— Et Chauvel ? demanda-t-elle, anxieuse.

— Non plus. Je suis désolé, car je sais que cela répondrait à la question que vous vous posez. Il ne subsiste plus que deux branches directes issues des Mérovingiens. Les Plantard et les Saint-Clair. Ces deux familles vivent dans la clandestinité, probablement protégées par le Prieuré de Sion.

Elle se répéta ces deux noms, et secoua la tête. Personne dans sa famille ne s'appelait ainsi. Elle se sentit envahie d'une grande lassitude. Elle n'était pas plus avancée qu'au début sur cette vérité que son grand-père voulait lui révéler. Elle regrettait qu'il ait évoqué sa famille au téléphone. Il n'avait fait que rouvrir des plaies qu'elle croyait cicatrisées. Ils sont morts, Sophie. Ils ne reviendront pas. Elle se remémora sa mère qui lui chantait des berceuses pour l'endormir, son père qui l'asseyait sur ses épaules en promenade, sa grand-mère et son petit frère, leur sourire et leurs ardents yeux verts. Tout cela lui avait été volé. Il ne lui était resté que son grand-père.

Maintenant qu'il est mort, je suis seule.

Elle tourna la tête vers la Cène et contempla le regard tranquille et les longs cheveux de Marie Madeleine. Il y avait dans son expression une lueur mélancolique qui évoquait la perte d'un être cher. Un sentiment trop familier à Sophie.

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— Robert ? demanda-t-elle d'une voix sourde. Il se rapprocha d'elle.

— Teabing prétend que l'histoire du Graal est omniprésente, mais jamais personne ne m'en a parlé...

Il lui sembla que Langdon allait lui poser la main sur l'épaule, mais qu'il s'en empêcha.

— Vous l'avez sûrement entendue. Comme tout le monde.

Simplement, vous n'y avez pas prêté attention...

— Je ne comprends pas...

— L'histoire du Graal est partout, mais cachée. Lorsque l'Église a interdit qu'on en parle, l'histoire de Marie Madeleine s'est transmise par des canaux moins officiels, ceux des métaphores et des symboles.

— Dans les arts, bien sûr.

— La Cène en est un parfait exemple. Mais de nombreux autres chefs-d'œuvre de l'art, de la littérature et de la musique ont évoqué l'union de Marie Madeleine et de Jésus.

Il lui parla des œuvres de Leonardo Da Vinci, de Botticelli, de Poussin, du Bernin, de Mozart et de Victor Hugo qui suggéraient le retour du Féminin sacré que Rome avait banni.

Certaines légendes célèbres comme celles de Gauvain et du Chevalier Vert, du roi Arthur, de la Belle au bois dormant, étaient des allégories du Graal. Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, et La Flûte enchantée, de Mozart, regorgeaient de symboles maçonniques et d'allusions au Graal.

— Dès qu'on a les yeux ouverts, on le voit partout. Dans la peinture, dans la musique, dans les livres. Et même dans les dessins animés, dans les parcs d'attractions, dans le cinéma populaire.

En lui montrant sa montre Mickey Mouse, il lui raconta que Walt Disney avait constamment cherché à transmettre la symbolique du Graal aux générations futures. On l'avait d'ailleurs appelé « Le Leonardo Da Vinci des temps modernes ».

Ils étaient l'un et l'autre en avance sur leur temps. Deux artistes géniaux, membres de sociétés secrètes et, surtout, farceurs impénitents. Comme Leonardo Da Vinci, Walt Disney adorait glisser des messages et des symboles dans ses dessins animés.

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Pour un amateur de symboles, les premiers films de Disney contenaient une kyrielle de métaphores.

Les messages dissimulés par Walt Disney évoquaient pour la plupart la religion, les mythes païens et la déesse vaincue. Ce n'était pas par hasard qu'il avait repris des contes comme Cendrillon, La Belle au bois dormant et Blanche-Neige - trois allégories du Féminin sacré emprisonné. Point n'était besoin d'avoir une grande connaissance des symboles pour comprendre que la pomme empoisonnée croquée par Blanche-Neige était une allusion à la chute d'Eve dans le jardin d'Éden.

Ni que la princesse Aurore de La Belle au bois dormant - dont le nom de code était Rose - et que l'on avait cachée au fond d'une forêt pour la protéger des griffes de la méchante sorcière était l'histoire du Graal racontée aux enfants.

Malgré son image d'homme d'affaires, Walt Disney aimait s'amuser avec ses dessinateurs, qui prenaient plaisir à glisser des symboles cachés dans les dessins animés. Langdon n'oublierait jamais le jour où l'un de ses étudiants lui avait fait regarder un DVD du Roi Lion. Il avait fait un arrêt sur image où l'on voyait des particules de poussière flottant au-dessus de la tête de Simba former très clairement le mot SEX. Tout en soupçonnant qu'il s'agissait plus probablement d'une blague d'un dessinateur stagiaire que d'une allusion éclairée à la sexualité païenne, Langdon avait appris à ne pas sous-estimer la compétence de Disney en métaphores codées. Sa Petite Sirène était un tissu fascinant de symboles spirituels si spécifiquement et étroitement liés à la déesse qu'elle ne pouvait être le fait d'une simple coïncidence.

La première fois que Langdon avait vu le film, il était resté littéralement bouche bée en découvrant, dans la demeure sous-marine de l'héroïne, un tableau qui n'était autre que la Madeleine repentante du peintre Georges de La Tour. Ce choix était parfaitement adapté à un dessin animé truffé de références symboliques à la sainteté perdue d'Isis, de Pisces - la déesse Aphrodite changée en poisson -, d'Eve et, à plusieurs reprises de Marie Madeleine. Le prénom Ariel donné à la petite sirène évoquait directement le Féminin sacré et, dans le livre d'Isaïe, était synonyme de « ville assiégée ». Quant à la longue

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chevelure rousse de l'héroïne, elle n'avait pas non plus été choisie par hasard.

Le cliquetis des béquilles de Teabing s'approchait, plus rapide qu'à l'ordinaire. Lorsqu'il entra dans le bureau, il jeta à Langdon un regard sévère.

— Vous feriez mieux de vous expliquer, Robert, dit-il froidement. Vous n'avez pas joué franc-jeu avec moi.

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— C'est un coup monté, expliqua Langdon en essayant de garder son calme. Vous me connaissez, je serais incapable de tuer qui que ce soit...

Le ton de Teabing ne s'était pas radouci.

— Bon Dieu, Robert ! On diffuse votre photo à la télévision !

Vous saviez que vous étiez recherché par la police ?

— Oui.

— Vous avez abusé de ma confiance. Je suis sidéré que vous m'ayez mis en danger en faisant irruption chez moi, et en m'embarquant dans cette longue discussion sur le Graal, uniquement pour pouvoir vous cacher.

— Je n'ai tué personne.

— Jacques Saunière est mort, et pour la police vous êtes le suspect numéro un. Un homme qui a tant fait pour les arts...

Le domestique apparut derrière lui, sur le pas de la porte, les bras croisés.

— Monsieur désire-t-il que je leur montre la sortie ?

Teabing traversa la pièce pour aller ouvrir une porte-fenêtre donnant sur une pelouse latérale au château :

— Faites-moi le plaisir d'aller reprendre votre voiture et de partir.

Sans bouger d'un centimètre, Sophie lança dans un souffle :

— Nous avons des renseignements sur la clé de voûte du Prieuré.

Teabing la dévisagea pendant quelques secondes avant de pouffer de rire.

— Pas de nouvelle ruse, je vous prie. Robert sait depuis combien de temps je la cherche...

— Elle dit la vérité, dit Langdon. C est pour cela que nous sommes venus vous voir. Pour vous parler de la clé de voûte.

Le majordome intervint :

— Sortez, maintenant ! Ou j'appelle la police.

— Leigh, insista Robert, nous savons où elle est. Teabing semblait perdre l'équilibre.

Rémy traversa la pièce à grands pas :

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— Sortez immédiatement ! Avant que je...

— Rémy ! s'écria Teabing d'un ton sec. Laissez-nous, s'il vous plaît !

— Mais Monsieur..., fit le domestique, interdit. Ces deux personnes...

— Je m'en occuperai moi-même, interrompit son maître en lui indiquant la porte.

Après un silence de stupéfaction, Rémy quitta la pièce comme un chien battu.

Debout dans le courant d'air frais qui entrait par la porte-fenêtre, Teabing se tourna vers Sophie et Langdon, encore méfiant :

— J'espère que tout cela est vrai. Qu'avez-vous appris sur la clé de voûte ?

Tapi derrière l'épaisse haie qui bordait le mur extérieur du bureau, Silas serrait dans la main la crosse de son pistolet tout en surveillant la pièce à travers la porte vitrée. Lorsqu'il était arrivé quelques minutes plus tôt, il avait d'abord vu un homme et une femme qui discutaient dans la grande pièce. Puis un autre homme était entré, soutenu par des béquilles, et il s'était emporté contre le premier. Il avait ouvert une porte-fenêtre et les avait sommés de sortir, lui et la femme. Puis la femme avait parlé de la clé de voûte, et tout avait changé. Les cris avaient fait place à des chuchotements. L'ambiance s'était radoucie. Et l'homme aux béquilles avait refermé la porte vitrée.

Toujours blotti dans l'ombre, Silas se rapprocha de la vitre, pour essayer d'entendre ce qu'ils disaient. La clé de voûte est ici, quelque part dans la maison. Il leur donnait encore cinq minutes. Si d'ici là, ils n'avaient pas révélé l'emplacement de la clé de voûte, il irait leur soutirer le renseignement de force.

Langdon mesurait l'ahurissement de leur hôte.

— Le Grand Maître du Prieuré ? s'étranglait Teabing, le regard tourné vers Sophie. Jacques Saunière ?

Elle hocha la tête.

— Mais vous ne pouviez pas le savoir !

— C'était mon grand-père.

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Titubant sur ses béquilles, l'Anglais interrogea du regard Langdon, qui acquiesça. Il se retourna vers Sophie :

— Mademoiselle Neveu, je suis sans voix. Si c'est vrai, je vous adresse toutes mes condoléances. Je dois vous avouer que, dans le cadre de mes recherches, j'ai établi une liste des personnalités françaises susceptibles de faire partie de la Fraternité. Votre grand-père y figure, parmi bien d'autres. Mais en tant que Grand Maître ?

Après un court silence, il secoua la tête.

— Je ne comprends toujours pas que vous en ayez été informée. Même s'il était le gardien de la clé de voûte du Prieuré, il ne vous aurait jamais dit comment la trouver. La clé de voûte révèle l'emplacement du trésor gardé par la Fraternité. Le fait que vous soyez sa petite-fille ne vous qualifie aucunement pour être initiée à un tel secret.

— C'est en mourant que Jacques Saunière a transmis l'information à Sophie, expliqua Langdon. Il n'avait guère le choix.

— Mais il n'en avait pas besoin non plus. Les trois sénéchaux sont également dans le secret, c'est là toute l'astuce du système. L'un d'eux sera nommé Grand Maître et ils éliront un autre sénéchal, qui sera à son tour mis dans la confidence.

— Je crains que vous n'ayez vu qu'une partie des informations télévisées, dit Sophie. Trois autres personnalités parisiennes ont été tuées aujourd'hui, et de la même manière.

Elles donnaient toutes les trois l'impression d'avoir subi un interrogatoire.

Teabing était bouche bée.

— Et vous croyez qu'il s'agissait...

— Des trois sénéchaux, enchaîna Langdon.

— Mais c'est impossible! Comment voulez-vous que le meurtrier ait réussi à les découvrir tous, quand je n'ai pas réussi à identifier un seul des simples membres de la Fraternité en plus de vingt ans de recherches ? Il est inconcevable qu'ils aient pu être identifiés et tués tous les quatre le même jour.

— Je ne pense pas qu'ils aient obtenu l'information en une seule journée, rétorqua Sophie. Cela ressemble à un plan de décapitation très bien organisé. Nous utilisons cette méthode

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contre les mafias. Quand la PJ décide d'agir contre une bande de malfrats, on commence par les observer et les mettre sur écoute pendant plusieurs mois, pour identifier les plus dangereux. Ensuite on intervient, et on les neutralise tous au même moment. Privée de ses chefs, la mafia se désorganise et on obtient facilement des aveux. Il est tout à fait possible que quelqu'un ait commencé par surveiller le Prieuré, longtemps avant d'attaquer, en espérant que l'un de ses membres finirait par révéler l'emplacement de la clé de voûte.

Teabing n'avait pas l'air convaincu.

— Mais les frères n'auraient jamais parlé. Ils ont juré le secret. Même devant la mort !

— Justement, dit Langdon. Supposez qu'ils n'aient pas parlé, mais qu'ils aient quand même été assassinés...

— Dans ce cas, le secret serait à jamais perdu..., soupira Teabing.

— Et l'emplacement du Graal avec lui, ajouta Langdon.

Teabing chancela. Comme s'il était trop fatigué pour tenir debout un instant de plus, il s'effondra sur une chaise et regarda par la fenêtre. Sophie fit quelques pas vers lui et lui parla d'une voix douce :

— Mon grand-père était dans une situation totalement désespérée. On peut très bien comprendre qu'il ait pensé à quelqu'un d'extérieur au Prieuré pour sauver la clé de voûte de l'oubli. Quelqu'un en qui il avait confiance. Un membre de sa famille.

Le visage de Teabing semblait s'être vidé de son sang.

— Mais qui peut bien avoir été capable d'une telle agression

? D'une si longue et si patiente investigation ?

Il s'interrompit, en proie à une peur soudaine.

— La seule possibilité, c'est que le Prieuré ait été infiltré par son ennemi le plus ancien...

— L'Église ? suggéra Langdon.

— Qui voyez-vous d'autre ? Le Vatican est à la recherche du Graal depuis des siècles.

Sophie fit une moue sceptique.

— C'est l'Église catholique qui aurait fait assassiner mon grand-père ?

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— Ce ne serait pas la première fois que le Vatican commettrait un meurtre pour se protéger. Les documents du Graal contiennent des vérités explosives, et Rome cherche à les détruire depuis très longtemps.

Langdon avait du mal à admettre que le Vatican puisse commettre un assassinat pour mettre la main sur les documents du Graal. Il avait lui-même rencontré le pape actuel et plusieurs de ses cardinaux, et il savait que ces hommes d'une grande spiritualité ne pourraient jamais tolérer l'idée d'un crime de sang. Quels que soient les enjeux.

Sophie semblait penser comme lui.

— N'est-il pas possible que les membres du Prieuré aient été assassinés par quelqu'un d'extérieur à l'Église ? Quelqu'un qui ignorait ce qu'est vraiment le Graal ? La coupe du Christ peut être un trésor très convoité. Il y a des chasseurs de trésors qui ont tué pour moins que ça...

— D'après mon expérience, les hommes se donnent beaucoup plus de mal pour éviter ce qui leur fait peur que pour obtenir ce qu'ils désirent. La décapitation du Prieuré ressemble fort à un acte désespéré.

— Ce serait tout de même paradoxal, objecta Langdon.

Pourquoi le Vatican chercherait-il à détruire des documents dont il a toujours prétendu qu'ils n'étaient que de faux témoignages ?

Teabing laissa échapper un ricanement.

— Mon pauvre Robert, votre séjour dans la tour d'ivoire de Harvard semble avoir émoussé votre perspicacité. L'Église romaine est en effet armée d'une foi très puissante, qui la rend capable de résister à bien des tempêtes, y compris à la diffusion de documents contradictoires avec le dogme qu'elle professe.

Mais pensez au commun des mortels, aux millions de croyants plus ou moins convaincus qui se demandent ce que Dieu est devenu dans un monde qui leur fait peur. Ceux qui assistent aux scandales qui touchent leur clergé et se demandent quels sont ces hommes qui prétendent détenir et diffuser la vérité sur Jésus-Christ, tout en proférant des mensonges pour masquer les crimes pédophiles dont sont coupables leurs propres prêtres.

Qu'adviendra-t-il de tous ces gens si on leur fournit la preuve

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indubitable que la version ecclésiale de l'histoire de Jésus est une manipulation, et la plus belle histoire de l'humanité, une opération de désinformation ?

Langdon se taisait.

— Je vais vous dire ce qui se passera si ces documents sont un jour publiés, reprit Teabing. Le Vatican connaîtra la crise la plus grave de toute son histoire.

Un long silence s'installa, rompu par Sophie :

— Mais si c'est bien le Vatican qui est responsable de ces meurtres, pourquoi avoir attendu si longtemps ? Après tant d'années ? Puisque ces documents sont si bien protégés par le Prieuré, ils ne représentent pas une menace immédiate pour l'Église...

Teabing laissa échapper un soupir de tristesse.

— Mademoiselle Neveu, Robert sait comme moi qu'il existe depuis longtemps un accord tacite entre les deux adversaires. Si l'Eglise ne s'attaque pas à la Fraternité, cette dernière ne diffusera pas les documents qu'elle détient. Toutefois, le Prieuré a toujours nourri le projet de dévoiler son secret, à une date spécifique de l'histoire. Les gardiens du Graal rompront alors le silence et terrasseront leur vieil ennemi en proclamant triomphalement aux yeux du monde la vérité sur Jésus.

Sophie alla elle aussi s'asseoir sur une chaise.

— Et vous croyez que cette date approche ? Et que le Vatican la connaît ?

— C'est une supposition, bien sûr. Mais elle expliquerait pourquoi Rome serait passé à l'attaque pour mettre la main sur les documents avant qu'il soit trop tard.

Langdon commençait à se dire que Teabing n'avait peut-

être pas tort.

— Pensez-vous que l'Église ait pu obtenir des renseignements sur cette fameuse date ?

— Pourquoi pas ? S’ils ont été capables d'identifier le Grand Maître et les trois sénéchaux, ils ont pu également apprendre leur projet. Et même s'ils ne savent pas précisément à quel moment le Prieuré a l'intention d'agir, ils ont probablement préféré ne pas courir le risque, la superstition aidant...

— Quelle superstition ? demanda Sophie.

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— Si l'on en croit certaines prophéties astrologiques, nous traversons une époque d'énormes changements. Le deuxième millénaire vient de se terminer et, avec lui, a pris fin l'ère astrologique des Poissons - qui était aussi le signe de Jésus-Christ. Tous les astrologues vous diront qu'au cours de cette ère, ce sont des puissances supérieures qui doivent dicter leurs actes aux hommes, présentés comme incapables de se diriger eux-mêmes. Ce qui expliquerait pourquoi les deux mille ans qui viennent de s'écouler ont été aussi riches sur le plan religieux.

Mais nous venons d'entrer dans l'ère du Verseau - le porteur d'eau - pour lequel l'homme doit découvrir lui-même la vérité, et s'exercer à penser librement. C'est un changement idéologique énorme qui est en train de se produire.

Langdon frissonna. S'il n'accordait guère d'intérêt ou de crédibilité à l'astrologie, il savait qu'elle comptait des adeptes au sein même de l'Église.

— C'est cette période de transition qu'on appelle la Fin des Temps, expliqua-t-il à Sophie.

— La fin du monde ? Celle de l'Apocalypse ?

— Non, la confusion est courante, répondit Langdon.

Plusieurs religions évoquent la Fin des Temps, non pas comme la fin du monde, mais plutôt comme celle d'une époque. Celle des Poissons, qui s'est ouverte au moment de la naissance de Jésus, et a amorcé son déclin à la fin du millénaire. Avec le passage à l'ère du Verseau, la Fin des Temps est arrivée.

— De nombreux historiens du Graal, reprit Teabing, estiment que, si le Prieuré a

effectivement l'intention de publier la vérité, ce moment de l'Histoire serait symboliquement très adapté. La plupart des spécialistes de la société secrète - et j'en fais partie - pensaient que la révélation coïnciderait précisément avec l'avènement du troisième millénaire. Ce qui, de toute évidence, n'a pas été le cas. Certes, le calendrier romain ne concorde pas exactement avec les cycles astrologiques, ce qui peut donner un peu de flou à la prédiction. Quant à savoir si l'Eglise a réussi à obtenir des renseignements sur l'imminence de cette date, ou si elle s'inquiète tout simplement en raison de la prophétie, je ne saurais le dire. C'est d'ailleurs sans grande importance. On

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comprendrait très bien que, dans l'un ou l'autre cas, elle ait cherché à prendre l'offensive contre le Prieuré. Et faites-moi confiance, si Rome parvient à mettre la main sur le Graal, ce sera pour le détruire tout entier : les reliques de Marie Madeleine comme les documents qui témoignent de son histoire. Et alors, ma chère Sophie, toutes les preuves seront perdues. Le Vatican aura gagné la guerre sans merci qu'il a engagée il y a des siècles pour étouffer la vérité. Et le secret du passé sera enterré à tout jamais.

Sophie plongea la main dans sa poche et en tira lentement la petite clé cruciforme, qu'elle déposa dans la main de Teabing.

— Mon Dieu, le sceau du Prieuré ! s'exclama-t-il. Où avez-vous trouvé cet objet ?

— C'est mon grand-père qui vient de me la donner, juste avant de mourir...

— Est-ce la clé d'une église ? Sophie prit une longue respiration.

— C'est celle de la clé de voûte du Prieuré. Teabing tressaillit et ouvrit des yeux incrédules.

— Ce n'est pas possible ! J'ai fouillé une à une toutes les églises de France !

— Elle n'était pas cachée dans une église, dit Sophie. Mais dans le coffre d'une banque suisse.

L'exaltation de l'historien retomba.

— Impossible ! Elle est censée être cachée « sous le signe de la Rose ».

— En effet. La clé de voûte est enfermée dans une boîte en bois de rose, dont le couvercle comporte un motif de marqueterie représentant une fleur pentapétale.

Teabing eut l'air d'avoir été frappé par la foudre.

— Vous voulez dire que vous avez vu la clé de voûte ?

— Nous sortons de cette banque, répondit Sophie.

Teabing s'approcha d'eux, les yeux écarquillés d'inquiétude.

— Mes chers amis, il faut agir de toute urgence. La clé de voûte est en danger et c'est notre devoir de la protéger. Et s'il existait d'autres clés comme celle-ci ? Qui auraient été volées aux trois sénéchaux ? Si le Vatican pouvait avoir accès au coffre...

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— Ils arriveront trop tard. Nous l'avons sortie de la banque, dit Sophie.

— Qu'est-ce que vous dites ?

— Ne vous inquiétez pas, coupa Langdon. La clé de voûte est en sécurité.

— J'aimerais en être certain ! Langdon ne put réprimer un sourire :

— Pour ne rien vous cacher, cela dépend de la fréquence à laquelle vous balayez sous le divan !

Le vent s'était levé, gonflant la robe de bure de Silas. Il n'avait saisi qu'une partie de la conversation, mais il était certain d'avoir entendu prononcer plusieurs fois les mots clé de voûte.

Elle est à l'intérieur du château.

Les paroles du Maître étaient encore fraîches dans sa mémoire : « Entre dans le château de Villette et prends-y la clé de voûte. Ne fais de mal à personne, »

Les deux hommes et la femme avaient quitté la pièce et éteint les lumières. Comme une panthère talonnant sa proie, Silas bondit jusqu'à la porte-fenêtre, qui n'était pas verrouillée.

Il se glissa à l'intérieur et la referma sans bruit. Il entendait au loin des voix étouffées. Sortant son pistolet de sa poche, il débloqua le cran de sécurité et se dirigea à pas de loup vers le hall d'entrée.

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63


Debout devant la grille d'entrée, l'inspecteur Collet contemplait le château de sir Leigh Teabing qui se dressait au bout de la longue allée . Isolé. Dans un parc sombre. Parfait pour l'embuscade. Puis il suivit des yeux six de ses agents qui prenaient position le long de la clôture, prêts à l'enjamber. Il ne leur faudrait que quelques minutes pour encercler le château.

Langdon n'aurait pas pu choisir d'endroit plus facile d'accès pour un assaut surprise.

Il était sur le point d'appeler Fache, lorsque son portable sonna.

Contrairement aux prévisions de Collet, le commissaire n'avait pas l'air content du tout.

— Pourquoi ne m'a-t-on pas prévenu qu'on avait retrouvé Langdon ? cria-t-il.

— Vous étiez en ligne, commissaire.

— Où êtes-vous, exactement ? Collet lui donna l'adresse.

— La propriété appartient à un Anglais, du nom de Leigh Teabing. Langdon a fait un bout de route pour arriver là. Sa voiture doit être à l'intérieur du parc. La grille est sécurisée et il n'y a aucun signe d'effraction. Il y a donc de grandes chances pour qu'il connaisse le propriétaire.

— Je vous rejoins. En attendant, ne bougez pas. Je tiens à l'arrêter personnellement.

La mâchoire de Collet retomba.

— Mais commissaire, vous êtes à une vingtaine de minutes d'ici ! Il faut intervenir immédiatement ! Je le tiens, et je dispose de huit hommes au total. Quatre avec des fusils d'assaut, quatre avec des armes de poing.

— Attendez-moi !

— Commissaire ! Et si Langdon retient quelqu'un en otage ?

S'il nous a repérés et qu'il décide de ficher le camp ? Il faut y aller tout de suite. Mes hommes sont en position, prêts à donner l'assaut.

— Inspecteur Collet, je vous interdis de faire quoi que ce soit avant mon arrivée. C'est un ordre !

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Et Fache raccrocha. Muet de stupéfaction, Collet éteignit son portable. Qu'est-ce qui lui prend, à vouloir que je l'attende ?

Il connaissait la réponse. Fache n'était pas seulement réputé pour son flair, il l'était aussi pour sa vanité. Il veut se garder le bénéfice de l'arrestation. Après avoir fait diffuser la photo de Langdon sur toutes les télévisions, il voulait être sûr d'y apparaître aussi. Quant à Collet, il était tout juste bon à faire le siège en attendant que Fache vienne cueillir la victoire.

Une autre explication lui traversa l'esprit. Ou alors, il cherche à limiter les dégâts. C'est ce qu'on fait quand on n'est pas certain de la culpabilité d'un suspect. Peut-être se demande-t-il si Langdon est bien son homme. L'hypothèse était inquiétante. Fache avait sorti le grand jeu pour arrêter l'Américain - la surveillance cachée, Interpol, les télévisions. Il aurait du mal à survivre aux retombées politiques et diplomatiques d'une erreur pareille. S'il pensait finalement que Langdon n'était pas le meurtrier de Saunière, mieux valait en effet éviter à ce brave Britannique la vision de son château assiégé par une dizaine de flics armés et l'arrestation de son hôte américain.

Qui plus est, l'hypothèse d'un Langdon innocent avait l'avantage d'expliquer l'un des plus étranges paradoxes de cette affaire : pourquoi Sophie Neveu, la propre petite-fille de la victime, avait-elle aidé un suspect à s'évader du Louvre ? Il fallait qu'elle soit certaine que les charges retenues contre lui étaient fausses. Le commissaire Fache hésitait entre plusieurs interprétations du comportement étrange de la jeune inspectrice, sans exclure l'hypothèse d'un meurtre crapuleux : l'unique héritière de Saunière aurait persuadé son amant, Robert Langdon, d'assassiner son grand-père pour hériter plus vite. D'où le sens du « P.S. Trouver Robert Langdon » écrit par la victime avant de mourir. Mais Collet était pratiquement certain que l'explication était ailleurs. Sophie Neveu avait une personnalité beaucoup trop saine et solide pour se compromettre dans un crime aussi sordide. Un de ses agents arrivait en courant à sa rencontre.

— Inspecteur ! On a trouvé une voiture ! Collet l'accompagna cinquante mètres plus bas et l'agent lui désigna

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un épaulement herbeux de l'autre côté de la route. Une Audi noire y était garée, presque complètement dissimulée sous les taillis. Les plaques minéralogiques semblaient indiquer une voiture de location. Collet tâta le capot. Encore chaud. Presque brûlant, même.

— C'est peut-être là-dedans que Langdon est arrivé.

Appelez le loueur, et vérifiez que ce n'est pas une voiture volée.

— OK, inspecteur.

Un autre agent rappelait Collet devant la grille.

— Regardez là-bas, inspecteur, dit-il en lui tendant une paire de jumelles à vision nocturne. Sous les arbres, au bout de l'allée principale...

Collet orienta les jumelles dans la direction indiquée et tourna la molette de mise au point. Ayant repéré la courbe finale de l'allée, il la suivit jusqu'à un bosquet de persistants. Il resta bouche bée. Enseveli sous la verdure, il y avait un fourgon, identique à celui qu'il avait laissé sortir de la Zurichoise de Dépôt. Tout en priant pour qu'il s'agisse d'une coïncidence, il savait qu'il n'en était rien.

— C'est évidemment dans cette camionnette qu'ils ont réussi à quitter la banque tout à l'heure, fit l'agent.

Collet revit le chauffeur qu'il avait interrogé. Sa Rolex. Son impatience à sortir de la banque. « Je ne vérifie jamais mon chargement. »

Il n'en croyait pas ses yeux. Quelqu'un dans cette banque avait menti à la PJ et aidé Langdon et Sophie à s'enfuir. Mais qui ? Et pourquoi ? Collet se demanda si c'était la raison pour laquelle Fache lui avait interdit d'agir. Peut-être le commissaire s'était-il rendu compte que Langdon et Sophie Neveu n'étaient pas les seuls impliqués dans l'affaire. Et s'ils sont arrivés dans ce fourgon, qui donc était au volant de l'Audi ?

À plusieurs centaines de kilomètres au sud, un Beechcraft Baron 58 survolait la mer Tyrrhénienne. Malgré un ciel très calme, Mgr Aringarosa agrippait un sachet de papier, persuadé qu'il allait vomir d'un moment à l'autre. La conversation qu'il venait d'avoir au téléphone n'avait rien à voir avec ce qu'il avait imaginé.

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Seul dans la petite cabine, il tournait sa bague d'améthyste autour de son doigt, en tentant de surmonter la peur et le désespoir qui l'envahissaient. L'opération prévue à Paris a pris une tournure tragique. Fermant les yeux, il pria pour que Bézu Fache parvienne à retourner la situation.

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Assis sur le canapé du salon, plongé dans l'admiration de la rose incrustée sur le couvercle, Teabing tenait délicatement sur ses genoux le coffret en marqueterie. Cette nuit est la plus étrange, la plus magique de ma vie.

— Soulevez le couvercle, murmura Sophie. Langdon et elle se penchèrent au-dessus de lui.

Teabing sourit. Pas de précipitation. Après plus de dix années de recherches, il tenait à savourer chaque millième de seconde de ce moment. Il caressa de la main le couvercle, pour sentir le léger relief de la rose incrustée.

— La Rose ! soupira-t-il.

La Rose, c'est Marie Madeleine, c'est le Saint-Graal. La rose des vents qui indique la voie. Il se sentait ridiculisé.

Pendant des années, il avait visité toutes les cathédrales, toutes les églises de France. Il avait payé pour pouvoir y entrer seul. Il avait inspecté des milliers de croisées d'ogives, de rosaces, à la recherche d'une clé de voûte portant un message crypté. La clé de voûte, pierre gravée, cachée sous le signe de la Rose.

Avec une douceur infinie, il ouvrit le loquet, souleva le couvercle.

Découvrant enfin son contenu, il sut tout de suite que cela ne pouvait être que la clé de voûte. Il avait sous les yeux un cylindre de pierre ouvragé, composé de cadrans contigus sur lesquels étaient gravées des lettres. Un mécanisme qui lui paraissait étonnamment familier.

— Il a été fabriqué d'après un croquis de Leonardo Da Vinci, souffla Sophie. C'était un des passe-temps favoris de mon grand-père.

Bien sûr, se dit Teabing. II avait vu les croquis et les schémas. La clé du Graal est cachée dans ce cylindre en pierre.

Il souleva le cryptex et le tint entre ses mains. Bien que n'ayant aucune idée de la façon dont il pourrait l'ouvrir, il sentait que son destin tout entier se trouvait à l'intérieur. Il s'était tant de fois demandé s'il trouverait un jour la récompense à la quête de toute une vie. Ces inquiétudes étaient désormais évanouies. Il

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crut réentendre les formules anciennes, qui avaient fondé la légende du Graal.

« Vous ne trouvez pas le Saint-Graal, c'est le Saint-Graal qui vous trouve. »

C'était incroyable. Cette nuit, le Graal était venu le chercher, chez lui.

Laissant Sophie et Teabing parler du cryptex, du flacon de vinaigre et de leurs hypothèses sur le mot de passe, Langdon alla poser la boîte sur une table bien éclairée. Il venait d'avoir une idée, que les propos de Teabing lui avaient suggérée.

La clé du Graal est cachée sous le signe de la Rose.

Il souleva le coffret sous la lampe, pour examiner de plus près la rose de bois clair. Sans être un spécialiste en marqueterie, il s'était soudain rappelé ce monastère près de Madrid, dont les tuiles du plafond, plusieurs siècles après sa construction, avaient commencé à se détacher, mettant au jour des textes sacrés que les moines avaient gravés à même l'enduit.

Il contempla le couvercle.

Sous la Rose.

Sub Rosa.

Secret.

Un bruit soudain qui venait de l'entrée le fit se retourner, mais il ne vit que des ombres. C'était probablement le domestique qui passait. Il se pencha à nouveau sur le coffret, caressa des doigts la fleur, pour vérifier si on ne pouvait pas la soulever. Mais elle était trop finement incrustée dans le bois.

Même avec une lame de rasoir il ne serait pas arrivé à déloger le motif parfaitement encastré dans son habitacle.

Il ouvrit la boîte pour examiner l'intérieur du couvercle.

L'envers était parfaitement lisse. Mais en le déplaçant sous la lampe, il aperçut un trou minuscule, exactement au centre. Il referma le coffret, espérant trouver un orifice semblable dans le motif central. Rien.

L'orifice ne traverse pas le couvercle.

Il reposa la boîte sur la table et se retourna. Il aperçut sur une commode une liasse de feuilles attachées par un trombone.

Il alla le détacher, retourna vers le coffret, qu'il ouvrit, et observa encore le petit orifice. Puis il déplia le trombone et y

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inséra la tige en appuyant légèrement. Un petit bruit sec résonna sous le couvercle. Il referma le coffret. Un morceau de bois était tombé sur la table, comme la pièce d'un puzzle : la rose de bois clair, délogée de son écrin.

Sans pouvoir dire un mot, il examina la petite cavité qu'elle avait libérée dans le couvercle. Quatre lignes de texte étaient soigneusement gravées dans le bois, dans un alphabet qui lui était totalement inconnu.

Cela ressemble vaguement à un alphabet sémitique, se dit-il. Mais impossible de reconnaître la langue !

Il entendit un mouvement brusque derrière lui et reçut un coup violent à la tête. Il tomba à genoux.

Il crut un instant voir un fantôme qui se penchait sur lui, une arme à la main. Puis tout devint noir.

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Dans toute sa carrière de policière, jamais Sophie ne s'était trouvée sous la menace d'une arme. Celle-ci était tenue par la main blanche d'un incroyable colosse albinos aux longs cheveux blancs. Il la fixait de son regard rouge et comme désincarné.

Vêtu d'une longue robe de bure nouée par une corde, il ressemblait à un moine du Moyen Âge. Sans pouvoir comprendre qui il était, elle eut le sentiment soudain que les soupçons de Teabing sur une agression commanditée par l'Église n'étaient pas sans fondement.

— Vous savez ce que je suis venu chercher, dit le curieux moine d'une voix d'outre-tombe.

Teabing était assis à côté d'elle sur le canapé, les deux bras levés comme elle. Langdon gémissait, étendu à côté d'une table.

Le moine avait les yeux fixés sur le cryptex posé sur les genoux de Teabing.

— Vous ne serez jamais capable de l'ouvrir, siffla l'Anglais d'un ton de défi.

— Mon Maître est très savant, répliqua le moine en s'approchant, visant tour à tour Teabing et Sophie.

Sophie se demanda ce qu'était devenu le domestique. Il n 'a rien entendu ?

— Qui est-ce, votre Maître ? questionna Teabing. Nous pourrions peut-être trouver un arrangement financier...

— Le Graal n'a pas de prix.

Il avança encore d'un pas. Un filet de sang apparut sur sa cheville

— Vous saignez, remarqua froidement Teabing. Et vous boitez.

— Comme vous, répliqua l'homme avec un signe de tête en direction des deux béquilles appuyées contre le divan. Et maintenant, donnez-moi la clé de voûte.

— Comment êtes-vous au courant? s'étonna Teabing.

— Peu importe. Levez-vous calmement et apportez-la-moi.

— J'ai du mal à tenir debout.

— Tant mieux. Je ne veux pas de mouvements précipités.

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Teabing saisit une béquille de la main droite et, tenant le cryptex dans la main gauche, il se leva en vacillant.

Le moine s'approcha de lui à moins d'un mètre, le canon de son pistolet braqué droit sur sa tête.

Muette d'impuissance, Sophie le vit tendre la main vers le cylindre de pierre.

— Vous n'y arriverez pas, menaça Teabing. Seuls les justes peuvent l'ouvrir.

Dieu seul peut juger de ceux qui sont justes, pensa Silas.

— C'est très lourd, fît l'homme aux béquilles, dont le bras gauche commençait à trembler. Si vous ne la prenez pas tout de suite, j'ai bien peur de la laisser tomber.

Il titubait dangereusement.

Silas se précipita vers la clé de voûte mais l'Anglais perdit l'équilibre. La béquille glissa sous son bras, et il bascula sur la droite. Non ! Silas s'élança vers le cryptex, en baissant la main qui tenait le pistolet. Mais la clé de voûte lui échappa. Teabing balança son bras en arrière et la jeta sur le divan. Au même instant, sa béquille métallique se redressait et décrivait un arc de cercle vers la cuisse de Silas.

Une douleur fulgurante tétanisa le moine albinos. Le coup avait directement frappé son cilice, dont les pointes déchiraient sa chair déjà meurtrie. Il plia sous la douleur et s'effondra sur les genoux, enfonçant encore plus profondément les pointes dans sa chair. Un coup de pistolet partit, la balle troua une latte de parquet. Silas s'écroula. Avant qu'il ait pu redresser son arme pour tirer à nouveau, la femme lui décocha un violent coup de pied dans la mâchoire.

Derrière la grille d'entrée, Collet, au bruit étouffé d'un coup de pistolet, fut saisi de panique. Fache n'allait pas tarder à arriver et l'inspecteur avait déjà abandonné tout espoir d'un quelconque bénéfice personnel, pour avoir découvert la cachette de Langdon. Mais il n'allait pas en plus offrir au commissaire la satisfaction de le traîner devant l'Inspection générale des services...

« Vous avez entendu tirer un coup de feu dans la résidence d'un particulier, et vous êtes resté planté au pied de l’allée ? »

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S'il était conscient que l'occasion de réussir une approche furtive était passée depuis longtemps, Collet savait aussi que, s'il restait inactif une minute de plus, sa carrière serait brisée dès le lendemain. Il leva les yeux vers la grille d'entrée et prit sa décision.

— On y va !

Dans les profondeurs cotonneuses où il flottait encore, Langdon avait perçu un coup de feu, accompagné d'un hurlement de douleur. Était-ce lui qui l'avait poussé ? Un marteau piqueur lui vrillait l'arrière du crâne. Il entendait des voix autour de lui.

— Mais où étiez-vous, bon Dieu ? hurlait Teabing.

Le domestique arriva en courant.

— Que s'est-il passé ? Oh, mon Dieu ! Qu'est-ce que c'est que ce... ? J'appelle la police !

— Pas question ! Rendez-vous utile, aidez-nous plutôt à neutraliser ce monstre !

— Et apportez de la glace ! ordonna Sophie d'une voix impérieuse.

Langdon sombra à nouveau dans une semi-inconscience.

Encore des voix, des mouvements. Lorsqu'il revint à lui, il était assis sur le divan et Sophie lui appliquait un sac de glace sur la tête. Tout son crâne le faisait souffrir. Peu à peu, sa vision s'éclairât et il aperçut une forme humaine inerte au pied du divan. Est-ce une hallucination ? Le corps massif d'un moine albinos gisait à ses pieds, ligoté et bâillonné avec du ruban adhésif. Il avait le menton ouvert et le bas de sa robe était couvert de sang. Lui aussi semblait en train de reprendre connaissance.

— Qui est-ce ? demanda-t-il à Sophie. Que s'est-il passé?

Teabing s'approchait en claudiquant.

— Vous avez été sauvé par un chevalier brandissant son Excalibur orthopédique...

Hein ? Langdon essaya de se redresser.

— Attendez encore un peu, Robert, murmura Sophie d'une voix douce, une main fermement posée sur son front.

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— Je crois avoir démontré à votre jeune amie les bienfaits collatéraux de mon infirmité. On est toujours sous-estimé !

Les yeux rivés sur le moine, Langdon essayait d'imaginer ce qui s'était passé.

— Il portait un cilice, expliqua Teabing.

— Un quoi ?

— Parfaitement, répliqua Teabing, en désignant sur le sol une sorte de ceinture de cuir garnie de pointes ensanglantées.

Autour de la cuisse. Je n'ai pas trop mal visé.

Langdon se frotta le crâne.

— Mais... comment le saviez-vous ?

— Mon cher Robert, je suis un spécialiste de l'histoire de la chrétienté, et il y a des sectes qui sont particulièrement démonstratives... oserais-je dire.

— L’Opus Dei, murmura Langdon, se souvenant d'un fait divers récemment relaté dans la presse.

Trois hommes d'affaires de Boston en vue avaient été accusés, par quelques collègues inquiets, de porter un cilice sous leur costume trois-pièces. Les soupçons s'étaient révélés faux, car il ne s'agissait que de trois surnuméraires de l’Opus Dei qui ne pratiquaient pas la mortification corporelle. Ils n'étaient en fait que des catholiques fervents, suivant de très près l'éducation de leurs enfants, et membres dévoués de leur paroisse. Les médias en avaient évidemment profité pour s'attarder sur la description des habitudes plus choquantes - et donc plus vendeuses - de leurs frères numéraires... dont faisait certainement partie le moine allongé sur le parquet de Teabing.

Le Britannique examinait de près la ceinture barbelée.

— Mais pourquoi diable l’Opus Dei serait-il à la recherche du Graal ?

Langdon était trop sonné pour réfléchir à la question.

— Robert, demanda Sophie en se dirigeant vers le coffret.

Qu'est-ce que c'est que ça ?

Elle tenait à la main la petite rose qui s'était détachée du couvercle.

— Elle recouvrait un texte gravé sur le couvercle. On devrait pouvoir y trouver le mot de passe qui ouvre le cryptex.

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Avant que Sophie ou Teabing aient eu le temps de réagir, la lueur bleue de gyrophares, accompagnée d'un hurlement de sirènes, surgit au bas de la colline, remontant la longue allée.

Teabing fronça les sourcils.

— Mes chers amis, il me semble que nous avons une décision à prendre. Et ce, sans perdre de temps...

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L'arme au poing, Collet et ses agents enfoncèrent la porte d'entrée du château. Ils se déployèrent en éventail pour inspecter toutes les pièces du rez-de-chaussée. Les policiers trouvèrent dans le salon un projectile dans le plancher, des traces de lutte, une petite flaque de sang, une curieuse ceinture de cuir à pointes de métal et un rouleau de ruban adhésif entamé. Mais pas âme qui vive, dans aucune des pièces.

Au moment où l'inspecteur allait envoyer ses hommes au sous-sol et dans le parc, il entendit des voix au premier étage.

— Ils sont là-haut !

Ils se précipitèrent dans l'escalier, fouillèrent les corridors et une enfilade de chambres obscures, se rapprochant des voix, qui semblaient venir de la dernière pièce, située au fond d'un immense couloir. Les policiers avançaient lentement, bloquant toutes les issues possibles.

La porte était grande ouverte. Les voix s'étaient soudain tues, remplacées par le ronronnement d'un moteur.

Collet donna le signal de l'assaut. S'engageant dans l'embrasure, il trouva le bouton électrique et alluma la lumière.

Suivi de ses hommes, il pivota rapidement sur lui-même et poussa un cri, l'arme dirigée vers... rien.

Une magnifique chambre d'amis. Déserte.

Le grondement d'un moteur de voiture sortait d'un tableau électronique noir, accroché au mur près du lit, identique à ceux qu'il avait vus dans les autres chambres. Un système d'interphone. Il s'y précipita. Le panneau comportait une douzaine de boutons surmontés chacun d'une étiquette.

BUREAU... CUISINE... BUANDERIE... CELLIER...

— D'où vient ce bruit de voiture ?

CHAMBRE SIR LEIGH... SOLARIUM... GRANGE...

BIBLIOTHÈQUE...

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La grange ! En moins de trente secondes il avait atteint le pied de l'escalier. Empoignant par le bras un de ses hommes, il sortit en courant, fit le tour du château, traversa la pelouse arrière, et arriva hors d'haleine à la porte d'un vieux bâtiment de pierre grise. Avant même d'entrer, Collet entendit derrière la porte un bruit de moteur qui s'éloignait. Il tira son arme, se rua à l'intérieur et enfonça l'interrupteur.

La partie droite de la grange hébergeait un atelier rudimentaire - tondeuses à gazon, outils de mécanicien et de jardinage. Sur le panneau d'interphone accroché au mur, l'un des interrupteurs était baissé :

CHAMBRE D'AMIS II.

Collet fît volte-face, la rage au ventre. Ils nous ont attirés au premier étage. Il alla inspecter l'aile gauche de la grange, où s'alignaient des stalles d'écuries. Sans chevaux. Le propriétaire les avait converties en boxes pour y loger ses voitures. Le parc automobile était impressionnant : une Ferrari noire, une splendide Rolls-Royce flambant neuve, un coupé Aston Martin de collection, et une Porsche 356.

La dernière stalle était vide, le sol maculé de taches d'huile.

Ils ne pourront pas quitter la propriété. L'entrée de l'allée était barricadée par deux voitures de police.

— Inspecteur ? appela son compagnon, en montrant du doigt le fond du dernier box.

Derrière la grange, au-delà de la porte grande ouverte, on apercevait une côte boueuse.

Collet se précipita dehors mais ne put discerner qu'une forêt au loin. Ni phares, ni feux arrière. La vallée boisée était probablement sillonnée par un réseau de chemins forestiers et de pistes pour la chasse, mais Collet était certain que les fugitifs ne pourraient pas traverser un terrain aussi accidenté.

— Envoyez quelques hommes là-bas, ordonna-t-il. Ils sont peut-être déjà embourbés quelque part.

Ces petites voitures de sport, ça ne vaut rien sur ce type de terrain...

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— Mais...?

Le policier montra du doigt un panneau de bois où étaient accrochées des clés de voiture, sous des étiquettes d'identification.

FERRARI... ROLLS... ASTON MARTIN... PORSCHE...

Le dernier crochet était vide. En lisant l'étiquette correspondante, Collet comprit que ses problèmes ne faisaient que commencer.

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Le Range Rover était un Java Black Pearl à quatre roues motrices, transmission manuelle, phares en polypropylène, grilles de protection pour feux arrière, et conduite à droite.

Langdon était heureux de ne pas être au volant.

Sous la direction de Teabing, Rémy manœuvrait à merveille, avec le clair de lune pour seul éclairage, dans la descente à travers champs. Il venait de franchir une butte de terre tous feux éteints et dévalait maintenant une longue pente qui les éloignait du château. Il semblait se diriger vers la silhouette d'un bois qu'on devinait au loin.

Tenant à deux mains le coffret sur ses genoux, Langdon se retourna vers Teabing et Sophie, assis sur la banquette arrière.

— Comment va votre tête ? lui demanda Sophie d'une voix inquiète.

Il lui renvoya un sourire forcé.

— Beaucoup mieux.

Il avait affreusement mal.

Teabing se retourna vers l'albinos ligoté, roulé en boule dans le coffre derrière lui. Il se rassit bien droit, l'arme du moine posée sur les genoux, comme un chasseur de safari posant avec son trophée pour une photo souvenir.

— Comme je suis heureux, mon cher Robert, de votre visite impromptue cette nuit !

— Je suis navré de vous avoir entraîné dans cette histoire, Leigh.

— Je vous en prie ! J'ai attendu toute ma vie une aventure de ce genre !

Apercevant par le pare-brise l'ombre d'une longue haie, il posa une main sur l'épaule de Rémy.

— N'oubliez pas, Rémy, aucun coup de frein. En cas d'urgence, servez-vous du frein à main. Je voudrais attendre que nous soyons rentrés dans les bois. Ne risquons pas d'être aperçus depuis la maison.

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Le chauffeur rétrograda avant de passer dans une brèche de la haie. La voiture s'engagea sur un chemin et la lune disparut derrière les branches des arbres.

Je n 'y vois absolument rien, se dit Langdon en essayant de distinguer un quelconque repère devant eux. L'obscurité était complète. Les branches basses raclaient la gauche du Range Rover, que Rémy redressa vers la droite. Sans toucher pratiquement au volant, il progressa d'une trentaine de mètres.

— Rémy, vous êtes parfait ! Je pense que nous sommes assez loin maintenant. Robert, pourriez-vous appuyer sur le petit bouton bleu, juste au-dessous du ventilateur ? Vous le voyez ?

Langdon s'exécuta.

Une faible lueur jaune balaya le chemin devant eux, faisant surgir d'épais taillis de chaque côté. Les feux de brouillard, comprit Langdon. Ils donnaient juste assez de lumière pour les guider, sans pour autant risquer de les signaler.

— Et voilà, Rémy ! s'exclama Teabing. Vous y voyez clair !

Nos vies sont entre vos mains.

— Où allons-nous ? demanda Sophie.

— Ce chemin traverse la forêt sur environ trois kilomètres.

Ensuite, nous sortons de la propriété et nous bifurquons vers le nord. Si nous ne rencontrons pas une vieille souche ou une mare, nous devrions nous retrouver indemnes sur l'autoroute A13. Indemnes. La tête de Langdon lui martelait le contraire. Il baissa les yeux vers le coffret, où le cryptex avait été remis à l'abri. La rose de marqueterie avait été relogée dans son habitacle et, malgré la migraine qui lui perforait les tempes, il brûlait d'envie de la déboîter à nouveau, pour pouvoir étudier la curieuse inscription qu'il n'avait qu'entrevue avant d'être assommé par le moine albinos. Il ouvrit la serrure, souleva doucement le couvercle. Teabing lui tapota l'épaule.

— Patience, Robert. La route est pleine de bosses et il fait nuit notre. Par pitié, ne cassons rien ! Si vous n'avez pas pu reconnaître en pleine lumière de quelle langue il s'agissait, ce n'est pas maintenant que vous y arriverez. Nous n'en avons plus pour longtemps.

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Il avait raison. Langdon hocha la tête et referma le coffret.

À l'arrière, le moine gémissait et se débattait dans ses bandages de Chatterton. Il se mit à donner de violents coups de pied contre le dossier de la banquette arrière. Teabing se retourna vers lui en le menaçant du pistolet.

— Je ne vois vraiment pas de quoi vous pouvez vous plaindre ! Vous vous êtes introduit chez moi par effraction, et avez blessé d'un fort vilain coup le crâne d'un ami très cher. Je serais en droit de vous abattre sur-le-champ et de laisser votre cadavre pourrir dans les sous-bois...

Le moine se tut.

— Vous êtes sûr que c'était une bonne idée de remmener avec nous ? demanda Langdon.

— Plus que sûr ! s'exclama Teabing. Vous êtes recherché pour meurtre, mon cher Robert. Cette fripouille est votre passeport pour la liberté. Je parie qu'il détient la preuve de votre innocence. La police m'a l'air bien acharnée contre vous, pour vous avoir filé jusque chez moi.

— C'est ma faute, dit Sophie. J'aurais dû me douter qu'il y avait un mouchard dans le fourgon de la banque.

— Peu importe, répliqua Teabing. Ce qui m'étonne, ce n'est pas que la police vous ait retrouvés, c'est que cet hurluberlu de l’Opus Dei ait réussi à vous dénicher. Si j'en crois ce que vous m'avez dit, je ne vois pas comment il a pu retrouver votre trace sans un contact avec la PJ ou avec cette banque zurichoise.

Langdon réfléchit à la question. Fache cherchait visiblement un bouc émissaire pour les crimes de la journée. Et Vernet les avait subitement lâchés, Sophie et lui. Il est vrai que ce revirement était compréhensible, s'il avait appris les meurtres dont on accusait Langdon.

— Ce moine ne travaille pas seul, reprit Teabing. Et tant que nous ne connaissons pas son commanditaire, vous et Sophie êtes en danger. Mais la bonne nouvelle, c'est que vous êtes maintenant en position de force. Ce pauvre bougre derrière moi détient l'information, et celui qui tire les ficelles doit commencer à s'énerver.

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Maintenant que la voie était éclairée, Rémy prenait de la vitesse. Ils traversèrent une flaque d'eau, grimpèrent une petite côte et redescendirent.

— Robert, seriez-vous assez aimable pour me passer le téléphone qui se trouve sur le tableau de bord ? demanda Teabing.

Langdon lui remit l'appareil et il composa un numéro. Il attendit un bon moment avant que l'on décroche.

— Richard ? Je vous réveille ? Évidemment, suis-je bête !

Pardonnez-moi, mais j'ai un petit problème. Je ne me sens pas très bien. Il faut que j'aille quelque temps là-bas avec Rémy, pour me faire soigner... Oui, cette nuit même. Je suis navré de vous prendre de court. Auriez-vous la bonté de me préparer Elizabeth d'ici, disons, une demi-heure ?... Je comprends...

Faites pour le mieux. Merci, Richard, à tout à l'heure.

— Elizabeth ? s'étonna Langdon.

— C'est mon avion. Il m'a coûté les yeux de la tête.

Et comme Langdon se retournait brusquement :

— Qu'y a-t-il, Robert ? Vous ne comptez tout de même pas rester en France avec toute la PJ aux trousses ? Londres sera beaucoup plus sûr.

— Vous voulez nous faire quitter le pays ? demanda Sophie.

— Mes chers amis, l'influence dont je dispose à Londres dépasse de très loin celle que je peux exercer ici. Et, qui plus est, le Saint-Graal est censé se trouver en Grande-Bretagne. Si nous ouvrons la clé de voûte, la carte que nous y trouverons vous prouvera certainement que nous sommes partis dans la bonne direction.

— Vous courez un gros risque en nous emmenant avec vous, objecta Sophie. Vous n'allez certainement pas vous faire d'amis dans la police française.

Teabing fit une grimace condescendante.

— J'en ai fini avec la France. Je ne m'y suis installé que dans le but de découvrir la clé de voûte. C'est chose faite. Je me moque bien de ne plus jamais revoir le château de Villette.

— Mais comment passerons-nous la sécurité à l'aéroport ?

s'enquit Sophie.

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— Nous décollons du Bourget. Comme je n'ai pas très confiance dans les médecins français, je pars tous les quinze jours me faire soigner de l'autre côté de la Manche. Je paie pour obtenir certaines... dérogations au départ et à l'arrivée. Une fois que nous serons dans les airs, Robert, vous me direz si vous souhaitez qu'un membre de votre ambassade vienne vous chercher à l'aéroport.

Mais Langdon n'avait plus du tout envie que son ambassade s'occupe de lui. Il ne pensait qu'à la clé de voûte, sa seule préoccupation étant de savoir si cette inscription énigmatique leur permettrait de localiser le Graal. Il se demanda si Teabing ne se trompait pas en pariant sur la Grande-Bretagne. Il est vrai que de nombreuses légendes situaient le Graal outre-Manche.

Même l'île mythique d'Avalon, celle du roi Arthur, était censée n'être autre que Glastonbury, en Angleterre. Mais, quel que soit l'endroit où reposait le Graal, Langdon n'avait jamais imaginé qu'il se lancerait un jour à sa poursuite. Les documents du Sangréal. La véritable histoire de Jésus. Le tombeau de Marie Madeleine. Il avait l'impression ce soir de flotter dans des limbes ou dans une sorte de bulle où le monde réel ne pouvait l'atteindre.

— Puis-je demander à Monsieur, interrogea soudain le domestique, s'il a l'intention de

s'installer définitivement en Angleterre ?

— Ne vous inquiétez pas, Rémy. Si je préfère retourner vivre chez la reine, je n'ai aucune envie d'infliger à mon palais un régime saucisses-purée pour le restant de mes jours. Je compte bien que vous accepterez de demeurer à mon service.

J'ai jeté mon dévolu sur une superbe villa dans le Devon et nous allons immédiatement y faire expédier nos affaires. L'aventure, Rémy, l'aventure !

Langdon ne put s'empêcher de sourire. En écoutant Teabing se répandre sur les détails de son retour triomphal dans son pays, il se sentit gagné par son enthousiasme.

Il contemplait distraitement par sa fenêtre les arbres qui défilaient, leurs troncs blanchâtres sous les faisceaux des phares. Dans le rétroviseur que les branches basses avaient rabattu, il regarda longuement Sophie, assise en silence sur la

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banquette arrière. Malgré tous ses ennuis, il était finalement bien content d'être en aussi bonne compagnie.

Comme si elle se savait regardée, elle se pencha vers lui et lui posa les deux mains sur les épaules :

— Comment ça va ?

— Pas trop mal.

Elle se renversa sur le dossier de la banquette arrière, un léger sourire aux lèvres. Il se rendit compte qu'il souriait aussi.

Plié en deux dans le coffre du 4 x 4, Silas pouvait à peine respirer. Il avait les deux bras attachés aux chevilles derrière son dos, avec de la ficelle de cuisine et du Chatterton. La moindre bosse de la route se répercutait douloureusement sur ses épaules écartelées. Ses ravisseurs lui avaient au moins enlevé son cilice. Mais le Chatterton collé en travers de sa bouche l'empêchait de respirer autrement que par ses narines, lesquelles étaient encombrées par la poussière du coffre où on l'avait confiné. Il fut saisi d'une quinte de toux.

— Je crois qu'il étouffe, fit le chauffeur, inquiet. L'Anglais qui l'avait frappé avec sa béquille se retourna vers lui et le regarda froidement.

— Heureusement pour vous, les Britanniques ne jugent pas la courtoisie d'un homme sur sa délicatesse envers ses amis, mais sur la compassion dont il sait faire preuve pour ses ennemis.

Il plongea une main derrière la banquette et décolla sans ménagement le Chatterton de la bouche de Silas.

Ce dernier avait les lèvres en feu, mais l'air qui entra dans ses poumons semblait envoyé par Dieu.

— Pour qui travaillez-vous ? lui demanda l'Anglais.

— J'accomplis l'œuvre de Dieu, articula-t-il péniblement, entre ses mâchoires endolories par le coup de pied de la femme.

— Vous appartenez à l’Opus Dei. Ce n'était pas une question.

— Vous ignorez tout de moi, fit Silas.

— Pourquoi l’Opus Dei veut-il s'emparer de la clé de voûte ?

Silas n'avait pas l'intention de répondre. La clé de voûte conduisait au Saint-Graal, et sa possession était nécessaire à la protection de la foi.

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J'accomplis l'œuvre de Dieu. La Voie est en péril.

Il fut soudain saisi de crainte à l'idée d'avoir failli à la mission que lui avaient confiée le Maître et Mgr Aringarosa. Il n'avait aucun moyen de les avertir du cours catastrophique des événements. La clé de voûte est entre les mains de mes ravisseurs. Ils trouveront le Graal avant nous !

Dans l'obscurité étouffante, Silas se mit à prier, forçant ses douleurs à appuyer sa supplique.

Un miracle, Seigneur ! Faites un miracle !

Il ne pouvait savoir qu'il en obtiendrait un, quelques heures plus tard.

— Robert ? demanda Sophie. Je viens de vous voir faire un drôle de sourire...

Il se retourna vers elle et se rendit compte que son cœur battait plus vite. Il venait d'avoir une curieuse idée.

L'explication pourrait-elle être aussi simple ?

— Pourriez-vous me prêter votre téléphone portable?

— Tout de suite ?

— Je viens de penser à quelque chose...

— Quoi?

— Je vous en parlerai dans une minute. Passez-le-moi, s'il vous plaît.

Elle était perplexe :

— J'espère que Fache ne m'a pas mise sur écoute... Tâchez quand même que cela ne dure pas plus d'une minute... au cas où. Elle lui tendit son téléphone.

— Comment je fais pour appeler les États-Unis ?

— Double zéro. Mais il faut que vous appeliez en PCV. Je n'ai pas l'international.

Langdon composa son numéro, en se disant que les soixante secondes qui allaient suivre répondraient peut-être à la question qui le préoccupait depuis le début de la nuit.

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L'éditeur new-yorkais Jonas Faukman venait de se mettre au lit quand la sonnerie du téléphone retentit . Il est un peu tard pour appeler ! grommela-t-il en décrochant.

Un opérateur était au bout du fil.

— Acceptez-vous un appel en PCV de Robert Langdon ?

Désemparé, Jonas alluma sa lampe.

— Euh... oui, bien sûr. Un déclic.

— Jonas ?

— Vous me réveillez, Robert, et en plus vous me faites payer la communication !

— Pardonnez-moi. Je vais être bref, mais il faut absolument que je sache quelque chose. Ce dernier manuscrit que je vous ai remis, est-ce que...

— Je suis désolé, Robert. Je vous avais dit que je vous enverrais les épreuves cette semaine, mais j'ai été débordé.

Lundi sans faute. C'est promis.

— Je me fiche des épreuves. Est-ce que vous en avez envoyé des extraits à d'autres éditeurs, ou auteurs, sans m'en parler ?

Faukman hésita un instant. Le dernier manuscrit de Langdon - une étude sur le culte de la déesse - comportait plusieurs chapitres consacrés à Marie Madeleine, qui allaient faire du bruit. Même s'il s'agissait d'un travail très sérieusement documenté et déjà traité par d'autres auteurs, l'éditeur voulait s'assurer l'aval d'un certain nombre d'historiens et de sommités du monde des arts avant de le publier. Il avait sélectionné une dizaine de spécialistes auxquels il avait envoyé quelques extraits du manuscrit de Langdon, avec une lettre leur demandant une ou deux phrases de commentaire pour la quatrième de couverture. Son expérience lui avait appris que la plupart des écrivains sautent toujours sur la moindre occasion de voir leur nom imprimé.

— Répondez-moi, Jonas, insistait Langdon, à qui avez-vous envoyé mon manuscrit ?

Faukman haussa les sourcils, devinant que Langdon était plutôt fâché.

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— Il était parfait, Robert, bredouilla-t-il. Je voulais vous faire la surprise d'une dizaine de signatures...

— En avez-vous envoyé un exemplaire au conservateur en chef du Louvre ?

— Pour qui me prenez-vous ? Vous faites plusieurs fois référence à ses collections, vous citez ses livres dans votre bibliographie, et c'est un monsieur qui pèse lourd dans les ventes à l'étranger. Ce n'était pas sorcier de penser à lui... Il y eut un long silence au bout du fil.

— Quand le lui avez-vous envoyé ? demanda enfin Langdon.

— Il y a un mois environ. J'ai également évoqué votre prochain séjour à Paris, en suggérant que vous pourriez vous rencontrer. Est-ce qu'il vous a contacté ? Attendez ! Ce n'est pas cette semaine que vous deviez être à Paris ?

— Je suis à Paris.

— Et vous m'appelez en PCV de là-bas ?

— Vous déduirez ça de mes droits d'auteur, Jonas. Et Saunière vous a-t-il répondu ? Qu'est-ce qu'il a pensé du manuscrit ?

— Je ne sais pas. Je n'ai pas eu de nouvelles.

— Ne vous en faites pas. Il faut que je vous laisse. Mais votre démarche explique pas mal de choses. Merci.

— Robert?

Langdon avait coupé. Faukman raccrocha son téléphone en hochant la tête. Ces auteurs... Même les plus sensés sont à moitié cinglés.

L'éclat de rire de Teabing résonna dans le Range Rover.

— Si j'ai bien compris, mon cher Robert, vous écrivez un livre qui traite d'une société secrète et votre éditeur s'empresse de leur envoyer le manuscrit ?

— Apparemment, fit Langdon, accablé.

— La coïncidence est cruelle, en effet.

Il ne s'agit pas d'une coïncidence, se dit Langdon. Solliciter la caution de Jacques Saunière pour un livre sur le culte de la déesse revenait à demander celle de Tiger Woods pour un

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ouvrage sur le golf. Et aucun essai sur la déesse ne pouvait omettre le Prieuré de Sion.

— Et maintenant, plaisanta Teabing, la question à un million de dollars : quelle était votre position envers le Prieuré ?

Favorable ou défavorable ?

Le sous-entendu de Teabing était limpide. Nombre d'historiens contestaient le fait que le Prieuré fût encore en possession des documents du Graal. Beaucoup pensaient que l'information aurait été divulguée depuis longtemps.

— Je ne me prononce pas sur l’action du Prieuré.

— Vous voulez dire sur leur inertie...

Langdon haussa les épaules. Teabing était évidemment favorable à la publication des documents du Graal.

— Je me suis contenté de fournir des renseignements sur l'histoire de leur Fraternité, précisat-il. En les décrivant comme une secte moderne du culte de la déesse, dont les membres sont les gardiens du Graal et de certains documents secrets.

— Avez-vous parlé de la clé de voûte ? demanda Sophie.

Langdon fit la grimace. Il l'avait fait, à plusieurs reprises.

— J'ai évoqué son existence supposée, comme un exemple des mesures prises par le Prieuré pour protéger les documents du Sangréal.

— En tout cas, cela expliquerait le « P.S. Trouver Robert Langdon », fit-elle.

Mais Langdon pressentait qu'il y avait autre chose dans son manuscrit, une autre référence, qui avait dû susciter l'intérêt de Saunière. Il en parlerait à Sophie lorsqu'ils seraient seuls.

— Donc, insista Sophie, vous avez menti au commissaire Fache.

— Comment ?

— Vous lui avez dit que vous n'aviez jamais correspondu avec mon grand-père...

— Mais c'était vrai ! C'est mon éditeur qui lui a envoyé le manuscrit !

— Réfléchissez, Robert, répliqua Sophie. Si Fache a trouvé dans son bureau une épreuve de votre livre, mais pas l'enveloppe d'expédition, il a dû conclure que c'est vous qui

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l'aviez envoyé. Ou pis, que vous le lui aviez remis en mains propres.

Arrivé à l'aéroport du Bourget, Rémy conduisit le Range Rover vers un petit hangar situé en bout de piste. Un homme en salopette kaki, ébloui par les phares, vint à leur rencontre. Il ouvrit la grosse porte coulissante en tôle ondulée sur un petit jet au fuselage d'un blanc étincelant.

— Elizabeth ? demanda Langdon en admirant le fuselage étincelant.

— Elle est bien plus rapide que ce fichu tunnel ! dit fièrement Teabing

Le mécanicien s'approcha de la voiture.

— Il est presque prêt, répondit-il avec un accent britannique. Désolé pour le retard, mais vous m'avez pris au pied levé et...

Il s'interrompit en voyant deux autres personnes sortir du Range Rover.

— Mes associés, déclara Teabing. Nous avons une affaire urgente qui nous attend à Londres, et pas de temps à perdre.

Préparez-vous à décoller immédiatement, dit Teabing en tendant ostensiblement à Langdon son pistolet.

Le pilote ouvrit des yeux ronds et lui chuchota à l'oreille :

— Je suis désolé, monsieur, mais ma licence ne m'autorise qu'à transporter deux personnes. Je ne peux pas transporter vos invités.

— Mon cher Richard, dit Teabing avec un grand sourire, un pourboire de deux mille livres et ce pistolet chargé vous convaincront, je pense, de les laisser monter à bord, ainsi d'ailleurs que ce pauvre garçon que vous voyez dans le coffre.

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Les deux moteurs Garrett TFE-731 lancés à plein régime arrachèrent du sol le Hawker 731, et la piste éclairée disparut en quelques secondes.

Je fuis mon pays, pensait Sophie, plaquée contre le dossier de son siège en cuir. Jusqu'à présent, la partie de cache-cache avec le commissaire Fache pouvait encore passer pour justifiable aux yeux de son administration. Je cherchais à protéger un innocent, tout en accomplissant les derniers vœux de mon grand-père mourant. Mais plus maintenant. Elle quittait la France sans papiers, en compagnie d'un homme recherché par la police et d'un otage ligoté. Elle venait de franchir la ligne de démarcation qui la mettait hors la loi. Et presque à la vitesse du son.

Elle était assise, comme Langdon et Teabing, à l'avant de la cabine - Jet design pour voyages d'affaires, ainsi que l'annonçait un médaillon rivé sur la porte. Leurs fauteuils moelleux, montés sur des rails rivés au plancher, pouvaient pivoter et se positionner autour d'une table en bois rectangulaire. Une salle de conférences miniature. La dignité du décor ne parvenait cependant pas à faire oublier l’arrière de l'appareil, nettement moins douillet, où Rémy était assis près de la porte des toilettes, chargé à contrecœur par Teabing de monter la garde, pistolet au poing, au-dessus du moine sanguinolent roulé en boule à ses pieds comme un sac de voyage.

— Avant que nous nous penchions ensemble sur la clé de voûte, attaqua Teabing avec la timidité solennelle d'un père se préparant à expliquer les mystères de la vie à ses enfants, je suis bien conscient de n'être que votre invité dans cette aventure, et vous m'en voyez très honoré. Toutefois, ayant consacré une grande partie de ma vie à la quête du Graal, je pense qu'il est de mon devoir de vous avertir que vous allez vous engager sur un chemin sans retour et probablement semé de dangers.

Il se tourna vers Sophie.

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— Mademoiselle Neveu, votre grand-père vous a confié ce cryptex dans l'espoir que vous perpétuiez en son nom le secret du Saint-Graal.

— Oui.

— Vous devez vous préparer à suivre sa piste, où qu'elle vous conduise...

Sophie hocha la tête, tout en pensant à l'autre motivation qui la brûlait. La vérité sur ma famille. Langdon avait beau lui avoir affirmé que la clé de voûte n'avait rien à voir avec ses parents, elle sentait qu'elle était sur le point de dénouer un mystère qui la touchait personnellement. Comme si le cryptex, façonné par les mains de son grand-père, cherchait à lui parler pour combler le vide qui la hantait depuis tant d'années.

— Jacques Saunière s'est sacrifié ce soir, continua Teabing, après ses trois sénéchaux, pour éviter que la clé de voûte ne tombe entre les mains de l'Église. L’Opus Dei a été tout à l'heure à deux doigts de faire main basse sur ce trésor. Je pense que vous avez conscience de la responsabilité exceptionnelle qui vous incombe. Votre grand-père vous a confié un flambeau. Une flamme vieille de deux mille ans qu'on ne doit pas laisser s'éteindre. Elle ne doit pas tomber dans de mauvaises mains.

Marquant une courte pause, il abaissa les yeux vers le coffret en bois de rose.

— Je sais, reprit-il, qu'on ne vous a pas laissé le choix d'endosser un tel fardeau. Mais étant donné l'importance des enjeux, vous vous devez de l'assumer, ou de le confier à quelqu'un d'autre...

— Si mon grand-père m'a remis ce cryptex, c'est qu'il devait penser que je serais à la hauteur de la situation, risqua Sophie.

Teabing semblait encouragé, mais toujours pas convaincu.

— Très bien. Votre ton décidé me paraît prometteur. Je serais tout de même curieux de savoir si vous vous rendez compte que l'ouverture de la clé de voûte ne sera que la première d'une série d'épreuves encore plus difficiles.

— Comment cela ?

— Imaginez, ma chère Sophie, que vous ayez soudain dans les mains la carte qui révèle le lieu où repose le Saint-GraaI.

Vous serez en possession d'une information susceptible de

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changer le cours de l'histoire. En tant que gardienne d'une vérité que les hommes cherchent à connaître depuis des siècles, c'est à vous qu'il reviendra de la révéler au monde. Le porteur d'une telle nouvelle sera révéré par un certain nombre de gens mais aussi honni par d'autres, tout aussi nombreux. Vous sentez-vous la force d'endosser une telle responsabilité ?

— Je ne suis pas sûre que ce soit à moi de prendre la décision, protesta Sophie.

Teabing haussa les sourcils.

— Et qui d'autre que vous, ma pauvre enfant... ?

— Les membres de la Fraternité, qui ont su conserver le secret si longtemps.

— Le Prieuré ? fit Teabing, sceptique. Mais comment ? La confrérie vient de subir un revers sanglant. Elle est décapitée, comme vous l'avez si bien dit vous-même. Nous ne saurons jamais si elle a été infiltrée, ou si c'est l'un de ses membres qui a trahi ses frères, mais le fait est que quelqu'un a découvert l'identité de ses quatre chefs. Dans l'état actuel des choses, il serait sage de ne se fier à aucun des autres.

— Alors, fit Langdon. Que suggérez-vous ?

— Vous savez aussi bien que moi, Robert, que si le Prieuré de Sion garde aussi jalousement son secret depuis plus de neuf siècles, ce n'est pas pour le plaisir de le protéger éternellement, mais parce que ses membres attendent le moment opportun pour le divulguer. Un moment où le monde sera prêt à recevoir la vérité.

— Et vous croyez que ce moment est arrivé ? enchaîna Langdon.

— C'est mon sentiment. Cela ne pourrait être plus évident.

Tous les signes historiques et astrologiques le suggèrent. Et si le Prieuré n'avait pas décidé de le dévoiler très prochainement, pourquoi le Vatican aurait-il choisi ce moment pour lancer ses tueurs ?

— Mais le moine albinos ne nous a toujours rien dit, objecta Sophie.

— Son objectif est celui de l'Église, répliqua Teabing.

Détruire les documents qui révèlent la grande trahison. Ce soir, le Vatican n'a jamais été aussi près de s'emparer du secret, et

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c'est en vous, mademoiselle Neveu, que le Prieuré a placé sa confiance. Il me paraît évident que le sauvetage du Graal impose l'accomplissement d'une autre volonté du Prieuré - celle de partager sa vérité avec l'humanité tout entière.

Langdon intervint :

— Demander à Sophie de prendre une telle décision, c'est lui imposer une bien lourde responsabilité ; après tout, elle ne connaît l'existence des documents du Graal que depuis une heure...

Teabing soupira.

— Vous m'excuserez, Sophie, d'insister ainsi. Ces documents sont destinés à être publiés. Je n'ai jamais eu le moindre doute à ce sujet. Je voulais seulement vous avertir de ce qui vous attend si nous réussissons à ouvrir ce cryptex.

— Messieurs, affirma Sophie avec fermeté, pour vous citer : Ce n'est pas vous qui trouvez le Graal, c 'est lui qui vous trouve... Je décide de croire qu'il a bien une raison pour m'avoir ainsi trouvée. Et que je saurai quoi faire le moment venu.

Ils frissonnèrent tous les deux.

— Et maintenant, dit-elle en soulevant le couvercle du coffret, au travail !

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Démoralisé, l'inspecteur Collet contemplait les braises qui achevaient de se consumer dans la cheminée du salon de Teabing. Le commissaire Fache, arrivé quelques minutes plus tôt, s'était enfermé dans le bureau. On l'entendait hurler au téléphone pour tenter de coordonner la filature du Range Rover.

Comment savoir où ils sont, maintenant ? se demandait Collet.

Il n'était pas fâché qu'on ait trouvé un trou percé par un projectile dans le plancher du salon. Il avait certes désobéi aux ordres de son supérieur et perdu la trace de Langdon pour la deuxième fois, mais il pouvait au moins prouver qu'un coup de feu avait bien été tiré. Cependant Fache était d'une humeur détestable, et l'inspecteur craignait les conséquences fâcheuses de cette très mauvaise soirée.

Les indices dont on disposait ne fournissaient malheureusement aucun éclairage sur ce qui s'était réellement passé au château de Villette. L'Audi noire avait été louée sous un faux nom, payée avec un faux numéro de carte bancaire, et les empreintes qu'on y avait relevées étaient inconnues de la police française, ainsi que des bases de données d'Interpol.

Un agent appela depuis la porte :

— Inspecteur, où est le commissaire ?

— Au téléphone, répondit Collet sans détacher son regard du foyer incandescent.

— Non, j'en ai terminé, rétorqua Fache qui apparut sur le seuil. Que se passe-t-il ?

— Le Central vient d'appeler, commissaire. André Vernet leur a téléphoné de la Zurichoise de Dépôt. Il veut vous parler en privé. Il a l'air de vouloir changer sa version des faits.

— Tiens donc ? fit Fache. Collet se retourna.

— Il reconnaît, reprit l'agent, que Langdon et Neveu ont passé quelque temps dans sa banque ce soir.

— On s'en doutait bien. Pourquoi a-t-il commencé par le nier ?

— Il ne veut parler qu'à vous mais il est prêt à coopérer.

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— En échange de quoi ?

— Du silence de la police sur l'implication de sa banque dans l'affaire Saunière. Et aussi pour que nous l'aidions à récupérer ce que Langdon et Neveu lui ont volé...

— Quoi ? laissa échapper Collet.

Fache ne broncha pas.

— Qu'est-ce qu'ils lui ont pris ? demanda-t-il en regardant l'agent fixement.

— Qu'est-ce qu'ils lui ont pris ? s'exclama Collet en écho.

— II n'a pas donné de détails, mais il a l'air décidé à faire l'impossible pour le retrouver.

Collet essaya de se représenter la scène. Peut-être Langdon et Sophie avaient-ils menacé d'une arme un employé de la banque. Ou avaient-ils forcé Vernet lui-même à leur ouvrir le coffre de Saunière et à les aider dans leur fuite. C'était évidemment une possibilité, mais ce qu'il savait de Sophie Neveu ne collait pas avec un tel scénario.

— OK, dit Fache. Prenez son numéro. Je le contacterai dès que possible.

Un autre policier appela Fache depuis la cuisine.

— Commissaire ! Mauvaise nouvelle. Je viens de passer en revue les numéros que Teabing avait enregistrés dans la mémoire de son téléphone. Je suis en ligne avec l'aéroport du Bourget...

Trente secondes plus tard, Fache était prêt à quitter le château de Villette. Il venait d'apprendre que Teabing possédait un avion au Bourget, lequel avait décollé une demi-heure plus tôt. Le responsable de l'aéroport qu'il avait eu au bout du fil prétendait ignorer la destination du vol et le nom des passagers.

Le décollage n'avait pas été déclaré, et aucun plan de vol enregistré, ce qui était tout à fait illégal, même pour un avion privé. Mais le commissaire était convaincu qu'en tirant les bonnes sonnettes il obtiendrait facilement ces renseignements.

— Collet ! aboya-t-il en se dirigeant vers la porte, je n'ai pas d'autre choix que de vous confier la responsabilité de l'enquête ici. Distinguez-vous par votre efficacité, ça me changera.

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Le Hawker avait atteint sa vitesse de croisière et mis le cap sur l'Angleterre. Langdon souleva délicatement le coffret en bois de rose qu'il avait gardé sur ses genoux pour le protéger des secousses du décollage. Il le déposa sur la table. Brûlant d'impatience, Sophie et Teabing se penchèrent vers lui.

Il débloqua le verrou et ouvrit la boîte, délaissant le cryptex pour se concentrer sur le minuscule trou de la face interne du couvercle. Il sortit de sa poche un stylo à bille et délogea avec la pointe la rose de bois clair. Le texte qu'elle masquait apparut : Sub Rosa, songeait-il, espérant que ce nouvel examen allait lui permettre de faire la lumière. Rassemblant toutes ses énergies, il se pencha sur la curieuse inscription.

elc al tse essegas ed tom xueiv nu snad

eetalce ellimaf as tinuer iuq

sreilpmet sel rap eineb etet al

eelever ares suov hsabta ceva

Quelques secondes plus tard, sous le coup de la même frustration qu'il avait déjà éprouvée au château de Villette, il leva la tête vers Teabing.

— Je ne vois vraiment pas...

Sophie ne pouvait pas voir le texte depuis sa place, mais l'incapacité de Langdon à en identifier la langue l'étonnait. Mon grand-père a utilisé un langage tellement obscur que même un spécialiste des symboles est incapable de le déchiffrer ? Elle se ravisa vite : après tout ce ne serait pas le premier secret que Jacques Saunière aurait caché à sa petite-fille.

En face d'elle, Leigh Teabing bouillait d'impatience.

Tremblant d'excitation, il se contorsionnait pour tenter de lire par-dessus l'épaule de Langdon, toujours penché sur le coffret.

— Je ne sais pas, répéta Langdon. À première vue il doit s'agir d'une langue sémitique, mais elles comportent presque toutes des nikkudim, et il n'y en a pas ici.

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— C'est probablement une langue sémitique ancienne, risqua Teabing.

— Nïkkudim ? demanda Sophie. Qu'est-ce que c'est ?

Teabing lui répondit sans détacher les yeux du coffret :

— La plupart des langues sémitiques n'ont pas de voyelles.

Certaines langues utilisent à leur place des petits points et tirets

- placés à l'intérieur ou au-dessous des consonnes - pour indiquer le son vocalique qui les accompagne. Il s'agit d'additions relativement récentes.

Langdon hésitait toujours :

— Une transcription séfarade, peut-être...

Teabing n'y tenait plus.

— Si vous me laissiez...

Il tendit le bras et tira le coffret devant lui. Langdon était peut-être féru de langues anciennes classiques - le grec, le latin, les langues romanes - mais d'après le bref aperçu qu'il avait pu en avoir, le texte lui paraissait plutôt être transcrit en Rachi, ou en STA" M à couronnes.

Il prit une longue inspiration et se plongea avec délectation dans l'étude de l'inscription. Son assurance flanchait un peu plus à chaque seconde.

— Je n'en reviens pas. Cette langue ne ressemble à rien que je connaisse...

Langdon se tassa dans son fauteuil.

— Puis-je jeter un coup d'œil ? demanda Sophie. Teabing fit semblant de ne pas l'avoir entendue.

— Mais vous, Robert, vous disiez tout à l'heure que vous aviez déjà vu quelque chose d'approchant...

Langdon prit un air vexé.

— C'est l'impression que j'avais. Je n'en suis pas sûr, mais il y a là quelque chose de familier...

— Leigh ? insista Sophie qui ne supportait plus d'être mise à l'écart, cela vous ennuierait de me laisser regarder le message que m'a adressé mon grand-père ?

— Mais bien sûr que non, chère enfant ! s'exclama-t-il en repoussant le coffret vers elle.

Il ne voulait pas paraître condescendant, mais enfin, cette jeune femme était à des années-lumière de la difficulté. Si un

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historien du British Royal Institute et un prof de Harvard avaient séché sur la question...

— Ah, ah ! s'exclama-t-elle au bout de quelques secondes.

J'aurais dû le deviner plus tôt.

Ils tournèrent vers elle le même regard de stupéfaction.

— Deviné quoi ? s'écria Teabing. Elle haussa les épaules :

— Que c'était ça que mon grand-père aurait choisi.

— Vous voulez dire que vous avez déchiffré cette inscription

? — Très facilement, claironna Sophie, qui avait l'air de beaucoup s'amuser. Quand mon grand-père m'a appris cette langue, je devais avoir six ans. Je l'écris très couramment.

Elle se pencha au-dessus de la table en direction de Teabing, avec un regard sévère.

— Très franchement, sir Leigh, étant donné vos liens passés avec la Couronne britannique, je suis un peu étonnée que vous ne l'ayez pas reconnue.

En un éclair, Langdon avait compris.

Pas étonnant que j'ai eu la puce à l'oreille !

Plusieurs années auparavant, il avait assisté à une cérémonie donnée par le Fogg Art Muséum de Harvard. Bill Gates, ancien élève de l'Université, s'était déplacé en personne pour prêter au musée une de ses plus précieuses acquisitions -

dix-huit feuilles de papier qu'il venait d'acheter lors de la vente aux enchères de la fondation Hammer.

Le montant de son offre : 30,8 millions de dollars.

L'auteur de ces pages : Leonardo Da Vinci.

Les dix-huit feuillets, appelés Codex Leicester, parce que leur premier propriétaire fut le comte de Leicester - provenaient de l'un des carnets les plus fascinants de Leonardo Da Vinci. On y trouvait des textes et des croquis illustrant les théories progressistes du maître de la Renaissance en astronomie, géologie, archéologie et hydraulique.

Langdon ne devait jamais oublier l'énorme déception qu'il avait ressentie quand, après avoir patiemment progressé avec la longue file d'attente, il avait enfin pu s'approcher de la vitrine où étaient exposés les précieux parchemins. Malgré leur excellent état de conservation, l'écriture impeccablement nette -

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en cramoisi sur fond crème - n'était qu'un charabia inintelligible. Langdon crut d'abord qu'il s'agissait d'un italien archaïque mais, en y regardant de plus près, il dut reconnaître son incapacité d'en déchiffrer un seul mot ni même une seule lettre.

— Essayez avec ceci, monsieur, avait murmuré une employée du musée, en lui indiquant un miroir attaché par une chaîne au pied de la vitrine.

Langdon avait regardé le texte dans le miroir et tout était devenu limpide.

Dans sa hâte de lire des textes originaux du grand génie, Langdon avait oublié que l'un des nombreux talents de l'artiste était sa facilité à écrire de droite à gauche. Les historiens de l'art se demandaient encore si c'était seulement pour s'amuser, ou pour empêcher les autres de le lire par-dessus son épaule et de lui faucher ainsi ses idées. La question était vaine, Leonardo Da Vinci n'en faisait qu'à sa tête.

Sophie sourit intérieurement, en s'apercevant que Robert avait deviné. Teabing supplia d'une voix tremblante :

— Dites-moi ce qui se passe...

— C'est de l'écriture inversée, expliqua Langdon. Il nous faudrait un miroir.

— Je ne pense pas, dit Sophie. Le placage doit être suffisamment fin...

Elle souleva le coffret jusqu'à une applique murale pour examiner la face interne du couvercle. Incapable d'écrire directement à l'envers, son grand-père trichait. Il commençait par écrire son texte normalement, de gauche à droite, puis il retournait le papier pour retracer au

verso les lettres qui apparaissaient en relief. Sophie supposait que, pour la clé de voûte, il avait d'abord pyrogravé un texte à l'endroit sur une lamelle de bois, qu'il avait ensuite poncée jusqu'à ce qu'elle soit aussi mince qu'une feuille de papier, de façon que le texte apparaisse en transparence. Puis il l'avait retournée avant de l'encastrer dans le couvercle.

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En plaquant l'incrustation à l'envers contre la lampe, elle constata qu'elle ne s'était pas trompée. Le rayon lumineux traversait le mince placage de bois et le texte apparut.

Instantanément lisible.

— Et c'est de l'anglais ! maugréa Teabing, la tête basse. Ma langue natale...

Au fond de la carlingue, Rémy Legaludec prêtait l'oreille pour essayer d'entendre la conversation. Mais le bruit du moteur était trop fort. La tournure que prenaient les événements ne lui disait rien qui vaille. Rien du tout. Il baissa les yeux sur le moine ligoté à ses pieds. L'albinos était parfaitement calme, comme résigné à son sort - à moins qu'il ne fût en train de prier pour sa délivrance.

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À cinq mille mètres d'altitude, Langdon avait l'impression que la réalité physique s'était évanouie. Toutes ses pensées convergeaient vers le poème de Jacques Saunière qui se détachait en lettres lumineuses contre le faisceau de l'applique murale.

Sophie ne mit pas longtemps à trouver une feuille de papier sur laquelle elle entreprit de copier le texte. Lorsqu'elle eut terminé, ils lurent tour à tour le poème.

Dans un vieux mot de sagesse est la clé

Qui réunit sa famille éclatée

La tête bénie par les Templiers

Avec Atbash vous sera révélée

Il rappelait vaguement une série de définitions de mots croisés archéologiques... mais de la justesse des réponses dépendait l'ouverture du cryptex. Langdon le parcourut lentement des yeux.

Dans un vieux mot de sagesse est la clé... qui réunit sa famille éclatée... la tête bénie par les Templiers... avec Atbash vous sera révélée.

Avant d'avoir eu le temps de penser au mot de passe ancestral que pouvait receler ce quatrain, il sentit quelque chose de beaucoup plus fondamental résonner en lui. La métrique du poème. Des pentamètres iambiques.

Il avait rencontré cette forme à diverses reprises, à l'époque, pas plus tard que l'année précédente, où il menait des recherches sur des confréries occultes, lors d'une enquête dans les archives secrètes du Vatican. Pendant des siècles, le pentamètre iambique avait été la forme poétique préférée des lettrés du monde entier, qu'il s'agisse d'Archiloque, de Shakespeare, de Milton, de Chaucer ou encore de Voltaire. Ces visionnaires avaient choisi de s'exprimer dans une métrique dont beaucoup pensaient, autrefois, qu'elle avait un pouvoir

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mystique. Les racines du pentamètre iambique étaient profondément païennes.

L'iambe. Deux syllabes à l'accentuation alternée. Un accent tous les deux temps. Le Yin et le Yang. Un couple de contraires qui s'équilibrent. Regroupés par série de cinq. Le pentamètre.

Cinq, comme le pentacle de Vénus et le Féminin sacré.

— Ce sont des pentamètres ! explosa Teabing. Comme chez les poètes anglais ! La lingua pura !

Langdon acquiesça. Le Prieuré, comme tant de sociétés secrètes européennes opposées à l'Église, avait considéré l'anglais, pendant des siècles, comme la seule langue européenne pure. À la différence du français, de l'espagnol et de l'italien, toutes dérivées du latin - la langue du Vatican -, l'anglais était linguistiquement préservé de la machine de propagande de l'Eglise romaine, et c'est pourquoi elle était devenue une langue sacrée et secrète dans les Fraternités assez savantes pour l'apprendre.

Teabing bouillonnait d'enthousiasme :

— Ce poème ne fait pas seulement référence au Saint-Graal, mais aux Templiers et à la famille éclatée de Marie Madeleine...

Que rêver de plus ?

— Un mot de passe ! répliqua Sophie. Il nous reste tout de même à identifier ce « vieux mot de sagesse ».

— Abracadabra ? suggéra Teabing avec un regard malicieux.

Un mot de cinq lettres, songeait Langdon, en évoquant la myriade de possibilités que pouvait offrir le vocabulaire de la philosophie, de l'alchimie, des proverbes et dictons, des grands courants mystiques, des différentes liturgies religieuses, du rituel des sociétés secrètes, des incantations de Wicca, des mantras païens, de l'astrologie et autres arts divinatoires... la liste était sans fin.

— Un mot de passe qui semble aussi lié aux Templiers, insista Sophie, relisant le troisième vers à voix haute : La tête bénie par les Templiers...

— Mon cher Leigh, c'est vous le spécialiste, suggéra Langdon.

Teabing poussa un soupir avant de se lancer :

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— Une tête bénie... Il s'agit sans doute d'une effigie funéraire, que vénéraient les Templiers sur la tombe de Marie Madeleine. Ce qui d'ailleurs ne nous avance pas beaucoup, étant donné que nous ignorons justement son emplacement...

— Le dernier vers parle d'une révélation par Atbash, dit Sophie. J'ai déjà entendu ce mot...

— Rien d'étonnant, répliqua Teabing. Vous avez dû l'apprendre en première année de fac. Le chiffre Atbash est l'un des codes les plus anciens de l'histoire.

Mais bien sûr, se dit Sophie. Le fameux système de cryptographie hébreu.

La jeune fille avait été initiée au code Atbash au début de ses études. Inventé par la Cabale dès le V e siècle avant Jésus-Christ, il était présenté aux étudiants comme exemple type de chiffrage par substitution rotatoire. Il consistait tout simplement à remplacer la première des vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu par la dernière, la deuxième par l'avant-dernière, et ainsi de suite.

— L'Atbash est merveilleusement adapté à notre sujet, ajouta Teabing. On trouve des textes cryptés en Atbash dans toute la Cabale, dans Les Manuscrits de la mer Morte, et même dans l'Ancien Testament, où certains mystiques et chercheurs israélites découvrent encore de nouvelles significations cachées.

Il est donc tout à fait logique que le Prieuré Tait aussi utilisé.

— Le seul problème, fît remarquer Langdon, c'est que nous ne savons pas à quoi l’appliquer...

Teabing poussa un soupir.

— Il doit y avoir un mot codé sur cette stèle. C'est lui qu'il faut trouver.

À la mine renfrognée de Langdon, Sophie devina que ce ne serait sûrement pas une mince affaire.

Atbash est peut-être la clé, se dit-elle, mais où trouver la porte qu'elle ouvre ?

Après trois minutes de silence songeur, Teabing secoua la tête :

— Mes chers amis, je suis complètement sec ! Je vais réfléchir à tout ça en allant chercher de quoi nous sustenter - et

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voir ce que deviennent mon domestique et notre invité, s'exclama-t-il en se dirigeant vers l'arrière de l'avion.

Sophie le suivit d'un regard las.

Il faisait encore nuit noire dehors. Elle avait l'impression d'avoir été projetée dans l'espace sans savoir où elle allait atterrir. Et l'expérience qu'elle avait des énigmes de son grand-père lui faisait pressentir que ce poème devait contenir une information qu'ils n'avaient pas encore découverte.

Il y a autre chose. Un autre sens... astucieusement dissimulé... mais présent malgré tout.

Ce qui l'inquiétait plus que tout, c'était la pensée que le contenu du cryptex ne se réduise nullement à une carte géographique indiquant remplacement du Graal. Teabing et Langdon semblaient très confiants, mais Sophie avait une expérience suffisante des chasses au trésor imaginées par son grand-père pour savoir qu'il ne lâchait pas aussi facilement ses secrets...

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À l'aéroport du Bourget, le contrôleur aérien de nuit sommeillait devant un écran radar muet, lorsque le directeur de la police judiciaire enfonça pratiquement la porte de la salle de contrôle.

— L'avion de Teabing ! aboya Fache. Sa destination ?

L'employé commença par bafouiller une réponse maladroite, qui tentait de protéger l'intimité d'un client britannique - l'un des plus respectés de l'aéroport. Ce fut un échec lamentable.

— Très bien ! fit le commissaire. Je vous place sous mandat d'arrêt pour avoir laissé décoller un appareil qui n'avait pas déposé de plan de vol.

Fache se retourna vers l'un des agents qui

l'accompagnaient, muni d'une paire de menottes. Le contrôleur fut saisi de panique. Il se rappela les articles des journaux, qui se demandaient si le chef de la PJ était un héros ou une menace pour le pays. Il venait d'obtenir la réponse.

— Attendez ! supplia-t-il à la vue des menottes. Tout ce que je sais, c'est que sir Teabing se rend régulièrement à Londres pour s'y faire soigner. Il loue un hangar à l'aéroport de Biggin Hill, dans le Kent.

— Et c'est là qu'il va ce soir ? questionna Fache.

— Je ne sais pas, fît le contrôleur avec sincérité. Mais son avion est parti par la piste habituelle, et le dernier contact radar indiquait qu'il volait vers la Grande-Bretagne. C'est probablement Biggin Hill.

— Est-ce qu'il avait des passagers ?

— Je vous jure, commissaire, que je ne peux pas avoir accès à ce genre de renseignements. Nos clients se rendent directement à leur hangar, et ils embarquent qui ils veulent. Le contrôle des passagers relève de la responsabilité du pays d'arrivée.

Fache jeta un coup d'œil à sa montre et contempla les avions épars garés en face du terminal.

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— Si c'est Biggin Hill, dans combien de temps vont-ils atterrir ?

Le contrôleur fouilla dans ses dossiers.

— Ça ne sera pas long. Ils devraient y être vers... six heures trente. Dans un quart d'heure environ.

Fache se renfrogna et se tourna vers l'un de ses agents.

— Trouvez-moi un avion ici. Je pars à Londres. Et appelez-moi la police du Kent. Pas Scotland Yard, la locale. Je ne veux pas de publicité. Dites-leur qu'ils laissent atterrir Teabing, et qu'ils encerclent l'avion sur la piste. Personne ne sort de l'appareil avant mon arrivée.

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— Vous êtes bien silencieuse, dit Langdon, qui observait Sophie assise en face de lui.

— Je suis un peu fatiguée. Et puis ce poème... je ne sais plus quoi penser.

Langdon non plus. Le ronflement du moteur et le léger bercement de l'avion avaient un effet soporifique. Et il se ressentait encore du coup qu'il avait reçu sur la tête. Mais il était bien décidé à profiter de l'absence de Teabing pour parler enfin à Sophie d'un sujet qui le préoccupait depuis un moment.

— Je crois que j'ai deviné une autre raison pour laquelle votre grand-père désirait que vous me contactiez. Il me semble qu'il comptait sur moi pour vous expliquer quelque chose...

— L'histoire de Marie Madeleine et du Graal, ce n'était pas assez ?

Il ne savait par où commencer.

— Il s'agit de votre rupture, de la raison pour laquelle vous refusez de lui parler depuis dix ans. J'ai l'impression qu'il espérait que je pourrais réparer un malentendu.

Sophie se tortillait sur son fauteuil.

— Je ne vous ai même pas dit pourquoi je ne voulais plus le voir...

Il la regarda bien en face.

— Vous avez assisté à un rite sexuel, c'est bien cela?

Elle eut un mouvement de recul.

— Comment le savez-vous ?

— Sophie, vous m'avez dit avoir vu quelque chose qui vous a persuadée que votre grand-père faisait partie d'une société secrète. Et que vous aviez refusé de le revoir depuis. J'en connais assez long sur les sociétés secrètes et je n'ai pas besoin du cerveau génial de Leonardo Da Vinci pour imaginer le genre de scène dont il s'agit.

Sophie avait les yeux tournés vers le hublot.

— C'était pendant les vacances de Pâques. Je suis rentrée à Paris plus tôt que prévu.

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— Voulez-vous me décrire la cérémonie ? Elle se tourna soudain vers lui, le regard plein d'émotion.

— Non, je... Je ne sais même pas ce que j'ai vu.

— Il y avait des hommes et des femmes ? Après une courte hésitation, elle hocha la tête.

— Habillés en noir et blanc ? continua Langdon. Elle s'essuya les yeux et sembla se détendre un peu.

— Les femmes étaient en robe de tulle... avec des chaussures dorées. Elles tenaient un globe doré dans les mains.

Et les hommes portaient des tuniques et des chaussures noires.

Langdon luttait pour masquer son émotion. Il n'en croyait pas ses oreilles. Sophie Neveu avait assisté malgré elle à une cérémonie vieille de deux millénaires.

— Ils portaient des masques ? demanda-t-il en contenant son excitation. Des masques androgynes?

— Oui, identiques. Blancs pour les femmes, noirs pour les hommes.

Langdon avait lu des descriptions de ces cérémonies, il en connaissait les origines mystiques.

— Cela s'appelle Hieros Gamos, c'est un rite vieux de plus de deux mille ans. Les prêtres et les prêtresses égyptiens le célébraient régulièrement pour commémorer le pouvoir procréateur de la femme. Si vous n'y étiez pas préparée, je comprends que vous ayez trouvé le spectacle choquant.

Sophie resta silencieuse.

— En grec, Hieros Gamos signifie mariage sacré.

— Ce n'était pas un mariage...

— C'était une union sacrée.

— Sexuelle, en tout cas.

— Non, Sophie.

— Comment ça, non ?

Les yeux vert olive le scrutaient. Il battit en retraite.

— Enfin, oui... d'une certaine manière, mais pas au sens où on l'entend de nos jours.

Il lui expliqua pourquoi le Hieros Gamos était un acte spirituel qui n'avait rien à voir avec l'érotisme. Le rite consistait à recréer l'union qui permettait à l'homme et à la femme de rencontrer Dieu. Les Anciens pensaient que le mâle était

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spirituellement incomplet tant qu'il n'avait pas acquis la connaissance charnelle du Féminin sacré. L'union physique avec la femme était le seul moyen de trouver la plénitude spirituelle et de parvenir à la gnose - la connaissance du divin.

Depuis l'époque d'Isis, les rites sexuels étaient considérés comme des ponts jetés entre la terre et le ciel.

— En communiant avec la femme, continua Langdon, l'homme pouvait atteindre un moment culminant de vide mental absolu, qui lui faisait entrevoir Dieu.

Sophie eut une moue sceptique.

— L'orgasme était considéré comme une prière ? Langdon haussa évasivement les épaules. Au fond, elle avait raison : d'un point de vue physiologique, l'orgasme masculin était accompagné d'un instant entièrement dénué de toute pensée.

Une seconde de « blanc » mental - un moment de clarté durant lequel il pouvait entrevoir Dieu. Certains yogis atteignaient cet état de vide intérieur absolu sans avoir recours à l'acte sexuel, et désignaient souvent le Nirvana comme une sorte d'orgasme spirituel perpétuel.

— Il ne faut pas oublier, Sophie, reprit Langdon doucement, que pour les Anciens, l'acte sexuel n'avait pas la même connotation qu'aujourd'hui. Il était la source d'une nouvelle vie, le miracle ultime. Et les miracles n'étaient accomplis que par un dieu. L'aura sacrée de la femme résidait dans son aptitude à donner la vie - c'était ce miracle qui faisait d'elle une déesse.

L'union sexuelle fusionnait les deux moitiés de l'esprit humain -

masculin et féminin - et c'est par elle que l'homme atteignait Dieu. La cérémonie à laquelle vous avez assisté n'avait rien de sexuel, c'était un acte spirituel. Le Hieros Gamos n'est pas une orgie sexuelle. C'est une cérémonie sacrée.

La tension de Sophie sembla se relâcher. Elle avait gardé son sang-froid toute la soirée mais, pour la première fois, Langdon sentit que la carapace commençait à craquer. Des larmes apparurent dans ses yeux, qu'elle essuya du revers de sa manche.

Il se tut pour lui laisser le temps de se remettre. Au premier abord, le concept de l'acte sexuel comme accès à Dieu était certes ahurissant. Les étudiants juifs de Harvard étaient

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toujours stupéfaits lorsqu'il leur apprenait que les anciennes traditions judaïques comprenaient des rites sexuels. Et pas n'importe où : dans le Temple lui-même. Les Hébreux d'autrefois croyaient que le saint des saints, dans le Temple de Salomon, abritait non seulement Dieu mais son puissant double féminin, Shekinah. Les fidèles qui recherchaient l'accomplissement spirituel se rendaient au Temple, où ils s'accouplaient avec les prêtresses - ou hiérodules - pour expérimenter le divin à travers l'union charnelle. Le tétragramme hébraïque YHWH - le nom sacré de Dieu - est en fait dérivé de Jéhovah qui traduit l'union physique du masculin Jah et du nom préhébraïque d'Eve, à savoir Hava.

— L'usage que l'homme faisait de la sexualité pour communier directement avec Dieu représentait une sérieuse menace pour la jeune Église chrétienne, qui se posait en intermédiaire unique de la relation à Dieu. Elle a donc tout fait pour diaboliser l'acte sexuel et le stigmatiser comme dégoûtant et ignominieux. Et d'autres grandes religions en ont fait autant.

Sophie gardait le silence, mais Langdon sentit qu'elle commençait à mieux comprendre son grand-père.

Curieusement, quelques semaines plus tôt, il avait tenu des propos similaires à ses étudiants :

— Est-il surprenant que nous entretenions une relation conflictuelle avec la sexualité ? leur avait-il demandé. Notre héritage le plus ancien et notre physiologie la plus intime nous enseignent que le sexe est naturel, qu'il représente une voie privilégiée d'accomplissement spirituel ; pourtant, les religions modernes le dépeignent comme honteux, l'assimilant presque à une possession satanique.

Pour ne pas les choquer, Langdon avait renoncé à leur expliquer qu'une bonne dizaine de sociétés secrètes dans le monde - et pas des moins influentes - perpétuaient encore la tradition des rites sexuels païens. Dans Eyes Wide Shut, le film de Stanley Kubrick, le personnage interprété par Tom Cruise s'introduisait subrepticement dans une soirée de la haute société de Manhattan et assistait à un Hieros Gamos. Malgré d'inévitables ajouts hollywoodiens assez fantaisistes, le film

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était fidèle à l'essentiel : cette société secrète célébrait un mariage sacré.

— Professeur Langdon ? avait lancé un jeune étudiant du fond de la classe. Si j'ai bien compris, on ferait mieux de faire plus souvent l'amour que d'aller à l'église...

Langdon avait ri, décidé à ne pas se laisser piéger. D'après ce qu'il savait des soirées de Harvard, ces gosses n'étaient pas privés de sexe. Il savait qu'il avançait en terrain miné.

— Puis-je me permettre une suggestion, messieurs? Sans avoir l'audace de condamner les relations sexuelles avant le mariage, ni la naïveté de vous croire aussi chastes que des anges, j'ai envie de vous donner un petit conseil pour votre vie sexuelle.

Tous les garçons tendirent l'oreille.

— La prochaine fois que vous vous trouverez seuls avec une femme, demandez-vous si vous êtes capables d'envisager votre relation sexuelle sous l'angle spirituel, sinon mystique. Lancez-vous le défi de trouver cette étincelle de divinité qui n'est donnée à l'homme que par son union avec le Féminin sacré.

Les étudiantes arboraient un sourire entendu. Les étudiants échangèrent ricanements équivoques et plaisanteries scabreuses. Langdon poussa un soupir. Ils n'étaient encore que des gamins.

Sophie appuya son front contre le hublot froid. Les yeux dans le vide, elle essayait d'assimiler ce que Langdon venait de lui expliquer. Elle était envahie par un lourd regret. Dix ans.

Elle revoyait les paquets de lettres de son grand-père. Je vais tout raconter à Robert. Sans se retourner, elle se mit à parler. À

voix basse et craintive.

Elle se laissa happer par le souvenir de cette nuit... son arrivée dans les bois qui entouraient le château de son grand-père... son désarroi devant la maison vide... les voix qui montaient du sous-sol... la découverte de la porte cachée... la descente de l'escalier, jusqu'à la caverne... l’ôdeur fraîche et légère de la terre humide. C'était au mois de mars. Cachée dans l'ombre au pied des marches, elle regardait les étrangers se balancer en psalmodiant à la lueur orange des bougies.

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Je rêve, se disait-elle. Cela ne peut être qu'un rêve.

Les hommes et les femmes étaient intercalés : blanc, noir, blanc, noir. Les belles robes de tulle des femmes ondulaient chaque fois qu'elles brandissaient leur globe doré au-dessus de leur tête, en chantant à l'unisson :

« J'étais avec toi dès le commencement. À l'aube de tout ce qui est sacré. Avant le lever du jour, je t'ai tiré de mon sein. »

Puis elles baissèrent les bras et tous, hommes et femmes, se mirent à osciller d'avant en arrière, comme en transe. Ils semblaient vénérer quelque chose qui se trouvait au centre du cercle qu'ils formaient.

Que regardent-ils ?

L'incantation se précipita, se fit plus sonore.

Les femmes chantaient, levant leur globe :

« Contemple la femme. Elle est Amour. »

Les hommes répondaient :

« Elle a sa demeure dans l’éternité. »

Les voix s'unirent. Le chant se fit plus rapide. Tonitruant.

Effréné. Tous les participants avancèrent d'un pas et s'agenouillèrent.

Sophie découvrit enfin ce qu'ils regardaient tous.

Au centre du cercle, sur une sorte d'autel surbaissé, un homme était étendu sur le dos. Nu. Un masque noir sur le visage. Sophie reconnut immédiatement la tache de naissance qu'il avait sur l'épaule. Elle réprima un cri. Grand-père ! Ce seul spectacle aurait suffi à la choquer, mais ce n'était pas tout.

Au-dessus de lui, une femme était assise, à califourchon.

Nue comme lui, elle portait un masque blanc. Son épaisse chevelure grise flottait sur son dos. Son corps était grassouillet, loin de la perfection. Elle se balançait, au rythme de la mélopée, tandis que Jacques Saunière lui faisait l'amour.

Sophie voulait s'enfuir mais restait clouée sur place, comme emprisonnée par les parois de pierre de la crypte. Les voix montèrent en un crescendo enfiévré, comme en un cantique puissant, presque forcené. Soudain, hommes et femmes poussèrent ensemble un rugissement qui lui glaça le sang.

Sophie étouffait. Elle se rendit compte qu'elle sanglotait sans bruit.

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Pivotant sur elle-même, elle remonta en titubant l'escalier dérobé, sortit de la maison et reprit la route vers Paris, le corps agité de tremblements convulsifs.

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Le jet survolait Monaco illuminé lorsque Mgr Aringarosa éteignit son téléphone après sa communication avec le commissaire Fache. Il tendit la main vers le sac en papier mais il n'avait même plus la force d'avoir le mal de l'air.

Qu'on en finisse !

Ce que le commissaire Fache venait de lui apprendre était inimaginable. Plus rien n'avait de sens. Que se passe-t-il ? Tout semblait s'être emballé, dans une spirale infernale. Où ai-je entraîné Silos ? Et moi-même ?

Les jambes tremblantes, il avança vers le cockpit :

— Je dois changer de destination.

— Vous plaisantez ? lança le pilote par-dessus son épaule.

— Non. Il faut que je me rende à Londres de toute urgence.

— C'est un avion charter, mon père, pas un taxi.

— Je paierai ce qu'il faut. Combien ? Londres n'est qu'à une heure de Paris et la direction est pratiquement la même, alors...

— Mon père, ce n'est pas une question d'argent. C'est plus compliqué que ça.

— Dix mille euros. Tout de suite. Le pilote se retourna, sous le choc.

— Combien ? Mais comment un prêtre peut-il avoir autant d'argent sur lui ?

Aringarosa retourna à sa place, ouvrit sa valise, en sortit l'un des bons du Vatican, et revint le donner au pilote.

— Qu'est-ce que c'est que ça ?

— Un bon au porteur de dix mille euros sur la banque du Vatican.

Le pilote avait l'air soupçonneux.

— C'est exactement comme de l'argent liquide, fît l'évêque.

Le pilote lui rendit le bon.

— Il n'y a que les billets qui soient du vrai liquide. Se sentant faiblir, Aringarosa s'adossa à la cloison.

— C'est une question de vie ou de mort. Je vous supplie de m'aider. Il faut absolument que je puisse me rendre à Londres.

Le pilote fixait des yeux la grosse bague de l'évêque.

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— Ils sont vrais, vos diamants ?

— Il m'est absolument impossible de m'en défaire.

Le pilote haussa les épaules et se retourna vers le pare-brise.

L'évêque baissa les yeux sur sa bague avec une immense tristesse. Tout ce qu'elle représentait était maintenant perdu pour lui. Après un long moment d'hésitation, il la fit glisser le long de son doigt et la déposa doucement sur le tableau de bord.

Il retourna à sa place comme un voleur. Quinze secondes plus tard, l'avion pivotait de quelques degrés vers le nord.

Son heure de gloire n'était plus.

Tout avait commencé par une sainte cause. Un projet brillamment mis au point. Qui s'écroulait sur lui-même comme un château de cartes. Et dont la fin était imprévisible.

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76


Si Sophie était encore visiblement sous le choc du souvenir qu'elle venait de raconter, Langdon était ébloui par ce qu'il venait d'entendre. Elle avait assisté malgré elle à une cérémonie intégrale de Hieros Gamos, pour constater de surcroît que c'était son grand-père qui en était l'officiant. Le Grand Maître du Prieuré de Sion avait eu d'illustres prédécesseurs. Leonardo Da Vinci, Botticelli, Newton, Victor Hugo, Jean Cocteau...

Jacques Saunière.

— Je ne sais que vous dire de plus..., dit Langdon d'une voix douce.

Les yeux verts étaient sombres et mouillés de larmes.

— Il m'a élevée comme sa propre fille.

Langdon reconnut le sentiment que leur conversation avait suscité en elle. Un profond remords, qui remontait loin. Elle commençait à voir sous une lumière différente ce grand-père qu'elle avait voulu rayer de sa vie.

L'aube commençait à poindre. Un rayon de soleil rose illuminait la gauche de l'avion. Au-dessous d'eux, la terre était encore plongée dans l'obscurité.

Teabing arrivait, brandissant quelques canettes de Coca et un paquet de crackers qui n'avait plus l'air tout jeune.

— Voici quelques victuailles !

Il s'excusa de la frugalité de son butin, tout en le distribuant à ses convives.

— Notre ami le moine refuse toujours de parler... Laissons-lui encore un peu de temps. Alors, avons-nous fait quelques progrès ? demanda-t-il en montrant le poème. Ma chère Sophie, que voulait donc nous signifier votre grand-père ? Où peut bien se trouver cette effigie vénérée des Templiers ?

Elle secoua la tête en silence.

Teabing se replongea dans la lecture du quatrain. Langdon ouvrit un Coca et se tourna vers le hublot, l'esprit bourdonnant de rituels mystérieux et de codes indéchiffrables. La tête bénie par les Templiers. Il but une gorgée tiède. La tête bénie par les Templiers.

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Le voile de la nuit sembla se déchirer soudain et la mer apparut. La Manche. Il n'y en avait plus pour longtemps. Si seulement la lumière du jour pouvait aussi l'éclairer sur ce mystère. Mais il lui semblait que plus il faisait clair dehors, plus la vérité le fuyait. Le rythme des pentamètres résonnait en lui, mêlé à celui des incantations du Hieros Gamos.

La tête bénie par les Templiers.

Alors que la côte anglaise se dessinait sous l'appareil, un trait de lumière le frappa soudain. Il posa bruyamment sa canette sur la table.

— Vous n'allez pas me croire, lança-t-il en se tournant vers ses compagnons. La tête des Templiers - j'ai trouvé !

Teabing ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.

— Vous savez où elle est ?

— Non, mais je sais ce que c'est. Sophie se pencha pour écouter.

— Je crois que c'est une référence à la tête d'une idole, et non à celle d'une pierre tombale, déclara Langdon en savourant l'excitation de l'érudit qui vient de faire une découverte.

— La tête d'une idole ? s'étonna Teabing.

— Rappelez-vous, Leigh, pendant l'Inquisition, l'Église accusait les Templiers de toutes sortes d'hérésies...

— C'est vrai. On a inventé contre eux des tas d'accusations fallacieuses : sodomie, souillures du crucifix, culte du diable...

Une liste incroyablement longue.

— Elle comportait, entre autres, l'adoration de fausses idoles..., enchaîna Langdon. L'Église affirmait qu'ils célébraient en secret des rituels dédiés à une tête sculptée dans la pierre, qu'ils adoraient. .. celle d'un dieu païen...

— Baphomet ! s'écria Teabing. Mon Dieu, Robert ! Vous avez raison. La tête bénie par les Templiers !

Langdon expliqua brièvement à Sophie que Baphomet était un dieu païen de la fertilité, qui personnifiait la force créative de la reproduction. Il était représenté par une tête de bélier ou de bouc, deux animaux symbolisant procréation et fécondité. Les Chevaliers du Temple honoraient Baphomet en chantant des prières, rassemblés en cercle autour de son effigie.

– 351 –


— Baphomet ! s’esclaffa Teabing. La magie créatrice de l'union des deux sexes. Mais le pape Clément a réussi à persuader tout le monde chrétien qu'il s'agissait de la tête du diable. Il en a fait le pivot de sa campagne de diffamation.

Langdon abonda dans ce sens. C'est à Baphomet que remontait la croyance moderne en un diable cornu. Et c'est l'Église de Rome qui était responsable de cet amalgame entre la fertilité et le démon. Elle n'avait cependant pas pleinement réussi. Les cornes d'abondance, que l'on trouvait encore sur les tables américaines lors de la fête de Thanks-giving, rendaient hommage à la fertilité de Baphomet, évoquant aussi l'histoire de Zeus qui aurait tété le pis d'une chèvre, dont les cornes se seraient miraculeusement détachées et remplies de fruits. Et c'est encore le dieu païen qui apparaissait sur certaines photos de groupe, lorsqu'un plaisantin mettait deux doigts en V

derrière la tête d'un prétendu cocu. Il ne se doutait pas que ce geste saluait en réalité le sperme prolifique de la victime de sa blague.

— Oui, oui, oui ! s'exclama Teabing avec enthousiasme.

C'est forcément Baphomet qu'évoque notre poème. La tête bénie par les Templiers.

— OK, dit Sophie. Si c'est bien Baphomet, alors nous voici confrontés à un nouveau dilemme. Son nom comporte huit lettres, et nous n'en avons que cinq à caser dans le cryptex.

— Ma chère petite, répliqua Teabing avec un large sourire, c'est là que le chiffre Atbash entre en jeu.

– 352 –


77


Langdon était bluffé. Teabing venait d'aligner, de mémoire, sur une feuille de papier, les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu certes transcrits en caractères latins, mais il les lisait maintenant à haute voix, sans aucune erreur de prononciation.

ABGDHVZChTYKLMNSOPTzQRShTh

— Aleph, Beth, Guimel, Daleth, Hé, Vav, Zayin, Kheth, Teth, Yod, Kaph, Lamed, Mem, Noun, Samkh, Ayin, Pé, Tsadé, Qoph, Resh, Shin, Tav.

L'Anglais s'épongea le front d'un geste théâtral avant de reprendre :

— En hébreu classique, les voyelles ne sont pas écrites. Par conséquent, le mot « BAPHOMET » perd son a, son o et son e.

Ce qui nous laisse...

— Cinq lettres, acheva Sophie.

Teabing se remit à écrire.

— Voici donc son orthographe en hébreu. Je n'y intercale les voyelles que pour plus de clarté :

B a P V o M e Th

— N'oubliez pas, bien sûr, que l'hébreu se lit de droite à gauche. Mais nous pouvons fort bien appliquer l'Atbash dans l'autre sens. Il suffira ensuite de créer notre propre code de substitution en superposant un autre alphabet inversé au premier...

— Il y a une méthode plus simple et plus rapide, dit Sophie en lui prenant le stylo des mains. C'est un petit truc que j'ai appris au RHI, et qui fonctionne pour tous les codes de substitution en miroir y compris l'Atbash.

Elle écrivit les onze premières lettres de gauche à droite et, au-dessous, les onze dernières, de droite à gauche.

— On appelle ça la méthode par pliage. Deux fois moins compliqué, deux fois plus net.


A

B

G

D

H

V

Z

Ch

T

Y

K

Th Sh

R

Q

Tz

P

O

S

N

M

L


– 353 –


— Belle ouvrage ! siffla Teabing. Je constate que le RHI est à la hauteur de sa réputation.

Devant la grille de substitution que Sophie venait de tracer, Langdon ressentait une excitation qu'avaient dû éprouver les érudits qui avaient réussi, à l'aide du code Atbash, à percer le célèbre « Mystère de Sheshach ». Les exégètes s'étaient heurtés pendant des années aux références à la « cité de Sheshach », au

« roi de Sheshach », au « peuple de Sheshach » que l'on trouvait dans le Livre de Jérémie. Cette ville ne figurait sur aucune carte ni sur aucun autre document de l'époque biblique. Le chercheur qui avait fini par appliquer à ce mot le chiffre Atbash fit une découverte passionnante : Sheshach était le nom de code d'une autre ville légendaire de l'Ancien Testament. Le processus de décryptage avait été très simple.

En hébreu, le mot Sheshach s'épelait Sh-Sh-K.

Avec l'Atbash, il devenait B-B-L, qui se prononçait Babel.

Cette trouvaille déclencha une véritable frénésie de vérifications par l'Atbash de tous les textes de la Bible. On y découvrit en quelques semaines les significations inattendues d'un nombre impressionnant de mots codés.

— On chauffe ! chuchota Langdon, incapable de retenir son excitation.

— À deux doigts du but, Robert ! fit Teabing. Puis, se tournant vers Sophie :

— Êtes-vous prête ? Elle hocha la tête.

— Très bien. Nous avons donc les lettres B-V-P-M-Th, que nous allons inscrire dans votre grille, pour faire apparaître le mot de passe de cinq lettres.

Langdon sentait son cœur battre la chamade. B-V-P-M-Th.

Le soleil entrait maintenant à flots par les hublots. Il commença mentalement la conversion. B égale Sh... P égale V...

Teabing souriait comme un enfant le matin de Noël:

— Et voici ce qu' Atbash nous révèle... Il s'arrêta net.

— Mon Dieu ! s'écria-t-il en pâlissant. Langdon avait relevé la tête.

— Qu'y a-t-il ? demanda Sophie.

— Vous allez avoir une belle surprise, ma chère enfant...

Une surprise rien que pour vous...

– 354 –


— Pour moi ?

— Quelle ingéniosité ! Votre grand-père était tout bonnement génial ! s'exclama-t-il en remplissant la grille. Et maintenant, roulement de tambours, s'il vous plaît ! Voilà notre mot de passe.

Il leur montra ce qu'il avait écrit.

Sh-V-F-Y-A

Le visage de Sophie se renfrogna :

— Et alors ?

Langdon se posait la même question. La voix de Teabing se mit à trembler :

— Voici un véritable vieux mot de sagesse ! Langdon relut les cinq lettres.

Dans un vieux mot de sagesse est la clé.

En un quart de seconde, il avait compris. Pourquoi n'y avait-il pas pensé avant ?

Un vieux mot de sagesse.

Teabing riait :

— On ne pouvait imaginer définition plus littérale. Sophie regardait le cadran du cryptex.

Teabing et Langdon avaient omis un détail.

— Attendez ! Ça ne peut pas être le mot de passe ! La lettre Sh ne figure pas sur les cadrans. Ce sont celles de l'alphabet latin.

— Lisez le mot à voix haute, lui dit Langdon, en vous rappelant deux choses : le symbole Sh peut se prononcer S, en fonction de son accentuation. De même que la lettre P peut se prononcer F.

SVFYA ?

Elle ne comprenait toujours pas.

— Et le véritable coup de génie, continua Teabing, c'est que la lettre Vav sert souvent de marquage pour le son vocalique O... Elle relut les cinq lettres à voix haute :

— S... o... ph... y... a.

Elle n'en revenait pas.

– 355 –


— Sophia ? C'est Sophia ?

Langdon hochait la tête avec enthousiasme.

— Oui ! Le mot grec qui signifie sagesse. La racine de votre prénom, Sophie !

Soudain, son grand-père lui manqua terriblement. Il s'est servi de mon nom pour crypter la clé de voûte. Sa gorge se noua. Elle ne pouvait rêver plus bel hommage...

Mais en jetant un nouveau coup d'œil aux cinq lettres du cryptex, elle réalisa qu'il subsistait un problème.

— Mais... attendez... le mot Sophie comprend six lettres.

Teabing ne se départit pas de son sourire radieux :

— Regardez encore le poème : votre grand-père a écrit « un vieux mot de sagesse ».

— Oui?

Teabing lui fit un clin d'oeil :

— En grec ancien, la sagesse se dit SOFIA.

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78


Sophie tremblait d'impatience lorsqu'elle s'empara du cryptex pour actionner les cinq disques. Dans un vieux mot de sagesse est la clé. Se serrant autour d'elle, Langdon et Teabing semblaient s'être arrêtés de respirer.

— S...O...F...

— Doucement, implora Teabing, le plus délicatement possible !

— ...I... A.

Les cinq lettres étaient alignées en face de l'encoche.

— OK, chuchota-t-elle. J'ouvre...

— Pensez au flacon de vinaigre ! murmura Langdon d'une voix à la fois euphorique et craintive.

Sophie se rappela que, si ce cryptex était le même que ceux de son enfance, elle n'avait qu'à saisir une des deux extrémités dans chaque main, et tirer lentement. Si les cadrans étaient correctement alignés selon les lettres du mot de passe, l'une des parties du cylindre coulisserait hors de l'autre, un peu comme un télescope, dévoilant ainsi le papyrus enroulé autour de son flacon de vinaigre. Si en revanche les lettres n'étaient pas les bonnes et que l'on tirât trop fort, la pression appliquée aux deux extrémités du cryptex se transmettrait au levier articulé placé à l'intérieur qui pivoterait dans la cavité et écraserait le flacon.

Tire très doucement, se disait-elle.

Teabing et Langdon étaient penchés sur le cryptex. Encore sous le coup de l'excitation de la découverte du mot de passe, Sophie en avait presque oublié ce qu'elle devait trouver à l'intérieur. C'est la clé de voûte du Prieuré. Teabing pensait qu'il s'agissait de remplacement de la tombe de Marie Madeleine et du trésor du Saint-Graal... la piste du trésor, de la précieuse vérité.

Des deux mains, elle enserra chacune des deux extrémités du cylindre et vérifia encore une fois que les cinq lettres du sésame étaient bien alignées en face de l'encoche. Puis elle tira doucement. Sans résultat. Elle stabilisa le cryptex sur la table et tira le plus fermement qu'elle put. Le cylindre se fendit au

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centre et se déboîta sans bruit. La partie la plus lourde lui resta dans la main. Elle crut sentir Teabing et Langdon bondir sur leurs pieds. Le cœur battant, elle posa sur la table le cylindre intérieur.

Un manuscrit roulé !

Il enveloppait un objet cylindrique — le flacon de vinaigre, supposa-t-elle. Curieusement, ce n'était pas le papyrus auquel elle s'attendait, mais un rouleau de vélin. C'est bizarre, le vélin ne se dissout pas dans le vinaigre. Elle se pencha vers l'intérieur du rouleau. Il n'y avait pas de flacon de verre, mais un objet totalement différent.

— Allez-y ! intima Teabing, sortez-le ! Fronçant les sourcils, Sophie saisit une extrémité du rouleau et le sortit doucement de son habitacle, entraînant avec lui ce qu'il contenait.

— Ce n'est pas un papyrus, fit Teabing, décontenancé. C'est trop épais.

— Je sais, fit Sophie. C'est du vélin. Il sert de rembourrage.

— Pour le flacon de vinaigre ?

— Non, dit-elle en le déroulant. Pour ceci. Langdon eut un serrement de cœur.

— Mon Dieu ! soupira Teabing. Votre grand-père était un inventeur impitoyable...

Langdon n'en croyait pas ses yeux. Saunière était bien décidé à ne pas simplifier les choses.

Un deuxième cryptex était posé sur la table. Plus petit que le premier. En onyx noir. Il avait été logé à l'intérieur du grand.

Cet homme avait une passion pour la dualité, se dit Langdon.

Tout allait par deux. Les allusions à double sens, l'homme et la femme, l'onyx noir dans le marbre blanc... Le blanc qui donne naissance au noir.

Tout homme est issu d'une femme.

Blanc - féminin.

Noir - masculin.

Langdon souleva le petit cryptex. Un modèle réduit du premier. Il le secoua et reconnut le clapotis familier. C'est là que se trouvait le flacon de vinaigre qu'ils avaient entendu clapoter.

– 358 –


— Eh bien, Robert, dit Teabing en lui tendant le rouleau de parchemin. Vous serez en tout cas heureux d'apprendre que nous volons dans la bonne direction...

Langdon déroula la feuille de vélin.

Écrit à la plume, dans une calligraphie impeccable, on y lisait un nouveau quatrain. Crypté comme le précédent. Mais les deux premiers vers suffirent à lui faire comprendre que Teabing avait bien fait de les emmener vers la Grande-Bretagne.

Un chevalier à Londres gît

Qu'un Pope enterra.

La suite du poème indiquait clairement que le mot de passe servant à ouvrir le deuxième cryptex se trouvait sur la tombe de ce chevalier enterré dans la capitale britannique.

Langdon se tourna vers Teabing.

— Avez-vous une idée du chevalier dont il peut s'agir ?

— Pas la moindre. Mais je crois que je sais où nous pourrons le trouver...

À moins de trente kilomètres de là, sur une route du Kent arrosée par l'averse, six voitures de police se dirigeaient vers l'aéroport de Biggin Hill.

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79


L'inspecteur Collet alla chercher une bouteille de Perrier dans le réfrigérateur de Teabing et retourna au salon. Au lieu d'accompagner Fache à Londres, il avait été assigné au château de Villette où il dirigeait l'équipe d'enquêteurs de la police scientifique répartis dans toutes les pièces.

Les quelques indices recueillis jusqu'à présent n'étaient pas d'une grande utilité. Une cartouche encastrée dans le plancher du salon, une feuille de papier sur laquelle étaient griffonnés deux dessins géométriques accompagnés des mots « Lame » et

« Calice », et une curieuse ceinture à pointes, maculée de sang séché. Un policier avait expliqué à Collet qu'il s'agissait d'un ancien accessoire de pénitence monastique, remis en vigueur par l’Opus Dei, une congrégation catholique traditionaliste. Il avait vu la semaine précédente un reportage télévisé décrivant leurs agressives méthodes de recrutement.

Eh bien ! se dit Collet, je nous souhaite bonne chance pour trouver un fil conducteur dans tout ça.

Il traversa un hall somptueux pour se rendre dans l'immense bureau, où un corpulent policier en bretelles était en train de relever des empreintes digitales.

— Du nouveau ? s'informa Collet en entrant. Le policier secoua la tête.

— Non, ce sont les mêmes que celles qu'on a relevées dans le salon.

— Et celles qu'on a trouvées sur le cilice ?

— On les a envoyées à Interpol, ils bossent dessus.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Collet en montrant du doigt deux sachets de plastique transparent.

— Une habitude... Je garde toujours ce qui me semble un peu particulier...

— Particulier ? répéta Collet en s'approchant.

— Cet Anglais m'a l'air d'avoir des marottes bizarres.

Regardez...

– 360 –


Il ouvrit l'un des sacs et tendit à Collet l'agrandissement photographique d'un portail gothique grand ouvert sur la nef d'une cathédrale.

— Je ne vois pas ce que vous y trouvez de particulier...

— Regardez au verso.

Des notes écrites à la main décrivaient la longue nef sombre comme un hommage à l'utérus de la femme.

— Et vous avez vu ce qu'il dit sur le tympan du portail ?

Rien ne manque au tableau : les bordures en lèvres, la petite rose clitoridienne à cinq pétales au-dessus du linteau... Ça vous donnerait presque envie de retourner à la messe...

Collet sortit du deuxième sachet la reproduction photographique d'un vieux parchemin.

— Et ça ? s'enquit-il.

— Aucune espèce d'idée. Il y en a plusieurs exemplaires. Je me suis permis d'en prendre un...

Collet alla poser le papier sur une table. Sous un en-tête imprimé, « LES DOSSIERS SECRETS -Numéro 4° lm1 249 », on découvrait la liste manuscrite suivante :

PRIEURÉ DE SION

LES NAUTONIERS


Jean de Gisors


1180-1220

Marie de Saint-Clair


1220-1266

Guillaume de Gisors


1266-1307

Edouard de Bar


1307-1336

Jeanne de Bar


1336-1351

Jean de Saint-Clair


1351-1366

Blanche d'Évreux


1366-1398

Nicolas Flamel


1398-1418

René d'Anjou


1418-1480

Yolande de Bar


1480-1483

Sandro Botticelli


1483-1510

Leonardo Da Vinci


1510-1519

Connétable de Bourbon

1519-1527

Ferdinand de Gonzague

1527-1575

Louis de Nevers


1575-1595

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Robert Fludd


1595-1637

J. Valentin Andréa


1637-1654

Robert Boyle


1654-1691

Isaac Newton


1691-1727

Charles Radclyffe


1727-1746

Charles de Lorraine


1746-1780

Maximilien de Lorraine

1780-1801

Charles Nodier


1801-1844

Victor Hugo


1844-1885

Claude Debussy


1885-1918

Jean Cocteau


1918-1963


— Le Prieuré de Sion ? questionna Collet.

Le policier n'eut pas le temps de répondre, un autre enquêteur apparaissait dans l'embrasure de la porte :

— Inspecteur ? Le standard nous transmet un appel urgent.

Quelqu'un qui demande le commissaire Fache, mais on n'arrive pas à le joindre. Pouvez-vous le prendre au téléphone ?

Collet le suivit jusqu'à la cuisine. C'était André Vernet, dont l'accent du XVI e arrondissement ne parvenait pas à masquer l'anxiété :

— Le commissaire Fache devait me rappeler, mais j'attends toujours.

— Il est très occupé. Que puis-je faire pour vous ?

— Il m'avait promis de me tenir au courant de l'avancement de votre enquête...

L'inspecteur crut reconnaître le timbre de la voix, mais sans pouvoir l'associer à un visage.

— Monsieur Vernet, je suis l'inspecteur Collet, actuellement responsable de l'enquête sur Paris.

Après un long silence, son interlocuteur s'excusa :

— Je suis désolé, mais on m'appelle sur une autre ligne. Je vous rappellerai tout à l'heure...

Vernet raccrocha.

Collet garda quelques instants le récepteur en main. Je savais que je connaissais cette voix ! Le chauffeur du fourgon blindé... Le type à la fausse Rolex !

– 362 –


Voilà pourquoi Vernet avait brutalement raccroché. Il s'était souvenu du nom du policier qu'il avait berné en sortant de sa banque.

Collet réfléchissait à la signification de son appel. Vernet est impliqué là-dedans. Sa conscience lui dictait d'appeler le commissaire Fache. Mais son instinct lui soufflait de saisir sa chance.

Il appela Interpol et demanda qu'on lui transmette toutes les informations disponibles sur la succursale parisienne de la Zurichoise de dépôt, ainsi que sur son président, André Vernet.

– 363 –


80


— Veuillez attacher vos ceintures, s'il vous plaît ! annonça le pilote du Hawker 731 qui amorçait sa descente dans la grisaille d'un crachin matinal.

En survolant le sud du Kent et en revoyant les vertes collines de sa terre natale sous une fine brume, Teabing ressentit une émotion inattendue.

C'en est fini de l'exil. Je reviens au pays, ma tâche achevée, la clé de voûte découverte, prête à livrer son secret millénaire.

S'il était bien conscient que le mystère était loin d'être élucidé, le fait de se retrouver en terre britannique lui redonnait confiance. Et l'idée de la gloire personnelle qu'il espérait tirer de sa fantastique découverte le remplissait d'une joie et d'une excitation indicibles.

Il se leva et fit coulisser un panneau qui se trouvait derrière lui, révélant un coffre-fort. Il en sortit deux passeports, le sien et celui de son domestique, ainsi qu'une épaisse liasse de billets de cent livres, qu'il montra en souriant à ses compagnons.

— Ceci vous tiendra lieu de papiers...

— Corruption ? fit Sophie.

— Diplomatie créative. Biggin Hill est un petit aéroport d'affaires, qui tolère certaines petites anomalies... Un officier des douanes m'accueillera certainement à la sortie du hangar.

S'il demande à monter à bord de l'avion, je lui dirai que je voyage avec une vedette de cinéma - vous, ma chère Sophie - qui souhaite que son séjour en Angleterre demeure à l'abri des médias. Il recevra ce petit pourboire pour le remercier de sa discrétion.

— Et il l'acceptera ? s'étonna Langdon.

— Ils ne l’accepteraient pas de n'importe quel pèlerin...

mais ici tout le monde me connaît. Je ne suis pas un trafiquant d'armes, après tout. Je suis historien de Sa Majesté la reine, anobli par elle, que diable !

Rémy s'approchait, le Heckler & Koch du moine à la main.

— Monsieur pourrait-il me dire ce qu'il a l'intention de faire de moi ?

– 364 –


— Vous resterez dans l'avion avec votre protégé jusqu'à notre retour. Nous ne pouvons tout de même pas traîner cet énergumène avec nous dans Londres !

— J'ai bien peur que la police française n'ait retrouvé votre avion avant, objecta Sophie.

— Imaginez alors leur surprise en tombant sur Rémy..., plaisanta Teabing.

— Je suis très sérieuse, Leigh. Vous avez franchi la frontière avec trois passagers clandestins, dont un otage.

— Mes avocats sont eux aussi très sérieux. Cet olibrius s'est introduit chez moi par effraction, et il a failli me tuer. Rémy pourra en témoigner.

— Mais vous l'avez ligoté et kidnappé..., intervint Langdon.

Teabing leva la main droite.

— Votre Honneur, je vous demande de pardonner à un vieil excentrique, chevalier de la Couronne britannique, qui n'aurait certes pas dû recourir à de tels moyens pour venir se mettre sous la protection de la justice de son pays. Cet homme a failli m'assassiner. J'ai effectivement commis une grave erreur en l'emmenant avec moi en Angleterre, mais j'étais dans un état d'extrême nervosité. Mea culpa. Je regrette très sincèrement mon acte.

— Vous prenez tout de même un gros risque, fît Langdon, que cette plaidoirie laissait sceptique.

— Sir Leigh ? appela le pilote. La tour de contrôle me dit qu'ils ont un problème de maintenance à proximité de votre hangar, et que je dois garer l'avion devant l'aérogare.

— Ils vous ont dit ce que c'était, ce problème ?

— Une fuite dans la cuve de kérosène... Je suis censé vous garder à bord jusqu'à nouvel ordre, par mesure de précaution.

Teabing fit une moue dubitative. Les réservoirs de kérosène étaient situés, il s'en souvenait très bien, à deux bons kilomètres de son hangar.

— Si Monsieur me permet, cela me paraît assez étrange, fit Rémy.

L'Anglais se tourna vers Langdon et Sophie.

— Mes amis, j'ai le pressentiment que nous allons avoir droit à un comité d'accueil.

– 365 –


— Cela ne m'étonne pas. Fache est toujours à mes trousses, fit Langdon.

Teabing n'écoutait plus. Il fallait réfléchir, et vite.

Ne pas perdre de vue le but final. Le Graal. Nous sommes si près de la solution...

L'avion sortit son train d'atterrissage.

— Leigh, proposa Langdon d'un ton penaud, je vais me rendre à la police et me défendre par des moyens légaux. Je ne veux pas vous impliquer tous les deux dans cette histoire de crime.

— Il n'en est pas question ! s'exclama Teabing. Et vous croyez qu'ils nous laisseront partir pour autant ? Je vous ai fait quitter la France clandestinement, Mlle Neveu vous a aidé à vous échapper du Louvre, et nous transportons un moine ligoté à l'arrière de l'appareil. Nous sommes tous logés à la même enseigne, à présent.

— Et si nous atterrissions sur un autre aéroport ? proposa Sophie.

Teabing secoua la tête.

— Trop tard, nous sommes descendus trop bas. Si nous remontons maintenant, nous aurons droit à un comité d'accueil encore plus musclé où que nous atterrissions... Si nous voulons garder une chance de retarder la confrontation avec les autorités britanniques, le temps de trouver notre Graal... (Il hésita un instant.) Je vais tenter un coup d'audace. Donnez-moi une minute, ajouta-t-il en se dirigeant vers le cockpit.

— Où allez-vous ? s'inquiéta Langdon.

— Tenir une petite réunion à huis clos, répondit Teabing, qui tentait d'évaluer la somme d'argent qui lui serait nécessaire pour persuader le pilote d'effectuer une manœuvre complètement interdite.

– 366 –


80


Le Hawker est en approche finale.

Simon Edwards, directeur de l'aéroport de Biggin Hill, faisait les cent pas dans la tour de contrôle, en surveillant d'un œil inquiet la piste d'atterrissage. Il n'appréciait guère les réveils matinaux le samedi et la perspective de participer à l'arrestation de l'un de ses plus gros clients lui semblait de fort mauvais goût.

Sir Leigh Teabing payait pour son hangar un loyer mensuel confortable, ainsi qu' une taxe annuelle qui lui permettait d'atterrir quand bon lui semblait. Il prévenait en général de son arrivée quelques jours à l'avance, de manière à s'assurer les petits extras auxquels il avait l'air de tenir. Sa Jaguar Sovereign limousine l'attendait toujours dans

son hangar, lavée, réservoir plein, et le Times du jour plié sur la banquette arrière. Un employé de l'aéroport l'accueillait à sa descente d'avion, pour lui éviter d'aller présenter ses papiers et bagages au terminal. De temps à autre, Edwards acceptait de juteux pourboires pour fermer les yeux sur les denrées alimentaires luxueuses et interdites dont Teabing raffolait : escargots de Bourgogne, une variété artisanale de roquefort particulièrement bien affiné, ainsi que certains fruits. La législation des douanes était, après tout, absurde, et si Biggin Hill n'accédait pas aux désirs de ses clients, les aéroports concurrents s'en chargeraient. On laissait donc sir Teabing en faire à sa tête, pour la plus grande satisfaction des employés bénéficiaires de ses largesses.

En apercevant l'avion dans le ciel, Edwards réprima difficilement un accès de nervosité. Était-ce son penchant pour la corruption qui avait attiré des ennuis à Teabing ? La police française paraissait en tout cas fermement résolue à le coffrer.

On n'avait pas encore donné à Edwards les détails du chef d'accusation, qui semblait toutefois très sérieux. À la demande de la PJ, la police du Kent avait exigé du contrôleur de Biggin Hill qu'il ordonne au pilote du Hawker de se présenter devant le terminal au lieu de se rendre au hangar de son client. Et le

– 367 –


mécanicien avait eu l'air de gober sans broncher le prétexte douteux de la fuite de kérosène.

Si les policiers britanniques ne portaient généralement pas d'arme, la gravité de la situation avait exigé ce matin une équipe spéciale. Postés devant l'aérogare, huit agents équipés d'armes de poing attendaient l’avion de Teabing. Juste après l'atterrissage un employé devait placer des cales sous les roues.

Puis les policiers se déploieraient devant la porte de l'appareil et empêcheraient les passagers de descendre en attendant la venue de la police française.

Le Hawker arrivait au-dessus des arbres qui bordaient la droite de l'aéroport. Simon Edwards descendit sur le tarmac pour assister à l'atterrissage. Les policiers, prêts à intervenir, restaient invisibles et le mécanicien tenait ses cales à la main.

L'avion se plaça dans l'axe de la piste, ralentit, le nez se redressa et les roues touchèrent le sol en faisant jaillir un nuage de poussière. Le pilote décéléra. La carlingue blanche luisant sous la bruine bifurqua de gauche à droite en face du terminal.

Mais, au lieu de freiner devant l'aérogare, l'appareil longea tranquillement la façade et continua sa route en direction du hangar de Teabing.

Tous les policiers se précipitèrent vers Edwards.

— Je croyais qu'il avait accepté de se garer ici ?

— En effet, fit Edwards, effaré.

Quelques secondes plus tard, on le poussait dans un véhicule de la police, qui fila à toute allure vers le hangar. Au moment où l'avion disparaissait dans le bâtiment de tôle ondulée, le convoi était encore à cinq cents mètres de distance.

Les voitures de police se garèrent en dérapant devant la porte et les huit policiers en jaillirent, l'arme au poing.

Edwards sortit en trombe ; dans le hangar le vacarme était assourdissant.

Les moteurs du Hawker tournaient encore. Il achevait sa rotation pour se présenter le nez face à la porte, prêt pour le prochain départ. Edwards lut sur le visage du pilote un étonnement et une crainte parfaitement compréhensibles à la vue du barrage de voitures.

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