Traversant la nef en diagonale, Langdon et Sophie découvrirent en silence l'imposant sépulcre et ses multiples ornements. Un sarcophage de marbre noir... une statue de Newton penché... deux angelots... une formidable pyramide et...

un énorme globe.

— Vous saviez qu'il y avait un globe terrestre au-dessus de la statue ? demanda Sophie.

Langdon hocha la tête, aussi étonné qu'elle.

— Ce n'est pas la Terre, j'aperçois des constellations gravées, reprit Sophie.

En approchant du monument funéraire, Langdon sentit un intense découragement le gagner. Le tombeau de Newton était recouvert d'étoiles, de comètes, de planètes. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin...

— ... des corps célestes, continua Sophie, l'air concentré, et une vraie flopée !

Langdon fronça les sourcils. En quoi la voûte céleste peut-elle être liée au Graal ? Il n'imaginait qu'un trait d'union, le pentacle de Vénus. Mais Langdon avait déjà testé ces cinq lettres-là sur le cryptex, dans la voiture qui les avait conduits à Temple Church.

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Sophie s'approcha encore du sarcophage, et se mit à lire les titres des livres du grand savant tandis que Langdon, un peu à l'écart, surveillait les parages du coin de l'œil.

Divinity, Chronology, Optiks, Philosophiae naturalis principia mathematica, murmura Sophie. Cela vous dit quelque chose ?

Langdon s'avança et lut à son tour.

— Il me semble que le dernier ouvrage parle de la gravitation des planètes. On peut évidemment les appeler «

sphères », mais ça me semble un peu tiré par les cheveux.

— Et si nous cherchions du côté des signes du zodiaque ?

reprit Sophie. Teabing nous parlait tout à l'heure des Poissons et du Verseau...

La Fin des Temps, la fin de l'ère des Poissons et le début de celle du Verseau, était le repère temporel choisi par le Prieuré pour annoncer au monde la vérité du Graal. Mais le tournant du millénaire s'était déroulé sans incident, laissant les historiens dans l'expectative. Quand la révélation aurait-elle lieu ?

— Il me semble possible, fit Sophie, que les plans du Prieuré concernant les révélations qu'ils comptaient faire sur la Rose et son cœur fertile soient directement liés au dernier vers du poème.

Il parle de chair rosée et de cœur fertile. Langdon frissonna. C'était la première fois qu'il voyait le vers sous cet angle.

— Vous m'avez dit vous-même, poursuivit-elle, que le Prieuré de Sion prévoyait de faire coïncider la révélation de son secret concernant la Rose et son cœur fertile avec une certaine configuration des planètes dans le ciel...

Langdon acquiesça, entrevoyant les prémices d'une lueur.

Et pourtant, il pressentait que ce n'était pas du côté de l'astrologie qu'il fallait chercher. Toutes les énigmes de Jacques Saunière avaient évoqué la même symbolique du Féminin sacré

- le pentacle, Mona Lisa, la Vierge aux rochers, le « cœur fertile à la chair rosée ». Mais jusqu'à présent, Jacques Saunière s'était révélé un cryptographe méticuleux et tout laissait penser que son mot de passe final -les cinq lettres révélant l'ultime secret du Prieuré - ne serait pas seulement d'une parfaite logique

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symbolique, mais aussi d'une clarté cristalline. En le découvrant, ils ressentiraient sûrement l'habituelle frustration devant l'évidence du sésame.

— Regardez ! chuchota Sophie en lui prenant le bras.

Il se retourna instinctivement, persuadé que quelqu'un arrivait. Mais elle regardait vers le haut du sarcophage, pointant un emplacement situé sous le pied droit de Newton.

— Quelqu'un est venu ici avant nous... Langdon baissa les yeux. Un amateur d'estampes avait laissé traîner son morceau de fusain sur le cercueil de marbre noir, près de la jambe de la statue. En tendant le bras pour l'enlever, il comprit soudain ce qui avait alarmé Sophie.

Tracé au charbon de bois, et lisible seulement sous un certain éclairage, un message scintillait.


J'ai Teabing

Traversez la Salle capitulaire

Prenez la sortie sud et rejoignez-moi

dans Collège Garden

Langdon relut le message deux fois, son cœur battant à grands coups tandis que Sophie pivotait sur elle-même pour inspecter la nef.

En dépit d'une subite décharge d'adrénaline, Langdon se dit que c'était plutôt une bonne nouvelle. Primo, Leigh était vivant.

Secundo, ses ravisseurs n'avaient pas découvert le mot de cinq lettres suggéré par le poème de Saunière.

— Ce type ne chercherait pas à nous rencontrer s'il connaissait le mot de passe.

Sophie hocha la tête.

— En effet. Il veut échanger Teabing contre le mot de passe.

À moins que ce ne soit un piège ?

— Ça m'étonnerait. Collège Garden est un jardin public extérieur à l'abbaye où se promènent beaucoup de gens.

Langdon avait visité autrefois le célèbre petit verger bordé d'un parterre d'herbes aromatiques, héritage de l'époque où les moines cultivaient des plantes utilisées dans la confection de remèdes. Avec ses arbres fruitiers, les plus vieux d'Angleterre,

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Collège Garden attirait des touristes intimidés par la visite de l'abbaye.

— Je crois qu'on veut nous attirer dehors pour nous mettre en confiance. Qu'avons-nous à craindre dans le jardin ?

Sophie fit une grimace dubitative.

— Mais on y entre sans passer par le portique de sécurité, non ?

Langdon fronça les sourcils. Elle marquait un point.

Il aurait préféré avoir ne fût-ce qu'une opinion sur le mot de passe, un élément à négocier contre la libération de Teabing.

C'est moi qui l'ai mêlé à cette histoire et je ferai ce qu'il faudra pour l'en sortir, s'il existe la moindre chance. Sophie n'avait toujours pas l'air rassuré.

— Le message nous dit de traverser la Salle capitulaire avant de sortir. On pourrait peut-être commencer par faire le tour par l'extérieur, pour aller jeter un coup d'œil à ce jardin ?

— Bonne idée, acquiesça Langdon.

Il se souvenait vaguement qu'on accédait par le cloître à la Salle capitulaire, une grande salle octogonale où le Parlement britannique d'autrefois se réunissait avant qu'on ait construit sa version moderne. Ils longèrent la cloison du jubé, gagnèrent le bas-côté sud et traversèrent au pas de course un passage voûté que précédait un grand panneau posé sur un chevalet.

Vers :

GRAND CLOÎTRE

CHAPELLE SAINTE-FOY

MUSÉE

SALLE DU COFFRE

CRYPTE ROMANE

CLOÎTRE ROMAN

SALLE CAPITULAIRE

Mais ils marchaient trop vite pour remarquer la petite affichette en carton punaisée dans un coin - semblable à celle qu'ils auraient pu lire en entrant par le portail nord - laquelle annonçait la fermeture pour rénovation de certains secteurs de l'abbaye.

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Ils débouchèrent aussitôt dans le grand cloître, cinglé par une forte averse, dont ils longèrent l'arcade est en suivant les panneaux « Salle capitulaire ». Le vent soufflait avec un gémissement rauque qui lui rappela un de ses jeux préférés quand il était gamin : il collait sa bouche au goulot d'une bouteille de verre pour émettre toutes sortes de sifflements.

Sous les arcades étroites et basses bordant le jardin, Langdon éprouva le malaise qui le saisissait toujours dans des espaces confinés. Après tout, comme il s'en fît la remarque, cette enceinte fermée portait le nom de cloître - étymologiquement «

lieu clos » - et la claustrophobie n'est-elle pas la hantise des lieux clos ?

Se concentrant sur l'extrémité du passage voûté qu'il longeait, Langdon suivit les indications « Salle capitulaire ».

Les gouttes de pluie, rebondissant dans la cour du cloître, éclaboussaient le pavage sous l'arcade. Ils croisèrent un couple qui retournait à grands pas vers la nef, pressé de s'abriter de la douche. Le cloître était complètement désert à présent, mais c'était incontestablement le secteur le moins séduisant de l'abbaye sous cette pluie balayée de rafales.

À mi-chemin du promenoir, le passage conduisant à la Salle capitulaire était barré par un cordon, auquel était accrochée une pancarte :


FERMÉES POUR RÉNOVATION :

Salle du coffre

Chapelle Sainte-Foy

Salle capitulaire

Le long couloir voûté était encombré d'éléments d'échafaudage et de toiles de bâchage. Juste derrière ce chantier, Langdon repéra une sortie à gauche menant vers la chapelle Sainte-Foy, et une autre à droite vers la Salle du coffre.

Tout au fond, la porte de la Salle capitulaire ouvrait sur le grand espace octogonal éclairé par les vitraux donnant sur Collège Garden.

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— Nous venons de quitter le cloître est, fit Langdon, la sortie sud vers le jardin doit se trouver à droite au fond de la salle.

Sophie avait déjà enjambé le cordon. À mesure qu'ils longeaient ce couloir sombre, les hurlements du vent décroissaient derrière eux. La Salle capitulaire était un bâtiment annexe et le long couloir qui la précédait avait visiblement pour fonction de garantir aux parlementaires la confidentialité de leurs débats.

— Elle a l'air immense, cette salle ! souffla-t-elle à Langdon qui l'avait rejointe dans le passage à peine éclairé.

Langdon avait oublié les dimensions du lieu. Monumental.

Du couloir, il entrevoyait déjà l'interminable parquet et les extraordinaires fenêtres en ogive, à l'extrémité de l'octogone -

immense pièce à voûte gothique d'une hauteur de cinq étages.

On devait sûrement y jouir d'une vue magnifique sur le jardin.

Arrivés sur le seuil, Langdon et Sophie durent plisser les yeux. Comparée aux cloîtres, la Salle capitulaire ressemblait à un solarium. Ils avaient déjà parcouru plusieurs mètres lorsqu'ils découvrirent que la porte sud ouvrant sur Collège Garden n'existait pas.

Ils se trouvaient dans un énorme cul-de-sac.

Le grincement d'une lourde porte se refermant derrière eux les fît se retourner vers l'entrée.

Langdon crut un instant qu'il rêvait.

Au pied du grand vitrail sud, un homme corpulent braquait nonchalamment un pistolet sur eux. Il était appuyé sur deux béquilles d'aluminium.

C'était Leigh Teabing.

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99


Ce n'était pas de gaieté de cœur que sir Leigh Teabing tenait en joue, de son Médusa, Robert Langdon et Sophie Neveu.

— Mes chers amis, depuis votre arrivée inopinée chez moi hier soir, je n'ai cessé de faire l'impossible pour tenter de vous épargner. Mais votre insistance m'a mis dans une position difficile.

Il vit les expressions choquées et indignées de Sophie et Langdon, mais se convainquit qu'ils comprendraient vite l'engrenage fatal responsable de ce dénouement inattendu.

J'ai tant de choses à vous dire à tous les deux... Tant de choses que vous ne comprenez pas encore.

— Croyez bien, reprit-il, que je n'ai jamais eu la moindre intention de vous impliquer dans cette affaire, ni l'un ni l'autre.

C'est vous qui êtes venus me chercher...

Sa voix était empreinte de tristesse.

— Mais qu'est-ce qui vous prend, Leigh ? bredouilla Langdon, complètement abasourdi. Nous pensions que vous étiez en danger. Nous sommes venus ici pour vous aider !

— Comme j'étais convaincu que vous le feriez. Il est grand temps que nous nous expliquions.

Langdon et Sophie ne pouvaient détacher leurs yeux du pistolet que Teabing braquait sur eux.

— Je vous rassure, ce petit joujou n'est destiné qu'à me garantir votre attention. Si j'avais voulu me débarrasser de vous, il y a longtemps que vous seriez déjà dans l'autre monde. Quand vous vous êtes présentés chez moi hier soir, j'ai pris tous les risques pour vous épargner. Je suis un homme d'honneur et je me suis juré de ne sacrifier que ceux qui ont trahi le Saint-Graal.

— Mais de quoi parlez-vous? Qu'est-ce que c'est que cette histoire rocambolesque ? s'écria Langdon.

— J'ai découvert une terrible vérité, reprit Teabing en soupirant. J'ai appris pourquoi le Prieuré de Sion n'avait jamais révélé au monde les documents Sangreal. Ils ont renoncé à le divulguer. Voilà pourquoi il ne s'est rien passé quand nous

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avons changé de millénaire, quand nous sommes entrés dans la Fin des Temps.

Langdon n'eut pas le temps de protester.

— Le Prieuré avait reçu la mission sacrée de faire connaître la vérité à la communauté chrétienne, de publier les documents sur le Graal lorsque arriverait la Fin des Temps. Depuis des siècles, les Grands Maîtres de la confrérie, Leonardo Da Vinci, Botticelli, Isaac Newton et les autres, ont encouru de gros risques pour protéger la lignée du Sang Real et les textes anciens qui en étayaient l'existence. Mais le jour venu, Jacques Saunière a changé d'avis.

Celui qui était investi de la responsabilité la plus écrasante de toute l'histoire de la chrétienté a failli à son devoir, en décidant que le moment était mal choisi. Il se tourna vers Sophie.

— Il a trahi le Graal, le Prieuré qui en était le gardien, et toutes les générations qui ont attendu pendant des siècles la date où la vérité pourrait surgir au grand jour.

— C'est vous...? s'exclama-t-elle, les yeux agrandis par l'horreur de ce qu'elle venait de découvrir. C'est vous qui êtes responsable de l'assassinat de mon grand-père ?

— C'était un traître, comme ses trois sénéchaux, déclara Teabing d'une voix implacable. Il a cédé aux pressions de l'Eglise, c'est évident, il est passé à l'ennemi.

— Le Vatican n'a jamais eu aucune influence sur mon grand-père ! protesta Sophie.

Teabing laissa échapper un petit rire sarcastique.

— Ma pauvre enfant, vous semblez oublier que l'Église de Rome expérimente depuis dix-sept siècles toutes sortes de méthodes d'intimidation contre ceux qui menacent de révéler ses mensonges. Depuis l'époque de Constantin, elle est parvenue à cacher la vérité sur Marie Madeleine et Jésus. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'elle ait trouvé encore une fois le moyen de maintenir ses ouailles dans une ignorance soigneusement entretenue. Les croisades et l'Inquisition ne sont certes plus à l'ordre du jour, mais elle bénéficie de moyens de dissuasion tout aussi efficaces contre ses hérétiques.

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Il marqua une pause avant de reprendre, comme pour appuyer son propos :

— Mademoiselle Neveu, il y a quelque temps, n'est-ce pas, que votre grand-père cherchait à vous dire la vérité sur votre famille...

Sophie resta bouche bée.

— Comment le savez-vous ?

— Peu importe. L'essentiel est que vous en soyez informée : vos deux parents, votre petit frère et votre grand-mère ne sont pas morts accidentellement.

Ces paroles bouleversèrent la jeune femme. La gorge nouée, Sophie ouvrit la bouche mais sans pouvoir articuler un seul mot.

— Qu'est-ce que vous dites ? demanda Langdon, stupéfait.

— C'est cela qui explique tout, Robert. Vous savez bien que l'Histoire ne fait que se répéter. La Fin des Temps approchant, l'Église a trouvé un bon moyen pour réduire au silence le Grand Maître du Prieuré : « Taisez-vous, sinon ce sera le tour de votre petite-fille - puis le vôtre. »

— Ils ont été tués dans un accident de voiture..., articula Sophie d'une voix moins assurée, sentant remonter de loin une grande douleur enfouie.

— C'est une fable qu'on a inventée pour protéger votre innocence d'enfant. Rendez-vous compte : seuls restaient en vie le Grand Maître et sa petite-fille. Tout ce qu'il fallait pour exercer un chantage sur le Prieuré. On imagine sans mal la terreur que Rome a pu susciter chez votre grand-père en le menaçant de vous tuer s'il osait publier la vérité sur le Graal, s'il ne persuadait pas ses compagnons de trahir leur vœu millénaire.

— Écoutez, Leigh, lança Langdon d'un ton agacé, peut-on savoir quelles preuves vous détenez de cette prétendue machination ?

— Des preuves, vous voulez des preuves qu'on a circonvenu le Prieuré ? Il ne vous suffit pas de constater que la Fin des Temps a eu lieu, sans que la révélation se produise ?

En écho à celle de Teabing, Sophie entendit une autre voix.

Sophie, je dois t’ avouer la vérité à propos de ta famille.

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La jeune femme réalisa qu'elle tremblait des pieds à la tête.

Était-ce la vérité que son grand-père avait cherché à lui dire ?

Que sa famille avait été assassinée ?

Que savait-elle d'ailleurs vraiment de cet accident de voiture

? Deux ou trois éléments essentiels. Elle était trop jeune à l'époque pour se rappeler ce qu'on lui en avait dit. Quant aux coupures de presse qu'elle avait gardées, elles étaient tout aussi imprécises. Accident ou meurtre déguisé ? Elle se souvint brusquement de l'infinie sollicitude de son grand-père pendant son enfance. Il ne supportait pas de la laisser seule et, durant son adolescence, il lui avait toujours donné l'impression de contrôler ceux qu'elle voyait, les endroits qu'elle fréquentait, bref tous ses faits et gestes. Y avait-il toujours eu des membres du Prieuré qui la suivaient partout ? Qui veillaient sur elle ?

— Et c'est parce que vous soupçonniez Saunière d'avoir été manipulé que vous l'avez assassiné ? s'exclama Langdon, incrédule et furieux.

— Ce n'est pas moi qui l'ai tué. Il était mort depuis longtemps, depuis que sa famille avait été décimée par l'Eglise.

Il avait renié son engagement. Le voilà libéré de ses tourments, de la honte qu'il devait éprouver à avoir trahi. Il fallait faire quelque chose. Le monde devait-il à tout jamais demeurer dans l'ignorance ? Fallait-il laisser le Vatican imposer définitivement, par le meurtre et l'intimidation, l'énorme contre-vérité qu'il entretient depuis des siècles ? Évidemment pas. Eh bien maintenant, c'est nous qui sommes appelés à accomplir l'œuvre que Saunière n'a pu mener à bien. A nous de réparer cette faute abominable. Vous, moi, tous les trois.

Sophie n'en croyait pas ses oreilles.

— Mais comment avez-vous pu penser un seul instant que nous accepterions de vous aider ? s'écria-t-elle.

— Parce que, ma chère, c'est à cause de vous que le Prieuré a renoncé à sa mission. C'est l'amour que vous portait votre grand-père qui l'a empêché de dénoncer les mensonges de l'Eglise. Mais comme vous n'acceptiez plus de le voir, il n'a jamais pu vous expliquer la vérité. Vous l'avez contraint à différer sine die la révélation. Aujourd'hui, c'est à vous qu'il

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revient de faire connaître la vérité. Vous le devez à la mémoire de votre grand-père.

Langdon avait renoncé à essayer de trouver une logique dans l’argumentation de Teabing. Une foule de questions se bousculaient dans son esprit, mais la seule urgence était de sauver Sophie, de la soustraire au pire. Toute la culpabilité qu'il avait éprouvée envers Teabing, il l'avait maintenant reportée sur Sophie.

C'est moi qui l'ai emmenée au château de Villette, c'est moi le responsable.

Tout en refusant d'admettre qu'il puisse tirer froidement sur eux dans un lieu public, Langdon n'oubliait pas que ce même Teabing, au terme d'une longue dérive, n'avait pas hésité à ordonner plusieurs meurtres. Il éprouvait le sentiment désagréable que d'éventuels coups de feu tirés dans cette pièce reculée aux murs épais passeraient sans doute inaperçus, surtout avec cette pluie.

Et le pire, c'est qu'il vient de nous avouer sa culpabilité.

Il jeta un coup d'œil à Sophie qui semblait bouleversée.

Quant à cette accusation selon laquelle l'Église aurait fait disparaître la quasi-totalité de la famille de Sophie pour réduire au silence le Prieuré, elle le laissait sceptique. Il y avait fort longtemps que le Vatican n'avait plus recours au crime pour parvenir à ses fins. Il devait y avoir une autre explication.

— Maintenant, Leigh, écoutez-moi, déclara Langdon les yeux rivés à ceux de Teabing. Vous allez laisser Sophie sortir d'ici et nous continuerons seuls cette discussion. Vous et moi.

— Désolé, mais une telle confiance est au-dessus de mes moyens, répliqua Teabing avec un rire forcé. En revanche, je puis vous donner ceci...

Il cala ses béquilles sous ses aisselles et, tout en maintenant Sophie en joue, tira de sa poche le cryptex qu'il tendit d'un geste à Langdon.

— ... en gage de confiance.

Il nous rend la clé de voûte ?

— Prenez-le, fît Teabing en le tendant maladroitement dans sa direction.

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Langdon ne pouvait imaginer qu'une raison à cette incompréhensible générosité :

— Vous l'avez déjà ouvert et vous avez ôté la carte qu'il renfermait..., rétorqua-t-il, méfiant.

Teabing hocha la tête.

— Mon cher Robert, si j'avais trouvé le mot de passe, je ne serais pas ici. J'aurais filé tout droit au lieu indiqué, sans prendre le soin de vous attendre. Je reconnais sans difficulté que je n'ai pas résolu l'énigme. Comme les chevaliers du Graal, j'ai appris à pratiquer l'humilité. Et à reconnaître les signes placés sur ma route. Lorsque je vous ai vus entrer dans l'abbaye, j'ai compris. Votre présence n'avait qu'un motif, vous étiez venus me délivrer. Je ne recherche aucune gloire personnelle.

Je sers un maître beaucoup plus grand que mon propre orgueil.

La Vérité. Et cette vérité, l'humanité mérite de la connaître. Le Graal nous a trouvés pour que nous annoncions au monde son secret. Nous devons joindre nos forces.

Malgré ses offres de coopération, Teabing n'abaissa nullement son pistolet, pointé sur Sophie, en passant le cylindre de marbre froid à Langdon.

Langdon s'empara du cryptex et le secoua légèrement tout en reculant. Le vinaigre clapotait dans son tube de verre. Il vérifia que les lettres étaient encore alignées au hasard et que le cryptex était fermé.

— Qu'est-ce qui vous dit que je ne vais pas le fracasser par terre ? lança-t-il à Teabing.

— J'aurais dû me douter que votre menace dans Temple Church n'était qu'une plaisanterie de mauvais goût. Comment ai-je pu imaginer une seconde que Robert Langdon songe à détruire la clé de voûte ? Vous êtes historien, vous tenez dans vos mains un trésor plus que millénaire, la clé perdue du Sangreal. Vous savez combien de chevaliers du Graal ont été brûlés sur le bûcher pour en protéger le secret. Seraient-ils morts en vain ? Non. Vous allez les venger, Robert. Vous allez rejoindre les rangs des grands hommes que vous admirez -

Leonardo Da Vinci, Botticelli, Newton, Victor Hugo - et qui auraient été tellement heureux, tellement honorés de se trouver

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à votre place aujourd'hui. Le grand moment est arrivé. On n'échappe pas à un destin pareil.

— Mais je ne peux pas vous aider, Leigh. Je n'ai aucune idée de ce que peut être le mot de passe de ce cryptex. Je n'ai passé que quelques instants sur la tombe de Newton. Et quand bien même je connaîtrais le sésame...

Langdon s'interrompit, regrettant déjà d'en avoir trop dit.

Teabing poussa un soupir.

— Vous ne me le diriez pas ? Vous m'en voyez aussi étonné que déçu, Robert. Vous ne semblez pas vous rendre compte de ce que vous me devez. Ma tâche aurait été beaucoup plus simple si Rémy et moi vous avions éliminés au château. Mais j'ai choisi une voie plus noble, en prenant tous les risques possibles.

— Vous trouvez ça noble ? répliqua Langdon en désignant le pistolet.

— Tout est la faute de Saunière. Si lui et ses trois sénéchaux n'avaient pas menti à Silas, j'aurais obtenu la clé de voûte sans toutes ces complications. Comment pouvais-je imaginer que le Grand Maître du Prieuré irait recourir à de tels stratagèmes pour me tromper ? Pour léguer la clé de voûte à sa petite-fille, qu'il ne voyait plus depuis dix ans ?

Teabing jeta un regard dédaigneux sur Sophie.

— Et dont il savait qu'elle ignorait tout du Graal, si bien qu'il a jugé utile de la confier à un précepteur - symbologue ?

Quoique, finalement, je n'aie eu qu'à me féliciter de cette dernière idée, puisque vous êtes venu m'apporter sur un plateau le cryptex que vous aviez réussi à sortir de la banque.

Il afficha un sourire satisfait.

— Dès que j'ai appris que Saunière s'était indirectement adressé à vous, je me suis douté que vous déteniez des informations intéressantes sur le Prieuré. Sans savoir, évidemment, s'il s'agissait de la clé de voûte proprement dite, ou d'indices permettant de la localiser. Mais sachant que vous aviez la police aux talons, j'ai eu l'intuition que vous ne tarderiez pas à venir frapper à ma porte.

Et où aurais-je pu aller ? songea Langdon. La communauté des historiens du Graal est restreinte et Teabing était un ami.

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— Et qu'auriez-vous fait si je n'étais pas venu au château de Villette ?

— Je me proposais de vous contacter pour vous offrir mon aide. D'une façon ou d'une autre, la clé de voûte aurait rejoint le château. Le fait que vous soyez venu spontanément, et avec Sophie, n'a fait que me conforter dans l'idée que ma cause est juste.

— Comment cela ? Langdon était consterné.

— Silas était censé s'introduire subrepticement dans le château et vous dérober la clé de voûte, me permettant de vous mettre hors circuit sans violence, tout en éloignant d'éventuels soupçons. Mais quand j'ai constaté la complexité des énigmes de Saunière, j'ai décidé de vous associer à ma recherche un peu plus longtemps que prévu, et de demander à Silas de ne subtiliser le cryptex que lorsque j'aurais été certain de pouvoir me débrouiller sans vous.

— À Temple Church, répliqua Sophie, écœurée par une telle duplicité.

Ils commencent à comprendre, se dit Teabing.

Il avait toujours su qu'il n'y avait pas de Templiers enterrés dans Temple Church. Mais la correspondance du lieu avec l'allusion du poème était suffisamment crédible pour en faire un bon leurre. Rémy avait reçu l’ordre clair de ne pas se montrer jusqu'à ce que Silas ait récupéré le cryptex. Tout aurait été pour le mieux si Langdon n'avait pas menacé de détruire le contenu de celui-ci, entraînant la réaction de panique de Rémy. Si seulement Rémy ne s'était pas montré, regrettait Teabing, désorganisant le faux enlèvement si astucieusement élaboré.

Rémy, la seule personne capable de m'incriminer, s'était fait connaître...

Heureusement, Silas n'avait pas découvert la véritable identité de Teabing. Il l'avait enlevé sans savoir à qui il avait affaire, et Rémy avait fait semblant de le ligoter à l'arrière de la Jaguar, pour que l'albinos ne se doute de rien. Une fois la cloison médiane relevée, Teabing avait défait ses liens pour téléphoner au moine, reprenant l'accent français contrefait qu'il avait adopté dès leurs premières conversations. Il l'avait ensuite fait accompagner jusqu'au foyer de l’Opus Dei. Après quoi un

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simple coup de fil anonyme à la police avait suffi pour lever l'hypothèque Silas.

Bon débarras.

Restait Rémy.

Il était devenu encombrant et dangereux, Teabing n'avait plus le choix. La quête du Graal exige des sacrifices. Il avait trouvé la solution la plus propre à l'arrière de la Jaguar - dans le mini-bar : une flasque de cognac et une boîte de cacahuètes, dont il suffisait de recueillir les miettes déposées dans le fond pour déclencher une crise d'allergie mortelle. Dès que Rémy avait garé la voiture le long de St. James Park, Teabing était venu s'asseoir auprès de lui. Quelques minutes plus tard, il remontait à l'arrière, le temps de faire disparaître les preuves, et se dirigeait vers la dernière étape de la mission qu'il s'était assignée, à moins de dix minutes à pied de là.

À l'entrée de l'abbaye, le détecteur de métaux s'était évidemment mis à sonner. Les agents de la sécurité étaient bien embêtés : On peut quand même pas lui demander d'enlever son appareillage et de ramper... Teabing les avait sauvés de leur embarras en exhibant sa carte de visite. Chevalier du Royaume.

Les pauvres vigiles l'avaient laissé passer avec une obséquiosité presque gênante.

Résistant au plaisir de raconter à Langdon et Sophie, abasourdis par ces révélations, comment il avait réussi à impliquer l’Opus Dei dans un plan qui allait entraîner l'effondrement définitif de l'Église catholique, Teabing décida qu'il était grand temps de passer à l'action.

— N'oubliez pas, chers amis, que ce n'est pas nous qui trouvons le Saint-Graal mais plutôt lui qui nous trouve. C'est maintenant chose faite.

Silence.

Il reprit dans un murmure :

— Écoutez, vous l'entendez qui nous appelle par-delà les siècles ? Il nous supplie de le libérer de la folie qui s'est emparée du Prieuré de Sion. Je vous en prie, ne laissez pas passer cette occasion historique. Qui, mieux que nous trois, serait capable de décoder le dernier poème qui nous donnera la clé de ce cryptex

?

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Teabing s'interrompit, les yeux brillants.

— Prêtons ensemble un serment solennel. Jurons-nous fidélité mutuelle. Un serment sacré d'allégeance prononcé par trois chevaliers sur le point de révéler à la face du monde une vérité que l'Église s'acharne depuis des siècles à masquer !

Le fixant de son regard vert impitoyable et glacé, Sophie adopta le même ton grandiloquent pour répondre :

— Jamais je ne prononcerai de serment avec l'assassin de mon grand-père, sauf celui de le faire jeter en prison.

— Navré de vous voir disposée de manière si négative à mon endroit, répliqua Teabing d'un ton sec.

Puis, braquant son pistolet en direction de Langdon :

— Et vous, Robert, êtes-vous avec ou contre moi ?

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100


Mgr Aringarosa avait eu son lot de douleurs physiques ou morales, et pourtant la brûlure qui lui transperçait la poitrine lui semblait profondément étrangère. C'est la blessure faite à son âme qui le torturait, celle dont souffrait sa chair ne comptait pas. Il ouvrit les yeux, mais la pluie ruisselante lui brouillait la vue. Où suis-je ? Il sentit deux bras robustes se glisser sous les siens et le traîner comme une poupée de chiffon sur le pavé mouillé que battait sa soutane noire.

Il parvint à s'essuyer les yeux d'une main et reconnut l'homme qui le traînait. Silas. Le visage couvert de sang, le grand albinos hurlait des appels au secours, suppliant les policiers d'appeler une ambulance. Ses yeux rouges regardaient droit devant lui, son visage blême et sanguinolent était baigné de larmes.

— Tu es blessé, mon fils, murmura l'évêque. Silas baissa les yeux, le visage contracté par l'angoisse.

— Je regrette tellement, mon père...

Sa voix s'étranglait presque dans sa gorge.

— Non, Silas, c'est moi qui éprouve un terrible remords.

Tout cela est ma faute.

Le Maître avait promis qu'il n'y aurait pas de sang versé et je t'ai ordonné de lui obéir en tous points.

— J'ai été trop impatient, trop inquiet, et je t'ai demandé de m'obéir.

Nous avons été trompés, toi et moi.

Il n'a jamais eu l’intention de nous remettre le Graal.

Recroquevillé dans les bras de l'homme qu'il avait recueilli bien des années auparavant, Aringarosa remonta dans le temps.

À l'époque de ses modestes débuts espagnols, à cette petite église catholique qu'il avait construite avec Silas à Oviedo. Et plus tard, à New York, où il avait proclamé la gloire de Dieu avec l'immense centre de l’Opus Dei sur Lexington Avenue.

Mais cinq mois plus tôt, Aringarosa avait reçu d'effrayantes nouvelles. L'œuvre de sa vie était en danger. Il se souvenait dans

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les moindres détails de cette première convocation au Vatican comme du verdict qui l'avait engagé sur cette pente catastrophique.

Il se rappelait son arrivée dans la bibliothèque d'astronomie de Castel Gandolfo, la tête haute, prêt à recevoir les louanges des dignitaires pour les services inappréciables rendus au catholicisme en Amérique.

Mais il n'y avait trouvé que trois personnages. Le secrétaire général du Vatican, obèse et buté.

Et deux cardinaux de la curie, moralisateurs, arrogants.

Le secrétaire général l'avait invité à s'asseoir en lui désignant un fauteuil avant de commencer.

Un coup d'œil aux deux cardinaux qui le jaugeaient d'un air entendu avait mis la puce à l'oreille du vieil évêque. Quelque chose clochait.

— Monseigneur, n'étant pas doué pour les prônes tortueux, je vais aller droit au but : l'objet de votre visite.

— Parlez-moi sans détour, je vous en prie.

— Vous n'êtes pas sans savoir que Sa Sainteté est, depuis quelque temps, préoccupée des remous politiques que suscitent les méthodes ultra conservatrices de l’Opus Dei.

Une soudaine irritation s'était emparée d'Aringarosa. Ce n'était pas la première fois que le Saint-Père se prononçait en faveur d'une évolution libérale (dangereuse aux yeux de l’évêque) de l'Église.

— Laissez-moi tout d'abord vous assurer, avait enchaîné le secrétaire du Vatican, que Sa Sainteté n'a aucunement l'intention de changer quoi que ce soit à l'exercice de votre ministère.

Je l'espère bien. Mais dans ce cas, pourquoi m'avoir convoqué ?

— Je préfère ne pas y aller par quatre chemins, Aringarosa, avait repris le bedonnant ecclésiastique. Le Vatican a décidé, il y a trois jours, de révoquer la prélature pontificale de l’Opus Dei.

— Pardon ? avait demandé Aringarosa, persuadé d'avoir mal saisi.

— Vous m'avez compris. Dans six mois, votre organisation ne bénéficiera plus de la protection de Rome. Le Saint-Siège ne

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répondra plus de l’Opus Dei. Les documents administratifs sont en cours de préparation.

— Mais... mais c'est impossible !

— C'est non seulement possible, mais tout à fait nécessaire.

L'agressivité de vos méthodes de recrutement et de formation déplaisent profondément au pape. La mortification corporelle et la discrimination vis-à-vis des femmes sont contraires aux orientations de l'Église moderne. Très franchement, l’Opus Dei est devenu un fardeau et un frein pour le Vatican.

Aringarosa était stupéfait.

— Un fardeau ?

— Ce terme ne doit nullement vous surprendre, monseigneur...

— Mais c'est la seule œuvre catholique dont le nombre d'adhérents connaisse une croissance régulière ! Nous comptons actuellement onze cents prêtres !

— C'est exact. Une évolution qui nous préoccupe tous.

Aringarosa s'était levé d'un bond.

— Demandez donc au pape si, en 1982, lorsque nous avons renfloué la Banque du Vatican, nous représentions un fardeau...

— Nous vous en serons toujours reconnaissants. Mais votre munificence est aussi, selon certains, la raison essentielle pour laquelle la prélature vous a été accordée...

Cette remarque offensa profondément le vieil évêque.

— C'est faux !

— Quoi qu'il en soit, nous avons enclenché une procédure de remboursement, qui se fera en cinq versements successifs.

— Vous voulez acheter notre silence ? Alors que l’Opus Dei est la seule voix qui parle encore de raison dans cette Église ?

— De quelle raison s'agit-il, je vous prie ? avait demandé l'un des deux cardinaux.

Aringarosa s'était penché par-dessus la table qui le séparait de ses juges.

— Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les fidèles désertent vos églises ? Ouvrez les yeux ! La doctrine catholique a perdu toute rigueur. Tout ce qui faisait la force du dogme a disparu de votre enseignement : le jeûne et l'abstinence, la confession des péchés, la sainte communion, le baptême, le

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mariage, autant de vertus et de sacrements qui se sont dilués dans un libéralisme permissif et délétère. Quel type de direction spirituelle une telle Église peut-elle offrir ?

— Le Vatican ne peut plus appliquer à la lettre un dogme qui date du IV e siècle. Ses directives doivent s'adapter à la société moderne.

— Elles s'appliquent bien dans l’Opus Dei !

— Monseigneur Aringarosa, déclara le secrétaire général, par respect pour les relations que vous avez entretenues avec le précédent pape, Sa Sainteté vous accorde un délai de six mois pour rompre volontairement les liens directs qui vous rattachent au Vatican, et pour vous établir en tant qu'organisation charismatique indépendante de Rome.

— Je refuse ! J'irai le signifier moi-même au pape !

— Sa Sainteté ne souhaite pas vous rencontrer.

— Il n'osera pas révoquer une prélature personnelle accordée par un autre que lui !

Dieu donne et reprend, monseigneur. Nous devons obéir à Sa volonté.

L'évêque avait quitté la résidence pontificale dans un état de panique et de révolte absolues. L'avenir de la chrétienté l'épouvantait. De retour à New York, il avait sombré dans une profonde dépression.

Jusqu'à ce qu'il reçoive, quelques semaines plus tard, le coup de téléphone qui lui avait redonné espoir et confiance. Son interlocuteur - un Français, apparemment - s'était identifié comme le « Maître » et disait avoir eu vent du sinistre dessein que formait le Vatican.

Comment l'avait-il appris ? Seules quelques rares éminences de la curie étaient au courant de la fin annoncée de la prélature vaticane. Mais quand il s'agissait de garder un secret, nuls murs n'étaient aussi poreux que ceux qui ceinturaient le Vatican.

— Quand on a des oreilles partout, monseigneur, on est toujours bien informé. Avec votre aide, je serai en mesure de découvrir la cachette d'une relique sacrée qui pourrait vous conférer une immense influence sur le Saint-Siège, qui le forcerait à se prosterner à vos pieds. Et qui assurerait le salut de

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la foi. Pas seulement pour l’Opus Dei, mais pour l'ensemble des croyants.

Dieu reprend... et Dieu donne.

— Dites-moi quel est votre projet, avait demandé l'évêque, illuminé par un nouvel espoir.

Mgr Aringarosa était inconscient lorsqu'on le transporta au St. Mary's Hospital. Silas s'effondra dans le hall d'entrée, exténué et presque délirant de fièvre. Tombant à genoux, il réclama de l'aide. Tous les spectateurs de la scène furent saisis de stupéfaction à la vue de cet albinos demi-nu qui accompagnait un homme d'Église couvert de sang.

Le médecin qui les accueillit montra une certaine inquiétude en prenant le pouls d'Aringarosa.

— Il a perdu beaucoup de sang, il n'y a guère d'espoir.

Silas n'avait pas parlé de la blessure qui lui déchirait les entrailles.

Aringarosa cilla et il revint à lui quelques instants, cherchant Silas des yeux.

— Mon fils...

Silas était bouleversé de remords et de rage.

— Mon père, dussé-je y passer le restant de ma vie, je retrouverai celui qui nous a si honteusement trompés. Et je le tuerai.

Aringarosa secoua la tête d'un air triste. On allait remporter sur un brancard.

— Silas... si tu n'as rien appris de moi, au moins retiens ceci...

Il prit la main de Silas dans la sienne et la pressa fortement.

— Le pardon est le plus grand don de Dieu, mon fils.

— Mais mon père... Aringarosa ferma les yeux.

— Silas, il faut prier.

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Robert Langdon, debout sous le dôme de la Salle capitulaire déserte, fixait le canon du pistolet de Leigh Teabing.

Robert, êtes-vous avec ou contre moi ?

Ces paroles de l'historien anglais, Langdon les entendait résonner dans sa tête. Il savait qu'il n'existait pas de réponse viable à cette question. L'alternative était absurde : un oui reviendrait à trahir Sophie, un non signerait leur arrêt de mort à tous les deux.

Si sa tranquille carrière d'universitaire ne l'avait guère entraîné à réagir sous la menace d'une arme, elle lui avait en revanche appris à répondre à des questions paradoxales.

Lorsqu'il n'existe pas de réponse sûre, il n'existe qu'une réponse honnête.

La zone grise entre le oui et le non.

Le silence.

Sans jamais lever les yeux, fixant le cryptex qu'il tenait à deux mains, Langdon choisit simplement de s'éloigner. Il recula vers l'entrée de la Salle capitulaire, espérant ainsi signifier à Teabing qu'il n'écartait pas l'idée d'une coopération, tout en prouvant à Sophie qu'il ne l'abandonnait pas.

Il s'agissait surtout de gagner du temps pour réfléchir.

Réfléchir était sans doute très exactement ce que Teabing attendait de lui.

Si Teabing m'a rendu la clé de voûte, c'est pour me donner le temps de mûrir ma décision, de mesurer le poids de ma responsabilité. L'historien britannique espérait que le simple fait de tenir le cryptex entre ses mains ferait saisir à Langdon l'énormité de son contenu et exciterait sa curiosité académique.

Qu'il comprendrait que l'échec de l'ouverture du cryptex signifierait un échec de l'Histoire elle-même.

Sophie était toujours dans la ligne de mire, au fond de la salle et Langdon se disait que seule la découverte de l'insaisissable mot de passe lui permettrait de négocier sa vie sauve. Si je parviens à extraire cette carte du cryptex, Teabing négociera.

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Tournant le dos aux deux autres, il se plongea dans la contemplation des superbes vitraux qui garnissaient les grandes fenêtres ogivales. À la recherche de l'inspiration. Rien.

Cherchez la sphère qui doit sa tombe orner Tel un cœur fertile à la chair rosée.

Essaie de te mettre dans la peau de Saunière, s'intima-t-il, en promenant son regard sur Collège Garden , qu'aurait-il aimé voir figurer sur la tombe de Newton ?

Il se remémora, comme dans un film, toutes les sculptures du monument funéraire, écartant d'emblée les planètes et les étoiles. Saunière n'était pas un scientifique, mais un amateur d'art, un historien doublé d'un humaniste.

Le Féminin sacré... le Calice... Marie Madeleine bannie du dogme de l'Église.

La légende avait toujours décrit le Graal comme une maîtresse coquette et cruelle qui, sans jamais se montrer, chuchote des mots charmeurs à l'oreille de ses admirateurs pour les attirer un peu plus près d'elle, avant de disparaître à nouveau.

Le regard errant sur les arbres scintillants de Collège Garden, Langdon évoqua la présence ludique de Vénus. Les signes étaient partout. Telle une silhouette tentatrice émergeant du brouillard, la frondaison du plus vieux pommier d'Angleterre bourgeonnait de fleurs à cinq pétales, toutes luisantes comme la déesse. Elle avait investi le jardin, chantait de très anciens hymnes, dansait sous la pluie, épiait les humains à l'abri de branchages dont elle gonflait les bourgeons d'avril, comme pour rappeler à Langdon que les fruits de la connaissance étaient là : juste un peu trop loin pour qu'il s'en saisisse.

Au fond de la salle, Teabing observait l'Américain.

C'est bien ce que j'espérais. Il va se laisser convaincre.

L'historien britannique avait deviné d'emblée la raison pour laquelle Saunière avait choisi de confier sa petite-fille à Langdon. Sa connaissance des symboles, du pouvoir évocateur des images, avait développé chez le professeur une capacité

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d'imagination, de réflexion, libérée du carcan rationnel de la recherche historique. Le Grand Maître du Prieuré avait sûrement détecté ce talent intuitif à la lecture du manuscrit que lui avait envoyé l'éditeur new-yorkais.

Robert avait découvert une vérité sur le Graal dont Saunière redoutait la diffusion. Il avait demandé à le rencontrer pour tenter de l'en dissuader.

Mais le silence n'avait que trop duré !

Teabing avait également compris qu'il lui fallait agir vite.

L'assassinat du conservateur en chef du Louvre, le jour même du rendez-vous, servait deux objectifs à la fois : primo, Teabing empêchait Saunière de parler à Langdon, secundo, il se réservait la possibilité, une fois en possession de la clé de voûte récupérée par Silas, de recourir à l'aide de l'Américain pour un décryptage éventuel. En ce qui concernait ce deuxième volet, il avait été comblé au-delà de toute espérance par l'arrivée impromptue de Langdon au château de Villette.

Obtenir de Saunière qu'il reçoive Silas au musée s'était révélé d'une simplicité enfantine, étant donné ce que Teabing savait des craintes du Grand Maître du Prieuré. L'albinos avait appelé le conservateur du Louvre en se faisant passer pour un prêtre.

— Pardonnez-moi de vous déranger, mais il faut que je vous parle de toute urgence. Je me vois pour la première fois de ma vie dans l'obligation de rompre le secret du confessionnal. Je viens de recevoir un homme qui m'a avoué avoir assassiné certains membres de votre famille.

Saunière s'était montré à la fois surpris et prudent :

— Ma famille a péri dans un accident de voiture. Le rapport de police était absolument formel.

Silas avait habilement ferré sa proie :

— C'est bien cela. Cette personne me dit avoir forcé le véhicule à faire une embardée qui l'a projeté dans le fleuve.

Monsieur le conservateur en chef, je ne me serais jamais permis de vous appeler si mon pénitent n'avait pas mentionné que le même sort menace aujourd'hui votre petite-fille...

Le tour était joué. Saunière avait demandé à son interlocuteur de venir le retrouver immédiatement dans son

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bureau du musée, l'endroit le plus sûr qu'il connaisse. Sur ces entrefaites, il avait téléphoné à Sophie pour l'avertir qu'elle était en danger. Il n'était plus question de rencontre avec Robert Langdon.

Le pistolet toujours braqué sur Sophie, Teabing avait repris confiance en constatant que Langdon s'était éloigné d'elle pour aller s'isoler dans un coin de la pièce. La cohésion du couple commençait à flancher. Langdon était certainement plus conscient que Sophie de la gravité de la situation, et, si la jeune femme restait intraitable, il avait décidé de réfléchir, seul, à la solution de l'énigme. Il comprend l'importance de la découverte du Graal et de sa divulgation.

— Robert n'ouvrira jamais le cryptex pour vous, lança Sophie sur un ton de défi. Même s'il a découvert le mot de passe.

Teabing, son pistolet toujours braqué sur Sophie, ne quittait pas Langdon des yeux. Il sentit qu'il allait devoir se servir de son arme. Une perspective qui le perturbait, mais il savait qu'il n'hésiterait pas. Je lui ai laissé plusieurs occasions de se rallier à la cause du Graal. Tant pis pour elle si elle ne comprend pas que sa personne ne compte guère devant un enjeu pareil.

Au même instant, Robert se retourna vers eux, les yeux brillant d'une fragile lueur d'espoir.

— La tombe... Je sais ce qu'il faut chercher sur la tombe de Newton ! Je crois que j'ai trouvé le mot de passe !

— Quoi ? Où ça, Robert ? Dites-le-moi ! s'exclama Teabing, soudain transporté de joie.

— Non, Robert, non ! s'écria Sophie horrifiée. Vous n'allez tout de même pas aider ce monstre ?

Langdon s'approcha d'elle, tenant le cryptex devant lui.

— Non, tant qu'il ne vous laissera pas partir, dit-il en fixant Teabing, qui se renfrogna :

— Ne jouez pas au plus malin avec moi, Robert ! menaça-t-il. — Il n'est pas question de jouer. Rangez votre arme et laissez partir Mlle Neveu. Ensuite, nous retournerons tous les

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deux sur la tombe de Newton et nous ouvrirons la clé de voûte ensemble.

— Ce cryptex n'est pas à vous ! protesta Sophie, les yeux brillant de fureur. Il m'a été légué par mon grand-père. C'est à moi, et à moi seule, qu'il revient de l'ouvrir.

— Sophie, je vous en prie. Je suis en train d'essayer de vous aider...

— En me privant du secret que mon grand-père a voulu me transmettre ? Il vous a fait confiance, Robert, et moi aussi !

Langdon lui lança un regard angoissé et Teabing ne put s'empêcher de sourire en les voyant se dresser l'un contre l'autre. Les efforts de Langdon pour se montrer galant étaient surtout pathétiques.

Il est sur le point de découvrir l'un des plus grands secrets de l'histoire de l'humanité, et il écoute les caprices d'une petite bonne femme qui s'est montrée indigne de la quête, pensa Teabing avec mépris.

— S'il vous plaît, Sophie, sortez de cette salle et de l'abbaye, supplia Langdon.

Elle secoua la tête.

— A condition que vous me donniez le cryptex ou que vous le fracassiez sur le sol.

— Quoi ? fit l'Américain, le souffle coupé.

— Robert, mon grand-père préférerait que son secret soit perdu plutôt que de le savoir dans les mains de son assassin.

Sophie, les yeux brillants, semblait sur le point d'éclater en sanglots. Elle fixa pourtant Teabing sans faiblir.

— Abattez-moi si vous voulez, mais je ne laisserai jamais l'héritage de mon grand-père entre vos mains.

— Très bien fit Teabing en armant le Médusa.

— Leigh, n'y songez même pas ou je fracasse le cryptex par terre ! cria Langdon.

— Cette menace a peut-être fait son effet sur Rémy, ricana Teabing, mais sachez qu'avec moi elle ne prend pas. Je vous connais trop bien, Robert.

— Vous êtes sûr ?

Plus encore que vous ne le supposez. Votre coup de poker a échoué. J'ai mis quelques secondes à comprendre la ruse. Vous

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n’avez pas la moindre idée qui nous rapprocherait du mot de passe.

— Très franchement, Robert, vous savez vraiment ce qu'il faut aller chercher sur le monument de Newton ?

— Oui.

L'hésitation dans l'œil de Langdon fut imperceptible, mais elle n'échappa pas à Teabing.

Il ment. Tout cela pour voler au secours de cette gamine.

Ce garçon me déçoit profondément. Je suis un chevalier solitaire, entouré d'âmes indignes. Il me faudra décrypter tout seul la clé de voûte.

Langdon et Sophie ne représentaient plus qu'une menace, pour Teabing... comme pour le Graal. Si douloureuse soit la solution, il s'acquitterait de sa tâche la conscience tranquille. Il ne restait plus qu'à obtenir de Langdon qu'il pose le cryptex afin que Teabing puisse résoudre l'énigme.

— Très bien, Robert. Prouvez-moi votre bonne foi, dit Teabing en abaissant son arme. Posez la clé de voûte devant vous et nous pourrons parler.

Langdon comprit que son bluff avait échoué, Teabing avait lu dans son jeu.

Dès que j'aurai posé le cryptex par terre, il nous tuera tous les deux. Même sans regarder Sophie, il l'entendait implorer dans un désespoir muet. Robert, cet homme est indigne du Graal. S'il te plaît, ne lui donne pas. Quel que soit le prix à payer.

Langdon avait pris sa décision quelques minutes auparavant, devant les arbres de Collège Garden qu'il contemplait à travers les carreaux colorés du vitrail.

Protéger Sophie.

Protéger le Graal.

Il avait failli hurler de désespoir : Mais comment ?

Et la solution s'était imposée, avec une clarté soudaine. La vérité est là, sous tes yeux.

Il n'aurait pas su dire d'où lui était venue la révélation.

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Sous la menace du pistolet, il s'agenouilla sur le sol face à Teabing, à moins d'un mètre du pilier central, et abaissa lentement le bras devant lui, dans le geste de poser le cryptex.

— C'est cela, Robert ! Maintenant, posez-le à terre !

Langdon leva les yeux vers le sommet de la voûte, avant de fixer le canon du pistolet.

— Désolé, Leigh !

Se levant d'un bond, il balança son bras vers le haut, et lança le cylindre de pierre de toutes ses forces dans l'immense espace de la voûte ogivale.

Leigh Teabing ne sentit pas son doigt appuyer sur la détente, mais le bruit de la balle qui s'échappa du Médusa résonna comme un coup de tonnerre. La silhouette de Langdon au sommet de son saut était toute droite comme en lévitation et la balle rebondit sous ses pieds.

Mais l'attention de Teabing était déjà ailleurs.

La clé de voûte !

Le temps semblait presque figé, réduit à l'interminable trajectoire du précieux cylindre, unique raison de vivre de Teabing, qui atteignit son point culminant et amorçait déjà sa chute vers les dalles de pierre, entraînant avec lui ses espoirs et ses rêves.

Il ne faut pas qu'il s’écrase au sol, je peux l'atteindre !

N'écoutant que son instinct, Teabing laissa tomber le pistolet et ses béquilles, et se précipita en avant. De ses deux mains tendues, il parvint à intercepter le cryptex, mais perdit l'équilibre. Teabing comprit qu'il tombait trop vite. Sans rien pour amortir sa chute, il tendit le bras en avant et le cryptex heurta durement le sol. Un effroyable bruit de verre pulvérisé se fit entendre à l'intérieur.

Teabing s'arrêta de respirer, le regard fixé sur le cylindre de pierre dans sa main tendue, implorant le tube de tenir le coup.

Mais une acre odeur de vinaigre se répandit et Teabing sentit le liquide froid s'échapper par les interstices des disques d'onyx.

Une folle panique s'empara de lui. Non ! Le vinaigre ruisselait à présent et Teabing imaginait le papyrus se dissolvant à l'intérieur. Pauvre imbécile, le secret est détruit !

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Le Graal est perdu, tout est fini. Secoué de sanglots incontrôlables, encore incapable d'admettre ce qu'il venait de voir, Teabing saisit les deux extrémités du cylindre et essaya d'en forcer l'ouverture, dans l'espoir de retenir un fragment au moins d'histoire, avant sa disparition définitive.

Le cryptex s'ouvrit sans résistance, à sa grande stupéfaction.

Il ne contenait que de petits éclats de verre fin. Pas de parchemin en train de se dissoudre. Teabing roula sur lui-même. Sophie pointait le canon du Médusa sur lui. Il jeta un coup d'œil au cryptex et comprit. Les lettres alignées formaient un mot de cinq lettres : POMME.

— Le fruit auquel Eve a goûté, dit Langdon d'une voix neutre. L'objet de la colère de Dieu. Le péché originel. Symbole de la chute du Féminin sacré.

Teabing accusa rudement le choc, la solution était d'une déchirante simplicité. Le globe qui devait se trouver sur la tombe de Newton ne pouvait être que cette pomme rose tombée du ciel que le grand savant avait reçue sur la tête et qui lui avait inspiré l'œuvre de sa vie. La chair rosée et son cœur fertile !

— Robert, vous l'avez ouvert, bégaya Teabing anéanti, en s'asseyant. Où est la carte ?

Sans le quitter des yeux, Langdon plongea la main droite dans la poche de sa veste, d'où il retira un mince parchemin. Il le déroula, passa quelques secondes à le regarder, et ne put réprimer un sourire entendu.

Il a trouvé ! Le rêve de sa vie, le trésor si longtemps convoité, était là, en face de lui.

— Dites-moi où est le Graal, Robert ! Je vous en supplie ! Il est encore temps...

Un bruit de pas vigoureux résonna soudain dans le corridor d'accès. Sans un mot, Langdon enroula le parchemin et le remit dans sa poche.

— Oh non ! Non ! cria Teabing en essayant vainement de se relever.

La lourde porte de bois s'ouvrit bruyamment et Bézu Fache entra comme un taureau dans l'arène, suivi d'une demi-douzaine de policiers britanniques en uniforme. Il balaya la pièce du regard comme un scanner à la recherche de sa cible. A

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la vue de Teabing gisant sur le dallage, le commissaire poussa un soupir de soulagement avant de rengainer son arme. En quelques enjambées, il avait rejoint Sophie :

— Mademoiselle Neveu, je suis ravi de vous trouver saine et sauve, ainsi que M. Langdon. Mais vous auriez dû me rejoindre tout à l'heure, comme je vous l'avais demandé.

Deux policiers avaient redressé Teabing sur ses jambes et lui passaient les menottes.

Sophie semblait stupéfaite de voir son supérieur.

— Comment nous avez-vous retrouvés ? Fache pointa Teabing du doigt.

— Il a commis l'erreur de donner son identité à l'entrée de l'abbaye. Et les vigiles ont entendu son nom dans un avis de recherche que nous avions lancé.

Le soulevant sous les aisselles, ils l'entraînèrent vers la sortie de la salle. L'Anglais tourna la tête en arrière, beuglant comme un veau qu'on égorge :

— Il a la clé de voûte dans sa poche ! La carte du Graal !

Avant de franchir la porte, il hurla :

— Robert ! Dites-moi où il est ! Langdon le regarda dans les yeux.

— Seules les âmes nobles sont dignes de découvrir le Graal, Leigh. C'est vous-même qui me l'avez appris.

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Un banc de brume recouvrait les pelouses détrempées de Kensington Gardens.

Silas claudiquait, cherchant un coin tranquille où s'abriter.

Il s'agenouilla sur l'herbe humide contre un bosquet de lauriers, et joignit ses mains ensanglantées pour se recueillir. L'albinos sentait s'écouler le sang de sa blessure, sous ses côtes, mais il ne regardait que le brouillard humide où il croyait voir les nuées du paradis.

Levant ses mains sanguinolentes pour prier, il regarda les gouttes de pluie caresser ses doigts, qui redevenaient blancs. La pluie qui ruisselait toujours plus fort sur son dos et ses épaules lui semblait liquéfier son corps tout entier.

Je suis un fantôme.

Une brise l'enveloppa, avec ses parfums de terre, de vie montante. Silas pria, de tout son être, avec chaque cellule de son corps meurtri. Il implora le pardon et la pitié de Dieu pour son âme, mais c'est pour son mentor, l'évêque Aringarosa, qu'il priait surtout.

Seigneur, ne le rappelle pas à toi trop tôt ! Il a encore tant à faire.

Les nappes de brume tourbillonnaient autour de lui et Silas se sentait si léger qu'il était sûr que les nuées remporteraient.

Fermant les yeux, il articula une ultime prière. Et, venue du fond de la brume, il entendit la voix de Mgr Aringarosa lui murmurer à l’oreille :

Dieu est bon, il a pitié des âmes qui le prient.

La douleur dans son ventre s'estompait enfin et il comprit que l'évêque avait raison.

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L'après-midi touchait à sa fin quand le soleil fit son apparition dans le ciel de la capitale anglaise, qui commençait à sécher. Bézu Fache, qui sortait d'une salle d'interrogatoire de Scotland Yard, se sentait exténué. Il héla un taxi.

Sir Leigh Teabing n'avait cessé de clamer bruyamment son innocence. Mais à entendre ses rodomontades incohérentes où se mêlaient Saint-Graal, fraternités mystérieuses et documents secrets, le directeur de la PJ soupçonnait l'historien britannique de jouer une comédie qui permettrait à ses avocats de plaider l'irresponsabilité pour démence.

Bien sûr, se dit Fache, la folie... Teabing avait fait preuve d'une ingéniosité et d'une précision remarquables dans l'élaboration d'un projet dont le moindre détail était destiné à le disculper. Il avait su manipuler aussi bien le Vatican que l’Opus Dei, deux institutions qui s'étaient révélées complètement innocentes. Son sale boulot, il l'avait fait exécuter à leur insu par un moine fanatique et un évêque aux abois. Encore plus astucieux de sa part, la manière dont il avait situé sa station d'espionnage électronique dans le seul endroit du château où un poliomyélitique n'avait pas accès. Quant à son majordome, la seule personne à connaître les véritables projets de son maître, celui qui était précisément chargé de ces écoutes, il venait opportunément de mourir d'un choc anaphylactique...

Ce type est en pleine possession de ses facultés mentales, se disait le commissaire, en montant dans le taxi.

Les informations transmises par Collet révélaient chez Teabing une astuce et une finesse dont Fache se disait qu'il aurait lui-même beaucoup à apprendre. À commencer par la tactique du cheval de Troie : l'historien britannique avait réussi à installer des micros cachés dans un nombre incroyable d'institutions parisiennes, par le truchement d'œuvres d'art qu'il avait offertes aux personnalités ciblées, ou qu'il leur avait fait acheter dans des ventes aux enchères dont il avait assuré l'approvisionnement comme la publicité personnalisée. C'est ainsi, par exemple, que Jacques Saunière avait été convié à

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venir dîner un soir au château de Villette, pour y discuter de la participation financière de Teabing à la restauration de la Salle des États du Louvre. Au bas de la carte d'invitation figurait un post-scriptum manuscrit de Teabing, qui demandait à son hôte de bien vouloir apporter avec lui ce fameux robot qu'il avait construit d'après un croquis de Leonardo Da Vinci, et que l'Anglais avait très envie de pouvoir admirer. Il avait suffi à Rémy Legaludec de profiter du moment où les deux hommes étaient à table pour équiper le chevalier métallique d'un mouchard invisible à l'œil nu.

Fache s'adossa sur la banquette et ferma les yeux.

Il ne lui restait plus à s'acquitter que d'une visite avant de rentrer à Paris.

La salle des urgences du St. Mary's Hospital baignait dans la lumière du soleil couchant.

— Votre résistance physique nous a tous impressionnés, dit l'infirmière en retapant les oreillers de son malade. Vous êtes un vrai miraculé !

— J'ai toujours été accompagné par la bénédiction divine, répondit Mgr Aringarosa avec un pâle sourire.

Une fois seul, il se laissa aller au plaisir d'un rayon de soleil qui lui réchauffait le visage. La nuit passée avait été la plus terrible de son existence. Il pensa avec accablement à Silas, dont on venait de découvrir le corps inanimé dans un parc.

Pardonne-moi, mon fils, je t'en supplie.

C'est Aringarosa qui mourait d'envie que Silas prenne part à son plan chimérique. La nuit précédente, l'évêque avait reçu dans l'avion un appel téléphonique du commissaire Fache, qui l'avait interrogé sur son implication éventuelle dans le meurtre d'une religieuse en pleine église Saint-Sulpice. Aringarosa avait compris que la soirée avait pris une tournure tragique, et l’évocation de quatre autres meurtres dans la même journée l'avait plongé dans l'angoisse.

Silas, qu'as-tu fait là ?

Incapable de contacter le Maître, l'évêque devina qu'il avait été floué. Utilisé. Le seul moyen de mettre fin à cette horrible chaîne de catastrophes était d'aller rejoindre à Londres le

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commissaire Fache et de tout lui avouer. L'évêque et le policier avaient alors fait l'impossible pour tenter de rattraper Silas avant que le diabolique instigateur de cette manipulation ne lui ordonne de commettre un nouveau crime. Mais le sauvetage du moine avait mal tourné.

Exténué, Aringarosa ferma les yeux et écouta la télévision posée sur une étagère murale en face de son lit. Le présentateur du journal commentait l'arrestation de sir Leigh Teabing, un historien britannique renommé, chevalier de la Couronne, qui, ayant appris que le Vatican projetait de couper les ponts avec l’Opus Dei, avait eu l'idée géniale d'en intégrer le chef à son projet criminel.

Après tout, j'étais la proie idéale. Je n'avais plus rien à perdre, et j'ai naïvement sauté à pieds joints sur une occasion inespérée. Le Graal aurait conféré un immense pouvoir à son détenteur...

Le Maître avait très habilement protégé son identité.

Feignant avec le même talent un accent français plus vrai que nature et la dévotion d'un croyant convaincu, il avait demandé comme rétribution une grosse somme d'argent - la seule chose dont sir Leigh Teabing ne pouvait être soupçonné d'avoir besoin. Et le montant de vingt millions d'euros avait semblé modeste comparé au trésor inestimable que représentait le Graal. Et, grâce au dédommagement versé par le Vatican au moment de la rupture, les finances de l'Opus Dei étaient florissantes. Les aveugles sont ceux qui ne voient que ce qu'ils veulent bien voir. Ultime offense de Teabing à l'Église catholique, ce dernier avait exigé un paiement sous forme de titres émis par la Banque du Vatican, s'assurant ainsi que les soupçons se porteraient sur Rome en cas d'échec.

— Je suis heureux de vous voir rétabli, monseigneur.

Aringarosa reconnut la voix brusque de Fache qui venait d'apparaître au seuil de la chambre.

Mais il fut surpris par l'apparence physique du policier français : un visage sévère, une expression bourrue, des cheveux gominés rabattus en arrière et un large cou débordant d'un costume sombre. La compassion et la disponibilité qu'avait

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montrées le commissaire pour le calvaire d'Aringarosa, la nuit précédente, ne cadraient pas avec son allure.

Le commissaire s'approcha du lit et déposa sur la chaise réservée aux visiteurs une valise de cuir noir familière.

— Je crois que ceci vous appartient.

Aringarosa jeta un bref coup d'œil sur la valise remplie de bons au porteur et détourna aussitôt les yeux, n'éprouvant que de la honte.

— En effet... merci. À propos, commissaire, puis-je vous demander de me rendre un grand service ?

— Bien sûr.

— Les familles des quatre personnes que Silas a...

Il s'arrêta un instant, ravalant l'émotion qui lui serrait la gorge.

— Je suis bien conscient que ce n'est pas l'argent qui pourra les consoler, mais si vous aviez la gentillesse de répartir entre elles le contenu de cette valise...

Les yeux noirs de Fache s'attardèrent quelques instants sur le visage de l'évêque avant de répondre :

— Un geste qui vous honore, monseigneur. J'y veillerai personnellement.

Le silence retomba. Sur l'écran de la télévision, un policier français, mince et distingué, répondait aux questions d'un reporter de la BBC campé devant un imposant manoir. Fache, le reconnaissant, se tourna vers l'écran.

— Lieutenant Collet, votre supérieur hiérarchique accusait hier de ces quatre crimes deux personnes innocentes, un professeur de l'université Harvard et la propre petite-fille de l'une des victimes. Pensez-vous que M. Langdon et Mlle Neveu vont engager des poursuites contre la police judiciaire ? Et dans ce cas, le commissaire Fache ne risque-t-il pas de perdre son poste ?

Collet répondit avec un sourire fatigué, mais sans se départir de son calme :

— Je connais trop bien le commissaire Fache pour imaginer qu'il ait pu commettre ce genre d'erreur. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'évoquer avec lui cette question, mais je suis prêt à

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parier que cette chasse à l'homme médiatisée n'avait d'autre but que de leurrer le véritable assassin...

Les journalistes présents échangèrent des regards surpris.

— ... J'ignore si M. Langdon et Mlle Neveu avaient été mis au courant de cette manœuvre, le commissaire Fache a tendance à rester discret sur ses méthodes les plus innovantes, mais ce que je peux vous affirmer pour le moment, c'est que l'auteur des crimes a été arrêté et que nos deux ex-suspects ont été innocentés et sont sains et saufs.

Fache avait un vague sourire aux lèvres en se retournant vers le malade.

— Il est parfait, ce Collet. Et maintenant, monseigneur, avant de rentrer à Paris, je dois vous parler de la délicate question de votre détournement d'avion... Vous avez soudoyé le pilote, enfreignant ainsi un certain nombre de réglementations internationales.

— J'ai pris cette décision dans un moment d'égarement, fit Aringarosa d'un air contrit.

— Votre pilote éprouvait, lui aussi, de vifs remords, lorsqu'on l’a interrogé, répliqua Fache en sortant de sa poche la bague d'améthyste.

L'évêque sentit les larmes lui monter aux yeux, comme il prenait son anneau pour renfiler sur son doigt.

— Je vous remercie infiniment de votre compréhension, dit-il en serrant la main de Fache entre les siennes.

Fache retira sa main, s'approcha de la fenêtre et, visiblement songeur, laissa son regard se perdre au loin. Quand il se retourna, il semblait indécis.

— Et à présent, monseigneur, que comptez-vous faire?

C'était exactement la même question qu'on avait posée à Aringarosa la veille au soir à Castel Gandolfo.

— J'ai bien peur que mon avenir ne soit aussi incertain que le vôtre...

— Pour ma part, j'ai le sentiment que je vais bientôt devoir prendre une retraite anticipée.

Aringarosa sourit.

— La foi déplace les montagnes, commissaire, ne l'oubliez pas.

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À onze kilomètres au sud d'Edimbourg, Rosslyn Chapel se dresse sur le site d'un ancien temple de Mithra. Construite en 1446 par les Templiers, la chapelle est décorée d'une quantité d'étonnants bas-reliefs judaïques, chrétiens, égyptiens, maçonniques et païens.

Les coordonnées géographiques de la chapelle la situent précisément sur le méridien nord-sud qui traverse Glastonbury.

Cette Rose Ligne longitudinale est le repère traditionnel de l'île d'Avalon, le domaine du roi Arthur, et elle est considérée comme le cœur de la géométrie sacrée anglaise. C'est cette Rose Ligne consacrée qui a donné son nom à la chapelle.

L'ombre projetée des pinacles était déjà longue lorsque Langdon et Sophie garèrent leur voiture de location sur le parking situé au pied du promontoire. Ils s'étaient un peu reposés dans l'avion qui les avait amenés de Londres à Edimbourg, sans toutefois pouvoir trouver le sommeil, tout à l'incertitude de ce qui les attendait au bout de leur voyage.

Levant les yeux vers la masse sombre du monument qui se dressait contre un ciel chargé de gros nuages gris, Langdon se sentit comme Alice sur le point de tomber la tête la première dans le terrier du lapin blanc.

Je dois être en train de rêver.

Et pourtant le texte de l'ultime message de Saunière ne pouvait être plus explicite.

Sous l'ancienne Roslin, le Saint-Graal nous attend.

Langdon avait imaginé la carte de Saunière comme une sorte de croquis géographique où l’emplacement du Graal aurait été marqué d'une croix. Mais le dernier message de Saunière ressemblait aux précédents : c'était encore un quatrain. Quatre vers limpides qui indiquaient sans le moindre doute ce site.

Outre le fait que la chapelle était mentionnée par son nom, les vers évoquaient plusieurs des célèbres caractéristiques architecturales de Rosslyn.

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Mais, malgré la clarté de la révélation finale de Saunière, Langdon ne pouvait se défendre d'un sentiment de malaise.

L'endroit lui paraissait presque trop évident. Depuis sa construction, la légende avait fait de ce lieu le « Temple du Saint-Graal ». On disait en effet que la crypte de la chapelle, dont l'accès avait disparu depuis des siècles, renfermait le trésor des Templiers ainsi qu'un morceau de la Croix du Christ. On avait procédé récemment à des sondages par ultrasons qui accréditaient l'existence d'une immense salle souterraine. En outre, non seulement cette crypte éclipsait par ses dimensions la chapelle qui la surplombait, mais elle ne disposait ni d'une entrée ni d'une sortie. Certains archéologues avaient demandé, sans succès, l'autorisation de détruire une partie du dallage pour pouvoir fouiller le soubassement, mais la résistance farouche de la Fondation Rosslyn, qui refusait toute détérioration du sanctuaire, ne faisait qu'alimenter rumeurs et soupçons. Que cherchait-on donc à cacher ?

La chapelle était devenue un lieu de pèlerinage pour les mordus de mystère et d'ésotérisme. Certains disaient qu'ils étaient attirés par la force magnétique de l'endroit, situé sur le tracé de la Rose Ligne. D'autres s'y rendaient pour tenter de fouiller les parages à la recherche d'un souterrain conduisant à la fameuse crypte. Presque tous reconnaissaient qu'ils y venaient pour s'imprégner de la légende qui auréolait ces lieux.

Sans être jamais venu à Rosslyn auparavant, Langdon avait son idée sur la question : ceux qui proclamaient que la chapelle abritait le Graal le faisaient sourire. Certes, il était plausible que le Graal ait autrefois séjourné à Rosslyn, mais Langdon était convaincu qu'il avait quitté les lieux depuis longtemps. La trop grande renommée de la chapelle et de sa mystérieuse crypte, qui ne manquerait pas d'être bientôt mise au jour, en faisait un endroit trop peu sûr.

Les véritables spécialistes du Graal s'accordaient à penser que Rosslyn était un leurre, l'un des nombreux mirages que le Prieuré de Sion excellait à forger. Mais, malgré sa méfiance, Langdon ne put s'empêcher d'éprouver un certain trouble en arrivant sur le site en cette fin d'après-midi.

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Pourquoi Saunière s'est-il donné tant de mal pour nous guider jusqu'à un endroit aussi attendu ?

Il semblait n'y avoir qu'une réponse logique.

Rosslyn a quelque chose d'essentiel à nous apprendre.

— Alors Robert, vous venez ? appela Sophie, qui s'impatientait à côté de la voiture. Elle tenait à la main le coffret en bois de rose que Fache leur avait rendu avant qu'ils prennent l'avion. Il contenait les deux cryptex, soigneusement emboîtés l'un dans l'autre, et le dernier parchemin, replacé en son centre

- sans son tube de vinaigre protecteur.

Langdon la rattrapa et franchit avec elle le curieux porche ouest en saillie, que les visiteurs non avertis croyaient inachevé

- comme le reste de la collégiale dont seul le chœur avait été terminé. La vérité était beaucoup plus captivante.

Le mur ouest du Temple de Salomon.

Les Templiers avaient en effet construit leur sanctuaire sur le plan du Temple de Salomon à Jérusalem : la même façade ouest, le même espace intérieur rectangulaire. La crypte mystérieuse reproduisait le saint des saints où les neuf Chevaliers (les fondateurs de l’ordre du Temple) avaient exhumé leur inestimable trésor. Langdon était obligé d'admettre une symétrie séduisante dans l'hypothèse que les Templiers aient construit un reposoir du Graal semblable à son emplacement originel.

L'entrée de la chapelle était plus modeste que ne l'avait imaginé Langdon. Une simple porte de chêne à deux charnières de fer portant un petit écriteau en bois gravé.


ROSLIN

Comme Langdon l'expliqua à Sophie, il s'agissait de l'ancienne orthographe du nom que portaient le village, le château et la chapelle, une appellation dérivée de la Rose Ligne, l'ancien méridien sur lequel elle avait été construite. A moins qu'elle ne désignât, et les passionnés du Graal préféraient cette deuxième explication, la ligne de la Rose, la lignée de Marie Madeleine.

L'heure de la fermeture approchait.

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En ouvrant la porte, Langdon sentit une bouffée d'air tiède lui caresser le visage, comme si ce vieil édifice poussait un soupir de lassitude à la fin d'une longue journée. La voûte en pierre de l'entrée était entièrement sculptée de fleurs pentapétales.

La Rose, le cœur intime de la Déesse.

« Le paradis des symboles », lui avait dit un confrère.

Toutes les surfaces, les arches, les piliers étaient ornés de symboles religieux, païens ou maçonniques : croix chrétiennes, étoiles de David, sceaux maçonniques, croix de Templiers, cornes d'abondance, signes astrologiques, décoration végétale, fruits, fleurs de lys, roses pentapétales, colombes et rameaux d'olivier. Considéré comme le chef-d'œuvre de l'architecture de l'ordre en Europe, Rosslyn était à la hauteur de sa réputation.

Pas une seule pierre n'avait échappé au savoir-faire des maîtres maçons. La Mecque du Graal célébrait toutes les traditions et par-dessus tout le culte de la nature et de la déesse.

Dans l'une des cinq travées du fond, un groupe de touristes en file indienne suivait un jeune homme le long d'un itinéraire reliant entre eux six piliers qui traçait sur le sol un symbole invisible que Langdon connaissait bien.


L'étoile de David, songea Langdon. Ce n'est pas une coïncidence.

Le sceau du roi Salomon. Cet hexagramme avait été autrefois l'emblème secret des prêtres chargés d'observer le ciel et il avait ensuite été adopté par les rois d'Israël, David et Salomon.

Le guide, qui les avait vus entrer, leur fit signe qu'ils pouvaient, malgré l'heure tardive, se promener librement dans la chapelle. Langdon avança dans le chœur et se retourna vers Sophie, qui semblait réticente à le suivre. Bouche bée sur le pas de la porte, elle parcourait le sanctuaire d'un regard rêveur.

— Quelque chose vous arrête ? demanda-t-il en revenant sur ses pas.

Elle regardait fixement la voûte de pierre.

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— Je crois... je crois que je suis déjà venue ici.

— Mais vous m'avez dit que vous n'aviez jamais entendu parler de Rosslyn...

— C'est vrai... Je ne me rappelais pas... Mon grand-père a dû m'amener ici quand j'étais toute petite. J'ai l'impression de reconnaître cet endroit...

Elle montra du doigt le fond du chœur.

— Ces piliers sculptés... Je suis sûre de les avoir déjà vus.

Langdon contempla les deux colonnes ouvragées, tout au bout du sanctuaire. Alors que celle de gauche était striée de simples lignes verticales, celle de droite, beaucoup plus chargée, était enguirlandée sur toute sa hauteur d'une curieuse spirale de pierre aux motifs floraux délicatement ciselés.

— J'en suis absolument certaine, répéta Sophie au pied du pilier torsadé en hochant la tête, incrédule.

— Je n'en doute pas, mais ce n'était pas nécessairement ici... — Que voulez-vous dire ?

— Que ces deux piliers sont les éléments architecturaux les plus reproduits au monde. On en trouve partout.

— Des copies de Rosslyn ?

— Non, des piliers. Comme je vous l'ai expliqué en voiture, la chapelle de Rosslyn est une réplique du Temple de Salomon de Jérusalem, et ces deux piliers sont identiques à ceux qui en encadraient l'entrée. Celui de gauche, c'est « Boaz », le pilier du maître ; et celui de droite, c'est « Jachin », le pilier de l'apprenti.

On les retrouve dans presque tous les temples maçonniques.

Il avait également parlé à Sophie des liens étroits qui unissaient Templiers et francs-maçons dont les grades élémentaires, apprenti, compagnon et maître, remontaient aux débuts de l'aventure des Templiers. Le dernier poème de Jacques Saunière faisait d'ailleurs explicitement référence à ces maçons qui avaient décoré la chapelle de Rosslyn de leurs offrandes sculptées dans la pierre, et en particulier sa longue voûte couverte d'étoiles et de planètes.

— Je ne suis jamais entrée dans un temple maçonnique, insista Sophie, les yeux toujours fixés sur les piliers. Ces deux piliers, c'est ici que les ai vus, j'en suis presque sûre.

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Elle se retourna vers le chœur, comme pour y chercher un autre détail qui puisse confirmer son souvenir.

Les touristes sortaient du sanctuaire et le jeune guide s'avança vers eux, un large sourire aux lèvres. C'était un beau jeune homme âgé de vingt-cinq à trente ans, avec un accent du terroir et des cheveux blond vénitien.

— Je vais bientôt fermer la chapelle. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?

Trouver le Graal, faillit répondre Langdon.

— Le code ! s'exclama soudain Sophie. Il y a un code ici.

— Effectivement, c'est tout à fait juste, fit le jeune Écossais, apparemment ravi d'un tel enthousiasme.

— Au plafond, continua-t-elle. Quelque part... par là, vers la droite.

— Je vois que vous connaissez la chapelle, madame.

Langdon avait oublié ce petit détail folklorique, une des nombreuses légendes qui entouraient Rosslyn Chapel. Le désordre apparent des étoiles et des fleurs qui décoraient la voûte à clés pendantes masquait, pour certains, une cartographie codée des accès à la crypte, tandis que, pour d'autres, c'est la voûte elle-même qui figurait le Graal. Les cryptographes s'ingéniaient depuis des siècles à en percer le mystère. En vain, malgré la généreuse récompense offerte par la Fondation Rosslyn.

— Je serai ravi de vous le montrer...

Mon premier code, songeait Sophie en s'éloignant, dans un état second, sous la longue arcade de pierre ouvragée. Ayant remis le coffret à Langdon, elle s'autorisa momentanément à oublier le Graal, les Templiers et le Prieuré de Sion... En arrivant sous la voûte codée et en examinant ses symboles, elle sentit affluer les souvenirs. Elle se rappelait sa première visite ici et, étrangement, ce souvenir réveillait un indéfinissable sentiment de tristesse.

Elle était encore petite fille... c'était environ un an après la mort de ses parents, lors d'un bref voyage en Ecosse avec son grand-père, avant de rentrer à Paris.

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Il faisait sombre, ils s'étaient attardés dans la chapelle après l'heure de fermeture. Sophie était fatiguée.

— Grand-père, on peut s'en aller? avait-elle demandé, recrue de fatigue.

— Bientôt, ma chérie. Il me reste une dernière chose à faire avant de partir. Tu ne veux pas aller m'attendre dans la voiture ?

Elle se rappelait la mélancolie qui perçait dans sa voix.

— C'est une affaire de grande personne ?

— Oui. Je vais faire vite, je te le promets.

— Est-ce que je peux rester pour deviner le code de la voûte

? avait-elle demandé. Ça, j'ai bien aimé.

— Il faut que je sorte pendant quelques minutes. Tu n'auras pas peur de rester toute seule ?

— Bien sûr que non, il ne fait même pas nuit !

— Très bien.

Sophie s'était aussitôt allongée sur les dalles, les yeux fixés sur le puzzle géant qui s'étalait au-dessus d'elle.

— Je vais le déchiffrer avant que tu reviennes.

— C'est une course alors...

Il s'était penché, l'avait embrassée sur le front et s'était dirigé vers la porte latérale toute proche.

— Je laisse la porte ouverte. Si tu as besoin de moi, tu n'as qu'à m'appeler.

Elle avait sommeil. Les images du plafond se mêlaient les unes aux autres. Et puis elles avaient disparu.

Quand elle s'était réveillée, il faisait froid.

— Grand-père ?

Elle s'était relevée. La petite porte était toujours ouverte. Il faisait presque nuit. Dehors, il faisait encore plus noir. Elle était sortie de la chapelle et avait aperçu son grand-père, debout devant la porte d'une petite maison de pierre située au pied de la colline, au bout du cimetière.

Il parlait à quelqu'un à l'intérieur, qu'elle distinguait à peine.

— Grand-père ? avait-elle appelé.

Il s'était retourné et lui avait fait un petit geste, lui signifiant d'attendre juste un instant. Puis il avait envoyé un baiser de la

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main à la personne invisible et était remonté vers la chapelle. Il avait les larmes aux yeux.

— Pourquoi pleures-tu, grand-père ? Il l'avait serrée fort dans ses bras.

— Tu vois, ma Sophie, nous avons dû dire adieu à beaucoup de gens, cette année. C'est dur.

Sophie pensa à l'accident, à l'enterrement de ses parents, de sa grand-mère, de son petit frère.

— Tu disais encore adieu à quelqu'un ?

— C'est une personne que j'aime beaucoup, répondit-il d'une voix empreinte d'émotion, et que je crains de ne pas revoir avant très longtemps...

Langdon était resté à bavarder avec le guide, après avoir inspecté la chapelle en détail, accablé de lassitude. Ils se trouvaient dans une impasse. Il tenait le coffret de bois de rose que lui avait confié Sophie, et qui contenait un texte apparemment incapable de les aider. Maintenant qu'ils étaient arrivés à Rosslyn, Langdon ne savait plus de quel côté chercher.

Le poème de Saunière évoquait une lame et un calice, deux symboles dont il n'avait trouvé aucune trace dans la chapelle.

Le Saint-Graal sous l'antique Rosslyn attend La Lame et le Calice la protègent du temps.

Il restait certainement encore un mystère à éclaircir.

— Je ne voudrais pas être indiscret, murmura le jeune homme, mais puis-je vous demander d'où vient ce coffret que vous avez dans les mains ?

Langdon eut un petit rire gêné.

— C'est une très longue histoire, soupira-t-il. Une histoire interminable...

Le jeune homme hésita, incapable de détacher ses yeux du coffret.

— C'est étrange, parce que le coffret à bijoux de ma grand-mère est pratiquement identique. Il est fait du même bois et il a cette petite rose incrustée dans le couvercle. Même les charnières sont semblables...

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Ce jeune homme devait se tromper, se dit Langdon. Si une boîte n'existait qu'à un seul exemplaire, c'était bien celle-ci. Elle avait été fabriquée sur mesure pour la clé de voûte du Prieuré.

— Les deux boîtes sont peut-être semblables, mais...

Les deux hommes tournèrent la tête en même temps vers la porte d'entrée qui venait de se refermer bruyamment.

Ils sortirent tous les deux sous le porche. Sophie descendait la pente herbeuse vers une maison de pierre grise, nichée au pied du petit cimetière dont les stèles de pierre moussue semblaient avoir surgi dans l'herbe en même temps que les jonquilles.

— La petite maison, là-bas... ? demanda Langdon en désignant la maisonnette.

— C'est le presbytère. Il se trouve que c'est aussi le siège de la Fondation Rosslyn que dirige ma grand-mère.

— Votre grand-mère dirige la Fondation Rosslyn ?

Le jeune homme acquiesça.

— J'habite avec elle dans le presbytère et je l'aide à entretenir la chapelle et à accueillir les groupes de touristes. (il haussa les épaules.) J'ai toujours vécu ici ; c'est elle qui m'a élevé.

Préoccupé par l'étrange attitude de Sophie, Langdon se dirigea vers l'entrée pour la héler. Mais soudain, il se figea sur place. Ce jeune homme, que venait-il de dire ? Sa grand-mère ?

Sa grand-mère l'a élevé !

Langdon jeta un regard vers Sophie, sur le tertre, et baissa les yeux vers le coffret de bois de rose. Impossible. Il se retourna vers le jeune homme :

— Vous disiez que votre grand-mère possédait un coffret à bijoux comme celui-ci ?

— Oui, presque identique.

— D'où lui vient-il ?

— C'est mon grand-père qui l'a fabriqué. Il est mort quand j'avais deux ans, mais ma grand-mère m'en parle encore. Il paraît qu'il était très habile de ses mains. Il fabriquait toutes sortes d'objets.

Un réseau de connexions s'échafaudait à toute allure dans l'esprit de Langdon.

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— Vous m'avez dit que votre grand-mère vous avait élevé.

Est-ce que je peux vous demander ce qui est arrivé à vos parents

? Le jeune homme sembla surpris.

— Ils sont morts tous les deux, quand j'étais petit, le même jour que mon grand-père.

Langdon sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

— Dans un accident de voiture ?

Les beaux yeux verts du jeune homme s'écarquillèrent.

— Exactement. Dans un accident de voiture. Toute ma famille est morte ce jour-là. J'ai perdu mon grand-père, mes parents et...

Il hésita, baissant les yeux.

— Et votre sœur, je sais, ajouta l'Américain.

Dehors, sur le promontoire, la petite bâtisse en meulière était restée exactement identique au souvenir de Sophie. Le soir tombait, à présent, et la maisonnette lui semblait chaude et accueillante. Une odeur de pain grillé s'échappait par la porte grillagée ouverte et la lueur, aux carreaux, était dorée. En approchant, Sophie entendit des sanglots étouffés.

Elle aperçut dans le vestibule la silhouette d'une femme âgée tournant le dos à l'entrée. Elle pleurait. Sa longue et épaisse chevelure argentée réveilla chez Sophie un souvenir enfoui. Répondant à un mystérieux appel, elle grimpa les marches du perron. La femme tenait à la main une photographie encadrée.

C'était un visage que Sophie connaissait bien.

Grand-père.

La vieille dame avait de toute évidence appris la nouvelle de sa mort, la veille.

La planche du seuil grinça sous les pieds de Sophie et la femme se retourna lentement. Son regard triste croisa celui de Sophie, qui crut d'abord qu'elle allait s'enfuir en courant. Mais elle resta figée sur place. Sans baisser des yeux étonnamment brillants, la vieille dame posa le cadre sur une petite table et fit quelques pas vers Sophie. Elles se regardèrent sans rien dire,

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pendant plusieurs secondes - une éternité d'incertitude d'espoir et finalement de joie débordante.

Poussant la porte d'un geste, elle attira Sophie contre elle, étreignant ses mains, lui caressant le visage. Sophie était pétrifiée.

— Ma petite chérie... c'est toi, c'est bien toi ! Sophie savait, sans la reconnaître, qui était cette femme. Elle essaya de parler, mais elle avait le souffle coupé.

— Sophie ! continua la vieille dame qui sanglotait en lui embrassant le front.

Sophie parvint à répondre dans un murmure étranglé :

— Mais... Grand-père m'avait dit que tu...

— Je sais.

La vieille dame posa ses deux mains sur les épaules de sa petite-fille et la regarda tendrement.

— Ton grand-père et moi avons été obligés de raconter bien des mensonges. Je suis désolée, ma chérie. Il le fallait pour ta sécurité, Princesse.

En entendant son dernier mot, Sophie pensa aussitôt à son grand-père qui l'avait appelée Princesse si longtemps. Le son de cette voix semblait se répercuter en écho sur les vieilles pierres de Rosslyn, pénétrer la terre elle-même et se perdre dans ses profondeurs.

En disant ces mots, la vieille dame serra Sophie dans ses bras et celle-ci sentit des larmes ruisseler dans son cou.

— Il voulait tellement que tu saches la vérité. Mais vous étiez brouillés. Il a tout essayé pour te revoir. Il y a tant de choses que je dois t'expliquer.

Elle posa encore un baiser sur le front de Sophie, avant de lui murmurer à l'oreille :

— Le temps des secrets est passé, maintenant, Princesse. Il est temps que tu connaisses la vérité sur notre famille.

Sophie et sa grand-mère étaient assises l'une à côté de l'autre sur les marches de la véranda, tendrement embrassées, quand le jeune homme traversa la pelouse en courant, les yeux brillant d'espoir et d'incertitude.

— Sophie ?

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Elle leva sur lui ses yeux gonflés par les larmes, acquiesça, se leva. Elle ne reconnaissait pas le visage de ce jeune homme, mais quand ils s'étreignirent, elle sentit la puissance d'un lien unique : ce sang qui battait dans leurs veines, ce sang, c'était le même.

En voyant Langdon descendre vers la maison pour les rejoindre, Sophie se sentait métamorphosée. La veille encore, elle se sentait seule au monde. Ce soir, dans cette contrée inconnue, entourée de ces trois êtres qu'elle connaissait à peine, elle se savait enfin chez elle.

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La nuit était tombée sur la colline de Rosslyn.

Debout un peu à l'écart, dans la véranda de la petite maison en meulière, Langdon se laissait bercer par les rires qui s'échappaient par la fenêtre ouverte. La tasse de fort café brésilien fumant dans sa main lui avait brièvement fait oublier son immense fatigue. Mais il se sentait trop exténué pour que ce sursis se prolonge bien longtemps.

— Vous avez filé à l'anglaise ! fit une voix derrière lui.

La grand-mère de Sophie, ses cheveux argentés luisant dans la nuit, souriait, debout sur le pas de la porte. Marie Chauvel.

C'était le nom qu'elle portait depuis vingt-huit ans.

— Je voulais vous laisser ensemble tous les trois, s'excusa Langdon avec un sourire fatigué.

À travers la fenêtre, il voyait Sophie discuter avec son frère.

Elle s'approcha de lui.

— Monsieur Langdon, quand j'ai appris la mort de mon mari, j'ai eu très peur pour Sophie. Son apparition ce soir à la porte a été la plus grande joie de ma vie. Je ne pourrai jamais assez vous remercier.

Langdon ne savait que répondre. Il avait eu beau proposer à Sophie et à sa grand-mère de se retrouver en tête à tête pour converser tranquillement, Marie lui avait demandé de rester.

Mon mari avait apparemment une grande confiance en vous, monsieur Langdon, soyez donc des nôtres.

Langdon était ainsi resté, debout à côté de Sophie, pour écouter, bouche bée, Marie raconter l'histoire des parents de la jeune femme. La mère de Sophie était une descendante de la branche des Mérovingiens issue de Marie Madeleine et de Jésus. Les ancêtres de Sophie, les Plantard et les Saint-Clair, avaient, pour déjouer d'éventuelles recherches, changé de nom.

Sophie et son frère, leurs descendants directs, avaient été jalousement protégés par le Prieuré de Sion. Lorsque leurs parents avaient été tués dans un accident, dont on n'avait jamais réussi à éclaircir les circonstances, la Fraternité avait craint que le secret de la lignée royale n'ait été éventé.

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— Aussitôt après l'accident, avait expliqué Marie d'une voie étranglée de tristesse, ton grand-père et moi avons dû prendre une décision douloureuse. On venait de retrouver la voiture de vos parents dans la rivière.

Elle se tamponna les yeux.

— Nous étions censés voyager tous les six dans cette voiture ce jour-là, mais heureusement nous avons changé nos plans au dernier moment et vos parents sont partis seuls. Nous avons malheureusement été incapables, avec Jacques, de découvrir s'il s'agissait vraiment d'un accident.

Marie regarda Sophie.

— Il fallait vous protéger tous les deux, c'était notre devoir, et nous avons fait ce que nous estimions le plus sage. Jacques a déclaré à la police que ton frère et moi étions à bord de la voiture. Nos deux corps avaient dû être emportés par le courant.

En tant que Grand Maître, il ne pouvait pas se permettre de partir de Paris. Nous avons décidé que ton frère et moi quitterions la France et que tu resterais avec lui. Jacques et moi ne nous sommes revus que très rarement, dans des lieux différents, et toujours sous la protection du Prieuré, au cours de cérémonies rituelles.

Un sourire rêveur avait éclairé le visage de Sophie.

C'est à ce moment que Langdon, se sentant décidément de trop, s'était éclipsé dans le jardin.

Et maintenant, en regardant les pinacles de Rosslyn, il se laissait envahir une fois de plus par les mêmes questions lancinantes.

Le mystère n'était pas résolu.

Le Graal se trouve-t-il vraiment ici, à Rosslyn ? Et si oui, où sont la lame et le calice que mentionnait Saunière dans son poème ?

— Donnez-moi cela, dit Marie, en approchant sa main.

— Merci, fit Langdon en lui tendant sa tasse vide.

— Non. Ce que vous tenez dans l'autre main..., dit-elle en montrant le rouleau de parchemin.

— Bien sûr, excusez-moi ! Marie souriait avec humour.

— Je connais un banquier parisien qui sera bien content de récupérer son coffret en bois de rose. André Vernet était un ami

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intime de mon mari. Il aurait fait n'importe quoi pour honorer sa confiance.

Jusqu'à tirer sur moi, pensa Langdon, qui omit de signaler qu'il avait sans doute brisé le nez du pauvre homme.

— Et le Prieuré ? demanda-t-il en pensant aux trois sénéchaux assassinés. Que va-t-il se passer, maintenant ?

— La relève est déjà prévue. Ce n'est pas la première épreuve que notre Fraternité aura traversée. Des frères sont prêts à prendre en main ses destinées.

Depuis le début de la soirée, Langdon se doutait que Marie Saunière était étroitement liée aux décisions du Prieuré, qui avait toujours compté des femmes dans ses rangs. Quatre de ses Grands Maîtres avaient été des femmes. Si les sénéchaux - les gardiens - étaient toujours des hommes, les membres féminins de la confrérie y jouaient un rôle prépondérant, et pouvaient être appelés à sa direction du jour au lendemain, quelle que fût leur position dans l'organisation.

Langdon repensa à Leigh Teabing et à l'abbaye de Westminster. Tout ça lui semblait si loin, à présent.

— Est-il vrai que l'Église catholique a fait pression sur votre mari pour l'empêcher de publier les documents du Graal au moment de la Fin des Temps ?

— Mon Dieu, non ! Cette légende d'un délai fatidique est une invention de paranoïaque. Jamais aucune date n'a été fixée pour la révélation du secret. Bien au contraire, la doctrine du Prieuré a toujours été de ne jamais le divulguer.

— Jamais ? reprit Langdon, stupéfait.

— Bien plus que le Graal lui-même, c'est le mystère dont il est entouré qui nous intéresse, le merveilleux qui en fait toute la beauté. Certains voient dans le Saint-Graal le calice qui symbolise la rédemption et la vie éternelle. D'autres sont fascinés par la quête des documents secrets et son aventure ésotérique. Mais j'ai le sentiment que, pour la plupart d'entre nous, il est tout simplement un idéal très noble, un trésor inaccessible, qui introduit un peu de grâce dans le chaos du monde actuel.

— Mais si les documents demeurent cachés, la vérité sur Marie Madeleine sera perdue à jamais...

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— Vous croyez ? Regardez autour de vous, toutes les œuvres d'art et de musique, tous les livres qui racontent son histoire. Et il s'en crée sans cesse de nos jours. Le monde commence seulement à comprendre les périls qui le menacent, à reconnaître les impasses dans lesquelles il s'est engagé. À sentir qu'il est urgent de redonner sa place au Féminin sacré. Ne m'avez-vous pas dit que vous étiez en train de préparer un ouvrage sur la question ?

— En effet.

— Dépêchez-vous de le publier, monsieur Langdon.

Chantez la geste de Marie Madeleine. Le monde actuel a besoin de troubadours.

Langdon resta silencieux, laissant ce message d'un autre temps s'instiller en lui.

La lune nouvelle se levait au-dessus de la cime des arbres.

Tournant la tête vers Rosslyn, Langdon se sentit tenaillé par la même convoitise enfantine. Connaître le secret de Rosslyn. Mais il n'osait pas importuner son hôtesse. Pas de questions, se disait-il. Ce n'est pas le moment. Il jeta un coup d'œil au papyrus dans la main de Marie, puis vers Rosslyn.

— Allez-y, posez-la, cette question qui vous brûle les lèvres, murmura Marie Saunière, une lueur d'amusement dans les yeux. Vous l'avez bien mérité.

Langdon se sentit rougir.

— Vous voulez savoir si c'est bien ici que le Graal est enterré...

— Pouvez-vous me répondre ?

Elle laissa échapper un petit rire désabusé.

— Les hommes ne peuvent décidément pas accepter de le laisser reposer en paix... Qu'est-ce donc qui vous fait croire qu'il est à Rosslyn ?

Langdon lui montra le papyrus dans sa main.

— Le dernier poème de votre mari l'évoque spécifiquement.

Mais il mentionne aussi une Lame et un Calice veillant sur le Graal. Or je n'ai pas vu une seule représentation de Lame ou de Calice dans la chapelle.

— Et à quoi ressemblent-ils, cette Lame et ce Calice ?

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Langdon se rendait compte qu'elle se moquait gentiment de lui, mais il lui décrivit rapidement les deux symboles.

Soudain, l'écho d'un lointain souvenir anima les traits de la vieille dame.

— Ah oui, bien sûr, la Lame, qui représente tout ce qui est masculin... elle ressemble bien à cela n'est-ce pas ?

Elle traça un signe dans la paume de sa main.

— Oui, fit Langdon, surpris par la variante « fermée » que Marie avait dessinée.

— Et son complément, le Calice, symbole du féminin.

— Exact, reprit Langdon.

— Et vous me dites que vous ne les avez pas vus parmi les centaines de symboles que l'on trouve à Rosslyn ?

— Hélas, non.

— Dormirez-vous mieux cette nuit si je vous les montre à présent ?

Sans attendre sa réponse, elle avançait déjà sur le chemin menant à la chapelle. Langdon s’élança derrière elle.

Elle alluma la lumière en entrant et montra le sol à Langdon

: — Les voilà ! La Lame et le Calice. Langdon scruta les dalles nues.

— Mais je ne vois rien...

La vieille dame poussa un soupir et se mit à marcher sur le dallage, suivant le même itinéraire qu'avaient suivi, quelques heures plus tôt, les touristes guidés par le frère de Sophie.

Langdon avait beau reconstituer mentalement le symbole que dessinait ce parcours, il ne comprenait toujours pas.

— Mais c'est l'étoile de Dav...

Langdon s'interrompit brusquement, incapable d'articuler un mot.


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La Lame et le Calice, fusionnés en un unique symbole.

Le sceau de Salomon... l'union parfaite entre l'homme et la femme qui marquait l'entrée du saint des saints... le lieu où étaient censés résider les Dieux complémentaires, Yahvé et Shekinah.

Langdon eut besoin de quelques instants pour retrouver la parole.

— C'est exactement ce que dit le poème! s'exclama Langdon. La concordance est parfaite...

Le Graal se trouve à Rosslyn !

— Apparemment, fit Marie avec un sourire tranquille.

Les conséquences de sa déduction le firent frissonner.

— Mais alors, il est caché dans la crypte ? Elle partit d'un rire espiègle.

— En esprit seulement. L'un des devoirs sacrés du Prieuré était de le rapporter sur sa première terre d'adoption, en France, après des siècles de déplacements successifs destinés à le protéger de ses ennemis. Lorsque mon mari a été nommé Grand Maître, il a reçu pour mission de rapatrier le Saint-Graal et de lui trouver un sanctuaire qui soit digne d'une reine.

— Et a-t-il réussi ?

Le visage de la vieille dame se fit plus grave :

— Monsieur Langdon, au nom de tout ce que vous avez fait pour moi, et en tant que directrice de la Fondation Rosslyn, je peux vous affirmer que le Graal n'est plus ici aujourd'hui.

Mais cela ne suffisait pas à Langdon.

— Et pourtant, la clé de voûte est censée révéler son emplacement actuel. Pourquoi M. Saunière a-t-il alors expressément mentionné Rosslyn dans le premier vers du quatrain ?

— Peut-être l'avez-vous mal interprété. Vous n'ignorez pas que le Graal peut parfois être trompeur. Et mon mari aussi...

— Mais il ne pouvait être plus clair... Nous nous trouvons au-dessus d'une crypte enfouie sous la Lame et le Calice, eux-mêmes surmontés d'une voûte étoilée, dans une chapelle qui

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porte le nom de la Rose Ligne, construite par des Templiers et des francs-maçons... Il semble difficile d'imaginer une correspondance plus limpide.

— Attendez, que je le relise, dit-elle en déroulant le parchemin.

Sous l'ancienne Roslin, le Saint-Graal nous attend La Lame et le Calice la protègent du temps Ouvragée avec art par les maîtres des maîtres Sous la voûte étoilée enfin elle repose

Après un court silence songeur, un sourire amusé éclaira le visage de Marie Saunière :

— Ce Jacques...

— Vous avez compris ce qu'il voulait dire ?

— Comme vous venez de le constater en parcourant le sol de cette chapelle, il y a plusieurs façons de voir les choses simples.

Langdon, pourtant habitué aux doubles sens que chérissait Saunière, ne comprenait toujours pas. Elle laissa échapper un bâillement.

— Je vais vous faire une confidence, monsieur Langdon. Je n'ai jamais été officiellement dans le secret de l'emplacement du Saint-Graal. Mais j'ai été mariée au Grand Maître du Prieuré, et mon intuition féminine m'a permis de deviner certaines choses.

Je regrette beaucoup qu'après vous être donné tout ce mal, vous soyez obligé de quitter Rosslyn sans réponse définitive. Et pourtant, quelque chose me dit que vous la trouverez un jour.

Elle s'imposera à vous, avec l'évidence d'une révélation. Et ce jour-là, je ne doute pas que vous saurez en garder le secret.

Ils entendirent quelqu'un franchir le seuil de la chapelle.

— Je me demandais où vous étiez, tous les deux ! lança la voix claire de Sophie qui venait de paraître à la porte.

— J'allais rentrer, dit sa grand-mère en l'embrassant sur le front. Bonne nuit, Princesse. N'oblige pas M. Langdon à veiller trop tard.

Ils sortirent sous le porche et regardèrent la vieille dame s'éloigner d'un pas lent et tranquille.

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Quand Sophie se tourna vers lui, ses yeux luisaient d'une profonde émotion.

— Je ne m'attendais vraiment pas à ce que notre jeu de piste se termine ainsi..., murmura Sophie.

Moi non plus, pensa Langdon conscient de l'orage intérieur qu'elle vivait. Les nouvelles qu'elle avait reçues aujourd'hui avaient transfiguré sa vie.

— Ça va ? lui demanda-t-il. Vous avez eu votre lot d'émotions fortes, ce soir...

— J'ai retrouvé une famille, dit-elle avec un sourire heureux mais fatigué. Il va me falloir quelque temps pour digérer mon histoire...

Et comme Langdon se taisait.

— Vous allez rester un peu ici ? Au moins quelques jours ?

— Non, Sophie, je préfère rentrer à Paris, soupira Langdon.

Je repartirai demain matin. Vous avez besoin de rester entre vous.

Si elle était déçue, elle ne le manifesta pas. C'était peut-être mieux ainsi. Soudain, elle lui prit la main et l'entraîna vers le sommet de la colline. La lueur pâle de la lune perçait les nuages, éclairant les stèles grises du cimetière et faisant danser des reflets métalliques sur la petite rivière qui s'écoulait au fond du vallon. Ils restèrent là longtemps, sans parler, la main dans la main, en proie à la même fatigue heureuse.

Les étoiles commençaient à émailler le ciel. À l'est, un point de lumière solitaire brillait plus fort que tous les autres.

Langdon sourit en l'apercevant. C'était Vénus. La déesse antique semblait veiller sur son temple.

Une brise fraîche montait de la vallée. Sophie avait fermé les yeux. Elle souriait doucement. Langdon sentait ses paupières s'alourdir. À contrecœur, il interrompit ce moment magique. Il resserra la pression de sa main.

— Sophie ?

Lentement, elle ouvrit les yeux et se tourna vers lui. La clarté lunaire magnifiait les traits de son visage. Elle lui adressa un sourire engourdi.

— Oui?

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Langdon sentit une tristesse inattendue l'envahir en réalisant qu'il allait rentrer à Paris sans elle.

— Je partirai peut-être avant que vous soyez réveillée demain matin, dit-il avec une boule dans la gorge. Je voulais vous dire... désolé, je ne suis pas très fort pour...

Sophie lui plaqua la main sur la bouche et, se hissant sur la pointe des pieds, elle l'embrassa tendrement sur la joue.

— Est-ce que je vous reverrai ? Bientôt ? s'enquit-elle.

Langdon chancela sous le regard vert. Il hésita, se demandant si elle soupçonnait à quel point il attendait cette question.

— Je dois revenir en Europe le mois prochain, pour donner une conférence à Florence. J'y passerai une semaine. J'aurai du temps libre...

— C'est une invitation ?

— Les organisateurs m'ont retenu une suite dans un véritable palace, le Brunelleschi...

Sophie lui adressa un sourire taquin.

— Vous êtes bien sûr de vous, monsieur Langdon !

Il regrettait déjà son audace.

— Ce que je voulais dire, c'est...

— Il n'y a rien qui me ferait plus plaisir que de vous rejoindre là-bas, Robert. Mais à une seule condition...

Sa voix se fît plus grave.

— ... c'est que nous n'y passerons pas notre temps à fouiller les églises à la recherche de je ne sais quelles reliques...

— Mais Sophie, Florence n'a aucun intérêt, à part ses églises.

Cette fois, Sophie se pencha et l'embrassa sur les lèvres. Ils s'étreignirent doucement avant de s'abandonner peu à peu.

Lorsqu'elle se dégagea, le regard et le sourire de Sophie étaient pleins de promesses.

— Très bien, monsieur Langdon, fit-elle. Le rendez-vous est pris.

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Épilogue

Robert Langdon se réveilla en sursaut d'un sommeil plein de rêves. Il lut machinalement le monogramme brodé HÔTEL

RITZ PARIS qui ornait la poche du peignoir de bain posé à côté de son lit. Un soleil rose filtrait à travers les stores.

Aube ou crépuscule ? se demanda-t-il.

Il se sentait étonnamment dispos et comme régénéré.

Il avait dormi quarante heures. S'asseyant lentement sur son lit, il comprit ce qui l'avait réveillé... une pensée bien étrange. Langdon venait de passer plusieurs jours à essayer de s'y retrouver dans un déluge d'informations, et subitement il entrevoyait une solution qu'il n'avait pas envisagée jusque-là.

Serait-ce possible !

Il demeura immobile pendant une bonne minute.

Pourquoi n'y ai-je pas songé plus tôt ?

Il se leva pour aller à la salle de bains et resta longtemps sous la douche, se massant les épaules avec le puisant jet d’eau.

Mais la pensée ne le quittait plus.

Non, impossible...

Vingt minutes plus tard, Langdon sortait du Ritz et traversait la place Vendôme. Le soir tombait. Ces presque deux jours de sommeil avaient quelque peu bouleversé ses repères, pourtant il se sentait étrangement lucide. Il avait prévu de s’arrêter au bar du Ritz pour y prendre un café, mais il était sorti de l’hôtel sans s’en rendre compte. Il s’engagea dans la rue des Petits-Champs en proie à une excitation croissante, tourna à droite dans la rue de Richelieu balayée, ce jour-là, par les senteurs jasminées qui s’exhalaient du Palais-Royal.

Empruntant le trottoir de gauche il ralentit le pas, scrutant le sol sous ses pieds. Il ne mit pas plus de deux minutes à repérer ce qu’il cherchait : un disque de bronze d’une dizaine de centimètres de diamètre, enchâssé dans le revêtement du trottoir et gravé de deux lettres opposées : N et S. Un autre, identique, suivait quelques vingt mètres plus bas.

Le nord et le sud.

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Il suivit les médaillons dorés en direction du sud, se retournant de temps à autre pour vérifier qu’il suivait une trajectoire rectiligne. Au coin de la Comédie-Française, coupant sous les arcades, il posa le pied sur un cinquième médaillon gravé...

Voilà !

Langdon avait lu un jour que cent trente cinq médaillons traçaient, sur un axe nord-sud, une ligne parfaitement droite à travers les rues et les trottoirs de la capitale française, pour matérialiser l’axe du premier méridien de Paris. Il avait un jour suivi cette ligne depuis le Sacré-Cœur jusqu’à l’ancien Observatoire. C’est là qu’il avait découvert la signification sacrée de cet ancien chemin.

La première méridienne, l’ancienne longitude zéro, la Rose Ligne de Paris.

En traversant la rue de Rivoli, il se savait presque arrivé à destination.

Sous l’ancienne Roslin, le Saint-Graal nous attend.

Chaque vers du poème de Saunière trouvait une signification nouvelle. Le double sens de l’ancienne orthographe de Rosslyn... la Lame et le Calice... la tombe...

Etait-ce la raison pour laquelle Saunière désirait me parler ? Aurais-je frôlé la vérité à mon insu ?

Il accéléra, porté par la Rose Ligne qui l’entraînait vers le but. En traversant le passage Richelieu, il frissonnait d’excitation. De l’autre côté se dressait le plus mystérieux des monuments parisiens, conçu et commandé par le « Sphinx »

lui-même, François Mitterrand, l’homme des réseaux occultes, qui avait légué à Paris ce monument que Langdon avait visité pour la première fois quelques jours auparavant.

Dans une autre vie.

Dans un dernier sursaut d’énergie, il déboucha sur la grande esplanade désormais familière. Il s’arrêta net. Le souffle coupé, il leva les yeux lentement, incrédule, vers la grande structure qui scintillait devant lui.

La pyramide du Louvre luisait dans l'obscurité.

Mais il s'arracha vite à sa contemplation. Son but était autre. Suivant toujours le chemin invisible de l'ancienne Rose

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Ligne, il se dirigea vers la place du Carrousel, ce grand rond-point planté de buissons de buis impeccablement taillés. C'est là que se tenaient autrefois les festivités populaires célébrant la terre mère, le retour du printemps et la déesse.

En traversant les buissons pour parvenir jusqu'à la pelouse centrale, Langdon eut l'impression de pénétrer dans un autre monde. Ce site, jadis sacré, abritait aujourd'hui l'un des monuments les plus originaux de la capitale. Plongeant dans la terre comme un gouffre de cristal, sous son couvercle translucide entouré de verdure, s'ouvrait la pyramide inversée dont la pointe de diamant traversait la galerie du Carrousel.

La pyramide inversée.

Tremblant d'impatience, Langdon s'approcha et dirigea son regard vers les profondeurs du complexe souterrain sur lequel flottait une lueur dorée. Il cherchait à distinguer, par-delà la massive pyramide inversée, ce qui se trouvait juste au-dessous d'elle. Tout en bas, sur le sol de la salle, se dressait une minuscule structure... un détail architectural que Langdon avait évoqué dans son manuscrit.

Sous l'emprise d'une exaltation croissante, n'osant croire tout à fait à son incroyable supposition, Langdon se sentait parfaitement réveillé à présent.

Levant les yeux vers le Louvre, il parcourut les deux immenses ailes du musée qui l'entouraient... ces interminables galeries aux murs couverts des joyaux artistiques des siècles passés.

Da Vinci... Botticelli...

Ouvragée avec art par les maîtres des maîtres En proie à un indicible émerveillement, Langdon jeta un nouveau coup d'œil en bas, vers l'humble monument.

Il faut que je descende !

Il retourna précipitamment vers l'entrée de la pyramide. Les derniers visiteurs de la journée quittaient peu à peu le musée.

Poussant la porte à tambour, Langdon gagna en quelques pas l'escalier spirale qu'il descendit rapidement. Il sentit l'air fraîchir. Arrivé en bas, l'Américain emprunta le long couloir qui menait à la pyramide inversée. À l'extrémité de ce passage, il

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déboucha dans une grande salle. Juste devant lui, d'une époustouflante beauté, luisait la pointe de verre en forme de V.

Le Calice.

Langdon la détailla de haut en bas, s'amenuisant vers sa pointe, suspendue à seulement deux mètres au-dessus du sol.

L'autre montait à sa rencontre. Une pyramide miniature, d'un mètre de haut. La seule structure à échelle réduite de ce complexe colossal.

Dans son manuscrit, dans un passage consacré aux riches collections d'art religieux du Louvre, Langdon avait fait allusion à cette modeste pyramide.

« La structure miniature elle-même surgit du sol un peu comme la pointe d'un iceberg, le sommet d'une énorme voûte pyramidale aux trois quarts enfouie dans le sous-sol, telle une salle secrète. »

Éclairées par la douce lueur de l'entresol désert, les deux pyramides tendaient l'une vers l'autre, obéissant à une symétrie parfaite, leurs pointes se frôlant.

Le Calice en haut, la Lame en bas.

La Lame et le Calice la protègent du temps

« La solution s'imposera à vous », avait dit Marie Chauvel.

Il se trouvait à la verticale de la Rose Ligne, entouré des chefs-d'œuvre des maîtres par excellence. Quel meilleur abri que le palais du Louvre, sous la garde vigilante de son conservateur en chef, pour ce trésor sacro-saint ?

Il comprenait enfin le véritable sens du poème de Saunière.

Levant les yeux vers le ciel, il contempla, à travers les losanges vitrés, la sublime voûte céleste piquetée d'étoiles.

Sous le ciel étoile enfin elle repose.

Dans l'obscurité, des mots oubliés résonnaient, les esprits se faisaient entendre à mi-voix. La quête du Graal prenait enfin son véritable sens : celle d'un pèlerinage dédié à Marie Madeleine. Un long périple qui s'achevait devant le reliquaire de la sainte proscrite.

Soudain submergé par une vénération immense, Robert Langdon tomba à genoux.

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Il lui sembla un instant entendre le chant d'une femme...

une voix de sagesse très ancienne, issue du fond des âges, dont le murmure montait des entrailles de la terre.

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Remerciements


D'abord et avant tout, à Jason Kaufman, mon éditeur et ami, qui a tant travaillé sur ce projet et qui a si bien compris le sujet de ce roman. Je remercie avec lui l'incomparable Heide Lange - incomparable avocate du Da Vinci Code, extraordinaire agent et amie sûre.

Il m'est impossible d'exprimer toute ma gratitude à l'équipe exceptionnelle de Doubleday, dont la générosité, la confiance et les conseils m'ont été si précieux. Merci tout particulièrement à Bill Thomas et Steve Rubin, qui ont cru en ce livre dès le débuts.

Toute ma reconnaissance également au noyau de supporters de la première heure, dirigés par Michael Palgon, Suzanne Herz, Janelle Moburg, Jackie Everly et Adrienne Sparks, ainsi qu'aux talentueux représentants de Doubleday, sans oublier Michael Windsor, pour sa sensationnelle couverture.

Pour leur généreuse assistance dans mes recherches, je voudrais aussi remercier le musée du Louvre, le ministère français de la Culture, le Projet Gutenberg, la Bibliothèque nationale, la bibliothèque de la Société gnostique, le département de peinture et le service de documentation du Louvre, la revue Catholic World News, le Greenwich Royal Observatory, la London Record Society, la Muniment Collection de l'abbaye de Westminster, John Pike et la Fédération of American Scientists, ainsi que les cinq membres de l'Opus Dei (trois actuels et deux anciens) qui m'ont fait part d'anecdotes, positives et négatives, illustrant leurs expériences au sein de cette organisation.

Ma gratitude s'adresse aussi à la librairie Water Street, pour m'avoir fourni tant d'ouvrages utiles à mes recherches ; à Richard Brown - mon père, professeur de mathématiques et écrivain -, pour ses éclaircissements concernant la Divine Proportion et la suite de Fibonacci, à Stan Planton, Sylvie Baudeloque, Peter McGuigan, Francis Mclnerney, Margie Wachtel, André Vernet, Ken Kelleher (Anchorball Web Media), Cara Sottack, Karyn Popham, Esther Sung, Miriam Abramowitz, William Tunstall-Pedoe et Griffin Wooden-Brown.

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Enfin, dans un roman où le Féminin sacré tient une si grande place, je n'aurai pas l'outrecuidance de ne pas citer les deux femmes extraordinaires qui ont « touché » ma vie. D'abord ma mère, Connie Brown, complice en écriture, musicienne, éducatrice et modèle. Puis, ma femme, Blythe, historienne d'art, peintre, éditrice de tout premier plan, et, sans aucun doute, la femme la plus exceptionnellement douée que j'aie jamais rencontrée.


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