Dix-huit

Fendant l’espace à une vitesse de soixante mille kilomètres par seconde, l’Indomptable se déplaçait dorénavant à près de 0,2 c, trop lentement malgré tout pour rattraper les vaisseaux Énigmas qui le devançaient. Quant à leur bombardement cinétique, il restait tout aussi inaccessible.

Geary et les siens ne pouvaient qu’attendre, impuissants, conscients qu’au cours des deux prochains jours ils devraient se contenter de regarder les cailloux fondre sur leur cible.

« Nous recevons un message de la planète habitée, amiral. » Geary hocha désespérément la tête. « Ils ne savent pas encore ce qui va leur tomber dessus. Voyons ce que la “présidente” Iceni veut nous dire. »

L’image qui venait d’apparaître montrait Iceni et un homme au visage dur assis derrière un impressionnant bureau de bois poli. Le type avait plutôt l’air d’un égal que d’un subalterne.

Iceni ne portait plus le complet bleu foncé des commandants en chef syndic mais une tenue suggérant en même temps pouvoir et fortune, toutefois avec discrétion. L’homme assis près d’elle arborait un uniforme inconnu mais visiblement dérivé d’une conception syndic. Cela étant, il n’en avait nul besoin pour produire l’impression qu’il appartenait à l’armée. Aurait-il porté un costume civil que Geary l’aurait catalogué parmi les militaires.

« Ici la présidente Iceni du système stellaire indépendant de Midway. » Elle marqua une pause.

« Ici le général Drakon, commandant des forces terrestres de Midway, lâcha sèchement l’homme en uniforme.

— Nous sommes heureux d’accueillir le retour de la flotte de l’Alliance dans notre système, reprit Iceni. Surtout compte tenu des circonstances présentes et de nos accords passés. Nous ferons de notre mieux pour le défendre contre les envahisseurs, et nous ne vous demandons que de nous assister dans cette tâche jusqu’à ce que la population de Midway soit de nouveau en sécurité. La kommodore Marphissa, notre officier de la flotte le plus haut gradé, a reçu l’ordre de se plier à toutes vos instructions, à moins qu’elles n’entrent en conflit avec son devoir, la défense de notre système.

» Sachez que les unités de propulsion du cuirassé en construction dans notre principal chantier spatial militaire sont opérationnelles, contrairement, pour l’instant tout du moins, à ses boucliers et armements, de sorte qu’on ne peut pas compter sur lui pour participer à la défense du système.

» Ici la présidente Iceni. Au nom du peuple, terminé. »

Rione venait de surgir près de Geary et se penchait vers lui, l’air intriguée. « Les accords passés ? »

Il hocha la tête en s’efforçant de ne pas afficher une mine coupable. « Les accords passés, se contenta-t-il de répéter, comme si tout cela était naturel et parfaitement normal.

— S’agit-il d’autre chose que du traité de paix signé par l’Alliance et le gouvernement des Mondes syndiqués ? De clauses additionnelles ?

— Pourquoi cette question ? »

Tant Desjani que Rione le fixaient à présent furieusement. Il prit brusquement conscience qu’il était coincé entre les deux femmes. « Auriez-vous passé d’autres accords avec les autorités de Midway, amiral ? »

Il hocha la tête. « J’ai consenti à les aider à se défendre contre les Énigmas, ce qui ne contrevient pas au traité de paix.

— C’est tout ? insista Rione. Cette kommodore, elle aussi, avait l’air d’attendre bien davantage de notre part.

— Oui, renchérit Desjani. En effet. »

Desjani et Rione liguées contre lui pour lui reprocher d’avoir mal fait… la situation de Geary pouvait difficilement être pire.

« N’avez-vous rien laissé entendre que cette présidente Iceni aurait pu déformer en une assurance selon laquelle Black Jack serait prêt à les défendre contre leur propre gouvernement ? demanda Rione.

— Non. Je n’ai rien promis de tel. » Elles le scrutaient. « J’ai accepté, à bon escient, de ne pas déclarer publiquement que je ne les défendrais pas contre de pareilles menaces. »

Desjani le fixait d’un œil noir. « Je n’aurais jamais dû vous laisser parler seul à cette femme. »

Mais Rione semblait songeuse. « Un vague engagement sans promesses concrètes ? Je suis très impressionnée, amiral. Ça pourrait nous être utile.

— Oh, magnifique ! s’exclama Tanya. Vous avez maintenant son approbation. Est-ce que ça ne vous en apprend pas très long sur votre erreur ? »

Geary brandit une paume comminatoire. « Plus tard. Je dois répondre à ces deux personnages. Quand ils recevront notre réponse, ils auront vu que nous avons mis la majeure partie de la force Énigma hors de combat, mais aussi qu’un bombardement cinétique les vise.

— Il y a beaucoup d’eau et très peu de terres sur cette planète, fit remarquer Desjani, de nouveau morose. Même si les tirs des Énigmas rataient leurs cibles terrestres, elles déclencheraient de méchants raz de marée qui submergeraient toutes ces îles. À votre place, je leur conseillerais d’évacuer autant que possible la planète, de placer une bonne partie de la population en orbite et le reste en altitude, du moins s’il existe des montagnes. Mais, connaissant les commandants en chef syndics, ils veilleront sans doute à se mettre à l’abri dans un endroit sûr, d’où ils pourront voir crever leurs concitoyens. »

Geary faillit demander à Desjani comment elle pouvait prédire avec tant de précision les conséquences d’un bombardement planétaire, mais il se retint à temps. L’Alliance avait parfois adopté de telles tactiques, destinées à saper le moral ennemi en même temps qu’à détruire des cibles civiles en les pilonnant sans discrimination. Cette stratégie n’avait jamais opéré par le passé, du moins pour l’Alliance, mais elle n’avait été que trop longtemps suivie. Et Desjani était déjà un officier de la flotte à l’époque de ces bombardements. Ils n’en parlaient jamais, mais Geary savait qu’ils s’étaient produits. Mieux valait ne pas faire de commentaires à cet égard.

Il préféra se concentrer sur la dernière partie des prédictions de Tanya. « Iceni n’a pas fui la dernière fois que les Énigmas ont attaqué Midway, rappelez-vous. Elle est restée sur place, alors même que les Énigmas, avant notre apparition, semblaient sur le point de piétiner tout ce système stellaire. Elle est ainsi. Que pensez-vous de ce Drakon ? »

Desjani eut un geste agacé. « Il avait l’air de quelqu’un de solide. Pas d’un commandant en chef syndic, je veux dire.

— C’est aussi mon impression. D’un professionnel, d’un homme peu disposé à déserter son poste.

— Comment est-il devenu commandant en chef ?

— Je n’en sais rien, répondit Geary. Vous avez raison, nous ne devons pas l’oublier. Je vais néanmoins leur prêter les plus grandes qualités, car ça ne saurait nous nuire pour l’instant. Nous ne pouvons qu’assister à leurs réactions. »

Rione opina, l’air sombre. « Ce monde sera-t-il encore habitable après ces frappes ?

— Tout dépend d’où elles atterriront. » Geary inspira profondément, expira lentement, enfonça quelques touches et prit la parole. « Ici l’amiral Geary. Nous avons fait notre possible pour éliminer la flottille Énigma, mais quelques-uns de ses vaisseaux ont réussi à passer et à lancer un bombardement cinétique visant votre planète habitée. Nous allons continuer de les pourchasser, mais nous ne pouvons pas arrêter ces cailloux. Je vous prie de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de votre population. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Ne restait plus, cela fait, qu’à observer les trajectoires des vaisseaux et des projectiles cinétiques fondant sur leurs cibles ; Geary étudiait d’un œil morne les trois flottilles syndics ou ex-syndics en se demandant ce qu’il ferait à la place de leurs commandants. « S’ils se débrouillaient correctement et coordonnaient les manœuvres de ces deux croiseurs lourds proches de la géante gazeuse, ils pourraient contraindre les Énigmas à relever le gant en les défiant d’atteindre le cuirassé ou la planète habitée. »

Desjani secoua la tête. « En théorie, assurément. Mais ils ne sont pas assez doués.

— Ils devront l’être s’ils veulent survivre. Nous ne pouvons pas nous attarder ici. Ceux qui, après notre départ, resteront sur place pour les défendre devront savoir combattre intelligemment ou ils seront écrasés.

— Vous ne pouvez pas leur enseigner vos tactiques, fit observer Desjani. Hormis le fait que nous ne pouvons pas traîner dans ce système pendant des mois, apprendre à des Syndics des méthodes de combat efficaces l’afficherait mal.

— Ce ne sont plus des Syndics, manifestement.

— Comment pouvez-vous en juger ? Je conviens qu’ils devront tous se battre mieux que le commandant syndic moyen, amiral, mais vous ne pouvez pas le leur apprendre. La flotte et le gouvernement déchaîneraient un enfer si Black Jack en personne divulguait ses secrets à des gens qui portent encore l’uniforme syndic, même s’ils se présentent désormais sous un autre nom. »

Geary se contenta d’opiner, conscient qu’ils avaient raison l’un et l’autre. Comment pouvait-il aider ces gens à se défendre ?

Pourvu, bien sûr, qu’il restât quelque chose à défendre.

« Amiral ? » Le général Charban était monté sur la passerelle et pointait un doigt interrogateur sur l’écran de l’observateur. « Que font les Lousaraignes ? »

Geary n’avait pas pris la peine de s’inquiéter d’eux depuis qu’ils s’étaient soustraits aux hostilités. « Ils se trouvaient au-dessus du plan du système et plus près de l’étoile, puisqu’ils n’ont pas rebroussé chemin comme nous pour engager le combat avec les Énigmas, répondit-il en scrutant son propre écran. Et maintenant ils sont… Que diable fabriquent-ils, au nom des vivantes étoiles ? »

Desjani lui jeta un regard inquiet puis concentra à son tour son attention sur la position et les manœuvres de ces extraterrestres. « Ils… visent une interception avec le bombardement Énigma, déclara-t-elle d’une voix incrédule. D’après nos systèmes, ils pourraient y parvenir puisqu’ils sont plus proches de l’intérieur du système stellaire que la position de lancement des Énigmas, et qu’ils disposent d’une accélération supérieure à la nôtre.

— Pourquoi ? s’enquit Geary. À quoi bon tenter d’intercepter un bombardement cinétique ? Ces projectiles se déplacent trop vite et sont trop petits pour permettre une solution de tir efficace.

— Pour nous autres », rectifia Desjani. Un éclair de compréhension brilla dans ses yeux. « Les vaisseaux lousaraignes sont plus rapides et maniables que les nôtres, amiral. Ils se trouvaient là où il fallait pour intercepter un bombardement cinétique des Énigmas. S’ils réussissaient à se placer derrière les cailloux, à réduire leur vélocité relative à la vitesse d’engagement et à manœuvrer pour se mettre en position adéquate, ils pourraient théoriquement, selon nos systèmes, leur porter des coups assez cinglants pour dévier leurs trajectoires. »

Rione regardait droit devant elle, bouche bée de stupéfaction. « Ils interviennent. Ils refusent de nous aider à vaincre les Énigmas ou à défendre nos vaisseaux, mais ils vont tenter de protéger notre population civile !

— Vous disiez qu’ils se trouvaient en bonne position pour réussir cette interception, dit Charban en s’adressant à Desjani.

C’était sans doute délibéré, en prévision d’une telle intervention.

— Pourquoi diable faut-il qu’ils soient si moches ? s’exclama Desjani d’une voix dépitée.

— J’ai la conviction, de plus en plus fermement ancrée, qu’ils doivent penser exactement la même chose de nous, répliqua Charban en souriant. Ils savent que les gens d’ici sont ou, plutôt, ont été nos ennemis, et nous voir si disposés à combattre pour les défendre a dû les impressionner. C’est peut-être même ce qui les a décidés à entrer en action. En dépit de toutes nos différences, c’est là un point de compréhension mutuelle.

— Bizarre, lâcha Geary. Apparemment, nous avons beaucoup de points communs avec les Lousaraignes, dont l’espèce est pourtant, de toutes celles que nous avons déjà rencontrées, la plus éloignée physiquement de la nôtre. Les deux autres, tant Énigmas que Vachours, nous ressemblent peut-être davantage, mais leurs processus mentaux nous sont plus étrangers encore que ceux des Lousaraignes.

— Nul n’a jamais promis que l’univers serait aisément déchiffrable, lâcha philosophiquement Charban. Ni qu’il correspondrait à nos attentes plutôt que de les remettre en cause.

— Dix-neuf minutes avant interception du bombardement cinétique par les Lousaraignes, rapporta Desjani. Regardez ! Leurs vaisseaux ne sont plus en formation. Ils ajustent leur trajectoire pour se placer derrière les amas de cailloux largués par les vaisseaux Énigmas. »

À l’attente résignée et quelque peu abattue qui régnait un instant plus tôt s’était substituée une grande tension. Geary regardait converger les trajectoires des cailloux et des vaisseaux lousaraignes, dont les courbes s’infléchissaient régulièrement vers un contact imminent, non sans se demander si ses « alliés » sauraient résoudre un problème d’une telle complexité.

« Magnifique, souffla Desjani en voyant subtilement s’altérer la trajectoire incurvée des vaisseaux lousaraignes. Même leurs manœuvres sont grandioses.

— Nos systèmes estiment à deux minutes le délai dans lequel leurs vaisseaux arriveront à portée de tir », annonça le lieutenant Yuon.

Geary vérifia les distances : douze minutes-lumière séparaient encore les vaisseaux lousaraignes de la position où ils pourraient intercepter le bombardement. Quel qu’en ait été le succès rencontré, l’affaire était peut-être déjà dans le sac, conclue alors même que les bâtiments de l’Alliance n’en avaient pas encore vu la couleur.

Le silence régnait à présent sur la passerelle ; chacun fixait son écran. Geary s’aperçut qu’il s’efforçait même de respirer sans bruit, comme si le plus léger frémissement risquait de perturber des événements qui se déroulaient à si grande distance. L’instinct, héritage des chasseurs d’un lointain passé vivant sur une planète incroyablement éloignée, continuait, même parmi les étoiles, de lui dicter inconsciemment ses réactions.

« Quand saurons-nous ? » demanda Rione d’une voix blanche sans quitter son écran des yeux. Si bas qu’elle se soit exprimée, sa question avait résonné assez fort pour briser le sortilège de silence qui pesait sur la passerelle.

« Encore trois minutes avant de voir quelque chose », répondit le lieutenant Yuon.

Ce furent trois très longues minutes ; puis, dès que les premières images de l’événement leur apparurent, plusieurs hoquets étouffés se firent entendre en même temps. « Regardez-moi ça ! s’exclama Desjani, les yeux brillant d’admiration. Ils se sont placés à la perfection. Juste derrière leurs cibles, sans que rien ne puisse dévier leurs tirs et en maintenant une vélocité relative aussi basse que possible !

— N’empêche qu’ils ne disposent que d’une très brève fenêtre de tir avant que ces cailloux ne leur échappent. » Geary regardait les tirs fuser des vaisseaux lousaraignes en priant pour qu’ils fissent mouche, tout en restant conscient que, quoi qu’il en fût, ces événements étaient déjà vieux de dix minutes.

« Un, deux, quatre, sept », comptait à voix haute le lieutenant Yuon à mesure que les systèmes enregistraient des projectiles cinétiques arrachés à leur trajectoire initiale par les frappes de Lousaraignes. « Douze, dix-neuf, vingt-six, trente-huit. »

Geary ne quittait pas le spectacle des yeux. Trente-huit cailloux détournés sur soixante-douze.

« Cinquante et un », enchaîna Yuon. La cadence des tirs se faisait sans doute plus rapide maintenant que les Lousaraignes amélioraient position et visée, mais les cailloux prenaient régulièrement du champ et ne tarderaient pas à se retrouver hors de portée. « Soixante, soixante-quatre, soixante-huit, soixante-neuf.

— Allez ! cria Geary. Les trois derniers !

— Soixante-dix… soixante et onze. »

Les six vaisseaux lousaraignes vomissaient leurs missiles aussi vite qu’ils le pouvaient, mais il crevait les yeux que leurs tirs perdaient spectaculairement en précision à mesure que la portée grandissait. La passerelle était de nouveau retombée dans le silence, et tous les regards étaient rivés sur le symbole représentant le dernier projectile cinétique qui fondait sur la planète habitée.

« Malédiction ! marmonna Desjani.

— Il leur reste une petite chance », fit Geary.

Le tir de barrage s’interrompit brusquement et il sentit ses tripes se nouer. Si près du succès… Mais les Lousaraignes avaient visiblement renoncé…

Une unique langue de feu jaillit des vaisseaux lousaraignes, chaque arme se déchargeant simultanément sur la position occupée par l’ultime projectile cinétique qui filait devant eux.

« Soixante-douze », laissa tomber le lieutenant Yuon d’une voix entrecoupée.

Desjani éclata de rire puis regarda Geary comme si elle allait lui sauter au cou, avant de se résoudre à lui cogner légèrement l’épaule du poing. « Merci, ô mes ancêtres, et merci à vous, Lousaraignes !

— Madame l’émissaire, général Charban, veuillez transmettre nos plus profonds et sincères remerciements aux Lousaraignes », demanda Geary. De soulagement il sentait ses genoux flageoler.

Mais Rione, à la différence de tout le monde sur la passerelle, affichait une expression soucieuse. « Et si les Énigmas tiraient une autre salve ?

— Les Lousaraignes sont mieux que jamais positionnés pour l’intercepter, la rassura Geary. Ils auraient encore moins de mal à viser ces nouveaux cailloux. Nous devons encore nous inquiéter d’éventuelles attaques des Énigmas sur d’autres cibles, mais, tant que les Lousaraignes s’interposeront entre eux et la planète, aucun bombardement cinétique ne pourra la toucher. »

Les senseurs de la flotte avaient continué d’afficher les trajectoires des soixante-douze cailloux, mais elles n’étaient plus légendées d’un symbole DANGER et s’écartaient désormais de la planète habitée.

« Un à zéro pour la diplomatie », laissa tomber le général Charban.

La réflexion arracha un sourire à une Desjani toujours hilare : « Je veux y voir un grandiose retour d’investissement sur une caisse de ruban adhésif, général.

— Commandant, ces vaisseaux Énigmas procèdent à de très importants changements de vecteur », prévint le lieutenant Castries.

Tous les regards se reportèrent sur les écrans. « Bravo de veiller au grain pendant que vos supérieurs s’attendrissent, le félicita Desjani. Ils sont douze.

— Les mêmes douze qui ont déclenché le bombardement cinétique », confirma le lieutenant Yuon.

Revenant sur la multitude serrée de vaisseaux de l’Alliance qui les pourchassaient, eux comme leurs camarades, les douze vaisseaux Énigmas plongeaient à présent très bas sous le plan du système. « Une course suicide ? avança Geary. Vont-ils encore tenter d’éperonner les auxiliaires ou les transports d’assaut ? »

À sa grande surprise, ce fut le général Charban qui répondit : « Seuls ces douze vaisseaux changent de cap, amiral. En traversant le territoire des Énigmas, nous avons appris qu’ils ne formaient pas une espèce homogène. Cette flottille doit être formée de contingents de différentes nations. Je suggère que ce que nous voyons à présent résulte d’une décision prise par les seuls rescapés d’un de ces contingents convaincus d’avoir déjà fait plus que leur devoir dans le cadre d’une alliance contre les humains. Ils ont tenté de bombarder la planète habitée, ont échoué et rentrent maintenant chez eux.

— C’est possible, admit Desjani. Toujours est-il qu’ils ont fichtrement dérouté leurs poursuivants immédiats avec cette manœuvre. » Les vaisseaux de l’Alliance qui les traquaient à très haute vélocité, pris de court par ce radical changement de cap de leurs proies, avaient en effet le plus grand mal à infléchir suffisamment leur trajectoire pour les intercepter avant qu’ils n’eussent regagné le point de saut. « Si l’on détachait quelques destroyers et croiseurs lourds du corps principal, ils pourraient les coincer, amiral. »

Geary vit les douze vaisseaux Énigmas croiser leurs poursuivants immédiats en décélérant, et le dernier voler en éclats sous le feu de l’Alliance. Les onze autres continuèrent leur chemin, semant ses propres bâtiments et déjouant leurs manœuvres.

Son regard se reporta sur un autre secteur du champ de bataille où des Énigmas désemparés, leur équipage toujours à bord, s’autodétruisaient pour préserver les secrets de leur espèce. N’en restaient plus que dix-neuf autres, dont cinq visaient le cuirassé non opérationnel et le chantier spatial de la géante gazeuse, et quatorze le portail de l’hypernet. Il songea aux Vachours se battant jusqu’à la mort ou se suicidant pour éviter d’être capturés. « Non.

— Non ? s’enquit Desjani. Le capitaine Armus peut parfaitement détacher quelques destroyers et croiseurs lourds du corps principal pour éliminer ces Énigmas. Il lui resterait assez de vaisseaux, si d’aventure certains d’entre eux cherchaient encore à les éperonner, pour protéger ses unités hautement sensibles.

— Non, répéta Geary. Ça suffit. Général, transmettez de nouveau notre offre de négociation à ces onze vaisseaux Énigmas. Ajoutez-y un commentaire selon lequel nous leur avons montré ce qu’il adviendrait s’ils continuaient de nous combattre, et soulignez encore une fois, avec force, que nous sommes disposés à leur ficher la paix s’ils nous laissent tranquilles.

— Oui, amiral. »

Desjani poussa un soupir puis acquiesça d’un signe de tête. « Nous en avons abattu suffisamment, j’imagine. Si quelques-uns rentrent chez eux pour expliquer à leurs congénères ce qui est arrivé à leurs copains, ils y réfléchiront peut-être à deux fois avant de remettre le couvert.

— C’est l’idée générale », reconnut Geary. Mais, au regard qu’elle lui jeta, il comprit qu’elle savait qu’il ne mettait pas fin au bain de sang pour cette seule raison.

Il continuait d’observer les mouvements des vaisseaux sur son écran, mais, conscient que, sauf imprévu, rien de nouveau ne se produirait avant des heures, voire des jours, il éprouva soudain une immense lassitude. Cela dit, si un seul des dix-neuf vaisseaux Énigmas qui piquaient encore sur leurs cibles changeait brutalement de vecteur, la reprise des hostilités ne serait peut-être qu’une question de minutes.

Des alarmes ne cessaient de s’allumer sur son écran, clignotant pour le prévenir de la baisse de niveau des cellules d’énergie des destroyers de son détachement, ainsi que, çà et là, d’un croiseur léger. Tant que l’ennemi continuerait de s’éloigner en trombe, ces bâtiments ne pourraient pas le rattraper. En revanche, ils risquaient d’épuiser dangereusement leurs réserves en une traque vaine. « À toutes les unités du détachement, ici l’amiral Geary. Réduisez la vélocité à 0,15 c. Exécution immédiate. Mais continuez de pourchasser les vaisseaux Énigmas et engagez le combat si l’occasion se présente. »

Desjani tirait de nouveau une longue figure.

« Nous ne pouvons pas les rattraper, avoua-t-il.

— Je sais.

— Les Syndics pourraient les rabattre vers nous. »

Le visage de Tanya s’éclaira un peu. « Ouais. Ils le pourraient. Avec un cuirassé et vingt autres bâtiments syndics sous ses ordres, Boyens lui-même viendrait à bout de quatorze vaisseaux Énigmas. »

Geary opina, non sans se dire que, si Boyens lui avait adressé un message dès qu’il avait vu sa flotte, il aurait déjà dû recevoir de ses nouvelles. Mais Boyens restait bouche cousue pour l’heure, semblait-il.

Le combat n’était pas terminé ; la traque non plus. Mais les vaisseaux du détachement passèrent à un mode plus détendu pour permettre à leur équipage de se reposer et de prendre des repas corrects. Très loin derrière, dans la direction du point de saut emprunté par la flotte pour venir de Pele, le corps principal progressait régulièrement, sans réagir à la présence des onze fuyards Énigmas qui, de leur côté, hors de portée de ses armes, continuaient de filer vers ce point de saut. Ces extraterrestres-là en avaient assez vu, exactement comme l’avait pressenti Charban.

Au bout de quelques heures, un autre message montrant de nouveau Iceni et Drakon leur parvint de la planète habitée. Tous deux réussissaient parfaitement à donner le change, comme s’ils ne venaient pas d’échapper inopinément à une sentence de mort. « Nous vous sommes de nouveau redevables, amiral Geary. Je ne sais pas qui sont vos alliés, mais nous avons aussi contracté une dette immense envers eux.

— Attendez un peu qu’elle les ait sous les yeux, lâcha Desjani.

— Mes vaisseaux vont engager le combat avec les Énigmas qui visent mon cuirassé, poursuivit Iceni. Je n’ai aucun pouvoir sur la flottille qui se trouve à proximité du portail. Ne vous attendez pas à ce qu’elle intervienne en votre faveur, amiral. Vous connaissez son chef, le commandant en chef Boyens. Si vous lui donnez des ordres clairs, il hésitera peut-être à y contrevenir. Il est essentiel de lui faire comprendre qu’il n’est pas aux commandes de ce système stellaire et ne peut donc pas dicter ce qui s’y passe.

» Au nom du peuple, Iceni, terminé.

— Elle n’a pas laissé parler Drakon cette fois, fit remarquer Desjani.

— Peut-être n’avait-il rien à dire.

— D’ordinaire, ça n’empêche nullement les gens de l’ouvrir, rétorqua-t-elle en souriant. Mais il n’a pas l’air homme à bavasser. Avez-vous remarqué qu’elle a dit “mes vaisseaux” plutôt que “mes forces mobiles”. Et qu’elle a parlé de “son” cuirassé ?

— Oui. Nous verrons bien ce qu’en concluront le lieutenant Iger et l’émissaire Rione. » Il soupesa ses options. « Manifestement, Iceni veut que je souffle à Boyens la conduite à tenir.

— Elle tient à lui faire savoir que vous êtes le mâle alpha de ce système stellaire. Ça nous sert tout autant qu’à elle, n’est-ce pas ?

— Pas si nous finissons par faire tampon entre les deux. » Geary réfléchit encore un instant puis appuya sur les touches de contrôle de son unité de com. « Commandant en chef Boyens, ici l’amiral Geary. Le petit groupe de vaisseaux Énigmas qui se dirige vers la géante gazeuse va se trouver aux prises avec les forces locales. Les quatorze rescapés qui foncent droit sur vous doivent impérativement être interceptés avant qu’ils ne puissent endommager par des frappes, ou en le percutant, le portail de l’hypernet. Mes propres vaisseaux vont poursuivre leur traque et attaqueront tout bâtiment ennemi s’ils en ont l’occasion. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Quoi que Boyens pût penser des événements et des messages qu’on lui adressait, il ne répondait toujours pas, et sa flottille se maintenait sur la même orbite proche du portail de l’hypernet.

De son côté, la kommodore Marphissa transmit à Geary plusieurs mises à jour l’informant tout d’abord de la trajectoire qu’elle avait imprimée à sa flottille pour intercepter les cinq vaisseaux Énigmas qui piquaient vers la géante gazeuse, puis des modifications qu’elle lui apporterait si besoin. Geary y répondit en lui suggérant de recourir à ses deux croiseurs lourds ; il s’efforça de ne pas faire sonner ces conseils comme des ordres mais l’exhorta fermement à agir. « La kommodore connaît son boulot, mais elle manque visiblement d’expérience, fit-il remarquer.

— Dans notre façon de combattre, corrigea Desjani. Voyez toutes ces mises à jour qu’elle ne cesse de vous envoyer. Dans le plus pur style syndic en matière de commandement et de contrôle. Mais elle ne se repose pas sur les ordres qu’elle reçoit. Ses solutions de manœuvre sont techniquement correctes, même si ce ne sont pas des œuvres d’art.

— Vous avez été trop gâtée par les Lousaraignes. » Commentaire qu’il ne se serait jamais attendu à faire.

« Et comment ! » La bouche de Desjani esquissa un rictus désabusé. « Nous allons assister à un combat entre les Syndics, ou les ex-Syndics, tout du moins, et une tierce partie. Je n’en ai encore jamais été témoin. Mais je dois vous prévenir : en me fondant sur ce que fait cette kommodore contre les Énigmas, je peux vous dire qu’avec ses seuls moyens elle serait bien infoutue de résister à la flottille de Boyens.

— Mais, selon vous, tenter de leur enseigner des rudiments de tactique serait toujours une erreur de ma part ?

— Oui, oui et oui. Est-ce assez clair ?

— Assurément. » Tant qu’il ne trouverait pas de bons arguments à lui opposer, Geary ne pourrait guère en débattre avec Tanya.

La flottille de la kommodore Marphissa n’opéra le contact avec les Énigmas que six heures plus tard : ses deux croiseurs lourds, six croiseurs légers et douze avisos se séparèrent juste avant l’interception afin de frapper les vaisseaux ennemis éparpillés. Deux d’entre eux furent mis hors de combat et un troisième assez rudement touché pour perdre le contrôle de ses manœuvres et dérailler de sa trajectoire en tournoyant sur lui-même.

La flottille se reforma alors partiellement, laissant trois de ses croiseurs légers se lancer aux trousses du bâtiment ennemi blessé tandis que ses autres bâtiments décrivaient vers le haut une boucle les ramenant dans le sillage des deux rescapés qui piquaient sur la géante gazeuse. En proie à un mélange de colère et de frustration, Geary vit finalement ces deux derniers vaisseaux larguer un bombardement cinétique sur le cuirassé et le chantier orbital avant de plonger puis de rebrousser chemin pour éviter leur interception par deux croiseurs lourds en provenance du secteur de la station.

« Trente-cinq minutes avant l’impact du bombardement cinétique sur l’installation orbitale et le…» Le lieutenant Castries s’interrompit net. « Hum… ils bougent. »

Geary loucha sur son écran. Le cuirassé avait allumé à régime partiel sa principale unité de propulsion, mais il restait arrimé à la station. « Il va la réduire en miettes. La station ne supportera jamais ce stress. »

Mais, alors qu’ils l’observaient, la propulsion du cuirassé continua de gronder sans pour autant le déchirer en deux ni arracher à l’ensemble une partie de la station. « Les vaisseaux du capitaine Smyth ne sont plus qu’à une heure-lumière derrière nous, constata Geary. Y a-t-il ici des ingénieurs qui sauraient nous expliquer ce que nous avons sous les yeux ?

— Ingénierie, j’ai besoin de quelqu’un ayant une expérience approfondie des capacités de résistance à la tension de grandes installations orbitales. Qu’il contacte sans délai la passerelle », ordonna Desjani.

Voir apparaître dans la minute qui suivit la robuste silhouette du maître principal Gioninni ne fut sans doute guère surprenant. « Oui, commandant ?

— Vous avez travaillé sur de grandes structures orbitales, chef ?

— J’ai travaillé un peu partout, commandant. Que vous faut-il ? »

Desjani montra les écrans. « Peuvent-ils réellement le faire ? »

Gioninni fixa en plissant les yeux le cuirassé qui s’acharnait à haler l’énorme installation. « Ils sont en train de le faire, commandant. Malgré tout, ils ne devraient pas en être capables. » Son visage se crispa de concentration. « Vous savez ce qui s’est passé, commandant ? Ils ont dû repérer les points de la structure où la tension serait la plus forte quand le cuirassé commencerait à remorquer la station et les renforcer avec des bidouillages.

— Ça leur serait possible ?

— Ils disposent de tout le matos nécessaire, commandant. C’est un chantier spatial. Bon, peut-être pas un gros machin faramineux comme ceux qu’on a dégagés à Sancerre, mais un chantier spatial malgré tout. Autant dire qu’ils ont l’équipement industriel et tous les matériaux requis sous la main. Il ne leur manquait que le temps.

— Ce bombardement n’a été déclenché qu’il y a dix minutes, fit remarquer Geary.

— Oui, amiral. Mais, là où elle est arrimée au cuirassé qui la remorque, ils n’ont démantelé aucune pièce de la station orbitale, de sorte qu’ils ont dû pressentir le coup et se sont sûrement mis au boulot il y a un bon moment.

— Merci, chef », dit Desjani.

Gioninni salua avec élégance puis son image s’évanouit.

« Les Énigmas sont apparus ici il y a environ vingt-quatre heures, si bien que les Syndics, ou les ex-Syndics, de ce chantier spatial n’ont disposé que d’une seule journée pour comprendre qu’ils devaient impérativement le déplacer puis s’atteler à la tâche. Quelqu’un a fait preuve d’une grande pénétration et d’un bel esprit d’initiative.

— Ce qui est splendide chez un officier de l’Alliance mais beaucoup moins chez un Syndic, laissa tomber Desjani. Peuvent-ils déplacer suffisamment ce machin pour esquiver les cailloux, lieutenant Castries ?

— Il vient à peine de commencer à bouger, répondit Castries. Nos systèmes doivent d’abord évaluer sa masse puis la poussée dont est capable le cuirassé. La marge d’incertitude est grande, amiral.

— Si je comprends bien, votre réponse est “peut-être” ? lâcha Geary.

— En effet, amiral. Mais “peut-être” parviendra-t-on à le calculer à la septième décimale près.

— Commandant, le bombardement Énigma vise les positions où se seraient trouvés le chantier spatial et le cuirassé si aucun n’avait pu se déplacer, avança le lieutenant Yuon. Nous autres nous servons de grilles assez lâches pour nous assurer que certains des cailloux au moins frapperont leurs cibles, mais celles des Énigmas sont plus resserrées. Ce qui, si le cuirassé et le chantier spatial restaient fixes, devrait garantir leur anéantissement, mais signifie aussi qu’ils n’auront pas beaucoup à bouger pour éviter les cailloux.

— Quinze minutes avant impact s’ils n’y arrivent pas », précisa Castries.

Une certaine effervescence régna tout d’abord : les deux survivants du plus petit groupe d’Énigmas tentaient d’échapper non seulement à la flottille de la kommodore Marphissa mais aussi aux vaisseaux de Geary qui les traquaient encore. Ils réussirent à esquiver les Syndics, mais, cerné par plusieurs bâtiments de la flotte, l’un des deux vola en éclats. L’autre continua de filer vers le point de saut au maximum de son accélération, plantant de nouveau ses poursuivants derrière lui, trop loin pour qu’ils pussent le rattraper.

Ne restait plus, en train de se jouer présentement, que le seul drame du bombardement imminent. Geary avait l’habitude de voir des vaisseaux se déplacer à des milliers de kilomètres par seconde, mais, là, il regardait le cuirassé s’échiner pour tramer sur quelque deux kilomètres en une quinzaine de minutes un chantier naval beaucoup plus massif. Ça ressemblait à cette vieille blague où quelqu’un déclare qu’il regarde sécher la peinture du mur, sauf que, en l’occurrence, un effroyable fléau destructeur menaçait de fondre sur ce mur, tandis que, pas à pas, à une allure d’escargot, l’installation orbitale prenait péniblement de la vitesse et que les minutes filaient.

« Ils pourraient réussir, affirma Castries quand il n’en resta plus que cinq. Mais ce sera d’un cheveu. »

Ce qui se vérifia : les cailloux frôlèrent cuirassé et station orbitale sans causer aucun dégât, ricochèrent sur les couches supérieures de l’atmosphère de la géante gazeuse puis, éparpillés, poursuivirent leur chemin, leurs trajectoires respectives désormais déviées par les rebonds.

« Selon les senseurs, le plus proche est passé à cinq cents mètres, rapporta le lieutenant Yuon. Marge d’erreur de plus ou moins cent mètres.

— Leurs ancêtres devaient veiller sur eux, conclut Desjani. N’oubliez pas cette leçon, lieutenant. Quand on projette des cailloux sur un objet spatial, peu importe qu’on le rate d’un mètre ou d’un kilomètre. Ça reste un coup manqué qui n’inquiète en aucun cas la cible. »

Le cuirassé neuf avait coupé sa propulsion principale et, maintenant, les propulseurs de position beaucoup moins puissants de l’installation orbitale s’activaient pour graduellement freiner sa progression et l’installer sur une nouvelle orbite fixe, légèrement plus éloignée de la géante gazeuse mais pas d’une distance significative, sinon pour les cailloux qui viseraient son ancienne position.

Restaient les quatorze vaisseaux Énigmas qui filaient toujours vers le portail de l’hypernet, mais ceux-là assistèrent au bombardement manqué de l’installation orbitale une heure et demie plus tard, et, manifestement, ce fut pour eux la fin des haricots. Ils se lancèrent aussitôt dans des manœuvres dont aucun vaisseau humain n’était capable. Les forces de Geary réussirent néanmoins à en abattre un, davantage sur un coup de chance que par adresse, puis à en toucher assez durement un autre pour le contraindre à s’autodétruire. « S’ils continuent à se livrer à cette danse de Saint-Guy, on n’aura une petite chance de liquider les derniers que si vous lâchez quelques-uns des vaisseaux d’Armus.

— Non. » Geary éprouvait non seulement une grande lassitude, liée à toutes les pertes humaines de cette journée, mais aussi une inquiétude taraudante lui soufflant que les fuyards Énigmas risquaient encore de tenter d’éperonner tout vaisseau qui s’approcherait un peu trop. Perdre un ou plusieurs bâtiments pour éliminer quelques Énigmas de plus, c’était selon lui, compte tenu de la débâcle qu’il venait déjà de leur infliger, prendre un bien gros risque pour pas grand-chose.

Près du portail de l’hypernet, la flottille du commandant en chef Boyens n’avait toujours pas bronché.

Desjani le vit la fixer d’un œil noir. « Boyens a dû se dire qu’il valait mieux épargner quelques égratignures à ses vaisseaux, lâcha-t-elle.

— Peut-être était-ce plus malin à court terme, rétorqua Geary. Mais, sur le long terme, ça m’a mis la puce à l’oreille, même si je m’attendais plus ou moins à une telle réaction de sa part. Il va maintenant avoir affaire à moi. Je sais que les gens qui dirigent à présent ce système stellaire sont eux aussi d’anciens cadres syndics, mais ils ont envoyé leurs vaisseaux au casse-pipe quand lui s’est contenté d’observer comment ça tournait.

— J’ai hâte d’écouter le premier message qu’il nous adressera. Et la réponse que vous lui servirez. Oh, félicitations, au fait !

— Pour quoi ? » L’espace d’une seconde, il ne comprit franchement pas à quoi elle faisait allusion.

« Euh… pour cette victoire ? Pour avoir sauvé ce système ? Je suggère que vous détachiez quelques-uns des croiseurs lourds et destroyers d’Armus pour filer ces Énigmas rescapés au cas où il leur viendrait encore des idées avant d’atteindre le point de saut. Mais j’ai la conviction que les vivantes étoiles elles-mêmes ne me trouveront pas trop présomptueuse de vous présenter déjà mes compliments.

— Merci, Tanya. » Geary ne se sentait guère d’humeur à triompher. En regardant s’enfuir les Énigmas survivants, il ne ressentait que lassitude et épuisement.

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