J'écris de moins en moins. Je lis de moins en moins. Je reste parfois avachi dans mon canapé cinq heures d'affilée devant la télévision, sous une couverture, le chat posé sur mes genoux en train de ronronner. Je ne regarde même pas une émission en particulier. Je zappe.
Mon emploi de serveur suffit à subvenir à mes besoins. De toute façon, je ne coûte pas cher. Je me nourris de bols de pâtes déshydratées qui regonflent quand on verse de l'eau bouillante dessus.
Mona Lisa II est ravie que je regarde la télévision. Elle est persuadée de m'avoir montré la voie de la sagesse.
Je crois qu'avec Les Rats, j'ai écrit un bon livre. Mais si les éditeurs sont incapables de s'en rendre compte, c'est comme si je n'avais rien fait, alors autant ne rien faire pour de bon.
Au rythme où je grossis, avec mes pâtes, je ne vais pas tarder à me transformer en «Mona Lisa humain». Par paresse de me raser, je me laisse pousser la barbe.
Peu à peu, zappant toujours, je descends dans la hiérarchie des programmes. Des informations, je passe aux films, des films aux téléfilms, puis aux séries, puis aux sitcoms, puis à ces abominables jeux d'«érudition» du matin où deux candidats s'affrontent en tentant de répondre le plus vite possible à des questions nulles du genre: «Quelle est la nourriture préférée des chiens?»
Moi, je me fiche des chiens, j'ai un chat, mais je regarde quand même.
Je pense que je peux continuer à vivre comme ça pendant quarante ans. J'ai renoncé. Et pourtant, un jour, une émission me fait réagir.
C'est une émission littéraire. L'émission hebdomadaire littéraire de référence. D'ordinaire je l'ignore, mais aujourd'hui je suis saisi d'un attrait morbide.
Thème de l'émission: l'amour. Premier invité, un vieil acteur qui a connu son heure de gloire. Il égrène ses souvenirs et énumère, la mine coquine, les comédiennes qu'il a comme il dit «honorées». Le présentateur, la mine tout aussi égrillarde, plaisante et renchérit dans les allusions grivoises.
Deuxième invité: un jeune type de mon âge. Auguste Mérignac, annonce le présentateur. Beau gosse. Bien habillé. Sourire décontracté. Il publie un roman autobiographique dont le héros se prénomme, comme par hasard, Auguste, lequel a pour particularité de rendre toutes les femmes folles de lui. Après quelques anecdotes libertines, Auguste Mérignac signale qu'il est un passionné de l'amour et que c'est le sens de toute son œuvre littéraire.
Troisième invité: une dame, masque de velours, talons aiguilles de quinze centimètres, bouche rouge sang. Elle est sous-maîtresse dans une «maison» sado-masochiste très fréquentée et souhaite donc conserver l'anonymat. La plupart de ses clients sont des gens très en vue, dit-elle, hommes politiques, personnalités du show-biz, grands industriels. Parce qu'ils terrorisent leur entourage, ils adorent être à leur tour dominés. La dame décrit les supplices qu'elle leur réserve et explique être blasée quant aux exigences extravagantes des stars.
Dernier invité: un sexologue, venu apporter le point de vue du savant. Les humains sont motivés par leurs hormones, assure-t-il, et il cite quelques fantasmes farfelus rencontrés dans l'exercice de sa profession. Un individu contraint de se déguiser en reine d'Angleterre pour parvenir à jouir, une femme qui avait besoin de dix partenaires différents pour atteindre l'orgasme, plus diverses célébrités (qu'il préfère ne pas citer) incapables d'assouvir leurs passions sans l'aide d'animaux, de légumes ou d'objets divers ou dans des lieux des plus étranges.
J'éteins le téléviseur en proie à un malaise. Pas la moindre histoire issue de l'imaginaire, pas le moindre personnage inventé, pas le moindre suspense. Voilà pourquoi mes rats n'intéressent personne.
Je me suis complètement fourvoyé dans ce métier. Je décide de cesser complètement d'écrire. Je fais mon deuil de l'écriture. Je serai serveur de restaurant et téléspectateur, et ce sera largement suffisant.