Mon corps remodelé par la chirurgie esthétique, je l'ai reconstruit comme on restaure une voiture d'occasion. J'ai refait la carrosserie, le moteur, le tableau de bord… J'ai repris forme. J'étale en permanence des crèmes-et des pommades sur mon ventre, mes cuisses, mes fesses. Je redeviens sportive: natation, jogging, stretching. Peu à peu, je reprends aussi la maîtrise de mon appétit.
Et puis, j'ai retrouvé le chemin des studios de photo. J'ai recommencé avec des campagnes pour des produits alimentaires divers, puis sont revenus les vêtements et les jeans et, enfin! la haute couture. Le parcours classique des top-models.
Ce retour m'a lancée plus haut, plus loin que mes premières tentatives. La descente aux abîmes qui a suivi mes succès initiaux m'a rendue plus forte. Je ne me laisse plus marcher sur les pieds. J'ai appris à me faire respecter.
Pour petit ami, j'ai élu un mannequin homme. Bien que nous pratiquions le même métier, lui, il n'assume pas. Il a honte de poser et de défiler. Esteban proclame qu'il fait ça «en attendant».
Je l'ai choisi sur sa seule beauté physique. Il est très décoratif, dans le genre «latino». Je lui ai laissé entendre que dès que je serais lasse de lui, je le recracherais comme un noyau de cerise. Loin de le repousser, cette perspective me l'attache encore davantage. «Ah, Venous, toi seule tou mé comprends…» Les hommes sont si faciles à manipuler. Il me semble avoir saisi comment ils fonctionnent. Il suffit qu'une femme ne dépende pas d'eux pour qu'ils aient envie de dépendre d'elle.
Esteban, au lit, c'est un athlète avide de remporter la course. Il se donne un mal fou. Je le soupçonne même d'user de produits dopants. Tout ça pour mon plaisir! Au début, j'ai cherché à le rassurer, mais j'ai vite compris qu'au contraire mieux valait le laisser à son incertitude. Je lui en réclame toujours plus, et il aime ça.
Je le mérite bien, après tout. J'ai dix-sept ans et demi et je suis sublime.
Pour me détendre de l'ambiance des plateaux, je me suis mise à fumer. La cigarette m'aide à décompresser et le besoin de nicotine m'oblige à m'aménager des moments de détente. Elle réconcilie aussi. Maman fume également. Il n'y a que lorsque nous fumons toutes les deux, que nous nous proposons tour à tour le briquet, que nous ne nous disputons pas.
Maman m'aime, je le sais, et pourtant je sens qu'au fond d'elle-même elle me reproche le départ de papa. Toutes ses autres histoires de cœur, depuis, ont tourné à la catastrophe. On dirait qu'à peine elle a jeté son dévolu sur quelqu'un qu'elle se prépare à affronter l'échec. Ses compagnons s'en rendent sûrement compte et ça les crispe.
Il faut que je me libère de son influence. En plus, quand je vois sa trajectoire professionnelle, il y a de quoi être déprimée. Dans le métier, maman est déjà considérée comme une «vieille». Elle n'est plus demandée que pour des catalogues de vente par correspondance.
À la maison, elle s'est mise à carburer au whisky en visionnant des cassettes de films d'horreur. Mauvais trip.
J'ai compris les règles du métier, je crois. On monte vite et on descend vite, mais plus on monte haut, plus on a de chances de ne pas redescendre.
Il faut que je monte très haut. Il faut que je devienne Miss Univers. Avec le titre, je gagnerai en même temps un passeport à vie pour les meilleures agences de top-models et pour tous les types qu'il me plaira d'utiliser.
Je surveille de très près mon alimentation. Je mange beaucoup de légumes pour les fibres, beaucoup de fruits pour la souplesse de ma peau et puis je bois beaucoup d'eau minérale pour drainer les sucres et les graisses.