Miller baissa les yeux sur l’homme qu’il venait de tuer et essaya d’éprouver quelque chose. Il y avait les restes de l’afflux d’adrénaline qui augmentaient encore son rythme cardiaque. Il y avait ce sentiment de surprise pour être tombé en plein dans une fusillade inattendue. Mais en dehors de cela, son esprit modelé par une vieille habitude était déjà revenu à l’analyse. Une seule complice dans le hall, afin qu’Holden et son équipage ne détectent rien de trop menaçant. Une poignée de lourdauds à la gâchette facile dans la cage d’escalier pour l’épauler. Cette partie du piège avait bien fonctionné.
Mais l’ensemble sentait l’improvisation. Ceux qui avaient tendu l’embuscade ne savaient pas y faire, ou bien ils n’avaient pas disposé du temps et des ressources nécessaires pour agir dans les règles de l’art. Si le tout n’avait pas été improvisé, Holden et les trois autres auraient été capturés, ou tués. Et lui avec eux.
Les survivants du Canterbury se tenaient au milieu des destructions qu’avait laissées la fusillade comme des bleus lors de leur première arrestation. Miller sentit son esprit revenir en arrière tandis qu’il observait tout sans rien regarder en particulier. Holden était moins grand qu’il l’avait pensé d’après les vidéos. Le décalage n’aurait pas dû l’étonner : c’était un Terrien. Le visage de l’homme était de ceux qui ont du mal à dissimuler leurs émotions.
— Merci. Je m’appelle Jim Holden. Vous êtes ?
Miller envisagea six réponses différentes et les écarta toutes. Un des autres – un grand gaillard solide, au crâne rasé – arpentait le hall comme pour le mesurer. Il avait le regard aussi flou qu’Holden. Des quatre, c’était le seul qui avait déjà connu des accrochages sérieux avec des armes à feu.
— Les flics vont rappliquer d’ici peu. Il faut que je contacte quelqu’un, sinon nous irons tous en taule.
Le dernier homme était plus mince, plus grand aussi. Originaire des Indes orientales d’après son apparence. Il s’était abrité derrière un des canapés. À présent il se tenait accroupi, les yeux écarquillés par le choc. Holden avait un peu la même expression, mais il se contrôlait mieux. Le fardeau du chef.
— Vous n’êtes pas flic ?
Miller rit.
— Non. Moi, c’est Miller.
— Ces gens-là viennent de tenter de nous tuer, dit la femme. Pourquoi ont-ils fait ça ?
Holden fit un demi-pas en direction de la voix avant même de se tourner vers elle. Elle avait le visage empourpré, et ses lèvres naturellement pleines étaient maintenant pincées et pâles. Ses traits montraient un mélange racial étendu qui était peu commun, même dans le melting-pot ceinturien. Ses mains ne tremblaient pas. Le grand type chauve était le plus expérimenté, mais Miller estima que la femme possédait l’instinct le plus sûr.
— Ouais, fit-il. J’ai remarqué.
Il sortit son terminal de poche et ouvrit un lien avec Sematimba. Le flic l’accepta après quelques secondes.
— Semi, je suis vraiment désolé, mais tu te souviens de ce que je t’ai dit, à propos de jouer profil bas ?
— Oui ? dit le policier en étirant le mot comme s’il comportait trois syllabes.
— Ça n’a pas marché. J’allais rencontrer un ami…
— Une rencontre avec un ami, répéta Sematimba.
Miller l’imagina bras croisés, alors même qu’il ne le voyait pas sur l’écran.
— Et je suis tombé sur un groupe de touristes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Les choses ont un peu dégénéré.
— Où es-tu ?
Miller lui donna le niveau de la station et l’adresse. Il y eut un long silence pendant que Sematimba consultait un quelconque programme de communication interne similaire à ceux dont il avait disposé autrefois. Le soupir que poussa son ex-collègue fut percutant.
— Je ne vois rien. Des coups de feu ont été tirés ?
Miller regarda le chaos autour d’eux. Un petit millier d’alarmes auraient dû se déclencher dès la première détonation. Les forces de sécurité auraient déjà dû grouiller.
— Quelques-uns, répondit-il.
— Bizarre, fit Sematimba. Ne bouge pas. J’arrive.
— Compris, dit Miller avant de couper.
— Bon, dit Holden, c’était qui ?
— Les vrais flics. Ils seront bientôt là. Tout se passera bien.
Enfin, je pense que tout se passera bien. Il lui vint à l’esprit qu’il traitait la situation comme s’il faisait toujours partie des forces de l’ordre, qu’il appartenait toujours à la grande machine. Ce n’était plus vrai, et prétendre le contraire risquait d’avoir des conséquences.
— Il nous a suivis, dit la femme à Holden, avant de se tourner vers Miller. Vous nous avez suivis.
— Exact.
Il ne pensait pas donner l’impression de le regretter, mais le grand type secoua la tête.
— C’est le chapeau, dit-il. Pas commun.
Miller ôta son feutre et l’examina. Bien sûr, le chauve avait été celui qui l’avait repéré. Les trois autres étaient des amateurs compétents, et Miller savait qu’Holden avait servi un temps dans la Flotte des Nations unies. Mais il aurait parié que le passé du chauve était plus intéressant.
— Pourquoi nous avez-vous suivis ? demanda Holden. Je veux dire, j’apprécie que vous ayez tiré sur les gens qui nous prenaient pour cible, mais j’aimerais quand même avoir une réponse à la question.
— Je voulais vous parler, dit Miller. Je recherche quelqu’un.
Il y eut un moment de silence. Holden sourit.
— Quelqu’un en particulier ?
— Un membre d’équipage du Scopuli, répondit Miller.
— Le Scopuli ?
Le regard d’Holden glissa vers la femme, mais il se reprit. C’était un signe. Le Scopuli avait pour lui une signification différente de ce que Miller avait appris aux infos.
— Il n’y avait personne à bord quand nous y sommes montés, dit la femme.
— Bordel de merde, fit l’homme apeuré derrière le canapé.
C’étaient les premiers mots qu’il prononçait depuis la fin de la fusillade, et il les répéta cinq ou six fois, très vite.
— Et vous ? dit Miller. Le Donnager vous a propulsés jusqu’à Tycho, et maintenant ici. Que se passe-t-il ?
— Comment êtes-vous au courant ? demanda Holden.
— Ça fait partie de mon boulot. Enfin, ça en faisait partie.
La réponse ne parut pas satisfaire le Terrien. Le grand type était venu se placer derrière lui, et son expression transmettait un message amical : pas de problème avec lui, à moins que quelqu’un en crée, et alors le problème risquait d’être de taille. Miller accusa réception d’un petit signe de tête, à moitié pour le grand type, à moitié pour lui-même.
— Un contact au sein de l’APE m’a dit que vous n’aviez pas péri à bord du Donnager, expliqua-t-il.
— On vous a simplement dit ça ? intervint la femme, qui contenait mal son indignation.
— C’était juste une remarque de sa part. Quoi qu’il en soit, c’est de là que je suis parti. Et d’ici dix minutes, je vais faire en sorte que les forces de sécurité d’Éros ne vous jettent pas tous au trou, et moi avec vous. Alors s’il y a quelque chose que vous voulez me dire, par exemple ce que vous fabriquez ici, c’est le moment.
Le silence n’était troublé que par le son des recycleurs d’air qui peinaient à évacuer la fumée et la poussière. Le gars secoué se mit debout. Il y avait dans son maintien quelque chose de l’ancien militaire. Mais pas un ex-rampant. La Flotte, peut-être. Martienne, pourquoi pas ? Il avait le phrasé que certains affectaient.
— Ah, et puis merde, chef, dit le costaud. Il a descendu le salopard qui essayait de nous prendre à revers. C’est peut-être un trou-du-cul, mais pour moi il est correct.
— Merci, Amos, répondit Holden.
Miller enregistra l’information : le grand type s’appelait Amos. Holden passa les mains dans son dos et coinça son arme sous la ceinture, au creux de ses reins.
— Nous sommes ici parce que nous cherchons quelqu’un, nous aussi, dit-il. Sans doute quelqu’un du Scopuli. Nous étions en train de vérifier le numéro de la chambre quand tout le monde a décidé de nous tirer dessus.
Quelque chose comme une émotion envahit les veines de Miller. Pas l’espoir, mais la crainte.
— Ici ? dit-il. Quelqu’un qui était à bord du Scopuli se trouve dans ce trou en ce moment même ?
— C’est ce que nous pensons, répondit Holden.
Miller se retourna vers la double porte d’entrée de l’hôtel. Une petite foule de curieux se massait déjà dans le tunnel. Des bras croisés, des regards nerveux. Il savait ce qu’ils ressentaient. Sematimba et sa police étaient en chemin. Les assaillants d’Holden et de son équipage ne préparaient pas une autre attaque, mais rien ne prouvait qu’ils étaient partis. Il risquait d’y avoir une deuxième manche. Ils avaient très bien pu se replier sur une position plus solide pour guetter la venue d’Holden.
Et si Julie se trouvait dans l’hôtel en ce moment ? Comment pouvait-il être arrivé aussi loin et s’arrêter dans le hall ? Il nota avec étonnement qu’il avait toujours son arme à la main. Ce n’était pas professionnel. Il aurait dû la rengainer. Le seul autre dans la même situation était le Martien. Miller fit la grimace. Il devenait négligent. Il fallait que cela cesse.
Mais il lui restait un demi-chargeur.
— Quelle chambre ? demanda-t-il.
Les couloirs de l’hôtel étaient étroits. Les murs avaient le luisant des peintures imperméabilisantes utilisées dans les entrepôts, et la moquette en silice et carbone tressés s’userait plus lentement que la pierre nue. Miller et Holden passèrent en premier, suivis de la femme et du Martien – Naomi et Alex, tels étaient leurs noms – et enfin d’Amos, qui fermait la marche et surveillait fréquemment leurs arrières. Miller se demanda si les autres étaient conscients qu’avec cette disposition Amos et lui assuraient leur sécurité. Holden semblait le sentir et s’en irriter. Il essayait continuellement de le dépasser.
Les portes des chambres étaient toutes d’un modèle identique, en feuilles superposées de fibre de verre assez fines pour être produites très vite en milliers d’exemplaires. Miller en avait enfoncé quelques centaines au cours de sa carrière. Ici et là, certaines étaient personnalisées par des résidents de longue date – une peinture représentant des fleurs rouges improbables, un tableau avec une ficelle auquel un crayon avait naguère été attaché, une mauvaise reproduction d’un dessin animé obscène et mal éclairé qui répétait en boucle la même chute.
Sur un plan tactique, c’était un cauchemar. Si des forces en embuscade jaillissaient des chambres situées devant et derrière eux, ils seraient massacrés tous les cinq en quelques secondes. Mais aucune balle ne siffla dans l’air, et la seule porte qui s’ouvrit régurgita un homme émacié à la longue barbe, aux yeux atteints de strabisme et aux lèvres molles. Miller le salua d’un mouvement de tête quand il le dépassa, et l’autre répondit de même, certainement plus étonné par le fait que quelqu’un entérine sa présence que par les pistolets braqués. Holden fit halte.
— C’est là, chuchota-t-il. Cette chambre.
Miller acquiesça. Les autres se regroupèrent. Amos resta un peu en arrière, les yeux fixés sur le couloir derrière eux. La porte serait facile à enfoncer. Un bon coup de pied juste au-dessus de la serrure. Ensuite il pourrait entrer en se baissant et aller à droite, tandis qu’Amos prendrait sur la gauche en position haute. Il aurait aimé avoir Havelock avec lui. Ce genre de tactique était plus simple à effectuer avec des gens entraînés ensemble. Il fit signe au grand chauve d’approcher.
Holden frappa à la porte.
— Qu’est-ce que…, murmura Miller entre ses dents, mais l’autre l’ignora et lança :
— Eh, il y a quelqu’un ?
Miller se tendit. Rien ne se produisit. Pas de voix, pas de détonation. Rien. Holden semblait parfaitement à son aise, malgré le risque insensé qu’il venait de prendre. À l’expression de Naomi, Miller comprit que ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte.
— Vous voulez que je l’ouvre ? dit Amos.
— Ce serait bien, oui, fit Miller.
— Ouais, défoncez-la, dit Holden en même temps.
Le regard d’Amos passa de l’un à l’autre, et il ne bougea que lorsqu’Holden l’y autorisa d’un signe. Alors il se glissa devant eux, ouvrit la porte d’un coup de pied et recula en vacillant et en jurant.
— Ça va ? demanda Miller.
Le gaillard grimaça.
— Ouais. Je me suis pété la jambe il n’y a pas très longtemps. On vient tout juste de me retirer le plâtre. J’oublie tout le temps.
Miller se retourna vers la chambre. Elle était plongée dans une obscurité complète. Aucune lumière, pas même la faible lueur de moniteurs ou de systèmes à senseurs. Le pistolet braqué, il entra. Holden venait juste derrière lui. Sous leurs pieds, le sol émit un son de gravier qu’on foule, et ils décelèrent une curieuse odeur astringente que l’ex-inspecteur associa à des écrans brisés. Elle couvrait une autre senteur, beaucoup moins plaisante, celle-là. Il préféra ne pas réfléchir à son origine.
— Eh ! Il y a quelqu’un ? dit-il.
— Allumez, conseilla Naomi derrière eux.
Il entendit Holden tapoter le panneau de commande mural, mais aucun éclairage ne s’activa.
— Hors service, fit Holden.
La faible clarté venue du couloir ne révélait presque rien. Miller gardait son arme pointée, prêt à la vider sur les éclairs jaillis d’un canon si quelqu’un ouvrait le feu depuis les ténèbres devant eux. De sa main libre, il sortit son terminal, enclencha le rétroéclairage et ouvrit une page blanche. La pièce fut aussitôt baignée d’une lueur grisâtre. À côté de lui, Holden fit la même chose.
Un lit étroit contre un mur, un plateau à côté. Les draps étaient en désordre comme après une nuit agitée. Une penderie ouverte, vide. La forme boursouflée d’une combinaison pressurisée gisait sur le sol tel un mannequin à la tête mal placée. Une vieille console de jeu était accrochée au mur face au lit, son écran fendillé par les étoiles d’une demi-douzaine d’impacts. Le mur était piqueté de trous là où les coups destinés à briser les appliques avaient raté leur cible. Un autre terminal de poche ajouta son éclairage, puis un autre. Les couleurs commencèrent à apparaître dans la pièce : la peinture dorée des murs, le vert des couvertures et des draps. Sous le lit, quelque chose renvoya un éclat de lumière. Un terminal, d’un modèle déjà ancien. Miller s’accroupit alors que les autres s’approchaient.
— Merde, souffla Amos.
— Bon, personne ne touche à rien, ordonna Holden. À rien. Point.
C’était la chose la plus sensée que Miller l’ait entendu dire.
— Quelqu’un a livré un putain de combat ici, marmonna Amos.
— Non, fit Miller.
Il s’agissait peut-être de vandalisme, mais il n’y avait pas eu de lutte. Il sortit de sa poche un sac en plastique très fin pour les mises sous scellés et le retourna sur sa main pour en faire un gant de fortune, puis il ramassa le terminal, retroussa le sac dessus et le ferma.
— C’est… du sang ? demanda Naomi en pointant le doigt sur le matelas en mousse de mauvaise qualité. Des traînées humides s’étiraient sur le drap et l’oreiller. Leur largeur n’excédait pas celle d’un doigt, mais elles étaient sombres. Trop sombres même pour du sang.
— Non, dit encore Miller, qui empocha le terminal.
Le fluide traçait un mince chemin vers la salle de bains. Miller leva la main pour tenir les autres à l’écart pendant qu’il s’avançait sans bruit vers la porte entrouverte. L’odeur désagréable était de plus en plus forte. Quelque chose d’organique, d’intime, qui évoquait tout à la fois du fumier dans une serre, les senteurs qui suivent les ébats amoureux, et un abattoir. Les toilettes étaient en acier brossé, du même modèle que celui réglementaire en prison. Le lavabo était coordonné. L’éclairage aux LED au-dessus et le plafonnier avaient été détruits. Révélées par la seule lumière de son terminal pareille à la lueur d’une chandelle, des vrilles noires sortaient de la cabine de douche et s’étendaient vers les appareils d’éclairage, en se courbant et se ramifiant comme des branches squelettiques.
Dans la douche, Juliette Andromeda Mao gisait, morte.
Ses yeux étaient clos, et c’était mieux ainsi. Elle s’était coupé les cheveux différemment depuis les photos que Miller avait vues, et cela modifiait la forme de son visage, mais il était impossible de ne pas la reconnaître. Elle était nue, et à peine humaine. Des boucles d’une excroissance complexe se déversaient de sa bouche, de ses yeux et de son sexe. Ses côtes et sa colonne vertébrale avaient développé des excroissances pareilles à des couteaux qui tendaient sa peau pâle, prêts à la fendre pour se libérer. Des tubes s’étiraient depuis son dos et sa gorge pour aller ramper sur les murs derrière elle. Une substance poisseuse d’un brun sombre s’était écoulée de son corps et emplissait le bassin de la douche sur presque trois centimètres d’épaisseur. Miller s’accroupit en silence. Il souhaitait de toutes ses forces que ce qu’il avait devant lui ne soit pas la réalité, et en même temps il se faisait violence pour affronter la situation.
Qu’est-ce qu’on t’a fait ? songea-t-il. Oh, petite, qu’est-ce qu’on t’a fait ?
— Oh, mon Dieu, souffla Naomi derrière lui.
— Ne touchez à rien, fit-il. Sortez de la chambre. Dans le couloir. Tout de suite.
La lumière déserta la pièce quand les terminaux s’éloignèrent, et les ombres dansantes parèrent momentanément le cadavre d’une illusion de mouvement. Miller attendit, mais aucune respiration ne souleva la cage thoracique déformée. Aucun tressaillement ne toucha les paupières. Il n’y avait rien. Il se releva, en prenant soin de ne pas souiller ses chaussures et ses poignets, et sortit dans le couloir.
Ils l’avaient tous vue. Il le sut à leur expression, ils avaient tous vu. Et pas plus que lui ils ne pouvaient dire ce que c’était. Il referma doucement le panneau fendu de la porte et attendit Sematimba. Ce ne fut pas long.
Cinq hommes en tenue antiémeute et armés de fusils à pompe apparurent dans le couloir. Il alla à leur rencontre, et sa façon de marcher valait mieux qu’un badge. Il les vit se détendre. Sematimba arriva dans leur sillage.
— Miller ? dit-il. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Tu n’avais pas dit que tu ne bougeais pas ?
— Je ne suis pas parti. Les gens derrière moi sont des civils. Les types morts en bas leur sont tombés dessus dans le hall.
— Pour quelle raison ? demanda Sematimba.
— Va savoir. Pour les dépouiller de leur argent, peut-être. Mais là n’est pas le problème.
Sematimba ne cacha pas son étonnement.
— J’ai quatre corps au rez-de-chaussée, et ce n’est pas un problème ?
D’un mouvement de tête, Miller désigna le couloir derrière lui.
— Le cinquième cadavre est là-bas. C’est celui de la fille que je recherchais.
L’expression de Sematimba s’adoucit.
— Je suis désolé, dit-il.
— Non.
Miller ne pouvait pas accepter de marque de sympathie. Il ne pouvait pas accepter de réconfort. Toute gentillesse risquait de le briser, et c’est pourquoi il restait fermé.
— Mais pour celle-là, tu vas vouloir faire venir le médecin légiste.
— C’est moche à ce point ?
— Tu n’as pas idée. Écoute, Semi. Tout ça me dépasse. Sérieusement. Ces types, en bas, avec les flingues ? S’ils n’étaient pas en cheville avec vos forces de sécurité, les alarmes se seraient déclenchées dès le premier coup de feu. Tu sais bien que c’était un coup monté. Ils attendaient la venue de ces quatre-là. Et tu sais quoi ? Le type trapu aux cheveux bruns. C’est James Holden. Il n’est même pas supposé être encore en vie.
— Le Holden par qui la guerre est arrivée ?
— En personne. Toute cette affaire plonge profond. Très profond. Au point qu’on ne sait pas si on pourra remonter à la surface.
Sematimba scruta le couloir.
— Laisse-moi t’aider, dit-il.
Miller secoua la tête.
— Non, je suis déjà allé trop loin. Oublie-moi. Voilà ce qui s’est passé : tu as reçu un appel, tu as trouvé cet endroit. Tu ne me connais pas, tu ne les connais pas, tu n’as aucune idée de ce qui a bien pu se passer ici. Ou bien tu viens avec moi, et tu plonges aussi. Au risque de te noyer. À toi de voir.
— Tu ne quittes pas la station sans me prévenir, d’accord ?
— D’accord.
— Alors je pourrai vivre avec ça, déclara Sematimba avant d’ajouter, un moment plus tard : C’est vraiment Holden ?
— Appelle le médecin légiste, dit Miller. Fais-moi confiance.