40 Miller

Oï, Pampaw, dit l’enfant dans le siège anti-crash à droite de Miller. Joint pété, et toi bang, hein ?

La tenue de combat renforcée qu’il portait était gris-vert, avec des jointures articulées à pression aux articulations et des bandes en travers des plaques frontales, là où un couteau ou une salve de fléchettes avait entamé la finition. Derrière la visière, le gamin avait peut-être quinze ans. Ses gestes trahissaient une jeunesse passée dans des combinaisons pressurisées, et son discours était du pur créole de la Ceinture.

— Ouais, dit Miller en levant son bras. Je viens de passer par une période assez remuante. Mais ça va bien.

— Bien, c’est aussi bien que mieux, dit le garçon. Mais tu t’en tiens au foca, et neto tu peux passer l’air ailleurs, hein ?

Personne sur Mars ou sur Terre n’aurait la moindre idée de ce que tu racontes, pensa Miller. Merde, la moitié des gens sur Cérès seraient gênés par un accent aussi prononcé. Pas étonnant que ça ne les gêne pas de vous tuer.

— Ça me va, dit-il. Tu passes en premier, et j’essayerai d’empêcher qu’on te tire dans le dos.

Le gamin lui sourit. Miller en avait vu des milliers comme lui. Des garçons qui se débattaient dans les affres de l’adolescence, assumant la pulsion normale à cet âge de prendre des risques et d’impressionner les filles, mais dans le même temps ils vivaient dans la Ceinture, là où une mauvaise décision pouvait signifier la mort. Il en avait vu des milliers. Il en avait arrêté des centaines. Il en avait vu quelques-uns finir dans des sacs antiradiations.

Il se pencha en avant pour regarder les longues rangées de sièges anti-crash qui couraient dans les entrailles du Guy Molinari. Il estimait leur nombre entre quatre-vingt-dix et cent. D’ici à l’heure du dîner, il y avait donc des chances pour qu’il en voie mourir deux douzaines de plus.

— Comment tu t’appelles, gamin ?

— Diogo.

— Miller, dit-il en tendant la main.

La tenue de combat martienne de qualité supérieure qu’il avait prise à bord du Rossinante permit à ses doigts de jouer beaucoup mieux que ceux du garçon.

En vérité, il n’était pas en état de participer à cet assaut. En plus de ces accès nauséeux inexplicables auxquels il était toujours sujet, son bras le faisait souffrir dès que le taux de médication dans son organisme commençait à s’amenuiser. Mais il savait se servir d’une arme, et il en savait certainement plus sur les combats couloir après couloir que les neuf dixièmes des arpenteurs d’astéroïdes et traqueurs de minerais comme Diogo qui allaient débarquer. Il faudrait faire avec.

Le système d’annonces du vaisseau s’alluma :

— Ici Fred. Le soutien aérien vient de nous contacter, et nous bénéficierons d’une brèche dans dix minutes. Les dernières vérifications commencent maintenant, vous tous.

Miller se laissa aller dans son siège. Les clics et les bruissements d’une centaine de tenues de combat renforcées, de cent armes de poing, cent fusils d’assaut emplirent l’air. Il avait vécu de tels instants assez souvent pour ne pas céder une fois encore à ce rituel.

Dans quelques minutes, le jus ferait son effet. Le cocktail de drogues pour supporter les effets de plusieurs g n’avait pas encore été injecté, car ils allaient passer directement de leurs sièges à la fusillade. Inutile d’avoir vos troupes d’assaut plus droguées que nécessaire.

Julie était assise sur le mur à côté de lui, et ses cheveux ondulaient autour d’elle comme si elle était sous l’eau. Il imagina que les taches lumineuses de l’éclairage passaient sur son visage. Portrait d’une jeune pilote de chaloupe de course en sirène. L’idée la fit sourire, et il sourit en retour. Elle aurait été présente, il le savait. Avec Diogo, Fred et tous les autres miliciens de l’APE, ces patriotes du vide interstellaire. Elle aurait occupé un de ces sièges anti-crash, vêtue d’une tenue renforcée d’emprunt, prête à se ruer vers la station et à se faire tuer pour faire progresser la cause de tous. Miller savait que lui-même n’y aurait jamais participé. Pas avant elle. Donc, d’une certaine façon, il avait pris la place de Julie. Il était devenu elle.

Ils ont réussi, dit Julie, ou peut-être ne fit-elle que le penser. Si l’attaque au sol se préparait, cela impliquait que le Rossinante ait survécu – au moins assez longtemps pour abattre les défenses ennemies. Miller lui adressa un signe de tête pour la saluer et savoura un moment de satisfaction à cette idée. Puis la poussée le plaqua au fond de son siège avec une telle violence qu’il faillit perdre conscience, et pendant un moment la soute autour de lui s’assombrit. Il sentit quand le jus engendré par le freinage arriva, et tous les sièges pivotèrent pour faire face à ce qui était maintenant au-dessus d’eux. Les aiguilles s’enfoncèrent dans ses chairs. Il se produisit un choc profond et bruyant, et le Guy Molinari résonna comme une cloche géante. L’annonce de la charge pour ouvrir une brèche dans les lignes ennemies. L’univers exerça une traction violente sur eux tous, en direction de leur gauche, et les sièges pivotèrent une dernière fois tandis que le vaisseau se mettait en accord avec la rotation de la station.

Quelqu’un lui cria : “Allez-allez-allez !” Il leva son fusil d’assaut, donna une tape sur l’arme de poing rangée dans son étui sur sa cuisse et se joignit à la cohue qui se pressait vers l’issue. Son chapeau lui manquait.

Le couloir de service qui avait été éventré était étroit et sombre. Les schémas dressés par les ingénieurs de Tycho suggéraient qu’ils ne rencontreraient pas de résistance sérieuse avant d’arriver dans les parties de la station occupées en permanence. Mauvais calcul. Miller fit son entrée dans la bousculade générale à temps pour voir le premier rang des soldats de l’APE fauché par un laser de défense automatique.

— Groupe 3 ! Gazez-moi ça ! cria la voix de Fred à leurs oreilles.

Une demi-douzaine de panaches de fumée anti-laser s’élevèrent aussitôt dans l’espace confiné. Quand un autre laser entra en action, un moment plus tard, les murs luisirent d’une irisation soudaine, et la fumée s’échappant du plastique brûlé empuantit l’air, mais personne ne mourut. Miller se rua en avant, gravit une rampe d’accès métallique peinte en rouge. Une charge explosive détona, et une porte de service s’ouvrit subitement.

Les couloirs de la station Thoth étaient spacieux, décorés de longues bandes verticales de lierre aux spirales soigneusement entretenues, séparées à intervalles réguliers par des niches contenant des bonsaïs mis en valeur par un éclairage judicieux. La lumière douce rappelant celle du soleil donnait au lieu de faux airs de station thermale ou de résidence privée d’un homme fortuné. Le sol était moquetté.

L’affichage tête haute de son casque vacilla et indiqua le chemin que les troupes d’assaut devaient emprunter. Son cœur battait à un rythme soutenu, mais son esprit lui parut ralentir jusqu’à se figer. À la première intersection, un barrage antiémeute était tenu par une douzaine d’hommes portant l’uniforme des forces de sécurité de Protogène. Les assaillants refluèrent et s’abritèrent derrière le coin du mur. Quelques tirs de dissuasion ennemis fusèrent à hauteur de genou.

Les grenades étaient parfaitement sphériques, sans même un trou là où la goupille avait été retirée. Elles ne roulèrent pas aussi bien sur la moquette industrielle trop molle qu’elles l’auraient fait sur un dallage ou un carrelage, si bien qu’une des trois explosa avant d’avoir atteint le barrage. La déflagration fit le même effet que si l’on vous avait frappé les tympans avec un marteau. Les couloirs étroits canalisèrent le souffle vers eux presque autant que vers l’ennemi. Mais le barrage fut fracassé, les hommes de la sécurité de Protogène culbutés en arrière.

Alors qu’ils se lançaient à l’attaque, Miller entendit ses nouveaux compatriotes temporaires pousser des cris de triomphe devant ce premier aperçu de la victoire. Ses écouteurs n’avaient peut-être pas étouffé le bruit autant qu’ils l’auraient dû. Effectuer le reste de l’assaut avec des tympans endommagés ne serait pas facile.

Mais la voix de Fred résonna de nouveau, et elle lui parvint avec clarté :

— N’avancez pas ! Reculez !

L’avertissement fut presque suffisant. Les forces au sol de l’APE hésitèrent, les ordres de Johnson brisant leur élan comme une laisse qu’on tire en arrière. Ce n’étaient pas des soldats. Ce n’étaient même pas des policiers. C’étaient des miliciens irréguliers de la Ceinture, et chez eux la discipline et le respect de l’autorité n’étaient pas naturels. Ils ralentirent. Se montrèrent plus circonspects. Grâce à cela, ils ne tombèrent pas tête baissée dans le piège quand ils tournèrent le coin du couloir.

Celui dans lequel ils s’engagèrent, long et rectiligne, menait d’après ce que suggérait l’affichage tête haute à une rampe de service donnant accès au centre de contrôle. Celui-ci paraissait désert, mais à un tiers de la distance les séparant de l’horizon courbe la moquette se mit à jaillir dans l’air par touffes. Un des garçons près de Miller poussa un grognement et s’effondra.

— Ils utilisent des balles à shrapnels déflagrants, expliqua aussitôt Johnson à leurs oreilles. Ils les font ricocher contre le mur courbe. Restez baissés et faites exactement ce que je vais vous dire.

Le calme dans la voix du colonel eut plus d’effet que ses cris précédents. Miller pensa l’avoir imaginé, mais il lui sembla aussi que son timbre avait gagné en profondeur. Le poids de la certitude. Le Boucher de la station Anderson pratiquant ce qu’il réussissait le mieux : guider ses troupes contre les tactiques et les stratégies qu’il avait aidé à créer quand il était dans le camp adverse.

Les troupes de l’APE progressèrent lentement, d’un niveau, puis elles atteignirent le suivant, et celui d’après. Les galeries donnaient sur de grandes places aussi claires et spacieuses que des cours de prison, tandis que les hommes de Protogène occupaient les miradors. Les couloirs transversaux étaient verrouillés : la sécurité des lieux cherchait à les diriger vers une situation où ils seraient pris sous des tirs croisés.

Ce stratagème échoua. Les forces de l’APE enfoncèrent les portes, se mirent à couvert dans des pièces où s’étalait la richesse, entre des salles de cours et des ateliers de fabrication. Par deux fois, des civils sans tenue renforcée, toujours à leur poste de travail malgré l’assaut en cours, les attaquèrent dès leur entrée. Les hommes de l’APE les abattirent. Une partie du cerveau de Miller – celle qui appartenait toujours à un policier, et non à un soldat – l’accepta mal. C’étaient des civils. Pour lui, leur exécution était une réaction totalement disproportionnée. Mais Julie lui murmura alors en esprit : Personne n’est innocent, ici, et il ne put qu’être d’accord avec elle.

Le centre des opérations était situé en haut du premier tiers du puits de gravité de la station, et il se révéla mieux défendu que tout ce qu’ils avaient déjà vu. Dirigés par la voix omnisciente de Johnson, Miller et cinq autres s’abritèrent dans l’entrée d’un étroit couloir de service. Là, ils assurèrent un tir de neutralisation qui balaya la galerie principale menant au centre, dans le but de riposter à toute contre-attaque éventuelle. Miller vérifia son fusil d’assaut et fut étonné du nombre de munitions qui lui restaient.

, Pampaw, dit le garçon à côté de lui, et Miller sourit en reconnaissant la voix de Diogo derrière la visière. Quelle journée, passa ?

— J’ai connu pire, dit Miller.

Il voulut gratter son coude blessé, mais les plaques renforçant sa tenue l’empêchèrent de satisfaire pleinement ce désir.

Beccas tu ? demanda Diogo.

— Non, ça va. C’est juste… cet endroit. Je ne pige pas. On dirait une station thermale, et le tout est construit comme une prison.

Les mains du garçon s’agitèrent pour poser une question muette, et il secoua le poing en réponse, tout en ordonnant ses pensées avant de parler.

— Il n’y a que de longues galeries dégagées et des couloirs verrouillés sur les côtés. Si je voulais construire une installation comme celle-ci, je préférerais…

L’air chanta, et Diogo s’écroula, sa tête rebondissant violemment en arrière quand elle heurta le sol. Avec un cri de surprise, Miller se retourna. Derrière eux, dans le couloir, deux silhouettes en uniforme de Protogène s’abaissèrent. Quelque chose siffla à son oreille gauche. Quelque chose d’autre ricocha sur la plaque pectorale de sa tenue renforcée martienne, avec la puissance d’un coup de massue. Il ne pensa même pas à braquer son fusil d’assaut : l’arme crachait déjà en direction des assaillants, comme si elle était une extension de sa volonté. Les trois autres soldats de l’APE pivotèrent pour se joindre à lui.

— Reculez ! aboya-t-il. Continuez de surveillez cette putain de galerie principale ! Je m’occupe de ça.

Stupide, se dit-il. C’est stupide de se faire prendre ainsi à revers. Stupide de s’arrêter et de bavarder en plein milieu d’une fusillade. Il aurait dû s’en douter, et maintenant, parce qu’il s’était laissé distraire, le garçon était…

En train de rire ?

Diogo se rassit, pointa son propre fusil d’assaut et arrosa le couloir. Il se remit debout en chancelant un peu, puis poussa un cri de joie digne d’un gamin qui vient de terminer un tour de manège très excitant. Une large traînée d’une sorte de pâte blanche sirupeuse s’étirait de sa clavicule à la partie droite de sa visière. Derrière celle-ci, il souriait. Miller grimaça.

— Pourquoi utilisent-ils des projectiles de neutralisation pour la foule ? dit-il, autant pour lui-même que pour le garçon. Ils pensent que c’est une émeute ?

— Équipes avancées, lui dit Johnson au creux de l’oreille, préparez-vous. Nous faisons mouvement à cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Allez !

Nous ne savons pas vers quoi nous nous précipitons, songea-t-il en se joignant à la ruée vers l’autre extrémité de la galerie et leur cible finale. Une large rampe s’élevait jusqu’à des portes anti-souffle recouvertes d’un placage imitant le grain du bois. Il y eut une explosion dans leur dos, mais il garda la tête baissée et ne regarda pas en arrière. La pression des corps dans leurs tenues renforcées qui se bousculaient devint plus forte, et il trébucha sur quelque chose de mou. Un cadavre vêtu de l’uniforme de Protogène.

— Faites-nous un peu de place ! cria une femme à l’avant.

Il se dirigea vers elle en jouant du coude et de l’épaule pour fendre la foule de soldats. La voix de la femme retentit une seconde fois.

— Quel est le problème ? lui lança-t-il.

— Je ne peux pas découper cette saloperie avec tous ces abrutis qui me poussent, dit-elle en brandissant un chalumeau à l’embout qui blanchissait déjà.

Il saisit aussitôt la situation. Il passa son arme à la bretelle, agrippa les deux hommes les plus proches, les secoua jusqu’à ce qu’ils lui prêtent attention, et colla ses épaules aux leurs.

— Il faut donner un peu d’air aux techniciens, dit-il.

Ensemble ils marchèrent sur leurs propres camarades pour les forcer à reculer. Combien de batailles, dans toute l’histoire, ont été perdues dans des moments comme celui-ci ? se demanda-t-il. La victoire à portée de main, et puis les troupes alliées se marchent dessus. Derrière lui le chalumeau siffla, et la chaleur exerça une pression sur son dos aussi réelle que celle d’une main, malgré sa tenue renforcée.

Au bord de la foule, les armes automatiques claquèrent et grincèrent.

— Comment ça se passe ? cria Miller sans se retourner.

La femme ne répondit pas. Il parut s’écouler des heures, même si l’attente ne dura guère plus de cinq minutes. La brume dégagée par le métal surchauffé et le plastique vaporisé emplit l’air.

Le chalumeau s’éteignit avec un bruit sec. Par-dessus son épaule, Miller vit la cloison s’affaisser et bouger. La technicienne inséra un vérin fin comme une carte de crédit dans l’interstice entre deux plaques, l’activa et recula. Autour d’eux toute la station grogna quand un nouvel ensemble de pressions et de tensions remodela le métal. La cloison céda et s’ouvrit.

— Allons-y ! s’écria Miller.

Il rentra la tête dans les épaules et s’élança dans le passage, gravit au pas de course une rampe moquettée et surgit dans le centre des opérations. Devant leurs ordinateurs, à leurs postes de travail, une douzaine d’hommes et de femmes levèrent sur lui des yeux agrandis par la peur.

— Vous êtes en état d’arrestation ! tonna Miller tandis que les soldats de l’APE se déployaient autour de lui. Enfin, vous ne l’êtes pas, mais… Oh, et puis merde : Mains sur la tête et éloignez-vous de vos postes !

L’un d’eux soupira. Il était aussi grand qu’un Ceinturien mais avec la corpulence plus dense d’un homme ayant grandi dans la pesanteur. Il portait un costume bien coupé, lin et soie écrue, sans les plis et les marques que laissent les heures passées devant un écran.

— Faites ce qu’ils disent, ordonna-t-il aux autres.

Il avait l’air irrité, mais en aucun cas effrayé.

Les yeux de Miller s’étrécirent.

— Monsieur Dresden ?

L’homme en costume haussa un sourcil au dessin travaillé, hésita une seconde, puis acquiesça.

— Nous vous cherchions, dit Miller.


* * *

Johnson entra dans le centre des opérations du même pas que si l’endroit lui avait appartenu. Avec un port d’épaules plus martial et une certaine raideur dans le tronc, l’ingénieur en chef de la station Tycho avait été remplacé par le colonel. Il survola la salle du regard, puis décocha un regard interrogateur à un des techniciens chevronnés de l’APE.

— Tout est verrouillé, monsieur, répondit l’autre. La station est à vous.

Miller n’avait presque jamais été présent pour assister au moment où un homme connaissait l’absolution. C’était une situation si totalement intime qu’elle approchait le spirituel. Des dizaines d’années plus tôt, cet homme – alors plus jeune, plus vigoureux, sans trace de gris dans les cheveux – avait enlevé une station spatiale en pataugeant jusqu’aux genoux dans le sang et les tripes des Ceinturiens, et Miller nota la décrispation presque imperceptible de sa mâchoire, l’expansion de la poitrine qui démontrait que son fardeau s’était allégé. Il n’avait peut-être pas disparu, mais c’était presque cela. Et c’était plus que ce que bien des gens accomplissaient en toute une existence.

Il se demanda ce qu’il ressentirait, s’il avait un jour l’occasion de faire la même expérience.

— Miller ? dit Fred. J’ai cru comprendre que vous aviez quelqu’un à qui nous aimerions parler.

Dresden déplia son grand corps de son siège et se leva, sans prêter attention aux armes de poing et aux fusils d’assaut alentour, comme si ces choses ne le concernaient pas.

— Colonel Johnson, j’aurais dû m’attendre à ce que quelqu’un de votre calibre soit derrière cette opération. Je m’appelle Dresden.

Il tendit à Fred une carte de visite d’un noir mat. Johnson la prit comme par réflexe, mais n’y jeta pas même un coup d’œil.

— C’est vous le responsable de tout ça ?

Dresden eut un sourire glacial et regarda autour de lui avant de répondre.

— Je dirais que vous êtes responsable d’au moins une partie de tout ça. Vous venez de tuer un certain nombre de personnes qui ne faisaient que leur travail. Mais peut-être que nous pourrions nous dispenser de ces accusations morales pour nous intéresser à ce qui compte réellement ?

Le sourire de Fred atteignit ses yeux.

— Et qu’est-ce qui compte réellement ?

— Les termes de la négociation. Vous êtes un homme d’expérience. Vous comprenez que votre victoire ici vous place dans une position intenable. Protogène est l’une des entreprises les plus puissantes de la Terre. L’APE l’a attaquée, et plus longtemps vous voudrez garder cet endroit sous votre contrôle, plus les représailles seront sévères.

— Ah, c’est comme ça ?

— Bien sûr, dit Dresden en réfutant le ton cassant de Johnson d’un geste nonchalant de la main.

Miller réprima une grimace. Cet homme ne comprenait manifestement pas ce qui se passait.

— Vous avez vos otages. Nous sommes là. Nous pouvons attendre que la Terre envoie quelques dizaines de vaisseaux de guerre et négocie pendant que vous regarderez leurs canons, ou nous pouvons mettre un terme à cette situation maintenant.

— Vous me demandez… combien d’argent je veux pour me replier avec mes hommes et vider les lieux, dit Johnson.

— Si c’est l’argent qui vous intéresse, approuva Dresden avec une moue d’ennui. Ou des armes. L’adoption de certains engagements légaux. Des médicaments. Quoi que ce soit dont vous avez besoin pour poursuivre votre petite guerre et régler rapidement la situation actuelle.

— Je sais ce que vous avez fait sur Éros, déclara le colonel avec calme.

Dresden ricana. Miller en eut la chair de poule.

— Monsieur Johnson, dit-il, personne ne sait ce que nous avons fait sur Éros. Et chaque minute passée à jouer à votre petit jeu est une minute que je pourrais consacrer de façon plus profitable ailleurs. Je peux vous affirmer qu’en ce moment vous êtes dans la meilleure position que vous connaîtrez pour négocier. Vous n’auriez aucun intérêt à faire traîner les choses.

— Et vous proposez ?

Dresden écarta les mains.

— Tout ce que vous voudrez, avec l’amnistie en prime. Tant que ça vous fera sortir d’ici et nous permettra de nous remettre au travail. Nous sommes gagnants tous les deux.

Fred rit. D’un rire forcé.

— Soyons clairs, dit-il. Vous me donnerez tous les royaumes de la Terre si je m’incline et que j’accomplis un acte de dévotion envers vous ?

Dresden parut interloqué.

— Je ne connais pas ce à quoi vous faites référence.

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