Robert Silverberg La compagne secrete

1.

C’était mon premier contact avec les cieux, je n’étais personne, absolument personne, et c’était ce voyage qui était censé faire de moi quelqu’un.

Mais le fait de n’être personne ne m’empêchait pas de regarder tous ces millions de mondes avec un profond sentiment de pitié. Ils étaient là tout autour de moi, lancés dans leur course à travers la nuit, chacun d’eux croyant qu’il allait quelque part. Et chacun d’eux à tort, bien sûr, car les mondes ne vont nulle part ; ils tournent en rond, singes pathétiques éternellement à l’attache au bout de leur chaîne. Ils ont l’air de bouger, oui. Mais en réalité ils font du surplace. Et moi – moi qui contemplais les mondes célestes plein de compassion pour eux – je savais que si j’avais l’air de faire du surplace, je n’en bougeais pas moins. Car j’étais à bord d’un vaisseau céleste, un vaisseau du Service, qui franchissait les années-lumière à une vitesse si incompréhensiblement élevée que c’était pratiquement comme si la vitesse n’existait plus.

J’étais très jeune. Mon vaisseau, à cette époque comme aujourd’hui, s’appelait l’Épée-d’Orion et avait quitté Kansas Quatre à destination de Cul-de-Sac, Strappado, La Renardière et plusieurs autres mondes, via les points de rotation habituels. C’était mon premier voyage et c’était moi qui commandais. J’ai longtemps pensé que j’allais perdre mon âme au cours de ce voyage, mais je sais maintenant que ce qui se passait à bord de ce vaisseau ne signifiait pas la perte, mais l’acquisition d’une âme. Et peut-être de plus d’une.

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