[1] Le narrateur, lui-même sujet à caution, qui se présente sous le nom fictif d'Henri Robin commet ici une légère erreur. Après avoir passé l'été sur une plage de la Baltique, Franz Kafka s'est installé à Berlin pour un ultime séjour, avec Dora cette fois-ci, en septembre 1923, et il est retourné à Prague en avril 1924, déjà presque mourant. Le récit de H.R. se situe au début de l'hiver «quatre ans après l'armistice», donc vers la fin de 1949. Il y a ainsi 26 ans, et non 25, entre sa présence en ces lieux et celle de Kafka. L'erreur ne peut concerner le chiffrage de «quatre ans»: trois ans après l'armistice (ce qui ferait bien un quart de siècle), c'est-à-dire à la fin de 1948, serait en effet impossible, car cela placerait le voyage de H.R. en plein blocus de Berlin par l'Union Soviétique (de juin 48 à mai 49).
[2] Cette indication erronée nous paraît beaucoup plus grave que la précédente. Nous y reviendrons.
[3] Notes 3a, 3b Le rapport détaillé en question appelle deux remarques. Contrairement à celle qui a trait au dernier séjour de Kafka à Berlin, l'inexactitude concernant la nature de l'arme – relevée dans la note 2 – ne peut guère passer pour une faute accidentelle de rédaction. Le narrateur, quel que soit son manque de fiabilité dans bien des domaines, est incapable de commettre une méprise aussi grossière relativement au calibre d'un pistolet qu'il tient en main. Nous aurions donc affaire ici à un mensonge délibéré: c'est en fait un modèle de 9 mm, fabriqué sous licence Beretta, que nous avions placé dans le tiroir de la table, et dont nous avons repris possession pendant la nuit suivante. Si l'on devine facilement pourquoi le pseudo Henri Robin cherche à minimiser sa puissance de feu et le calibre des trois balles tirées, on comprend moins bien qu'il ne tienne aucun compte du fait que Pierre Garin connaît évidemment le contenu exact du tiroir.
Une troisième erreur se rapporte à la position de Kreuzberg dans Berlin-Ouest. Pourquoi H.R. fait-il semblant de croire que ce quartier se situe en zone française d'occupation, où il a lui-même résidé à plusieurs reprises? Quel profit compte-t-il retirer d'une manipulation aussi absurde?
[4] Notes 3a, 3b Le rapport détaillé en question appelle deux remarques. Contrairement à celle qui a trait au dernier séjour de Kafka à Berlin, l'inexactitude concernant la nature de l'arme – relevée dans la note 2 – ne peut guère passer pour une faute accidentelle de rédaction. Le narrateur, quel que soit son manque de fiabilité dans bien des domaines, est incapable de commettre une méprise aussi grossière relativement au calibre d'un pistolet qu'il tient en main. Nous aurions donc affaire ici à un mensonge délibéré: c'est en fait un modèle de 9 mm, fabriqué sous licence Beretta, que nous avions placé dans le tiroir de la table, et dont nous avons repris possession pendant la nuit suivante. Si l'on devine facilement pourquoi le pseudo Henri Robin cherche à minimiser sa puissance de feu et le calibre des trois balles tirées, on comprend moins bien qu'il ne tienne aucun compte du fait que Pierre Garin connaît évidemment le contenu exact du tiroir.
Une troisième erreur se rapporte à la position de Kreuzberg dans Berlin-Ouest. Pourquoi H.R. fait-il semblant de croire que ce quartier se situe en zone française d'occupation, où il a lui-même résidé à plusieurs reprises? Quel profit compte-t-il retirer d'une manipulation aussi absurde?
[5] Note 4 – Pas plus que le passage de la première à la troisième personne, au réveil de Ascher dans l'appartement piégé J.K., ce remplacement impromptu de l'indicatif présent par le passé indéfini, d'ailleurs temporaire, ne modifie à notre sens ni l'identité du narrateur ni l'époque de la narration. Quelle que soit la distance que semble prendre la voix narratrice par rapport au personnage, le contenu des énoncés ne cesse à aucun moment de reproduire une connaissance intérieure de soi-même, auto-perceptive et instantanée, même si elle est parfois d'inspiration mensongère. Le point de vue reste toujours bel et bien celui de notre sujet multinominal et volontiers pseudonyme. Une question plus problématique nous paraît concerner le destinataire de ces récits. Un prétendu rapport adressé à Pierre Garin ne convainc en vérité personne: les grossières falsifications des faits et des choses, sur plusieurs points primordiaux, ne pourraient en aucun cas tromper un technicien de ce calibre, surtout quand il a lui-même tendu les ficelles, ce dont Ascher devrait se douter. Sous un angle opposé, si celui-ci opérait à notre insu pour une autre organisation, voire pour un autre des belligérants présents à Berlin, il n'aurait aucun intérêt à passer ainsi pour un imbécile. A moins qu'une toute nouvelle dimension de sa trahison éventuelle ne nous échappe.
[6] Note 5 – Franz et Josef Mahler, véritables jumeaux, sont en effet connus comme indicateurs. Ils ne travaillent pas pour nous, mais pour les services secrets américains, peut-être aussi pour la police soviétique. Il est difficile de les distinguer l'un de l'autre, sinon à leur accent quand ils parlent français, encore que des intonations bavaroises aussi caricaturales soient très faciles à reproduire par n'importe lequel des deux. Quant au sourire amène de l'un, s'opposant à la hargne de l'autre, nous avons pu constater à maintes reprises qu'ils les échangent entre eux avec une grande aisance et un parfait synchronisme. Heureusement, on les voit presque toujours ensemble (comme aime à le répéter Zwinge, qui se complaît sans retenue aux charades, devinettes approximatives et calembours en tout genre: un Mahler n'arrive jamais seul), ce qui évite de se poser trop de questions. La jolie Maria, en revanche, est un de nos correspondants les plus fiables. Elle sait parfaitement le français, mais le cache avec soin, pour des raisons d'efficacité. Les frères Mahler, qui ont fini par s'en apercevoir, acceptent de jouer le jeu sans rien dire, espérant en obtenir eux-mêmes quelque avantage, un jour ou l'autre.
[7] Note 6 – Sous le prétexte assez artificiel d'un récit de rêve, d'ailleurs introduit sans grande précaution stylistique, Ascher revient donc ici, une nouvelle fois, sur le thème de son double hallucinatoire, dont il espère évidemment tirer parti dans la suite du rapport. Il pourrait fort bien, par exemple, y voir un moyen commode de se mettre lui-même hors de cause. Mais, ce qui réveille au contraire la méfiance à son égard de tout le Service Action Discrète (et la mienne, personnelle, a fortiori), c'est que notre narrateur s’arrange en meme temps pour occulter, dans le souvenir d'enfance relatif au peu touristique voyage de sa mère à Berlin, ce qui précisément serait un solide point de repère pour le fantasme en question: je veux parler de l'identité du parent perdu qu'il s'agissait alors de rejoindre. Nous avons du mal à imaginer que la bonne foi du scrupuleux Ascher soit totale, dans cette prétendue mémoire défaillante, gommant comme par miracle l'élément capital de son histoire. Ou alors, nous aurions là un cas particulièrement spectaculaire d'oubli œdipo-freudien! La maman qui traînait son tout petit garçon dans une expédition aussi aventureuse n'avait, quant à elle, aucune raison de lui en cacher le but, puisque l'affaire le concernait lui-même d'une manière si flagrante. Enfin, la transformation en «une parente» de ce qui était dans la réalité un homme adulte, vivant avec un très jeune enfant, nous semble révélatrice d'une mystification délibérée, sinon préméditée de longue date.
[8] Note 7 – Les diverses questions que fait semblant de se poser notre narrateur inquiet, avec une naïveté feinte, lui laissent commettre au moins une erreur dans le dispositif compliqué de ses pions: il avoue incidemment suspecter la précieuse Maria – et non les frères Mahler – de travailler pour le SAD, alors que ce matin elle ne comprenait même pas notre langue. Plus étrange encore de sa part, il gomme la seule interrogation qui nous semblerait pertinente (à moi en particulier) et qui le concerne de façon directe: la jeune veuve désenchantée ne lui ferait-elle pas songer à une autre présence féminine, toujours en filigrane dans son récit et qui le touche certes de fort près? La description qu'il donne ici de son visage aux traits fermes n'a-t-elle pas l'air de se rapporter ouvertement à une photographie de sa propre mère lorsque celle-ci avait trente ans, image à laquelle il a souvent fait allusion çà et là? Or il évite avec soin, cette fois, toute mention d'une ressemblance pourtant incontestable (accentuée encore par la voix aux sonorités émouvantes dont il a parlé ailleurs), tandis qu'il profite de la moindre occasion, dans tout son texte, pour signaler des similitudes ou duplications éventuellement imaginaires, peu convaincantes en tout cas et largement aussi décalées l'une par rapport à l'autre dans le temps, sinon plus, que pour l'étrange analogie dont nous évoquons de notre côté l'évidence. Lui-même, en revanche, insiste sans retenue (et d'une façon sans doute préméditée) sur l'attrait sexuel qui se dégage de Jo Kast comme de la scandaleuse adolescente aux boucles d'or, bien que le rapprochement morphologique qu'il établit entre la mère et l'enfant nous paraisse, une fois de plus, tout à fait subjectif, pour ne pas dire marqué par une intention mensongère.
La fille «naturelle» de Dany von Brücke reproduit en vérité bien davantage la beauté «aryenne»de son géniteur mâle, qui, tout en lui refusant le noble titre ancestral, l'a d'ailleurs affublée d'un prénom prussien, archaïque et presque disparu: Gegenecke, vite transformé en Gege, c'est-à-dire Guégué selon la prononciation allemande, mais francisé en Gigi et devenu ensuite Djidji pour les Américains. Je signale en passant, à l'intention de ceux qui ne l'auraient pas encore compris, que cette jeune demoiselle capricieuse, mais à la précocité remarquable dans de nombreux domaines, est l'une des pièces maîtresses de notre agencement tactique.
[9] Note 8 – Profitant de ce que notre agent perturbé est en train de se noyer dans le flot des imparfaits et des passés indéfinis, nous pouvons préciser ou rectifier certains points de détail dans le long dialogue qui précède. Si mes souvenirs sont bons, la photo de vacances familiales n'est pas prise sur l'île de Rügen, mais dans les environs immédiats de Graal-Müritz, station balnéaire de la Baltique plus proche de Rostock où Franz Kafka séjournait pendant l'été 1923 (soit quatorze ans plus tôt) avant de venir passer son dernier hiver à Berlin, non pas d'ailleurs en plein Mitte, comme notre narrateur l'a supposé plus haut, mais dans le quartier périphérique de Steglitz qui marque aujourd'hui, avec Tempelhof, la limite sud du secteur américain.
Et je me rappelle aussi les avions dans le ciel, car ce n'était pas en effet le passage des grues cendrées, spectaculaire à cette saison, qu'observait le père. Pourtant, il ne s'agissait pas non plus de Stukas en piqué, mais de Messerschmidt 109 ronronnant en altitude, sans guère troubler le repos des estivants. L'erreur de Joëlle Kastanjevica provient d'une confusion avec l'impressionnant film de propagande guerrière que nous avions vu ce même jour aux actualités cinématographiques, dans une salle rudimentaire de Ribnitz-Damgarten. Quant au vocabulaire du milieu théâtral qu'elle emploie concernant son mariage (répétition, doublure, générale, reprise, etc.), il a pour évidente origine son séjour à Nice (donc postérieur). Elle y tenait une modeste papeterie de quartier, où les enfants venaient acheter des crayons et des gommes, alors qu'elle s'intéressait beaucoup plus à la troupe de comédiens amateurs fondée avec quelques amis. On dit qu'elle aurait en particulier joué le rôle de Cordélia dans une adaptation scénique du Journal d’un séducteur dont la traduction française était parue dès avant la guerre au Cabinet cosmopolite.
[10] Note 9 – L'auteur du problématique récit veut sans aucun doute, par ses outrances, accréditer chez son lecteur éventuel la thèse de l'empoisonnement: on assisterait donc dans cette scène, ouvertement délirante, aux premiers effets (nauséeux, puis hallucinogènes) du prétendu café narcotique préparé par nos soins. Sa tactique probable, dans le mauvais pas d'où il peine à sortir, serait ainsi de dissoudre ses responsabilités personnelles – conscientes ou inconscientes, volontaires ou involontaires, délibérées ou subies – dans un bain opaque de machinations compliquées ourdies par ses adversaires, de doubles jeux à tiroirs, d'envoûtements et charmes hypnotiques divers exercés contre lui, exonérant de toute faute ou implication sa malheureuse et fragile personne. On aimerait évidemment qu'il précise lui-même notre propre intérêt à le détruire. Tous ceux qui ont pris connaissance de ses précédents rapports, fût-ce de façon rapide ou partielle, auront en tout cas pu observer que cette thématique jumelée du complot et de l'enchantement offre sous sa plume une remarquable récurrence, sans oublier la tumultueuse agression finale par un déchaînement de petites filles érotiques.
[11] Note 10 – Désagréable avec ses collègues, comme à chaque fois qu'elle en a l'occasion, notre délicieuse petite pute en fleur ment ici avec son effronterie coutumière. Et, qui plus est, pour le seul plaisir gratuit de mentir, car aucune directive du Service ne comportait assurément ce genre de précision absurde, dont la réfutation serait d'ailleurs par trop facile.
[12] Note 11 – L'imprévisible Guégué, pour une fois, n'invente rien et rapporte sans les déformer quelques renseignements corrects fournis par sa mère. A un détail près, cependant: je n'étais pas du tout venu sur les bords de la Sprée en permissionnaire, ce qui n'aurait guère été envisageable au printemps 45, mais au contraire pour une très risquée «mission spéciale de contact», que l'offensive russo-polonaise déclenchée dès le 22 avril a tout de suite rendue caduque. Malheureusement ou par bonheur, qui pourra jamais le dire? Notons en outre – ce dont personne ici ne s'étonnera – que l'adolescente ne semble en rien dérangée par une certaine incohérence de ses propos: si je suis à Berlin au moment de l'assaut final, je peux difficilement être mort quelques mois plus tôt, pendant les combats d'arrière-garde en Ukraine, Biélorussie ou Pologne, comme elle a feint de le croire probable peu d'instants auparavant.
[13] Note 12 – Notre psychanalyste amateur «oublie» bien entendu ici les trois thèmes essentiels, organisant la série d'épisodes qu'il vient pourtant de relater en détail: l'inceste, la gémellité, l'aveuglement.
[14] Note 13 – C'est à partir de ce moment précis – quand HR ramasse sur le plancher de la chambre d'enfants ce curieux poignard en cristal que constitue le principal fragment d'une flûte à champagne brisée, dont il projette aussitôt de se munir comme arme offensive d'intimidation, pour fuir la maison où il se croit retenu captif – que le récit de notre agent spécial psychotique devient tout à fait délirant, et nécessite une rédaction entièrement nouvelle, non plus seulement rectifiée sur quelques points de détail, mais reprise dans son ensemble d'une façon plus objective:
[15] Note 14 – Voilà, c'est fini.
J'étais en état de légitime défense. Dès qu'il a sorti le pistolet automatique d'une poche de sa pelisse, suspendue au mur, je me suis levé d'un bond et précipité sur lui, qui ne s'attendait pas à une réaction préventive aussi rapide. Je n'ai pas eu trop de peine à lui arracher son arme, et j'ai fait ensuite un bond en arrière… Mais il avait eu le temps de débloquer le système de sécurité… Le coup est parti tout seul… Tout le monde me croira, évidemment. Ses empreintes digitales fraîches sont inscrites partout sur l'acier bleui. Et la police berlinoise a trop besoin de mes services. Je pourrais même, comme preuve supplémentaire de ma situation périlleuse face à un agresseur armé, faire tirer à celui-ci une première balle maladroite au cours de notre brève lutte… qui aurait par exemple atteint le mur derrière moi, ou bien la porte…
C'est à ce moment-là que, me retournant vers cette issue qui donne sur le couloir, je vois son battant largement entrebâillé, sans aucun doute depuis l'arrivée de Markus, qui avait oublié de la clore après son passage… En retrait dans l'ombre du corridor, où l'on a éteint toutes les veilleuses, se dessinent les deux visages identiques des frères Mahler, immobiles et sans expression, aussi figés que des mannequins de cire et collés l'un à l'autre en léger décalage, afin que chacun puisse observer le spectacle par cette ouverture verticale, trop étroite pour leur forte corpulence. Comme la tête du lit s'appuie contre ce même mur intérieur de la chambre, je ne pouvais, d'où j'étais, apercevoir la porte… Hélas, il ne m'est guère possible de supprimer à présent ces deux témoins imprévus…
Tandis que je réfléchis, aussi vite que le commande l'urgence, à cette configuration actuelle dont j'ai perdu les contrôles, passant en revue précipitée plusieurs solutions, toutes inapplicables, je me rends compte que les deux visages jumeaux sont en train de s'estomper, dans un imperceptible mouvement de recul. Celui de droite, déjà, ne se devine plus qu'à peine, devenant un vague reflet de l'autre, pâli et légèrement en arrière… Au bout d'à peine une minute, Franz et Joseph Mahler ont disparu, comme fondus au noir. Je pourrais presque croire à une hallucination, si du moins je n'entendais distinctement leurs pas lourds qui s'éloignent sans hâte le long du corridor, puis sur les marches successives de l'escalier descendant à la salle commune.
Qu'ont-ils vu exactement? Lorsque j'ai découvert leur double silhouette, j'avais déjà rejeté l'arme sur les draps. Et le lit, d'une bonne hauteur, devait alors leur cacher cette partie du plancher où venait de choir le corps sans vie de Marco. Cependant, je conserve la quasi-certitude que ce ne sont pas mes coups de feu qui les ont alertés. Ils n'auraient pas pu monter aussi vite, pour venir identifier leur origine. Ils ont donc, bel et bien, sans souffler mot, assisté au meurtre.
Tout à coup, je suis assailli par une évidence: c'est Pierre Garin lui-même qui m'a trahi. Il prétendait que les deux frères seraient absents toute la soirée, et jusque tard dans la nuit, retenus par une réunion de mise au point du NKGB, en secteur soviétique. Rien de tel évidemment n'était prévu pour eux, car, en même temps, il leur dévoilait au contraire le lieu et le moment de mon intervention décisive: à l'hôtel des Alliés, juste après le départ de la police berlinoise. Par malheur, je ne pouvais rien contre ces doubles agents doubles qui travaillent à mi-temps pour la CIA et jouissent donc de toutes les protections possibles… Quant à la belle Io, quel pourrait être son rôle dans ce stratagème compliqué? Tous les soupçons semblent désormais permis…
J'en étais là de mes supputations inquiètes, quand deux infirmiers militaires de l'hôpital américain sont entrés dans la chambre, d'un pas ferme et rapide. Sans jeter un regard vers moi ni m'adresser la parole, comme si personne de vivant ne se trouvait là, ils ont en quelques gestes précis chargé sur un brancard pliant la victime, dont les membres n'avaient pas eu le temps d'acquérir cette rigidité malcommode propre aux cadavres. Deux minutes plus tard, j'étais seul à nouveau, ne sachant plus ce que je devais faire, regardant les choses autour de moi comme si j'allais apercevoir la clef de mes problèmes accrochée à quelque patère, ou chue par hasard sur le plancher. Tout avait l'air normal, indifférent. Aucune trace de sang ne souillait le sol. Je suis allé refermer la porte, que les silencieux archanges aux ailes blanches avaient laissée grande ouverte, en partant avec leur proie inanimée… Comme j'étais toujours en pyjama, j'ai pensé que le mieux serait de m'étendre un peu sur mon lit en attendant la suite des événements, ou une inspiration soudaine, et peut-être même de me rendormir.